08 novembre 2005

Urgences, urgences...

« C’est incroyable, papa » me disait ce matin ma fille Constance (huit ans), en parlant de sa sœur aînée, « Margot n’est pas contente parce qu’ils ont ouvert de nouveau les urgences pour des jeunes qui font du feu dans les voitures et elle dit que cela va faire comme le 11 juillet »… Je n’ai pas compris tout de suite ce qu’elle voulait dire. Et puis une vieille dame affolée rencontrée sur le chemin de l’école qui criait à la cantonade « c’est la guerre civile » m’a permis de traduire les propos déformés par ma petite fille : l'état d'urgence, les incendies de voitures et le 11 septembre... 
J’ai éclaté de rire, laissant la vieille dame éplorée devant tant de légèreté « alors que l’heure est grave »… J’ai ri devant ce bon mot innocent qui m’a simplement rappelé, s’il était besoin, combien nous devrions relativiser les évènements et prendre du recul. Oui la situation est préoccupante, oui le désarroi que traduit ces manifestations inadmissibles ne peut que dérouter et nous interroger. Mais, dans ma prise de position contre la constitution européenne, lorsque je prétendais que le oui entraînerait de gros désordres, tout le monde se gaussait. Le non a au moins empêché que ce qui se passe en ce moment soit démultiplié et se déroule dans d’autres lieux et d’autres milieux que nos banlieues et avec une bien plus forte intensité . 
Je crains hélas que ces piteux évènements ne soient que la preuve de l’inanité de nos dirigeants, nationaux et européens; leur incapacité à gouverner, puisque gouverner c’est prévoir. A force de manquer de conviction, à force de se mettre lâchement à la traîne des puissances ultra-libérales, étatiques ou multinationales, voilà ce que l’on récolte. En politique comme dans tout autre domaine, l'expérience prouve qu'il est vain de suivre lâchement les modes. A trahir ce qu'on est vraiment, on est toujours puni.
Point d’homme providentiel (je suis convaincu que les gens ont besoin d'un sage, une figure paternelle à la tête de l'Etat, arbitre et référence, loin de toutes les querelles partisanes), point de discours engageant la nation pour que tous se mettent au travail pour cohabiter, coopérer et bâtir ensemble la société dont nos enfants auront besoin pour vivre et prospérer. Au lieu de ça, nous avons des combats de chefaillons, méprisables apparatchiks de droite ou de gauche, qui ne songent qu’a conserver ou conquérir le pouvoir, pour leur propre intérêt ou celui de leur caste. La gouvernance liée à tout ce qui est économique et entre les mains des financiers et des agences de notation (comment avons-nous pu accepter cela ?)

Et pour rajouter à cette trivialité, les médias, qui font monter la pression comme le pâtissier fait monter sa crème. Plus on parle de ces évènements, plus ils se développent, plus la population se met à craindre et à réagir et les passions se réveillent. La part la moins belle en chacun de nous s’éveille. Le monde est encore rempli des remugles de cette peste brune que cinquante ans de relative tranquillité n'ont pas totalement effacé... Il y a longtemps que je n’ai pas entendu autant de propos racistes et xénophobes, autant d’insanités sur les jeunes, les arabes. Et tout cela parce que des bandes de voyous organisées, sans autre motivation que la violence pour la violence, sortent dans la rue et cassent. Les autres, ceux qui peinent, ceux qui sont en situation précaire et remplissent leurs obligations sociales – et ils sont la majorité – risquent maintenant de vivre les pogroms comme les juifs en Pologne ou en Russie il n’y a pas si longtemps… 
Oui, le bon mot rigolo de ma petite dernière n’est finalement pas anodin. Il me rappelle que face à tout événement, même grave, il faut prendre du recul et chercher à comprendre pour se faire sa propre opinion et qu’il faut toujours garder son sang-froid. Non, ce n’est pas la guerre civile comme les journaux chinois ou américains l’annoncent à leurs concitoyens, les priant d’éviter de se rendre en France. C’est simplement une plaie purulente qui saigne depuis longtemps mais qu’on n’a jamais su ou voulu soigner. Comment guérir une blessure quand à chaque instant, le soignant en ravive une autre par sa maladresse et son incompétence. 

C’est le corps entier qui est malade. La tête tout d’abord, puis les membres et quasiment toutes les cellules sont atteintes. Par le doute, par le découragement, maintenant par la crainte. Cela arrange bien du monde en fait, ceux dont le corps est déjà pourrissant et qui préfèrent ne pas être seuls dans l’ambulance. Il n’y a pas de raison. Ceux qui savent être incapables eux-mêmes de résister longtemps au virus. Ils pourront faire accepter plus facilement des traitements de choc pour éviter la contagion. 
Non, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure. Que la sagesse modère nos propos et nos opinions. Les mêmes imbéciles continueront de parader sur les chaînes de télévision pour amuser les français en fin de semaine, les mêmes footballeurs millionaires continueront de taper sans conviction dans leur ballon, les mêmes députés s’endormiront dans l’Hémicycle, les mêmes fonctionnaires européens produiront leurs règlements iniques et la froidure de l’hiver bientôt calmera les flammes. 
Mais attention au printemps qui revient. Il risque de faire très chaud alors, et le Tamiflu social n’est pas encore en fabrication dans notre pauvre hôpital européen, loin s'en faut…
posted by lorenzo at 20:27