18 mars 2006

Mélanges...

Il y a tout au fond de Venise des endroits incroyables. Hugo Pratt en connaissait beaucoup, certains n'existent que pour les véritables amoureux de la ville. ceux qui savent voir avec leur coeur. Comme en rêve. En vrac, quelques uns de ces lieux incroyables et puis des bribes de souvenirs, esprit d'escalier...
 
Lorsque j'étais étudiant à San Sebastiano (c'était alors la faculté de Lettres, où je terminais mon cursus d'histoire des Arts, travaillant "la peinture du trecento, interprétation et réminiscence des splendeurs païennes"), j'allais souvent me promener dans un quartier retiré, loin derrière les derniers endroits habités. Il y avait une maison entourée de murs avec de hauts grillages. Là, un vieil homme au visage buriné comme un vieux loup de mer, vivait au milieu de ses chats mais aussi d'une demi douzaine de singes en semi-liberté...A Castello un vieux perroquet chantait Bella Ciao et la Marseillaise au fond d'un bar un peu sale... 
our une scène de Fellini matinée de Pasolini. c'était le milieu du jour. Il faisait beau et doux. Soudain les rues furent envahies d'une foule de gens bizarres, certains parlaient fort, d'autres chantonnaient, il y en avait des tres vieux d'autres plus jeunes. Ils semblaient sortirt d'un rêve ou d'un cauchemar. Leur visage était effrayant, souvent hilare. C'étaient les fous de l'asile de San Clemente que la loi italienne venait de libérer. Ils déambulaient pour la première fois en toute liberté dans les rues de la ville... J'étais sur la Lista di Spagna avec la femme du Consul de Grèce, une espagnole exubérante qui était venue avec moi voir les stands des marchands de livres d'occasions qu'on trouvait alors près des Santi Apostoli. On aurait dit une scène de Fellini... 

Une autre fois, un matin d'hiver, un jeune suédois, splendide athlète blond au corps trop musclé, pas très grand, fut pris d'une crise de démence. Il neigeait un peu et la température devait avoisiner les 0°. Il sortit de l'auberge complètement nu présentant son anatomie à tous les passants et délirant dans sa langue. J'ai su plus tard qu'il déclamait des vers de Shakespeare en suédois... Il lisait Castaneda toute la journée, fumait beaucoup et son sourire était bizarre... Ce jour-là, il se serait jeté dans le grand canal, pour nager comme Byron le fit, si des policiers ne l'avaient interpellé à temps. Il fit une cure de sommeil et lorsqu'il revint à l'auberge, confus et intimidé, c'était un tout autre personnage, poli, pudique, rougissant encore de ce qu'il avait fait et qu'on lui avait raconté. Il n'avait aucun souvenir de cette bouffée délirante...

Tant d'autres choses encore... 
Je me revois au Palais Clari, un 14 juillet vaporisant de l'eau d'Evian sur les canapés et les petits fours de la réception du consul, tellement il faisait chaud et je me souviens du dernier plateau aspergé d'engrais pour les plantes vertes par mégarde, celui qui fut présenté aux autorités civiles, religieuses et militaires de la ville sans que personne ne semble y trouver à redire. Foie gras et saumon fumé arrosé à l'engrais horticole... 
Je me souviens de mes razzias dans les réserves du consulat lorsque je n'avais plus d'argent pour m'acheter à manger. Je repartais, grâce à Agnès - et la bénédiction du consul son père, qui fermait les yeux - les bras remplis de conserves, de sardines à l'huile, de pâtes, de fromage, de chocolat de pâté, de saucisson et de jus de fruit sous le regard du président Mitterrand dont le portrait officiel, placé juste au-dessus du bureau du Consul, regardait avec insistance et une moue à la Mona Lisa, la porte d'entrée. Je ne voyais que lui en sortant de la grande salle pour reprendre l'ascenseur qui menait au rez-de-chaussée. C'était assis devant lui que j'appelais ma mère... Et l'Ile de France, le mostoscafo du consulat, le seul à avoir l'autorisation de battre pavillon étranger, par un vieux privilège datant de l'ancienne république. Et le terrain de foot, au milieu des ruines d'un bâtiment de l'occupation autrichienne derrière l'arsenal où de curieux personnages vous épiaient et disparaissaient aussitôt... 
Je vous raconterai cela aussi....
posted by lorenzo at 00:14