28 février 2013

La Mésange et le petit garçon

Il nous arrive parfois d'être témoin d'évènements dont nous ne saurions admettre la véracité si nos yeux n'avaient pas vu et nos oreilles n'avaient pas entendu. Peut-être est-ce cela magie de Venise... J'ai souvent pensé que l'air y est traversé d'ondes mystérieuses, des sortes de courants invisibles qui permettent une préhension des êtres et des choses bien plus limpide et profonde que partout ailleurs, dans la vie normale. Laissez-moi vous conter une petite anecdote qui est devenue pour nous une sorte de mythe familial...
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Un jour de printemps, il y a plus d'une dizaine d’années maintenant, j'étais à Venise avec les plus grands de mes enfants. Il faisait très doux et les glycines embaumaient dans toute la ville. La nôtre était particulièrement plantureuse. Mon fils qui n'avait pas dix ans, jouait sur l'herbe avec des petits soldats. Il n'était plus parmi nous, mais quelque part sur une île lointaine prise d'assaut par la barbaresque. La garnison vénitienne y défendait avec peine l'oriflamme de Saint Marc, attendant avec espoir les galions qui devaient venir à leur secours. Des échos de Lépante et de Morée emplissaient le jardin. Il faisait doux. J'étais assis sur la terrasse, contemplant mon petit bonhomme plein d'imagination. Les concertos brandebourgeois accompagnaient nos deux rêveries.
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Soudain un petit oiseau a surgi au milieu des branches fleuries de la glycine. Son ventre brillait d'un joli jaune pâle et le reste de son corps était d'un gris-bleu très distingué. on eut dit qu'il portait une redingote de satin. Sa tête blanche s'ornait d'un bleu sombre qui tirait presque noir au-dessus des yeux. Il n'y avait aucun doute, il s'agissait d'une petite mésange bleue. Présence plutôt inattendue à Venise où elles viennent rarement. Elle semblait vouloir rester là, pour se chauffer au soleil et profiter du merveilleux parfum au milieu de cette débauche de couleurs. Mon fils la regarda. Elle s'immobilisa un instant, tournant la tête dans tous les sens comme un petit clown, puis soudain elle se mit à chanter. Son chant se fit de plus en plus fort, mais jamais criard. Comme l'enfant, cette petite présence jaune et bleue au milieu de toutes ces fleurs parme, m'enchantait. Et là, un de ces miracles dont Venise a le secret s'opéra devant nous : Le chant de l'oiseau et la musique de Bach devinrent une seule et même mélopée. Magique. L'oiseau dont le plumage se gonflait et se dégonflait, exprimait avec le même rythme, dans l'exacte tonalité, les notes qui jaillissaient des hauts-parleurs. Bouche bée je cherchais à déterminer si ce que j'entendais était bien réel ou le fruit de mon imagination quand l'enfant exulta : "papa, papa, l'oiseau chante comme dans le disque !" 
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Lorsque la musique s'arrêta, la petite mésange se tut à son tour, tournant de nouveau sa jolie tête dans tous les sens puis, visiblement satisfaite de l'effet produit, elle s'envola et disparut derrière les arbres. J'ai su bien plus tard qu'il n'était pas rare autrefois de trouver dans les maisons vénitiennes des passereaux que l'on dressait à chanter les airs à la mode. Ils accompagnaient ainsi les musiciens pour le plus grand bonheur des invités. Cela surprenait à chaque fois les étrangers. C'est ainsi que l'empereur de Chine et le Sultan ottoman n'étant jamais parvenus à faire accomplir ce prodige par leurs dresseurs, se firent construire par dépit de petits automates dont un ingénieux mécanisme parvenait à reproduire le chant des oiseaux. Notre petite mésange avait peut-être traversé le temps pour retrouver la glycine parfumée de notre petit jardin de Dorsoduro...   .
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A Venise, je vous l'assure, on ne sait jamais où se termine la réalité et où commence le rêve...

