25 février 2007

Promenade ou farniente ?

La pluie ne cesse de tomber. le ciel est bas. Gris sale. La lagune a pris des teintes vert foncé. Peu de monde sur les Schiavoni. Les cafés sont remplis et la buée sur les vitres donne une impression irréelle à ces lieux illuminés où vénitiens et touristes se réfugient quand le temps est mauvais. Un chien traverse seul le campo que je vois de la fenêtre. Il ne fait pas vraiment froid mais l'humidité est désagréable. Mieux vaut avoir de bonne chaussures. Pour le promeneur tout s'achève lorsque ses pieds ont froid. Nous sommes bien au chaud dans la maison. Certains sont dans le salon et bouquinent. Mario Lanza chante "you are my love" sur Yahoo.launchcast.radio. Le programme de cette radio en ligne va parfaitement avec l'atmosphère de ce dimanche tranquille.

J'entends Constance dans la cuisine qui prépare le thé. Une assiette de digestive et de custard cream, nos biscuits préférés. (merci au supermercato Billa des Zattere de penser aux amateurs de biscuits anglais), du panettone (les enfants n'en mangent pas ce qui ne m'ennuie pas vraiment vue ma passion pour ce gâteau d'hiver). Jean fait de la peinture près de la fenêtre et le chat fulmine. il aimerait bien courir et surprendre les moineaux qui chantent dans le jardin mais la pluie n'arrête pas de tomber. Un dimanche d'hiver comme les autres avec cette odeur très particulière qui est un mélange des parfums de la campagne et des remugles de la ville. Le feu crépite en bas. C'est en principe interdit mais ici à Dorsoduro tout le monde ou presque allume sa cheminée l'hiver, surtout quand comme nous, elle est au rez-de chaussée et ne risque pas d'embraser la maison. 

Je me souviens des après-midis chez Bobo Ferruzzi et sa femme Héléne. Le feu dans la cheminée de leur living, les confortables canapés bariolés, Savall et Hespérion XX en fonds sonore. Héléne sur la mezzanine qui travaillait à l'application de pochoirs sur une pièce de velours; Bobo qui me racontait sa jeunesse avec Neruda, le vieux domestique un peu simple qui s'affairait dans la cuisine. Atmosphère unique que je retrouve un peu dans la maison de la Toletta, avec en plus les odeurs du jardin, herbes et terre mouillées...

Insula : le nettoyage des canaux, une nécessité absolue enfin prise au sérieux

Crédits Photographiques :
Dominique Hazaël-Massieux/ Gis Portal & Insula.
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Toute ville est comme une gigantesque machine qu'il faut régulièrement réviser et réparer. Chaussées et trottoirs, canalisations en tout genre, bâtiments publics, espaces verts, etc...
C'est une règle qui s'applique particulièrement à Venise, ensemble urbain unique au monde, avec ses cinquante kilomètres de canaux accumulent chaque année près d’un 500.000 mètres cubes de boues et de déchets en tous genres, ses 454 ponts et ses 100 kilomètres de rives, la plupart donnant sur les sous-sols de palais, d’églises et de couvents, chefs-d’œuvre reproduits dans les livres d’art du monde entier.
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Bien que l’entretien de cette ville paraisse une nécessité évidente, il a fallu des années de discussion pour que soit repris l'entretien des canaux interrompu depuis plus de soixante dix ans. Depuis la fondation de la Sérénissime, l'Administration des Eaux veillait à ce que les riverains draguent et entretiennent les canaux. Ce nettoyage évitait que les voies de circulation aquatiques ne deviennent ce qu'ils sont plus ou moins de nos jours : des égouts à ciel ouvert. L'eau était propre au point que les enfants pouvaient y nager (on voyait encore dans les années 70, des gamins s'amuser à plonger du haut des ponts pour amuser les passants et surprendre els touristes !).  

