16 octobre 2022

Quoi de neuf à Venise ?

 
Je revenais l'autre jeudi d'une réunion à Montauban. Ne conduisant pas, mes déplacements depuis toujours se font le plus souvent en train. Pour m'y rendre, j'ai dû changer à Marmande, petite ville pittoresque. Par chance - il était à peine 9 heures du matin - le magasin de journaux de la gare était ouvert. C'est le supplément du Figaro qui retint mon attention, un numéro entier consacré à la "Venise éternelle"...
 
J'avais un peu moins d'une heure avant ma correspondance. Trouver un café ouvert si tôt le matin fut assez compliqué, la gare en travaux avait peut-être ou aura une brasserie comme toutes les gares se doivent d'en avoir, mais en l'occurrence rien en dehors d'un automate distributeur de boissons ou de sucreries. Et c'est en face que j'ai trouvé un débit de tabacs avec quelques tables à l'extérieur. 

Curieux comme en France, les gens commencent tard leur journée. En Italie, et notamment à Venise, on peut trouver dès avant 7 heures un endroit pour se restaurer, boire un café et manger une brioche. A Marmande avant 10 heures, il n'y a que ce Bar-Tabacs un peu glauque. Au moins le café était chaud, la tenancière aimable et les consommateurs matutinaux, déjà au Ricard pour certains et tous venus gratter un de ces tickets qui peuvent en un coup d'ongle changer la vie des joueurs. Deux vieux italiens
étaient attablés juste à côté de moi. Immigrés venus soixante ans plus tôt du Trentin. La conversation s'engagea vite quand ils virent la couverture de la revue. Ils ont quitté la Vénétie avec leurs parents alors qu'ils portaient encore des culottes courtes. L'un d'entre eux se souvenait de ses vacances chez un oncle à Jesolo. On a parlé de la lagune, de ses bateaux. C'était sympathique.

En évoquant cette rencontre inopinée, je m'apprêtais à rédiger un billet sur les embarcations vénitiennes. Le hasard d'une conversation tout à l'heure avec une amie, fidèle lectrice du blog et soutien des premiers jours qui en revenait, m'a rappelé que ce dimanche était le jour de la grande régate des gréements traditionnels, notamment de la régate al terzo (au tiers), - c'est-à dire des voiles auriques - très attendue et très belle surtout quand, comme ce dimanche, le temps est magnifique et l'air très doux. Cette course existe depuis une quinzaine d'année.


L'édition 2022 de la «Veleziana » ( la XVe), s'est donc tenue aujourd'hui à Venise, dans le Bassin de San Marco, du côté de l'Arsenal, face à la Biennale d'art contemporain qui entame son dernier mois d'ouverture. Cette régate et le grand évènement automnal pour la plaisance à Venise, grand moment pour les amateurs de voile hauturière est organisée par la Compagnia della Vela, dans le cadre du programme de « Le Città in Festa », réunissait plus de 250 participants qui se sont affrontés dans les eaux de la lagune. 
 
La Veleziana clôt une semaine importante pour la navigation dans le nord de l'Adriatique. Elle suit la Barcolana de Trieste, formant une combinaison d'événements attractifs qui attirent beaucoup de monde, tant du côté des participants que des spectateurs. Outre les professionnels de la voile, de nombreux passionnés se pressaient sur la ligne de départ ce dimanche matin à 11h,  au Lido, pour une arrivée au bout du bassin de San Marco. Les bateaux arrivés vendredi et samedi étaient amarrés pour la première fois à l'intérieur de l'Arsenal, où se tenait hier soir la soirée des équipages qui a été une belle réussite. 
 
Trois autres événements de voile étaient également prévus ce week-end. Vendredi les bateaux participants à la course Trieste-Venise, baptisée «Deux villes, une mer », (régate au large organisée en partenariat avec le Yacht Club Adriaco) sont arrivés à Venise. Puis samedi, plus de 60 Dinghy 12 ont participé à la IVème édition de la Veleziana Dinghy 12' Cup, co-organisée avec l'Associazione Velica Lido. Pour cet événement, jusqu'à 5 tests ont eu lieu dans le plan d'eau devant le siège de l'association Lidense et, à la fin, en plus des trois prix du classement, était décerné également le Prix Master (65 ans et plus), le Prix Super Master (à partir de 75 ans), le Prix Legend (à partir de 80 ans) et la Prix Féminin. Puis ce fut le tour de la course toujours très attendue, la course dédiée aux gréements auriques traditionnels, les splendides voiles au tiers (Vela al terzo) pour un défi qui leur est dédié, la fameuse Veleziana al Terzo.
 




[Crédits photographiques © Catherine Hédouin, 2022 pour les photos 3, 4, 5, 6]

26 septembre 2022

Venise comme délicieux antidote et autres considérations (2/2)

Chronique du 2 juillet 2022, entre San Marco et Milano centrale...

 
Fin de ces quelques jours de juin à Venise. Bientôt les retrouvailles avec le quotidien bordelais et sa grisaille, les tensions et les incompréhensions au quotidien dans un univers dont je me sens désormais si peu solidaire... Après de belles rencontres et de jolis moments de partage, il faut rentrer et reprendre tout où je l'avais laissé. Hélas. Mais quelque chose a changé. Deux ans de crise sanitaire et la preuve irréfutable au quotidien de l'incohérence, de la bêtise généralisée et médiatisée, de l'incompétence aussi de la plupart de ceux qui dirigent le monde - ou s'imaginent le faire - ce monde qu'ils contribuent, par leur médiocrité et leur inculture, à enfoncer dans le chaos ; et puis la certitude renforcée, évidente qu'en dépit des changements qu'on sent aussi en Italie libérale et matérialiste, le peuple de la péninsule demeure un peuple heureux, joyeux, accueillant et bienveillant. C'est une évidence : on vit et continuera de vivre mieux en Italie.
 
Mes lectures, autant que mes rencontres avec des êtres charmants, brillants, aux idées claires et aux opinions salutaires, ont fait de ces quelques jours volés à la routine et aux préoccupations de mon quotidien en France, un moment précieux, revigorant, roboratif... le dernier article de Thierry Guinhut , sur son blog consacré aux « peintures et paysages sublimes» cite l'excellent texte sorti en 2009 de Alain Mérot (« Du paysage en peinture dans l'Occident moderne ») déjà cité dans Tramezzinimag mais avalé lors de la suppression du premier blog par Google. et l'intellectuel de pointe...
 
 
Évoquer Nico Naldini avant que j'oublie. Un lecteur discret et fidèle de Tramezzinimag, jeune universitaire rencontré par hasard (?) l'autre jour à la Querini évoquait dans notre conversation la personnalité du parent de P.P.Pasolini, disparu il y a deux ans à l'âge de 91 ans. Notre échange qui devenait trop animé pour ne pas perturber les autres lecteurs de la salle où nous étions installés, nous le poursuivîmes dans le jardin, ou plutôt sur la partie de la jardin dévolue à la brasserie du musée. Le café y est bon marché, les pâtisseries agréables. Nous avons abordé le sujet difficile de l'engagement des artistes dans la société et plus particulièrement des poètes. En référence à Pasolini bien entendu et Naldini en suivant dont on connait moins le travail. Notamment au service de la langue frioulane.
 
