09 février 2015

Récemment retrouvé dans le Ghetto de Venise, un trésor bientôt exposé à Paris


..En septembre 1943, deux responsables des services religieux de deux synagogues du ghetto de Venise, l'espagnole et la levantine, avisé de l'arrivée imminente des nazis dans la ville, décidèrent de cacher de précieux objets de culte, trésors d'orfèvrerie que les allemands auraient certainement volé. Mis à part quelques exactions superficielles, les synagogues vénitiennes furent épargnées par la barbarie des nazis. Leur façade sobre les faisant rassembler à des immeubles d'habitation ou à des palais, elles échappèrent à la destruction.  On oublia pendant de nombreuses années les objets cachés. D'autant que les deux hommes ne revinrent jamais des camps d'extermination où ils furent déportés, comme la plus grande partie de la communauté juive de Venise. C'est très récemment, à la faveur de la restauration de la synagogue espagnole, que les objets soustraits au pillage, ont été redécouverts.

..Ce trésor d'orfèvrerie liturgique, pour l'essentiel en argent, compte des objets rituels traditionnels : des couronnes de torah, des ornements de bâtons de torah, des mains de lectures, des boîtes à aromates, des lampes de Hanoukkah (la fête des Lumières), des lampes de synagogue, des coffrets de torah, des plats, un bassin et une aiguière. Tous sont d'un grand raffinement et le travail de chaque pièce est de toute beauté. Ils portent la signature des meilleurs orfèvres vénitiens du XVIIe au XIXe siècle, parmi lesquels Antonio Montin et Giovanni Fantini. Magnifiquement ornés et extraordinairement ciselés, ces pièces attestent du raffinement et de la diversité culturelle du judaïsme vénitien. Fortement corrodés, ils ont fait l'objet d'une longue restauration qui leur a rendu leur splendeur d'origine. Les contempler plonge le visiteur dans le passé flamboyant de la Sérénissime.

..Institué il y a près de 500 ans, plus exactement le 29 mars 1516, le ghetto de Venise fut le premier d'Europe. Tout le monde sait que ce nom,qui prendra au fil des siècles une connotation terriblement négative et douloureuse, provient du terme vénitien, geto qui signifie fonderie. Conçu à l'emplacement d'une fonderie, comme un espace de ségrégation voulu par le gouvernement de la République et son Inquisition, mais aussi par les juifs eux-mêmes pour préserver leurs traditions et éviter les mariages mixtes, il était fermé la nuit, et des équipes de vigiles juifs en surveillaient les alentours. Il devint en quelques années le berceau d'une importante et riche communauté de juifs originaires d'Italie,qui attira de nombreux juifs des pays germaniques, du Levant et d'Espagne. Son cosmopolitisme et la prospérité de ses habitants en ont fait un creuset culturel original dont la renommée dépassa les frontières de la république de Venise. C'est résumer d'une manière par trop simpliste ce que furent les liens d'amour et de haine qui liait la république à la communauté juive.



Les objets du trésor du ghetto de Venise seront présentés à Paris dans les salles italiennes du MAHJ,où ils font écho à un ensemble d’œuvres de très grande qualité témoignant de la continuité du judaïsme italien du Moyen Âge à nos jours. Cette exposition itinérante est organisée en partenariat avec Venetian Heritage, fondation pour la sauvegarde du patrimoine de Venise, et la Maison Vhernie, les mécènes, avec la communauté juive de Venise. Elle sera ouverte au public du 13 mai au 13 septembre 2015.

Hôtel de Saint-Aignan,
à 300m du Centre Pompidou
71, rue du Temple, 75003 Paris
Tél. : 01 53 01 86 60
Métro : Rambuteau ou Hôtel de Ville

29 décembre 2014

Réflexions sur l'art

..On a souvent "prétendu que l'Italie de la renaissance était dominée par l'idée d'art. C'est une confusion : ce qu'on appelle ici art n'a rien à voir avec les Beaux-Arts. C'est en réalité le triomphe de la logique, la perfection, raisonnée en toutes ses parties, qu'un souverain donne à l’organisation de ses états... Bref, l'idéal propre à tous les ouvriers de la pensée."  

