29 novembre 2020

Tramezzinimag invite l'écrivain Mustapha Dahleb :

J'ai le plaisir de livrer à votre appréciation ce petit texte qu’un ami dominicain m’avait fait connaître quelques jours après le début du premier confinement. Publié par un écrivain arabe et médecin, dans la Tribune Juive le 20 mars 2020, il nous appelle à la sagesse et à prendre du recul. Je l'avais lu avec délices. Et si, avec le temps, "le petit machin" a continué de tout bousculer, il n'a pas entamé - il ne doit pas entamer - l'Espérance et la Joie, ces deux vertus lumineuses qui aident à résister à la peur, résister à la colère et à sa fille dévoyée, la haine, à résister au désespoir. Gardons notre ardeur en ce premier jour de l'Avent !

Gustav Klimt. Hope. II. 1907-1908. Détail. MOMA. NY

L’humanité effondrée et la société ébranlée par "un petit machin"   

par Mustapha Dahleb*

Un petit machin microscopique appelé coronavirus bouleverse la planète. Quelque chose d’invisible est venu pour faire sa loi. Il remet tout en question et chamboule l’ordre établi. Tout se remet en place, autrement, différemment. 

Ce que les grandes puissances occidentales n’ont pu obtenir en Syrie, en Lybie, au Yemen, ce petit machin l’a obtenu : cessez-le-feu, trêve... Ce que l’armée algérienne n’a pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (le Hirak a pris fin). Ce que les opposants politiques n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (report des échéances électorales... Ce que les entreprises n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu : remise d’impôts, exonérations, crédits à taux zéro, fonds d’investissement, baisse des cours des matières premières stratégiques... Ce que les gilets jaunes et les syndicats n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu : baisse de prix à la pompe, protection sociale renforcée... 

Soudain, on observe dans le monde occidental le carburant a baissé, la pollution a baissé, les gens ont commencé à avoir du temps, tellement de temps qu’ils ne savent même pas quoi en faire. Les parents apprennent à connaître leurs enfants, les enfants apprennent à rester en famille, le travail n’est plus une priorité, les voyages et les loisirs ne sont plus la norme d’une vie réussie. Soudain, en silence, nous nous retournons en nous-mêmes et comprenons la valeur des mots solidarité et vulnérabilité. Soudain, nous réalisons que nous sommes tous embarqués dans le même bateau, riches et pauvres. Nous réalisons que nous avions dévalisé ensemble les étagères des magasins et constatons ensemble que les hôpitaux sont pleins et que l’argent n’a aucune importance. Que nous avons tous la même identité humaine face au coronavirus. Nous réalisons que dans les garages, les voitures haut de gamme sont arrêtées juste parce que personne ne peut sortir. Quelques jours seulement ont suffi à l’univers pour établir l’égalité sociale qui était impossible à imaginer. 

La peur a envahi tout le monde. Elle a changé de camp. Elle a quitté les pauvres pour aller habiter les riches et les puissants. Elle leur a rappelé leur humanité et leur a révélé leur humanisme. Puisse cela servir à réaliser la vulnérabilité des êtres humains qui cherchent à aller habiter sur la planète mars et qui se croient forts pour cloner des êtres humains pour espérer vivre éternellement. Puisse cela servir à réaliser la limite de l’intelligence humaine face à la force du ciel. Il a suffi de quelques jours pour que la certitude devienne incertitude, que la force devienne faiblesse, que le pouvoir devienne solidarité et concertation. Il a suffi de quelques jours pour que l’Afrique devienne un continent sûr. Que le songe devienne mensonge. Il a suffi de quelques jours pour que l’humanité prenne conscience qu’elle n’est que souffle et poussière. 

Qui sommes-nous ? Que valons-nous ? Que pouvons-nous face à ce coronavirus ? Rendons-nous à l’évidence en attendant la providence. Interrogeons notre “humanité” dans cette “mondialité” à l’épreuve du coronavirus. Restons chez nous et méditons sur cette pandémie. Aimons-nous vivants !

* Mustapha Dahleb est le nom d’auteur du Docteur Hassan Mahamat Idriss.