Que le sage ou le poète intervienne dans les affaires politiques est une vieille histoire qui débute bien avant l’invention du mot « intellectuel ». Terme qui n'est pas très vieux finalement puisqu'il apparait seulement à la fin du XIXe siècle, dans le triste contexte de l’Affaire Dreyfus... Cette fin de siècle a décidément embourbé la pensée avec des mots nouveaux, des pensers (joli mot au masculin apparu la première fois chez des écrivains esthètes de la toute fin du siècle) tout sauf progressistes et innovants pour l'Humain... Tout ce qui complique la réflexion et finit par nécessiter une préparation, une formation spécifique, éloigne de la spontanéité d'où jaillissent parfois des idées neuves, vraiment inédites et vraies...
 
L'intellectuel donc, en Italie comme en France, ne cessera pas d’être l’enjeu de luttes de classement : organique ou universel, chien de garde ou garant de l'idéal démocratique, animal médiatique ou expert. L’élaboration par Michel Foucault de la notion d’intellectuel spécifique entre bien sûr dans ce jeu. On peut s'en servir de référent, de base pour la réflexion. Mais, à condition de ne pas la prendre trop au sérieux. Ne convient-il pas de la reprendre à une époque de forte démonétisation/désacralisation de la posture ? En la liant à une politique de la subjectivité, Foucault nous invitait à ne pas renoncer à l’exercice d’une véritable fonction critique pour toujours exprimer un rapport au vrai, medium nécessaire à la vie démocratique...
 
 
En ces temps d'élection où l'avenir d'un pays dépend de l'humeur et de l'énergie de son peuple, l'intellectuel de pointe comme disent les italiens est plus que jamais une figure nécessaire face aux politiciens à l'esprit alourdi par leur ego et les poches remplies par des influenceurs en tout genres, faussement préoccupés de leurs administrés qui les dérangent, démagogues patentés bien éloignés du quotidien des « gens ». Phénomène universel et de toujours ? Il suffit de relire Les Annales de Tacite pour se rendre compte que déjà dans sa décadence, le monde romain avait ses profiteurs habiles démagogues, menteurs patentés, profiteurs et complètement détachés du Bien Public... à Athènes avant eux... Ils n'avaient pas les écoles de commerce où se précipitent aujourd'hui toute la jeunesse aveuglée par la rutilance magnifiée du veau d'or... 

 
Combien la jeunesse est belle. J'observais de la fenêtre de la cuisine deux garçons qui jouaient au ballon dans le cortile de la maison d'en face. Un panier de basket et les deux à tour de rôle tentaient de marquer. Mais assez vite, le plus jeune des deux se mit à dribbler avec un ballon de foot avec acharnement. Sa musculature déjà puissante - il devait avoir quinze ou seize ans - le vieillissait. Je pensais à la beauté de la jeunesse, à son côté éphémère dont on n'est conscient que bien longtemps après l'avoir perdue. Ce jeune vénitien, brun, bronzé, à l'aise dans son corps, je ne l'avais jamais vu. Dans le quartier, même en n'y vivant plus à l'année je connais la plupart des gens. J'ai vu souvent une dame d'un certain âge franchir le portail,  une jeune maman aussi avec un bébé et une fillette d'une dizaine d'années. Mais jamais je n'avais croisé ces deux adolescents. J'ai su pourquoi ils m'étaient inconnus quand je les croisais quelques heures plus tard dans la ruelle... 
 
 
Je revenais de la plage. Le joueur de foot sortait de la cour avec sa mère. Je les saluais en italien. ils me répondirent courtoisement, en anglais... Le garçon n'est donc pas vénitien, c'est un américain et ses parents ont loué un appartement dans l'immeuble. Celui avec la terrasse et l'énorme climatiseur qui surplombe d'une des fenêtres. Les vénitiens sont souvent musclés et à l'aise dans leurs mouvements parce que la marche et le canotage, mais aussi la proximité de la mer les aident à dessiner leur corps très tôt. Cette vigueur, ce bronzage, cette aisance dans les mouvements, tout cela pouvait laisser croire que je voyais s'égayer sous mes yeux un vrai fanciullo d'ici, V.O.C. (Vénitien d'Origine Contrôlée) pas un de ces jeunes américains protéinés au beurre de cacahuètes et entraînés. Quant au bronzage, le nombre de jours d'ensoleillement sous le soleil vénitien, fabrique à tous un hâle parfait dès la fin du mois de mai.Pas besoin de vivre en Floride ou à San Francisco.
 

A Venise, mais ailleurs aussi, presque tout est sali par l'appât du gain. « Ce n'est pas nouveau » me rappelle une amie, fille et petite-fille de marchands. « Venise était au Moyen-Âge déjà était ce que New York est depuis le début du XXe siècle, la capitale du business où on venait du monde entier pour tenter de s'enrichir». Là encore, la Sérénissime a été un modèle, un exemple. Je suis tenté de souligner que cela ne devrait pas être un modèle et un exemple à suivre.  Et si sa chute, l'effondrement de sa civilisation offrait l'avant-goût de ce qui attend le système économique mondial actuel, basé sur le profit, la croissance et l'exploitation ? 
 
Schei, schei, e schei ancora... Hors le pognon point de salut ! Shakespeare a vu juste et universel quand il dépeint le juif Shylock qui ose dénoncer l'hypocrite morale chrétienne de l'époque. L'argent faisait son bonheur mais l'humain demeurait. C'est là qu'il nous faut prendre peur pour l'avenir de notre civilisation : toutes ces guerres qu'on ne pensait imaginer revenir à quelques encâblures de nos terrasses de café, depuis ce XXe siècle meurtrier, la montée des terrorismes, d’État ou religieux, la fuite en avant du toujours plus et l'ensevelissement des repères éternels, spirituels, philosophiques... L'arrivée au pouvoir de milliardaires avides, l'enrichissement de plus en plus colossale de certains et l'appauvrissement de tous les autres. L'Inquisition pourchassait le diable sans jamais l'avoir. Aujourd'hui, le diable est toujours et encore à l’œuvre.
 

Dans le train qui me ramène en France, un jeune moine copte égyptien, sourit en regardant deux petites filles qui jouent, adorablement spontanées mais en même temps attentives aux autres et ne dérangeant personne. Certains travaillent, d'autres dorment ou lisent. Et dans mes oreilles le Beata viscera de Perotin dit Perotinus Magnus, « discantor  optimus » dans un enregistrement découvert récemment à Venise par l'ensemble Tonus Peregrinus... Un heureux mélange de genres pour effacer la tristesse d'avoir dû quitter une fois encore Venise mais aussi le regret, une fois encore, de laisser derrière moi cette atmosphère joyeuse et apaisée qu'on ressent partout en Italie - même au milieu de la foule de l'immense gare de Milano Centrale. Est-ce seulement une histoire de climat comme le suggérait Montesquieu ? 
 
