28 mai 2007

La maison du Tintoret sur la Fondamenta dei Mori

Au numéro 3399, sestiere di Canareggio. C'est là que Jacopo Robusti, dit Le Tintoret s'éteindra, entouré de sa famille et de ses amis, en 1594. Le palazzino est situé non loin du très beau palazzo dei camelli dont je vous reparlerai et juste à côté des fameux mori, ces statues encastrées dans le mur voisin sur l'origine et l'histoire desquels personne n'est d'accord.Photo de © Jas - Le Campiello - Tous Droits Réservés

photo de © Barocco - Le Campiello. Tous Droits Réservés

Les Noces de Canaa de Veronese, 210 ans après : enfin le retour

En septembre prochain, à l'occasion de l'ouverture des Dialogues de San Giorgio, colloque annuel organisé par la Fondation Cini et consacré en 2007 au thème "Hériter du passé : Traditions, Translations, Trahisons, Innovations à Venise", un évènement extraordinaire et d'une portée majeure est annoncé: En collaboration avec le Louvre, qui concerne Les Noces de Canaa - conservée à Paris - oeuvre majeure de Paolo Veronèse qu'il réalisa à la demande de Palladio pour le réfectoire du monastère bénédictin, devenu le siège de la Fondation.
 
Après 210 ans d'absence, les Noces de Canaa vont retrouver leur emplacement original dans le magnifique bâtiment construit par Palladio dans l'île de San Giorgio Maggiore grâce à un véritable "second original", en fait un fac-similé à l'échelle 1:1, qui a pu être réalisé grâce à une technique de reproduction très sophistiquée encore jamais utilisée pour une oeuvre de cette taille. Tous les éléments de l'original sont ainsi reconstitués, non seulement les traits, les contours dessinés, les traces de pinceau, les ajouts de couleurs, les aplats de base, jusqu'aux imperfections de la toile et les traces d'usure du temps. Mais en plus, il sera possible de voir tout ce que les aménagements iconoclastes des premières années du XXe siècle avaient camouflé.

Le fac-similé est réalisé avec la technologie développée par Adam Lowe, artiste britannique et fondateur de l'Atelier Factum Arte, laboratoire à l'avant-garde de la reconstruction et de la reproduction des oeuvres d'art.

Ce projet, commente avec emphase le communiqué de presse, représente un véritable défi à la théorie de la décadence de l'aura : en créant une copie physiquement et esthétiquement parfaite de l'original, et en la replaçant dans le lieu exact pour lequel cet original a été conçu “en concordance totale" entre Veronese et Palladio, il s'agit pour les commanditaires d'une intervention de restauration globale du site monumental de San Giorgio Maggiore. Cette opération remplit un objectif spécifique qui est de rétablir l'équilibre esthétique originel en vertu duquel le prodige artistique réalisé par le tandem Palladio-Veronese devient pleinement compréhensible. 
 
Cet évènement extraordinaire et unique à ce jour veut permettre paradoxalement de nous rapprocher de l'aura authentique du lieu, qui avait été irrémédiablement perdue le 11 septembre 1797, quand les commissaires français de l'armée du pilleur corse Buonaparte décidèrent d'inclure ce tableau dans les oeuvres à envoyer à Paris comme butin de guerre. 
 
210 ans après, le 11 septembre 2007, le fac-similé des Noces de Canaa, réinstallé définitivement dans le Cénacle Palladien, sera révélé au public lors de l'inauguration de l'exposition "Le miracle de Canaa : l'originalité de la re-production".

Le projet, en collaboration avec le Musée du Louvre a pu voir le jour grâce au soutien de l'Enel, San Pellegrino, du Consorzio Venezia Nuova, de la Fondazione Banco di Sicilia, et du Casino de Venise. Tramezzinimag y sera et nous ne manquerons pas de détailler l'évènement.

Promenade en dialecte

Avant la chute de la République, si l’italien était la langue officielle, verniculaire, le vénitien était parlé par tous, du gondolier au doge. Plus qu’un dialecte, c’est une véritable langue dont l’origine est inconnue. On y retrouve des consonances indo-européennes, des ressemblances avec le basque. On parle aujourd’hui de "dialecte", bien que le vénitien soit classé parmi les langues régionales et qu’il y ait dans le monde entier des associations où on le parle comme le moyen de maintenir une cohésion ethnico-sociale. Tout en me méfiant des risques de récupération à des fins parfois troubles de tout ce qui peut marquer une différence et faire ainsi le jeu de ce communautarisme que je trouve extrêmement dangereux, il est merveilleux de voir combien ce langage est un ciment social pour les vénitiens : Toutes les couches de la société, toutes les générations le parlent. 
 