Mais la lourdeur de l'administration, les complications apportées par les nouvelles répartitions des responsabilités, l'indigence de la pensée politique contemporaine (cela ne s'applique pas qu'à Venise hélas), et la perte de la mémoire collective ont contribué à l'envasement des canaux et à leur pollution. Il aura fallu de nombreuses interventions, des cris d'alarme et la terrible inondation de 1966 pour que tout le monde se réveille. Mais ce n'est que depuis six ans que la décision est effective et les moyens mis en place. 
Le résultat s’appelle Insula, une société d'économie mixte (52 % des parts sont détenues par la municipalité et 48 % par quatre entreprises privées), née en juillet 1997 afin de gérer la machine urbaine de Venise.En un peu moins de trois ans, Insula s’est fondée sur une énorme masse d’études réalisées par le bureau de l’UNESCO à Venise pour draguer plus de 22 kilomètres de canaux, extraire 123 000 mètres cubes de boues et restaurer 79 ponts. Insula est chargée de nettoyer, de réparer mais aussi de pourvoir au câblage de la ville par de la fibre optique car, pour survivre, Venise doit aussi se propulser à la pointe de la science et de la recherche. De cela on parle peu car le voyageur qui vient à Venise n'est pas là pour chercher l'innovation mais pour s'imprégner des vestiges d'un passé somptueux qui le fait rêver. C'est là une des chances de Venise : pouvoir associer les plus beaux monuments, les plus belles oeuvres d'art aux techniques de pointe et aux systèmes les plus innovants.

C'est ainsi que l'UNESCO a depuis 1966 un de ses laboratoires dans l'ancienne abbaye San Gregorio, où, avec les instruments les plus sophistiqués, des savants venus du monde entier s'appliquent à mettre au point des techniques de recherche et de restauration qui seront ensuite mises au service de l'humanité entière. C'est ainsi que ITAL Telecom a ouvert à deux pas de San Marco une galerie high tech où le passé est omniprésent grâce aux inventions les plus récentes de l'informatique et de l'électronique. C'est ainsi que Venise s'est dotée d'un des sites les plus performants en matière urbanistique sous l'égide de la société Insula, le Gis Portal qui permet de visualiser l'état de la cité lagunaire, les bienfaits des rénovations, mais aussi de calculer vos déplacements selon les marées, de repérer le sottoportego ou le pont que vous recherchez en vain. Accessible de n'importe quel poste internet, c'est un outils incroyablement riche dont peu de villes modernes sont dotées.

Voilà comment il faut concevoir Venise, voyez-vous. Un merveilleux témoin du passé de l'humanité qui par chance - et avec l'aide de la nature finalement - nous a été conservé jusqu'à maintenant et en même temps un laboratoire où s'inventent chaque jour des solutions et des techniques au service de l'art, de l'habitat et de l'environnement. Nulle part ailleurs ce mariage entre le passé et le futur n'est aussi fort qu'à Venise et je crois que les vénitiens commencent à en prendre conscience. L'Italie, en dépit d'un système politique brinquebalant, en l'absence d'une élite politique créative et inspirée (mais c'est aujourd'hui hélas le lot de tout l'occident, n'est ce pas), et Venise en dépit de l'exode forcé de sa population naturelle, sont loin d'avoir fini de nous surprendre. Car ils sont nombreux à Venise - et à Rome - à avoir compris que si le problème de la montée des eaux et de l'affaissement des îlots est crucial, le véritable souci vient de la pollution potentielle dont Venise est à la merci avec les centaines de millions de mètre cube de produits chimiques notamment des dérivés du pétrole qui transitent chaque année par la lagune. Un seul incident comme l'Amoco Cadiz suffirait à détruire irrémédiablement l'écosystème lagunaire et souillerait à tout jamais la ville, empoisonnant la nature mais aussi l'avenir...

La pioggia a Venezia


Même sous la pluie, la ville est belle. Peut-être même davantage sous certains aspects.

Vous savez la chanson de Charles Trenet qui dit approximativement : "...quand il fait soleil, je suis heureux, et quand il pleut j'aime la pluie..." 

C'est un peu cela je crois que les amoureux de Venise ressentent quand ils foulent le sol de leur ville tant aimée : sous un ciel d'été ou par une pluie glacée, par temps de neige ou de brouillard, ils sont à Venise et cela les rend pleinement heureux.

Je vous expliquerai bientôt comment manier un parapluie dans les ruelles étroites et les campi sous une pluie battante. tout un art qui pourrait contribuer à faire de vous, de vrais vénitiens !