Ici aussi pourtant, la montée - qui semble irrémédiable - des partis fascistes comme un peu partout en Europe, la peur des gens, la haine de l'autre, la méfiance vis à vis de l'étranger qui reprend de la vigueur et se généralise... Mais il y a autre chose, un truc dans l'ADN de l'Italie qui dans toutes les aventures de ce peuple transforme à la fin les tragédies en comédie, les larmes en rire !
 
Bien plus que tout cela, bien au-delà d'une histoire de journées ensoleillées, de rires et de danse, il y a un peuple qui a du coeur, de la sagesse et beaucoup d'esprit. Ce sont les paroles de cette merveilleuse chanson de Gianmaria Testa écoutée en boucle ces derniers jours, délicieux remède sans effets secondaires et qui guérit de toutes les nostalgies et apaise toutes les tensions...
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
Salirà il sole del mezzogiorno
Passerà alto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Ti porto ancora
Se ancora mi vuoi
Salirà il sole del mezzogiorno
E passerà alto, molto sopra di noi
Fino alla tasca del pomeriggio
Dall'altra tasca ti porto
Se vuoi
 
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti porterei
Nel fazzoletto di cotone e profumo
Nel fazzoletto ti nasconderei
Dentro la tasca di un qualunque mattino
Dentro la tasca ti nasconderei
E con la mano, che non vede nessuno
E con la mano ti accarezzerei
 
E con la mano, che non vede nessuno
Con questa mano ti saluterei

10 août 2022

La magie de Venise ce sont aussi ses montagnes


Ayant assez de temps cette fois pour ressortir de mes cartons certaines de mes affaires oubliées depuis février 2020, j'ai retrouvé une clé USB dans laquelle j'avais l'intention de collationner toutes les images concernant l'apparition magique des Dolomites depuis le Centro Storico. Malheureusement cette année-là, je n'avais pas eu le temps de tous transposer sur la clé et je m'étais promis de la ramener en France pour y ajouter les centaines de clichés sur le même thème que j'avais sur le disque dur de mon vieux PC. J'avais évidemment oublié la clé à Venise et le premier confinement nous est tombé dessus... Le retour prévu pour lancer la maison d'édition et décider d'un local, était fixé au...15 mars... Il aura fallu plus deux dans avant que de rouvrir cette clé et, entre autres retrouvailles, retrouver ces images de l'ami Claudio Baoretto et celles de Marco Contessa notamment !
 






La célèbre vue de Venise et de sa lagune publiée en 1493 par Hartmann Schedel dans son magnifique ouvrage  Le Cronache di Norimberga montre la cité lacustre comme elle apparaissait aux visiteurs à la fin du XVe siècle, dans ce Moyen-Âge finissant qui s'apprêtait à laisser la place à la somptueuse Renaissance. 
 

Hartmann Schedel. Vue de Venise Die Schedelsche Weltchronik, 1493

On y voit en arrière plan des collines et des monts. Ce sont les Dolomites. Un regard distrait pensera aussitôt aux limites de la connaissance à l'époque de l'allemand. Défaut de perspectives,naïveté des artistes de cette période somme toute considérée comme assez primitive encore. Le touriste lambda qui arrive par le Pont della Libertà édifié au XIXe siècle par l'occupant autrichien et dont on dit ici qu'il a rattaché le monde continental à la république permettant au reste de l'univers d'être enfin - les bienheureux - reliés à Venise, et non le contraire, ce touriste ébahi par la lumière, les campaniles et les immeubles surgis de l'eau, tout à son extase, n'imagine pas qu'on puisse pénétrer certains jours dans la vue de Venise publiée en couleurs un an après la découverte des Nouvelles Indes, qui deviendront bientôt l'Amérique, source de tant de rêves et de cauchemars depuis...
 
 
 
Pourtant ce 'est pas une fantaisie que ces montagnes qui surgissent comme le décor de fond d'un palcoscenico dessiné par le Créateur. Voici quelques photos qui en apportent la preuve. On ne peut que souhaiter aux visiteurs d'être face à ce spectacle incroyable et merveilleux qu'il faudrait applaudir à la façon des japonais (et de ma grand-mère qui ne l'était pas) quand ils assistent à l'éclosion de la première fleur de magnolia ou à un sublime coucher de soleil !
 
 
Imaginez la scène un instant : les touristes comme les vénitiens, alignés sur les Fondamente Nove, aux balcons de certains palais bien orientés, en haut des campaniles et des altane ou sur les quais du Lido qui soudain se mettent à applaudir ensemble devant le spectacle, cette apparition magique des montagnes, parfois enneigées - de moins en moins hélas - qui semblent à portée de nos mains, nettes à les toucher... 
 
Ce serait un grand moment à chaque fois, je puis vous le garantir !



16 juin 2022

Initialement prévue pour juin 2020, la France fêtée par Proloco Lido est enfin une réalité !

Il aura fallu beaucoup de patience et de détermination à tous les organisateurs pour mener à bien cette manifestation longuement concoctée dès 2019 et qui aurait dû se dérouler du printemps à l'automne 2020 si la crise sanitaire n'était pas venue tout bouleverser. Deux ans plus tard, le projet voit le jour et c'est, ce samedi, le moment le plus attendu : la dégustation de vins et de fromages français dans un des plus jolis hôtels du Lido, la Villa Mabapa où règne le fringant Antonio Vianello, dynamique directeur de l'établissement, à la tête d'un personnel sympathique et attentif à rendre aux visiteurs leur séjour le plus agréable possible et à l'avocat Luca Serafini, membres très actifs du mouvement Proloco Lido di Venezia-Pellestrina

Samedi, dès 20 heures une soixantaine de chanceux - ceux qui ont pris soin de prendre assez tôt leur réservation et quelques invités pourront goûter des vins bordelais issus de l'agriculture biologique et des fromages artisanaux amenés par les producteurs qui les feront déguster. Un groupe de musiciens accompagnera la soirée qui se déroulera dans les jardins de la Villa Mabapa, cet hôtel de belle renommée pour son accueil son style et la qualité de sa table. A ce propos, les hôtes ne se contenteront pas de vins et de fromages, mais ils se régaleront de plats traditionnels des provinces de France réinterprétés par le cusuinier et son équipe.

Pour ceux qui sont à Venise ce jour-là, venez ! Il reste encore quelques places.


17 avril 2022

En musique, le vrai retour du printemps !