© Mustapha Dahleb & Lorenzo Cittone - Tramezzinimag2.blogspot.com - 29/XI/2020 – Tous Droits Réservés


 

19 novembre 2020

Coups de Cœur (HORS SERIE N°42 ) : Venice Food Blog de Nicoletta Fornaro

Copyright © Naturally Epicurean | Nicoletta Fornaro

Il y a un an, quand Venise faillit sombrer...L'occasion de vous présenter le somptueux "Venice Food Blog" de Nicoletta Fornaro, notre Coups de Cœur de novembre.

Le monde que chamboule la "crise" sanitaire (due bien plus aux mauvais choix de nos gouvernements fascinés par ses idoles mortifères, "Le Marché", Le "Profit", "Le Pognon" e tutti quanti, qu'à une épidémie certes galopante mais bien éloignée de la peste, de la malaria) aura oublié ces terribles jours de novembre de l'an passé, quand Venise a été submergée par une marée géante poussée par des vents furieux transformant la cité lagunaire en une Gotham City improbable.  En quelques heures certains perdirent tout, les dégâts furent énormes. La peur et la panique laissèrent la place au chagrin et à la colère. Un an déjà et pour le visiteur, bien peu de traces. Moins qu'après la catastrophe de 1966 qui inonda Venise et Florence, détruisant irrémédiablement de nombreux chefs-d'œuvres et fragilisant bon nombre de bâtiments historiques. A l'époque le monde entier avait réagi envoyant des volontaires, de l'argent. Une loi spéciale fut votée. Cela ne devait plus arriver. 

C'est pourtant arrivé à plusieurs reprises, des acque alte importantes mais jamais autant que cette fameuse marée de 1966. L'acqua grande de novembre 2019 n'eut pas le même écho. Heureusement, elle fut aussi moins haute. Pourtant les images terribles qui défilèrent sur les médias secouèrent. Une preuve évidente que ce changement climatique qu'un idiot couronné nia pendant toute la durée de son bail (vous savez ce type vulgaire et grossier et sa blanche maison qui faisait ressortir le noir de son âme) était bien là avec ses conséquences de plus en plus lourdes... 

Je cherchais comment évoquer ces journées sans ressasser les mêmes propos sur l'inanité des dirigeants de la Sérénissime, la gabegie autour du MOse dont on ne croyait pas qu'il put fonctionner un jour.* Ainsi, pour commémorer ce triste évènement, heureusement superato (dépassé) depuis par la ville et ses habitants, je vous propose de lire un texte de Nicoletta Fornaro.  

La dame est une blogueuse bourrée de talent, sa plume est alerte mais elle est aussi photographe (c'est la profession qu'elle affiche), cuisinière inventive et gourmande (ces recettes sont à chaque fois un délice). Bref, une vénitienne dynamique et charmante qui écrit drôlement bien, sur des sujets gourmands et culturels. Je regrette parfois qu'elle ne s'exprime qu'en anglais quand les vénitiens de la génération de ses parents s'exprimaient généralement en français. Mais n'est-ce pas la confirmation supplémentaire qu'ici comme ailleurs dans le monde, nous avons laissé notre langue s'affaiblir au profit de l'idiome de Shakespeare ! 

Nicoletta exprimait son désarroi le 30 novembre 2019 dans son Venice Food Blog, joliment baptisé "Naturally epicurean", son blog (voir le billet ICI), quelques jours après l'acquagrande, Triste et furieuse tout en montrant un bel esprit de résilience, elle exprimait cette qualité heureusement répandue chez les vénitiens qui savent courber l'échine sous les chocs, mais redressent vite les épaules en se remettant avec ardeur au travail. Le nom que Goethe donna à la Sérénissime, lors de sa première visite, était bien trouvé : la République des Castors. Le castor est vraiment un animal très attachant. Il construit sans cesse des protections et des barrages, pour éviter que soient noyés ses petits, les lieux de vie et les provisions de sa communauté. L'article a un titre très parlant : Faire la paix avec Venise en trouvant le confort Sulla luna. Double jeu de mots très spirituel. Le mot confort qui prend à la lecture le sens de réconfort et le joli nom de l'endroit dont elle parle, littéralement "Sur la lune" souligne le besoin de se retrouver le plus loin possible de la catastrophe tout en demeurant sur place. Mais Sullaluna, c'est aussi cet établissement, que bien d'entre vous connaissez, chers lecteurs. Tramezzinimag en avait fait un de ses Coups de Cœurs quand cette librairie-salon de thé fut créé (voir ICI). 
 