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24 février 2013

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE 35 ) : Vacances à Venise de David Lean

 


Vous connaissez certainement Summertime - Summer Madness en Grande-Bretagne, ce film célèbre (sorti en France sous le titre "Vacances à Venise"), tourné en 1955 par David Lean, avec la fabuleuse Katharine Hepburn. J'ai connu par une vieille dame qui habitait derrière San Rocco, bien des secrets du tournage, ou plutôt des tas d'anecdotes. Elle avait été engagée comme figurante avec beaucoup d'autres vénitiens familiers, depuis longtemps habitués à la venue d'équipes de cinéastes. Un passionnant catalogue de tout ce qui a été tourné à Venise depuis les débuts du cinéma jusqu'à sa publication, dans les années 80, rédigé sous la direction du sympathique Roberto Ellero, avait d'ailleurs pris comme illustration pour la jaquette de sa couverture, une photo du cinéaste en plein tournage au-dessus de la Piazza. Ce fut aussi l'affiche de l'exposition Venezia, Città del Cinema que nous avions présenté en 1986 aux bordelais qui fit l'évènement avec un vernissage façon Hollywood (TraMeZziniMag reviendra sur cette manifestation qui avait affolé toute la ville et perturbé la circulation pendant plusieurs heures).
 

Pour ceux qui ne connaitraient pas le film : l'héroïne, Jane Hudson est une femme entre deux âges, célibataire, elle est secrétaire dans une école primaire, à Akron, dans l'Ohio,  quelque part dans un coin des États-Unis. elle profite des vacances scolaires pour découvrir Venise dont elle rêvait depuis toujours. C'est particulièrement excitée par ce qu'elle va découvrir qu'elle débarque à Santa Lucia. Comme toujours l'actrice déborde de vivacité et dès les premières images, elle donne le ton du film, exposant son enthousiasme presque puéril, son appétit et sa curiosité, mais aussi ses frustrations de (presque) vieille fille. Venise, c'est l'Italie et l'Italie pour une américaine célibataire, c'est le pays de l'amour. 
 

Logée à la Pensione Fiorini,  une maison patricienne transformée par sa propriétaire (jouée par la grande actrice italienne Isa Miranda qui eut une brillante carrière, jouant avec Max Ophüls et René Clément entre autres) en auberge, qui ressemble beaucoup à la Pensione Accademia, elle y fait la connaissance d'américains de tous types : artistes bohèmes, couple de gros bourgeois venant de la même région qu'elle avant de croiser le chemin d'un jeune garçon qui va lui servir de cicerone, puis d'un bel italien séducteur, joué par Rossano Brazzi, marchand d'art de son état du côté de San Barnaba, dans la petite boutique qui existe toujours contre le pont à gauche de l'église, quand on vient du ponte dei Pugni (c'est en fait l'échoppe d'un doreur-brocanteur où on trouve encore parfois de vrais trésors). Le coup de foudre va être instantané. Le film aurait pu sombrer dans la mièvrerie sirupeuse de certaines comédies romantiques américaines, mais le génie de David Lean, la fusion qui s'est opérée peu à peu entre le cinéaste et la ville de Venise qui l'a tellement fasciné qu'il partagea sa vie par la suite entre les rives de la lagune et l'Angleterre. 
 

L'histoire n'est pas si simple. Jane est amoureuse et conquise. Dîner aux chandelles, promenades, fleurs et le baiser enfin... Hélas, le bel antiquaire est marié et un quiproquo au sujet d'une coupe en verre de Murano ancienne vue en plusieurs copies par notre américaine, font éclater le rêve. Le cœur brisé, déçue, anéantie, elle décide de repartir. Mais la réconciliation n'est pas loin. Il y a une explication : oui l'homme est toujours marié - et père de famille - mais il vit séparé depuis des années et il est libre. L’Italie très catholique de ces années-là ne vivait pas le divorce comme une simple formalité. Il la presse de rester, elle préfère rentrer avec ses beaux souvenirs. L'ultime scène suggère un retour possible, un jour et les retrouvailles des deux amants.
 