Près de l'endroit où je vis à Venise, on croise souvent, installé avec son luth, le musicien hongrois Bence Bók, devenu une figure du quotidien vénitien, comme d'autres le furent avant lui. Il joue de son instrument imperturbablement, des airs de la Renaissance, en toute saisons. J'assimile sa silhouette, le ton toujours tranquille de sa voix, à l'hiver. Cela vient de l'époque où nous habitions quasiment sur le campo Sant'Angelo, à l'entrée de la Calle dei Avvocati. Un jour gris de novembre où je réalisais le vide laissé par Mitsou, notre vieux chat orange, mort quelques semaines auparavant, avant de pouvoir revenir à Venise qu'il affectionnait, je regardais le campo dont on devinait à peine les façades. Comme si à sa place, il y avait un vide et que l'espace n'était qu'un épais nuage gris. Quelques lumières apparaissaient comme des étoiles dans un ciel lointain. Le silence était impressionnant. Tristesse et mélancolie donc que le mordant de l'air renforçait. Soudain, le son du luth. Magique. On ne discernait pas d'où la musique provenait. C'était la fin de l'après-midi. A Venise, la nuit tombe vite et les jours de caigo. La mélopée semblait colorer la brume. 

© Larry Mellman - 2009

En cette veille de Pâques, quand le Triduum Pascal arrive à son terme, le printemps s'amplifie. Après la glycine, le lilas et le mimosa, c'est la joie qui fleurit. Le ciel se fait plus beau et l'air plus doux. Les vestes et les manteaux tombent, les jambes des filles se colorent, les garçons les emmènent sur leurs barques fringantes, les merles lancent leurs trilles joyeuses... C'est à tout cela que me fait penser la vidéo, postée il y a quelques années maintenant du groupe vénitien Rumatera invité aux Indiemood sessions que me fit connaître mon ami Antoine Lalanne Desmet. Une musique joyeuse, une compagnie amicale, au fil de l'eau, un jour de grand beau temps, sur le Rio Marin. Les trois musiciens vénitiens sont à bord de la «Sarsegna» un topetto (une embarcation typique à fonds plat de la lagune de Venise qui peut contenir jusqu'à 6 passagers)  rénové  par l'association Il Caicio.

Bonnes Fêtes de Pâques à tous e buona Colomba a tutti ! 



15 avril 2022

Venise comme délicieux antidote et autres considérations (1/2)

C’est un humaniste comme il n’en existe plus, un homme qui croit en l’Europe et parle presque toutes ses langues, un écrivain curieux de tout, et dont l’érudition donne le tournis. A 87 ans, le Néerlandais Cees Nooteboom est l’auteur inclassable d’une œuvre qui ne l’est pas moins, une quarantaine de livres traduits en français, allant des romans philosophiques aux essais sur l’art, en passant par un volumineux corpus poétique qu'enfin on commence de découvrir en France. Sans oublier de très nombreux récits de voyages, car Cees Nooteboom a toujours eu des fourmis dans les jambes. Du Spitzberg à La Havane, de Minorque au Japon, il a passé sa vie à quadriller la planète, hanté par les grandes questions métaphysiques, toujours en quête d’ailleurs. Lorsqu'on pénètre dans son univers, il est impossible de se lasser de sa vision des lieux et des choses.  
 
Cette fois, c'est en compagnie de la photographe Simone Sassen, sa compagne, qu'il précise pour nous ce qu'en lecteurs attentifs nous subodorions depuis longtemps : en nous entraînant sur les pas de Casanova, d’Henry James, de Thomas Mann ou d’Ernest Hemingway, il déclare officiellement sa passion pour Venise et ses îles. Bien que nomade impénitent, il y retourne sans cesse depuis plus d'un demi-siècle. Qui s'en étonnerait à Tramezzinimag. Ces colonnes ne sont pas vraiment le lieu où la question se pose? tant nous avons depuis longtemps la réponse, mais comme le demande Fabien Ribery dans son blog :
«Pourquoi lui, l’Amstellodamois, l’homme de l’eau et des canaux, est-il aimanté par cette autre cité de « chemins liquides », cette autre « absurde combinaison de puissance, d’argent, de génie et d’art supérieur » ? D’où vient cette allégresse qui s’empare de lui à la vue de « cette eau noire, frottée de mort, polie comme le marbre d’un tombeau » ? Ce mélange de « ravissement et de trouble » qui jamais ne se dissipe ? Ce sont les questions auxquelles il tente de répondre dans «Venise, le lion, la ville et l’eau, pieux hommage à la Sérénissime ».
Nous avions présenté lors de sa parution en français, son recueil Lettres à Poséidon, (ICI) puis (ICI). Il n'y avait aucun doute, Cees Nooteboom remplissait son cœur, ses bronches, ses yeux de l'univers de la Sérénissime. plusieurs textes glanés de ci de là et tous décrivant des images autant que les sentiments de l'auteur à leur souvenir, renforcèrent vite l'idée que l'auteur était vénitien dans son âme comme dans son cœur. Ce que confirme son nouvel opus. Ponctué de photographies de sa compagne, l'ouvrage est un régal. Nombreux sont les livres consacrés à Venise. 
 
Récemment, il y eut l’excellent «Venise à double tour», de Jean-Paul Kauffmann (Les Equateurs, 2019), fine enquête sur les églises fermées de la Sérénissime, et voici donc ce «Venise, le lion, la ville et l’eau» qui rejoint les rayonnages consacrés à la Sérénissime. De nombreux passages auraient pu trouver leur place dans «Venise» l'ouvrage-anthologie des universitaires Delphine Gachet et Alessandro Scarsella paru chez Bouquins en 2016. Bien que beaucoup traduit, l’œuvre de Cees Nooteboom reste encore méconnue en France et c'est dommage.
 
© Catherine Hédouin - 2018

Nous, à Tramezzinimag, nous lisons systématiquement tout ce qu'il publie. Les «Lettres à Poséïdon» d'abord découvertes en anglais puis relues dans l'excellente traduction de Philippe Noble, et mais aussi «Le livre des jours», récit des nombreux séjours de l'auteur dans l'île de Minorque, au milieu de vestiges archéologiques...
 
Lu dans le blog du critique d'art Thierry Guinghut, ces propos très justes : « Le plus difficile à Venise est de retrouver les sensations et impressions intenses de la premières fois. Chaque nouvel ouvrage est ainsi lu dans cet espoir de virginité nouvelle, avant le déflorement, mais aussi comme un approfondissement et une relance de ce qui nous a tant ému. Des ruelles, des points de vue, des égarements, des noms de peintres, d’écrivains, de musiciens, des plats, des parcours, des anecdotes uniques et finalement communes ». Ainsi du livre de Nooteboom où il propose une double lecture de la ville, en mots et en images.