Nicoletta Fornaro 
https://www.naturallyepicurean.org/
 https://www.instagram.com/naturally_epicurean
 
Les photographies présentées sont de Nicoletta Fornaro (Copyright© Naturally Epicurean | Nicoletta Fornaro).
 
 
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Notes :


(*) Il a fonctionné, les lecteurs de Tramezzinimag ne l'auront pas oublié, ramenant le port des cuissardes et des bottes presque inutiles et permettant de voir la Piazza sous quelques centimètres d'eau là où régulièrement depuis des années, les dalles du Liston étaient recouvertes par 30 à 50 centimètres, voire plus  d'eau les mauvais jours. C'est une bonne chose et montre qu'en dépit du modèle économique italien, contestable et de la mauvaise habitude des détournements de fonds, si vite dilués qu'ils ne sont quasiment jamais retrouvés.


12 novembre 2020

C'est aujourd'hui la Saint Martin, la fête des enfants de Venise

"E col nostro sachetin, ve cantemo el San Martin" 

Ces paroles d'une filastrocca (comptine) traditionnelle en Vénétie auront marqué des générations d'enfants depuis des lustres. Le 11 novembre à venise, on fête la San Martino d'une manière on ne peut plus bruyante. Partout sur les campi et dans les calle de la ville des bandes d'enfants se répandent munis de casseroles et de couvercles sur lesquels ils frappent avec des louches et des cuillères en bois, en répétant cette comptine que nous avons tous chanté. En dépit de la concurrence d'Halloween qu'on essaie d'imposer depuis des années en Europe pour des raisons commerciales, la San Martino continue d'être très attendue par les enfants et les familles. C'est un rite joyeux dont peu de gens, adultes ou enfants, connaissent l'origine.

 
Sur le campo San Barnaba, 11 novembre 2020 
 
Cacophonie et tintamarre, bonbons et pâtisserie traditionnelle en forme de Saint Martin sur son cheval, c'est Saint Martin qui est fêté. C'est la fin de l'année, les dernières récoltes sont rentrées, la campagne prépare son hibernation et il faut célébrer cela. Et depuis des siècles, les enfants descendent dans les rues pour semer la confusion et faire le plus de bruit possible. Tous connaissent les paroles de la comptine typique de Venise. Mais peu de gens se souviennent de ce qu'on racontait encore aux enfants de ma génération et dont personne n'a jamais pu confirmer la véracité. Il y a tant de légendes à Venise et dans les environs qui mêlent de véritables évènements à des faits inventés ou magnifiés.
 
San Martin xè andà in sofita
par trovar la so noviza;
so noviza no ghe giera,
San Martin xè andà par tera.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Su 'sta casa ghe xè do putele
tute risse e tute bele
col viseto delicato
suo papà ghe lo gà stampato.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Siora Cate xè tanto bela
in mezo al peto la gà 'na stela,
se no la gavesse maritada
so papà no ghe l'avaria dada.
 
E col nostro sachetin,
ve cantemo el San Martin.
 
Siora Lussia la fassa presto
ch'el caigo ne vien adosso,
el ne vien adosso sul scarselin,
siora Lussia xè San Martin.
 
On expliquait par exemple les surprenantes paroles du premier couplet où il est dit que San Martino va dans une soupente retrouver sa fiancée (la noviza, la promise) et que ne la trouvant pas, il en tombe  xé anda...col cul par tera (nul besoin de traduire je suppose !). Voilà ce qu'on racontait chez moi : Il y a très longtemps, dans le sestier de Castello, dans la contrada de San Francesco della Vigna, habitait un vieil homme célibataire ou veuf, appelé Martino, dont tout le monde se moquait. Il courtisait les filles jeunes. Un jour l'une d'elles attirée par la fortune du vieillard céda. Martino dès lors la considérait comme sa promise, sua noviza, à tout jamais. Un jour, il monta dans la soupente où vivait la jeune fille et ne la trouvant pas, il découvrit qu'elle était en douce compagnie. Il en fut tellement surpris, qu'il en  tomba le cul par terre...

 

Crédits Photographique Catherine Hédouin - novembre 2020