Le tournage ne se fit pas sans problèmes. Du côté vénitien tout d'abord. Si des équipes débarquaient déjà souvent à cette époque, elles évitaient l'été, pleine saison touristique. La municipalité cria haut et fort, suivie par les gondoliers qui craignaient de ne pas pouvoir travailler à leur aise. Les producteurs réglèrent le problème en faisant un don assez conséquent pour la restauration de la basilique. Tous les obstacles administratifs se levèrent en un clin d’œil... Ce fut ensuite avec la vedette que le cinéaste eut des problèmes. Grande star, son contrat prévoyait des doublures pour toutes les scènes particulières et Katharine Hepburn refusait de tomber elle-même dans l'eau du canal de San Barnaba, qu'elle trouvait à juste titre vraiment ragoûtante. David Lean y fit verser des litres de désinfectant. Cela décida l'actrice. Il y eut plusieurs reprises de la scène. A chaque fois, la vedette devait tomber dans l'eau, se sécher, se changer et recommencer... La dernière prise fut la bonne. Tout le monde était très satisfait. Hélas, il fallu quelques jours plus tard l'intervention d'un médecin... Katharine Hepburn avait une très rare variété de conjonctivite qu'elle ne put jamais soigner et qui la pénalisa jusqu'à la fin de sa vie, (sale) souvenir de Venise...
 
 

 


Venise, une fois encore, joue un vrai rôle dans le film. Ses ruelles et ses campi, mais aussi sa vie quotidienne, les marchés, les terrasses de café (on y voit longuement le Café Chioggia, et le Florian, tel qu'ils étaient du temps où Hemingway croisait Jean-Paul Sartre, Visconti ou Vittorio de Sica), mais plus encore sa lumière, les jeux de reflets et de nuances qui sont une bénédiction pour les (bons) cinéastes. Après tout, ce n'est pas pour rien que Venise est à l'origine du plus ancien festival du cinéma du monde ! 
 

Ci-dessous, la Bande-Annonce originale du film :

23 février 2013

Les canaux de Venise...


"Les canaux de Venise sont noirs comme l'encre; c'est l'encre de Jean-Jacques, de Chateaubriand, de Barrès, de Proust; y tremper sa plume est plus qu'un devoir de français, un devoir tout court."   
Paul Morand

09 février 2013

Belles marquises...