Le néerlandais est poète et ses mots pour qui aime et connait Venise sont réellement un chant d'amour, lucide et joyeux. Une obsession heureuse que nous sommes  nombreux à partager. Ainsi du constat d'apparence anodin qu'il fait en marchant sur la Piazza :

« Sur la place je cherche l’endroit, d’où, la première fois, j’ai aperçu le campanile et la basilique. C’était il y a longtemps, mais l’instant reste inoubliable. Le soleil ricochait sur la place, sur toutes les formes rondes et féminines des arches et des coupoles, le monde basculait d’un quart de tour et la tête me tournait. Ici, des hommes avaient fait une chose impossible, sur ces quelques lambeaux de terre marécageuse ils avaient inventé un antidote, une formule magique contre tout ce qu’il y avait de laid au monde. » 
© Catherine Hédouin - 2016

Mais pourquoi ne pas laisser la parole à Thierry qui exprime parfaitement les particularités de Venise que met en page l'auteur. La citation est longue mais c'est bien de passion dont il s'agit n'est-ce pas et nous ne sommes pas obligés de suivre la mode du digest et du court à tout prix. Prenons donc notre temps : 
« Comment arrive-t-on à Venise ? par le train ? par les airs ? par la mer ? Le choix du mode de transport est capital. Si Venise est une géographie très singulière, sa forme préservant le secret et exaltant l’esprit, elle est aussi un ensemble de noms majeurs et un lexique, que l’on apprend voyage après voyage, que l’on enrichit, que l’on se plaît à retenir, à approfondir, à faire sien. Lisant Nooteboom, je le retrouve, je le note, sans me lasser. Monteverdi, McCarthy, Proust, Brodsky, Wagner, Montaigne, Couperus, Casanova, Goldoni, Da Ponte, James, Montale, Morand, Ruskin, Vivaldi, Haendel, Alejo Carpentier, Rilke, Stravisnky, Diaghilev, Byron, Pound, Goethe, Pétrarque, Taine, Scarpa, Marco Polo, Donna Leon, Hemingway, Kafka, Sollers… Venelle, pont, altana, labyrinthe, lagune, marangona, quai des Esclavons, Giudecca, Arsenale, Zattere, pointe de la Douane, Grand Canal, piazza San Marco, Piazetta, Ca’ Rezzonico, Accademia, Rialto, doge, Pescheria, Fondamenta Nuove, isola San Michele, Burano, Murano, Torcello, traghetto, gondola, vaporetto, Chioggia, Lido, Pellestrina, campanile, espresso, Procuratie Nuove, museo Correr, tramezzino, palazzo, campo, aqua alta, pierre d’Istrie, bora, Ridotto, Castello, Il Gazzettino, Ca’ d’Oro, Palanca, Redentore, Zittele, ghetto, Lunga de San Barnaba… Bellini, Carpaccio, Tintoret, Véronèse, Titien, Palladio, Tiepolo, Guardi, Canaletto, Cima da Conegliano, Palma, Giorgione… Santa Maria dei Miracoli, San Giorgio Maggiore, Ospedalle della Pietà, San Rocco, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, San Zaccaria, Frari, San Pietro, San Giovanni e Paolo, Santa Maria del Giglio, San Samuele, Santa Madonna dell’Orto… »
« On comprend bien que chacun de ces termes, bien connus des amoureux de Venise, contient un monde qui en contient d’autres, et que ce vertige, s’il a lieu sans cesse, partout, se vit au suprême ici, là-haut (Casanova), « dans la ville où les récits n’ont pas de fin » (Cees Nooteboom), et qu’il est très doux de les retrouver, comme une effervescence de mémoire. C’est une Venise hivernale ou à peine printanière que nous révèle ici l’auteur. On y arrive en train, en avion, en voiture. On s’installe avec lui à l’hôtel puis dans des lieux culturels comme dans de modestes appartements à l’écart du centre. Ainsi, depuis son premier voyage en 1964, la vie vénitienne s’égrène au fil de ces cinquante dernières années.» 
« Dès lors s’opère la magie de Nooteboom, ce vagabondage qui le caractérise, littéraire, historique et philosophique, au gré de sa mémoire, de sa culture, de son humeur. Comme toujours ses compagnons de déambulation sont des historiens mais aussi des peintres, Carpaccio, le Tintoret, Tiepolo, Guardi, Véronèse, Giorgione, Canaletto. Et toujours des écrivains, Casanova, Ruskin, Mann, Borges, Pound, Montale, Brodsky et tant d’autres. Mais le charme de ce livre ne s’explique pas seulement par l’érudition généreuse et solaire de l’auteur. Il provient de son extraordinaire capacité à mobiliser sa réflexion et sa créativité à partir de ce que le hasard lui propose. Et de son insatiable curiosité qui l’amène à prendre des chemins de traverse pour explorer l’envers du décor...» 
Tout est dit avec style. Ce qui au passage me permet de vous recommander les billets de Thierry Guinghut, toujours bien pensés et joliment écrits.
 
«Écrire, c’est formuler des réponses à d'impossibles questions. Nooteboom va chercher les siennes dans des lieux connus, qu’il explore comme personne, en entomologiste érudit de la beauté, sans pour autant négliger l’immatérialité des regards et des gestes transmis par des générations d’autochtones. (…) Venise peut remercier cet écrivain venu d’autres canaux : Covid ou pas, la voilà de nouveau terriblement désirable.» a écrit Élisabeth Barillé dans le Figaro Magazine.
 
 
Placé sous l’égide du lion de Saint-Marc, Venise. Le lion, la ville et l’eau est le délicieux complément d'une pléthore de trop froids guides de voyage ; mieux, il a la liberté du flâneur et la méditation d’un écrivain scrupuleux, entre canaux et lagune, entre ruelles et palais, entre chambres désuètes et musées flamboyants, entre iconographie chrétienne et païenne. C'est beaucoup plus qu’un livre de voyage, c’est un livre où une incroyable jeunesse d’esprit s’allie à une totale liberté de forme. La phrase de Nooteboom incarne par son mouvement, ses rebonds, son bercement, sa sonorité, sa plastique, l’essence même de la chose décrite : du grand art. 
 
 
Cees Nooteboom 
Venise Le lion, la ville et l’eau 
photographies de Simone Sassen 
240 pages. Actes Sud 
 
 
 
  

05 avril 2022

Rupè, Concerto galeggiante

 

Concert sur une barque

C'était il y a cinq ans déjà. Avec mon ami Antoine Lalanne Desmet, complice d'alors dans les rues de Venise où nous déambulions dans l'idée de prolonger avec un micro les sensations que j'avais tenté de décrire dans  « Venise, l'hiver et l'été, de près et de loin », petit livre, brouillon pas assez travaillé où, comme dans Tramezzinimag, je tentais de raconter ma jeunesse à Venise...