..C'est avec ces quelques mots lus d'un ouvrage de Müntz, qu'un de mes maîtres me fit comprendre pourquoi la Renaissance a tant tardé à s'introduire à Venise et pourquoi Venise n'apparait pas aux yeux des historiens comme un lieu moteur et innovateur dans la création artistique de cette période extraordinairement féconde partout en Italie. Le doge avait bourse et poings liés par le Sénat qui, par sa nature et ses fonctions, restait dans tous les domaines autres que ceux qui pouvaient contribuer à la protection des acquis de la république, de son pouvoir, son influence et de sa fortune, très conservateur et frileux. Le système politique de la Sérénissime évitât la dictature et permit aux vénitiens une certaine liberté enviable à l'époque, mais freina beaucoup les inventions de l'art. L'inquisition veillait aussi. Pourtant, avec les échanges commerciaux et l'importance de l'activité portuaire, Venise voyait passer du monde et parmi eux des savants et des artistes dont les idées et les innovations forcément essaimaient les esprits. C'est ainsi qu'on ne peut imaginer le passage à Venise de Leonardo da Vinci sans qu'ait eu lieu un échange de nature philosophique, scientifique ou artistique avec ceux qu'il a pu rencontrer pendant son séjour.

..C'était en mars 1500. Le XVIe siècle n'avait pas trois mois. On sait qu'il était chez le célèbre luthier Gugnasco, derrière San Zaccaria, à qui il montra le portrait au fusain qu'il venait de réaliser d'Isabelle d'Este (cf Tramezzinimag, billet du 24/3/2007). La tradition voudrait que les plans et dessins des navires amphibie, ancêtres des sous-marins, aient été dessinés pendant son séjour. On sait qu'il rencontra des esprits brillants et cultivés et sa renommée lui aura forcément fait prendre contact avec les plus grands artistes vénitiens... Que n'avons-nous pas de témoignages vidéo ou simplement sonores de cette période... Si seulement cela avait existé alors, quelle richesse pour nous... Nous saurions ce qui fut dit, la nature des échanges chez les uns ou chez les autres et qui forcément contribuèrent à l'évolution des idées, la modernité entrant comme un courant d'air dans les palais comme dans les esprits vénitiens.
 
 
..Mais qu'importe les hommes, ce qui compte avant tout, c'est l’œuvre d 'art elle-même et la personnalité de son auteur n'intéresse que dans la mesure où elle permet d'expliquer la genèse et l'esprit de cette œuvre. Ne fait-on pas de nos jours trop cas de l'auteur de l’œuvre, glosant sur le pourquoi du comment ? Mais l'artiste est avant tout l"intermédiaire qui transforme une intuition, une idée, un ressenti en son expression visible et accessible à tous... Un besogneux doué d'une intuition et naturellement d'un savoir-faire du même type finalement que celui du boulanger ou de l'ébéniste... Saviez-vous que pour les grecs, le mot qui servait à désigner un sculpteur servait aussi pour définir un simple fabricant d'assiettes ? 
 
 
..Mais le sujet mériterait bien des développements qui ne peuvent trouver leur place sur un blog. Nos temps sont au court, au rapide, au pré-digéré. Un critique n'a-t-il pas écrit il y a quelques années, au sujet des billets de ce blog, qu'ils étaient trop longs et trop sophistiqués. J'ai pris cela comme un compliment... Encore une autre histoire... Bonne dernière semaine de l'année à mes lecteurs!