Jolies vénitiennes croisées pendant le carnaval 2013

Promenade dans la Venise de Canaletto au Musée Maillol


A défaut de pouvoir être à Venise, j'étais mercredi dernier à Paris, au Musée Maillol où est présentée jusqu'au 10 février une exposition de peintures du peintre vénitien. Impossible de ne pas en avoir entendu parler tellement la publicité pour l'évènement est omniprésente à Paris, sur les parois des bus, dans le métro, dans les journaux. On voit des affiches partout. C'est qu'il s'agit bien d'un évènement d'envergure, en dépit de quelques détracteurs qui n'en ont pas eu pour leur faim. Pourtant. Non seulement le musée a réuni, avec l'aide le la Sovrintendenza des Musées vénitiens, des toiles éparpillées dans le monde entier, mais offre aussi aux amateurs la possibilité de voir, et presque de toucher, le fameux carnet dans lequel Canaletto dessinait à l'aide de sa camera oscura que l'on peut admirer dans une vitrine et dont une réplique a été construite que le visiteur peut utiliser, pour mieux comprendre la méthode du peintre vénitien. 
Maillol est un musée charmant. Si le sbire qui contrôle l'accès aurait davantage sa place à la sécurité d'un supermarché de banlieue, les gardiens sont avenants et le reste du personnel toujours tout sourire. C'est sûrement difficile parfois, comme le matin où je suis allé voir l'exposition. Vingt minutes avant mon arrivée, un groupe d'une cinquantaine de vieillards cacochymes avait investi les lieux. Certainement tous sourds, vu qu'ils avaient branché les audiophones mis à leur disposition au maximum, et on se serait cru dans une monstrueuse ruche, les salles résonnaient d'un bourdonnement permanent insupportable. Les augustes visiteurs parlaient forts pour la plupart - toujours les aléas de la surdité, attendaient attroupés devant les toiles que le commentaire enregistré se termine et ainsi agglutinés, il était quasiment impossible de rien voir. Pris soudain d'une heureuse impulsion, j'ai arpenté les salles (deux au rez-de-chaussée et le reste à l'étage) à l'inverse du parcours prévu par l’audio-guidage. Le reste du troupeau qui n'avait pas d'engin collé à l'oreille suivait sagement une charmante jeune guide. Il n'y avait quasiment personne à l'étage. Autant l'agacement provoqué par le club du Troisième âge, très chic cela étant, m'avait tout d'abord incité à quitter les lieux pour me réfugier avec le catalogue dans le premier café venu, autant le calme et le silence des salles du haut me rasséréna. J'étais quasiment seul, entouré par des merveilles. Un vrai bonheur car cette exposition, je vous l'assure contient des merveilles dont on peut s'approcher jusqu'à se sentir au milieu des scènes dépeintes par l'artiste. Parmi les grands formats on peut admirer (de près) le superbe tableau qui montre la Scala dei Giganti du palazzo ducale. Délicieusement plein de vie, avec tout un tas de personnages qui tous semblent prêt à nous apostropher et à sortir de la toile. Peint dans les années 1755, ce tableau fait partie de la collection du duc de Northumberland comme d'autres tout aussi beaux. Je ne l'avais jamais vu en vrai. 
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A plusieurs reprises, à Venise, dans les musées, mais aussi dans certains palais et une mémorable fois en Angleterre, il m'a été donné de voir de près les peintures de Canaletto. Mais là, dans ces petites salles intimes, c'était une révélation et une grande joie. La salle ou trône cette vue de la cour du palais des doges, des hauts-parleurs diffusaient en sourdine de la musique de Vivaldi. Des airs connus comme certains mouvements des quatre saisons, mais aussi quelques pièces moins faciles, notamment des airs religieux chantés par une délicieuse voix blanche. Une autre salle présente le travail de graveur du maître. On y voit les dessins préparatoires joliment encadrés, puis les épreuves. Quelques eaux-fortes au format de grande carte postale font comprendre le rôle joué par le travail de Canaletto à une époque où sauf à savoir dessiner, on ne pouvait pas ramener de son séjour à Venise de photographies ni de cartes postales. Ces eaux-fortes sont incroyables de prévision, les détails sont charmants et tout parait tellement vivant. Enfin, pour parfaire la présentation du travail, plusieurs cadres présentent le même sujet, du dessin à la peinture en passant par différentes gravures du même paysage. 
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Guardi est présent ainsi que le père de Canaletto, Bernardo Canal dont on peut admirer au rez-de-chaussée une superbe toile géante représentant le Grand Canal du côté du Rialto. Comme plus tard chez le fils, la toile est remplie de personnages qui ont leur vie propre et s'animent sous nos yeux comme autant de témoins de cette époque où, décadente déjà, Venise n'en restait pas moins la capitale d'un pays prospère à la démographie galopante.

Peu à peu les nobles et sourds vieillards sont arrivés... Les plus valides arrivèrent à la suite de la guide, les autres surgirent de l'ascenseur. Soufflants et pouffants, ils se sont affalés sur les banquettes installées le long des parois. Le son des audiophones annonça leur venue dès l'escalier. Certains, plus attentifs, ont remarqué la décoration - des poteaux de bois et des planches grossièrement blanchies à l'eau pour rappeler les pali de la lagune et les débarcadères mouillés par les eaux. Les salles se sont remplies en un instant d'un vacarme de cour de récréation. J'en ai profité pour redescendre. Le rez-de-chaussée avait retrouvé le silence qui sied aux musées. Les deux choses qui m'intéressaient le plus semblaient libérées de cette horde très ressemblante à celles qui envahit chaque jour par flots interrompus (sauf à l'heure des repas !), musées et églises de la Sérénissime  : la fameuse camera oscura reconstituée trônant au milieu d'une salle et mise à disposition du public, non loin de la (présumée) véritable dans sa vitrine et LE fameux carnet. 