Inventeur d'images sonores, Antoine a toujours su capter la petite musique du temps qui passe, les petits riens du quotidien qui sont l'essence de bonheurs simples.  Cette année-là, nous en partagions lui et moi les délices à Venise, et le cadet souhaitait faire parler son aîné de tout cela pour en faire un documentaire sonore où j'exprimerai tout ce que la Sérénissime a signifié pour moi à l'âge de tous les possibles, avant que la vie commune m'aspire comme tout le monde.. Pauvre Antoine que j'avais mis à rude épreuve avec mon humeur chagrine. Il faisait tellement beau pourtant et Venise s'offrait dans toute sa splendeur. Mais je ne parvenais pas à me laisser reprendre par son charme. Je pestais, je râlais, toujours ruminant. Je n'avais plus d'appartement, mes séjours s'étaient faits rares La maison de la Toletta et son jardin n'étaient plus qu'un souvenir. Le cataclysme du divorce, en plus de faire imploser notre famille, m'avait laissé sans argent, et le temps - dernières bribes du luxe d'avant - manquait de plus en plus. Avant que de revivre, il me fallait survivre. 

Je traînais les pieds quand Antoine m'entraînait à travers la ville le micro à la main. Répondant à chacune de ses questions en maugréant. Avec une patience remarquable, Antoine revenait à la charge, souriant. Il s'éloignait parfois quand je m'étais rendu odieux, me laissant seul avec mes aigreurs ridicules. Peu à peu, l'amitié reprit l'avantage. Quelques moments ordinaires : un café pris dans un bar éloigné, la jovialité contagieuse d'un vieux pêcheurs, un rayon de lumière sur l'ornement d'un mur, le cri joyeux des mouettes sur les dalles de Santa Margherita, des rires d'enfants sur un campo derrière San Gerolamo, une promenade en barque... Antoine travaillait, profitant de ces éclaircies pour avancer dans les entretiens, en faisant le dos rond. Peu à peu mon humeur se fit moins sombre, ma voix plus enjouée. Le beau temps, la magie des lieux, les verres de Soave et les tramezzini... Venise reprenait l'avantage. Nous nous promenions jour après jour et je parlais, il enregistrait... Ces fragments moins funèbres qu'aux premiers jours aideraient au montage. Antoine aurait enfin un peu de matière pour éviter de faire du documentaire un reportage sur un pauvre type aigri. Ce n'était pas le Lorenzo véritable, celui qui était son ami et dont il avait vendu l'image à la RTS, pas ce jeune vieillard furieux de n'avoir pas su aller jusqu'au bout de ses rêves. 

Ce petit extrait sonore illustre à merveille l'atmosphère paisible d'un jour à Venise, la sérénité retrouvée. Antoine ce jour-là m'avait laissé me reprendre. il avait rendez-vous avec un groupe de jeunes musiciens. Je m'étais installé à une table d'un petit campo derrière l'appartement que nous occupions à sans Marco. J'y passais plusieurs heures à écrire et à lire. L'endroit était désert. Parfois des ménagères passaient avec leur chariot de provisions, un chat dormait sur l'un des puits. dans le bar, la serveuse rangeait les verres, du reggae rythmait et embellissait les bruits... Peu à peu je retrouvais cette paix qui éclaircit les cœur autant que l'esprit...  Que la journée était belle ! Quand Antoine m'a rejoint, j'ai lu dans son regard sa joie de me retrouver ainsi, apaisé et joyeux. Je lui sus gré de pas relever ce changement. Il se contenta de commander deux verres de prosecco. C'était l'heure de l'apéritif.

Je ne le remercierai jamais assez pour sa patience. Conjugués, son talent et sa délicatesse renforcèrent notre amitié et m'aida à tourner les pages sombres. Quelques mois plus tard, ma détermination regonflée, je décidais de revenir pour préparer peu à peu le grand chamboulement, celui qui ferait de moi de nouveau un résident en me réinstallant à Venise. L'idée d'y créer une maison d'édition est née de ce séjour et du reportage d'Antoine diffusé dans Détours et de ses effets collatéraux dont je ne puis que me réjouir... 


 

02 avril 2022

Quand le rossignol chante à Venise

J'avais vu le film de Jane Campion à Venise à sa sortie. Faire revivre John Keats et aller au gré des sentiments du poète, des tensions que l'époque souvent faisait naître quand les usages et les règles étaient balayés par la passion, d'autant plus forte qu'elle ne semblait jamais devoir s'épanouir un jour. Vous savez sans doute l'histoire, brève et trop raide, du poète dont la vie fut trop courte (il est mort à 25 ans), mais son œuvre demeure et c'est celle d'un géant de la poésie... 
 
Est-ce parce que j'ai découvert Keats lorsque ma jeunesse s'épanouissait à Venise, ardente, libre et passionnée, que j'assimile l’œuvre du poète à l'atmosphère de la Sérénissime, aux ciels uniques et au silence de ses rues la nuit, au clapotis des canaux, au bruit que font les barques qui glissent doucement sur l'eau ? C'est pourtant davantage de prairies fleuries et de sombres forêts, de rivières qui serpentent au creux de collines verdoyantes dont l'univers du poète est rempli, et non pas des eaux silencieuses des canaux de la Sérénissime. Les vagues qui s'élancent sur le sable du Lido sont absentes de son imaginaire. Il ne les connait pas... 
 
Pourtant quand un matin, notre barque amarrée à un vieux ponton branlant, nous avons suivi le chemin qui mène à une chapelle en ruine, au beau milieu de la lagune, et que soudain, devant nous, posé sur une branche d'un arbre à presque mort, un rossignol s'était mis à chanter comme en rêve, John Keats était là, quelque part près de nous. Les herbes hautes embaumaient, le ciel était d'un bleu très pur et l'oiseau chantait joyeux...
Mon cœur souffre, une torpeur accablante s’empare
De mes sens comme si j’avais bu de la ciguë,
Ou vidé une coupe de puissant narcotique
À l’instant même et m’étais plongé dans le Léthé :
Ce n’est pas par envie de ton heureux destin,
Mais parce que je suis enivré de ton bonheur,
Toi, qui, Dryade ailée des arbres.
Dans quelque mélodieux entrelacs
De hêtres verts et d’ombrages infinis
Chantes à plein gosier le calme de l’été.

Mais peut-être dois-je arrêter de toujours ramener tout à mon passé vénitien qui a le tort d'être passé et de n'intéresser guère les gens d'aujourd'hui... John Keats n'a jamais mis les pieds à Venise. Phtisique, on lui recommanda plutôt l'air vif et pur de la campagne romaine et contrairement à d'autres parmi ses contemporains, le voyage, l'exil volontaire loin des brumes nordiques, ne fut pour lui qu'une terrible contrainte incapable de le guérir de ses amours malheureuses. 
 
Mais qu'en aurait-il été de l'âme du poète s'il était venu rejoindre la cohorte des britanniques dont le voyage en Italie s'arrêtait à Venise ? Aurait-il écrit d'autres vers immortels, des strophes que le monde associerait à la Sérénissime, à ses eaux, à sa lumière ? Le soleil du Lido, la sérénité de la lagune peut-être en guérissant son âme auraient guéri son corps...
 