C'est vrai qu'il existe dans le Veneto des groupuscules autonomistes très vindicatifs qui utilisent la langue vénète (il y a de nombreuses variantes dans tout l’arrière-pays vénitien) dans un but pas très avouable. La promotion qu'ils en font est truffée d'arrières-pensées dangereuses pour l’unité nationale dont la naissance fut pourtant vécue dans l'euphorie et l'enthousiasme par les vénitiens du XIXe... en dialecte ! 
 
Mais là n’est pas mon propos. Ce dialecte que nous parlons à Venise est une langue très imagée, très riche en expressions, qu’il est utile de connaître si on veut à Venise vivre en bon vénitien. Les anglo-saxons beaucoup plus en avance que nous et il existe depuis de nombreuses années un dictionnaire anglais-vénitien. Il n’existe pas encore à ma connaissance de lexique vénitien-français. J’y songe mais le temps manque pour mener à bien l’entreprise et produire un véritable dictionnaire comme l’aurait souhaité l’éditeur Filippi, récemment disparu. Voici quelques "parolacce" qui feront de vous un vrai vénitien. Et puis, si elles vous sont adressées, vous saurez ce que votre interlocuteur aura voulu exprimer et ne risquerez plus de vous méprendre (désolé pour vos illusions !).
« Oii ! ».Tout le monde l’utilise à Venise. Depuis le gondolier qui lance ce cri à l’angle d’un canal pour signaler sa présence (la variante est "Aooe !") à la personne qui veut vous faire une farce, saluer un ami croisé dans une calle ou quelqu’un qui s’énerve. Aucune traduction de cette onomatopée ne s’impose.

« Mongoeo ».
Littéralement "mongolien". On dit parfois que l’expression date de l’époque de Marco Polo quand on parlait pour la première fois de ces peuplades de Mongolie très différentes des vénitiens. Mais cette explication me paraît fumeuse… Vous l’entendrez au même titre que le fameux "deficiente" italien prononcé par quelqu’un en colère, hors de lui.

« Ma no ti gà na casa cio ?! »Phrase très utilisée à Venise où le problème de l’habitat est récurrent depuis plus de cent ans. Littéralement "Mais tu n’as pas de maison où aller ?". Ce "tu es à la rue ou quoi ?" sert à exprimer la désapprobation, la surprise quand l’autre ne comprend pas ce qu’on attend de lui, quand un chaland ne veut pas payer le prix proposé par le marchand ou semble étonné de la somme demandée. On l’entend aujourd’hui dans les stades quand il s’agit de tancer les supporteurs de l’équipe adverse…

« Ti xè forà come un balcon ».
"Tu es dehors comme un balcon" pour signifier que vous n’avez pas tous vos esprits, que ce vous exprimez est absurde et ridicule. On pourrait traduire par "Ou as-tu la tête" mais selon le contexte, d’autres significations apparaissent.

Revenons aux injures et autres imprécations dont les vénitiens sont friands. Pas un jour sans qu’une altercation anime le trafic sur le grand canal devant le marché, à la gare ou dans la foule des environs de la Piazza. Certains trouvent vulgaires ces expressions. Elles font partie du paysage sonore de la ville, au même titre que les cloches des églises, le clapotis de l’eau des canaux, la sirène des ambulances ou des pompiers.

« Chei cani dei to morti ».
Avec ses variantes : "I to morti" (la forme la plus simple et directe), "Varemengo ti ta morti" (sophistiqué), "Va in boca de tuti i to morti" (la plus violente). Expression assez redoutable qu’on pourrait traduire par "au diable les tiens", "famille de moins que rien". Mais le sens demeure bien plus dur et définitif en vénitien.

« Va in cùeo da to mare ».Parole des plus répandue, certainement la plus utilisée, qui se rapproche du "nique ta mère" de nos banlieues et des cours de collège. Version plus simple : "Va in cùeo" équivalent du "va te faire voir" (traduction expurgée pour les oreilles chastes !).

« Casso ».Très répandu aussi chez les jeunes, les gondoliers et tout le petit peuple des tavernes depuis toujours. Littéralement "bite", équivalent de notre "couillon" ou "merde". A la fin d’une phrase, l’expression sert à renforcer ce qui a été dit. A Bègles, près de Bordeaux on rajoute (avec l’accent) un "cong" significatif. C'est en plus grossier le "peuchère" des marseillais. Les titis parisiens diront "putain".

« Col casso ».Là le même mot aura un autre sens, il est plus interrogatif, dubitatif "non, c’est pas vrai", "j’y crois pas", "tu es sérieux ?" mettant en doute les surprenantes allégations de votre interlocuteur. cela peut aussi signifiait un "t'es pas cap" de mise au défi. Toujours très employé.