24 décembre 2014

13 décembre, Sainte Lucie, la fête qui nous porte vers Noël

Dans un monde de plus en plus chamboulé par la mondialisation, la libre circulation, physique ou virtuelle des êtres, des marchandises et des idées, certaines traditions périclitent ou du moins perdent du sens. Manque général de culture ? Perte de repères traditionnels ? Rythmes de vie qui ne laissent plus de place aux rites ? Désacralisation des fêtes et des traditions liées à la spiritualité ? Matérialisme  déchaîné de nos sociétés ultra-libérales et repues ? 
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Certainement un peu de tout cela. Mais avant tout, selon moi, par l'étouffement de l'esprit d'enfance. En ce temps de Noël, on voudrait nous faire assimiler cette attitude mentale à un simple appétit matériel pour les belles et bonnes choses qui nous attendent sur la table des fêtes et sous le sapin dressé dans le salon. L'esprit d'enfance, c'est autre chose. C'est l'émerveillement devant le mystère de l'incarnation, l'impossibilité de comprendre comment ce qui s'est passé il y a plus de deux mille ans en Judée a pu avoir lieu et comment deux mille ans après on en parle encore. C'est la joie des petits devant la crèche où bientôt l'enfant-roi se trouvera entre le bœuf et l'âne, entre Marie et Joseph, devant les bergers émerveillés... C'est la joie de la lumière, vieille tradition qui remonte à des temps bien plus anciens que les temps de la Bible... C'est ainsi que l'on fête la Lumière aujourd’hui, à travers le monde. 
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Et cette fête est personnalisée un peu partout dans le monde par Sainte Lucie,  martyre de Syracuse, dont le corps repose depuis des siècles dans une chapelle de l'église San Geremia, près du palazzo Labia, au bord du Canalazzo. Sa fête marque, avec l'Avent le début du temps de Noël. Traditionnellement importante dans toute la Chrétienté occidentale, elle est aujourd'hui surtout célébrée en Scandinavie et plus particulièrement, en Suède, au Danemark, en Norvège, en Islande et en Finlande. Mais on la célèbre aussi ailleurs, notamment en Croatie et bien sûr en Italie. Lucie, cela vient du latin Lux, qui veut dire lumière. N'est-elle pas la patronne des opticiens et des ophtalmologues ? A Venise sa momie est entourée d’ex-votos représentant des lunettes ou des yeux, vieille tradition que pratiquaient déjà les romains...

Sainte Lucie est très populaire parmi les enfants du nord-est de l'Italie, surtout dans les environs de Bergame, à Brescia, Crémone, Mantoue et en Émilie-Romagne, tradition encore très suivie à Parme et à Plaisance. En Vénétie, c'est à Vérone que la tradition persiste. Les enfants lui écrivent pour dire combien ils ont été sages et doivent donner ce qu'ils ont sous la main à manger, pour elle comme pour l'âne qui l'accompagne et transporte les cadeaux tant attendus... La fête de Sainte Lucie est à rapprocher de la Hannuka juive, et l'évolution de notre calendrier la situe aux alentours du solstice d'hiver quand elle devait coïncider avec. Et cette année, la fête prendra un tour un peu particulier puisque les reliques de la sainte retournent dès demain et pour le reste du mois de décembre à Syracuse, la ville où elle est née et dont elle est la patronne. De nombreuses manifestations sont prévues pour ce retour très attendu par la population.


On peut sourire sur les manifestations de la piété populaire, liée depuis toujours à des croyances bien éloignées de l’Écriture mais tellement nécessaires à la cohésion sociale et à la paix des cœurs. Cette dévotion pour les saints a permis, d'enrichir les arts depuis des siècles, en offrant au monde de nombreux chefs-d’œuvre qui forment aujourd'hui des trésors pour l'humanité toute entière. Sans la vie des saints et les épisodes de l’Évangile, que serait l'art après tout ?

Puisque nous évoquons les arts, parlons musique... Vous connaissez peut-être la très belle canzone, interprétée ici par Lucio Dalla et son créateur, Francesco De Gregori. Un moment d'émotion pour ceux qui ont grandi avec ces deux voix :


"Santa Lucia, il violino dei poveri è una barca sfondata
e un ragazzino al secondo piano che canta, ride e stona perchè vada lontano, 
fa che gli sia dolce anche la pioggia delle scarpe,
anche la solitudine."
D'autres images et d'autres détails intéressants chez notre ami Fausto Maroder de l'Alloggi Barbaria, ICI. "Buona Santa Lucia a tutti, a Venezia come a verona, Brescia, Trento e Siracusa !"