John Keats, 
La poésie de la terre ne meurt jamais. 
Édition de Frédéric Brun. 
Trad. de l’anglais par T. Gillybœuf et C. A. Holdban. 
Éditions Poesis, 128 p., 16 €

05 mars 2022

Coups de Cœur N°58

Le printemps n'est plus très loin. Déjà les grues sont revenues. Ne serait l'actualité, toujours lourde et préoccupante, les odeurs de poudre et la peur de beaucoup qui prend une autre dimension. Après la crise sanitaire, la crise ukrainienne. Alors tout est bon pour rasséréner l'atmosphère, les esprits et les cœurs. Un bon moyen pour cela, les livres, la musique et des gourmandises à partager. Tramezzinimag vous livre ses derniers Coups de Cœur, 58e numéro.

Casino Venier, Venise
Ouvrage collectif
Editions serge Safran
avec un Cahier illustré en couleur
2021; 192  pages
ISBN : 979-10-97594-57-2 
22, 90 €
Notre consul, Marie-Christine Jamet, qui enseigne la linguistique à l’université Ca’ Foscari est membre depuis longtemps de l'Alliance Françaiselle dont elle a été la directrice de 2010 à 2018 a eu l'idée géniale de ce livre qu'elle a ardemment défendu jusqu'à ce qu'enfin il voit le jour et c'est un bonheur que de le pouvoir enfin lire et offrir. Le Casino Venier est un lieu unique que la France a permis de sauver en finançant sa restauration. Je me souviens de l'inquiétude d'un assesseur à la culture, était-ce Domenico Crivellari, je ne sais plus vraiment, qui avait parlé à l'époque d'une transformation des locaux en bureau pour le service des eaux ou de l'électricité, à l'étroit dans un immeuble de l'autre côté du rio.  « Dans le sillage de Casanova, les écrivains contemporains Claire Arnot, Philippe Claudel, Lucien d’Azay, Paul Fournel, Stéphane Héaume, Dominique Muller, Dominique Pagnier, Dominique Paravel, Marc Pautrel, Alain Sagault, Gérald Tenenbaum, Michèle Teysseyre et Gabriella Zimmermann consacrent au Casino Venier de Venise un récit inédit lié à ses mystères et beautés» dit le texte de présentation de l'ouvrage. Un petit livre agréable, écrit par des plumes passionnées de Venise que Tramezzinimag recommande à ses lecteurs, ceux qui connaissent bien les lieux et ceux qui n'ont pas encore eu la chance de le visiter. Au Casino Venier, en dépit de l'état, du mobilier moderne (c'est aussi un bureau et une école de langues), on  respire l'air du XVIIIe siècle, surtout le soir, au temps du carnaval quand par les vitres des fenêtres anciennes on voit passer furtivement de jolis masques du temps de Goldoni quand la sérénissime attirait le monde entier pour ses fêtes et ses réjouissances. L'ouvrage a reçu le soutien de l’Alliance française et de la Fondation Bru-Zane. Les auteurs ont tous cédé leurs droits à l'Alliance Française qui a toujours besoin de notre soutien. Vous pouvez le commander en ligne mais aussi dans n'importe quelle librairie.

Paola Mastocola
Una Barca nel bosco 
Guanti editore, 2004 
12 €
Un roman épatant, malheureusement non (encore) traduit en français. Gaspare Torrente, fils de pêcheur et aspirant latiniste,Dès les premières lilgnes, le lecteur est plongé in media res  dans la vie d'un adolescent un peu différent.  Venu d'une petite île du sud de la péninsule, Gaspare Torrente fils de pêcheur, nageur et amateur de plongée sous-marine, débarque à Turin sur les conseils de son mentor,  son  professeur de français, une certaine Madame Pilou, pour rentrer au lycée. Le père reste dans l'île, et Gabriele s'installe avec sa mère chez la  zia Elsa. Un adolescent par tout à fait comme les  autres, qui à trize ans aime traduire Horace et lit Verlaine dans le texte. Au fil des pages, Gaspare évoque ses pérégrinations, ses attentes, ses déboires et son désarroi. La vie qu'il mène et qu'il décrit avec beaucoup d'humour (on rit beaucoup dans le livre et parfois aussi au détour d'une page, l'émotion est très forte) montre combien il se sent décalé, au mauvais endroit au mauvais moment, comme une barque dans la forêt...
Paola Mastrocola est née en 1956 à Turin où elle a fait des études de lettres. Après avoir enseigné pendant quelques années à l’Université d’Uppsala en Suède, elle est professeur dans un lycée de Turin. Elle écrit des essais et des romans pour la jeunesse, puis publie son premier roman en 2000. C’est le succès d' »Una barca nel bosco » (Prix Campiello 2004) qui lui permet de quitter l’enseignement pour se consacrer entièrement à l’écriture pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
 
Robert de Laroche
La Vestale de Venise. Une enquête de Flavio Foscarini
Gallimard
Coll. Folio Policier N°952, 
Parution : février 2022
 
Lucile Boulanger
Solo Bach-Abel
Label Alpha Classics
sorti en janvier 2022
2 CD. 90 mn.
22 €
Lucile Boulanger signe ici son premier récital solo. La gambiste française dont tout le monde loue la justesse et l’émotion du jeu (Le BBC Music Magazine l’a qualifiée de « Jacqueline du Pré de la viole de gambe ») met en parallèle Johan Sebastian Bach et Carl Friedrich Abel, grand maître de la viole et très proche de la famille Bach. Si Johan-Sebastian n’a jamais écrit pour la viole de gambe seule, on sait qu’il transcrivait beaucoup de ses œuvres pour plusieurs instruments. Lucile Boulanger a choisi par exemple de transcrire trois danses de la Sixième Suite,  « car elle sonne particulièrement bien à la viole puisqu’elle est écrite pour violoncelle à cinq cordes (un pas vers les six ou sept cordes de la viole ?), » explique-t-elle. « Elle est en ré, tonalité de la viole par excellence, et son style déjà un peu galant n’est pas sans rappeler celui d’Abel . (…)  Cet album me donne l’occasion de faire entendre la viole comme instrument à la fois mélodique - avec le grain de l’archet, la fragilité du son - mais aussi polyphonique. » Un très bel enregistrement, un son parfait. A écouter en lisant le livre de la Mastrocola !
   
Theotime Langlois de Swarte & Les Ombres
 
Vivaldi, Leclair, Locatelli, Violin Concertos  
Label Harmonia Mundi 
Février 2022    
HMM902649
16,99 €  
La carrière fulgurante de Théotime Langlois de Swarte n'aura pas échappé aux lecteurs de ce blog. Issu du Conservatoire National Supérieur de Paris (dans la classe de Michaël Hentz), il fonde avec le claveciniste Justin Taylor l’ensemble Le Consort (premier prix et Prix du public 2017 du Concours international du Val de Loire). L’ensemble collabore avec des artistes tels que Eva Zaïcik, Véronique Gens ou encore le violoncelliste Victor Julien-Laferrière. Les enregistrements de l’ensemble sont couronnés en 2019 par un Choc Classica (Venez Chère Ombre) et un Diapason d’Or de l’année 2019 (Opus 1). Violoniste passionné et éclectique, dont le répertoire s’étend du XVIIe siècle à la création contemporaine, il est nommé aux Victoires de la musique classique 2020 dans la catégorie Révélation soliste instrumental où il représente pour la première fois le violon baroque. Depuis, il se produit dans le monde entier. Excusez du peu ! 
Le jeune homme continue avec ce disque, son exploration du répertoire violonistique du début du XVIIIe siècle, mettant en lumière les liens qui unissent trois compositeurs-phare de l'épque : Vivaldi, père du concerto pour violon, et ses de ses plus brillants cadets, Locatelli et Leclair. Un disque qui, par-delà les jeux d'échos et de filiations, révèle l'extraordinaire versatilité d'un instrument aussi virtuose que poète.Théotime, lauréat de la Jumpstart Foundation et de la Fondation Banque Populaire,  joue sur un violon de 1665, du luthier autrichien Jakobus Stainer. Il a aussi joué et enregistré après Augustin Dumay et Pierre Amoyal sur le fameux «Davidoff» de Stradivarius du Musée de la Musique.
 
Kowen Ko (柯智棠)
Songs of the Bards (吟遊)
Label 何樂音樂 PQPMusic
CD 2018 
Ce jeune taïwanais qui s'est fait connaître en 2018 en Europe avec une chanson mélancolique «The Joy of Sorrow» est une personnalité en vogue de la scène musicale de Taipeï et ce depuis 2016. C'est un étudiant de Hong Kong qui me l'a fait connaître et je dois dire qu'à la première écoute, je croyais avoir à faire à un de ces jeunes chanteurs pop interchangeables qui ont une belle voix, un physique de jeune premier parfait pour rendre hystérique filles et garçons adolescents. Mais en réécoutant ses chansons, je suis vite revenu sur mon premier jugement, un peu trop à l'emporte-pièce. Le garçon a réellement du talent, les paroles de ses chansons ont du sens, leur poésie élaborée, l'interprétation sensible et comme souvent chez les artistes asiatiques très travaillée sans jamais perdre la sincérité et l'originalité de l’œuvre présentée. Primé en Asie dans différentes manifestations, on l'entend parfois sur les ondes européennes et c'est bien. Une mélodie et un style plus britannique qu'américain ou australien. De la pop cultivée, voilà comment je définis sa musique. Je vous invite à écouter Kowen dans «It was my way», «You are» (une de mes préférées) et bien sûr, «The Joy of Sorrow» qui figure dans un autre album. Une sorte de mélancolie ensoleillée qui accompagne bien ces premiers beaux jours et peut apaiser les coeurs meurtris par les tensions du monde d'aujourd'hui. Au point que je viens de proposer certaines de ses chansons pour un documentaire en préparation dans lequel tramezzinimag est impliqué. Ecoutez, et vous me direz si mon plaisir est partagé (ICI). 
 
C'est bientôt le printemps et déjà le temps se fait plus doux. Pourtant, en plein milieu de l'Europe, il y a le bruit des canons et l'odeur de la poudre. Devant le sillage de ce coup de force épouvantable perpétré par une Russie - pays ami mais qu'on ne reconnait plus - contre un état libre et souverain, il est difficile de rester serein. 
Pourtant il nous faut garder l'espérance. Le mal et la violence ne triomphent jamais et le bien l'emporte toujours. C'est pourquoi, nous avons souhaité ajouter sur la liste des Coups de Cœur de Tramezzinimag, la formidable  détermination des ukrainiens, unis dans la résistance contre l'envahisseur russe, la prise de position des artistes et des écrivains russes contre cette guerre fratricide, la solidarité de tous les peuples d'Europe et d'ailleurs, toutes les aides spontanées, les mains tendues pour accueillir les réfugiés !
хай Бог береже Україну та українців ! (Dieu protège l'Ukraine et les ukrainiens !)
 
Rien de tel pour gonfler nos cœurs  qu'un bon gâteau. Voici la recette de la brioche vénitienne, dite la Veneziana alla crema
 
Ingrédients :
•    Pour la pâte :
80ml de lait / 5g de levure de bière fraîche/280g de farine fine /45g sucre semoule / 2g de sel / 1 œuf moyen / 1cc d’extrait de vanille ou ½ gousse de vanille grattée /40g de beurre ramolli taillé en cubes
•    Pour la crème pâtissière (à peu près 600 ml) :
500ml de lait entier / 70g de sucre semoule / ½ gousse de vanille / 3 jaunes d’œuf / 40g de farine fine
•    Pour la décoration :
Lait entier et perles ou vermicelles de sucre.

Préparation :
Dissoudre la levure dans un bol avec le lait tiède et mettre de côté. Dans un autre bol, mettre la farine, le sucre, le sel et le levain obtenu. Mélanger le tout à la main ou au robot avec le bras épais, puis ajouter les œufs et la vanille. Le tout environ 10 mn puis ajouter le beurre ramolli par petits morceaux.
Continuer à remuer jusqu’à ce que l’appareil forme une pâte compacte.
Laisser lever qui doit doubler de volume.

Pendant ce temps, préparer la crème pâtissière : dans une casserole faire chauffer le lait ( à peu près 80° presque jusqu’à ébullition) avec 35 g de sucre et la vanille.

A part, dasn une autre casserole,, mettre les jaunes et les mélanger au fouet sans les faire monter ouyis ajouter la farine et mélanger le tout.

Quand le lait est chaud, le sortir du feu et le verser peu à peu sur les œufs en mélangeant au fouyet pour bien mélanger la crème. Mettre la casserole sur à feu moyen et continuer de remuer la crème pour éviter la formation de grumeaux.

Remuer sans cesse pendant cinq minutes jusqu’à ce que la crème soit cuite et onctueuse. Verser-là dans une terrine de verre ou d’acier pour la laisser refroidir, la couvrir avec un film alimentaire directement sur la surface de la crème pour éviter que ne se forme la fameuse peau qui gâche tout. Mes enfants détestaient quand il y avait de la peau et cette idée du film alimentaire sur la crème est une invention géniale de leur grand-mère !

Sur un plan de travail légèrement fariné, mettre la pâte gonflée et la diviser en dix parts égales. Façonnez la pâte en boules et disposez-les bien écartées sur deux plaques recouvertes de papier cuisson beurré et fariné légèrement. Recouvrez le tout d'un film alimentaire et laissez lever une heure.

Allumer le four à 180°.

Badigeonnez les brioches bien gonflées et faire une entaille en croix sur le dessus, puis versez la crème dans la découpe obtenue et complétez avec les grains de sucre juste avant d’enfourner. Faites cuire les brioches pendant environ 20 minutes, Lorsque, en tapant sur le fond, cela sonne creux, les veneziane sont cuites. Sortir du four et laisser refroidir complètement avant de servir.