Un écran horizontal installé sur le même meuble que le précieux recueil de la Marciana, permet d'en feuilleter virtuellement, page après page, les 76 feuillets. C'est émouvant, charmant, sublime, passionnant, fascinant... Pardonnez cette emphase, mais autant de chefs-d’œuvres devant les yeux et soudain la contemplation des croquis qui en sont l'origine, avec les annotations de l'artiste quant aux couleurs et aux détails à ne pas oublier, revient à être projeté dans la Venise du XVIIIe siècle, parmi ses habitants. C'est comme humer le même air qu'ils respirèrent, entendre avec eux les cloches des églises qui se répondent, participer au brouhaha qui anime les places et les rues que Canaletto nous montre. En regardant l'outil que l'artiste utilisa, cette belle boîte de bois vernis, avec le couvercle en buis tourné et patiné par le temps que le maître a vissé et revissé à chacun de ses déplacements, on ne peut qu'être joyeusement ému. C'est toute la Venise authentique qui est là sur les cimaises du Musée Maillol et qu'on peut approcher de tellement près. Le rapport aux œuvres se fait intime, comme rarement dans un musée.
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Le catalogue publié par Gallimard m'a paru en revanche assez décevant. Il coûte 39 euros, de format italien et regorge d'illustrations et de détails, mais la couleur des tirages est épouvantable. Les clichés ne sont pas toujours très clairs et aucun des détails qui apparaissent avec une incroyable netteté à l’œil nu quand on se tient devant les peintures n'a été reproduit. 

Le petit ouvrage toujours chez Gallimard, publié par Annalisa Scarpa, commissaire de l'exposition, dans la collection Octavius , "Venise au temps de Canaletto", outre l'élégance de sa mise en page, est d'une meilleure qualité. Ce petit album sans prétention est largement moins cher. Il présente sous forme d'itinéraire, la plupart des points de vue, campi, palais, églises, monuments, d'une ville quasiment inchangée qui aujourd'hui encore conserve tout le charme du XVIIIe siècle qui charme le visiteur sensible. Je renvoie aussi les amateurs à l'excellent ouvrage de J.G. Links paru en 1994 chez Phaidon. Bien qu'un peu vieilli, il reste à ce jour l'un des ouvrages les mieux documentés sur le peintre.

  
Si vous le pouvez, courrez-y ! Vous ne serez pas déçus et privilégiez une visite matutinale ou réservez en donnant le nom d'un maharadjah ou d'un émir pour que l'on interdise les salles en votre présence! Toutes les informations sur l'excellentissime site, Venise1.com : ICI

03 février 2013

Habiter à Venise : l'odyssée des logements sociaux


La Fondamenta Coletti à San Girolamo, dans un coin retiré de Cannaregio est un endroit pittoresque fréquenté quasiment uniquement de vénitiens. Au bout du quai, une île a été aménagée il y a une quarantaine d'années, la Sacca San Girolamo, vaste ensemble résidentiel qui abrite de nombreux logements sociaux face à la lagune. La Fondamenta Carlo Coletti doit son nom à une institution religieuse qui y était installée jusque dans les années 2000. D'imposants bâtiments accueillirent de nombreux élèves. Puis peu à peu, les religieux ne pouvant faire face aux nécessaires travaux d'entretien, les immeubles se dégradèrent, jusqu'à l'abandon et la fermeture de l'institution. 

Étudiant, j'ai habité quelques mois dans ce quartier, sur cette fondamenta justement, au numéro 2993. Mes fenêtres donnaient sur l'un des terrains de sport de l'institution fréquenté par tous les enfants du voisinage qui venaient y jouer au football. Déjà à l'époque on parlait de construire à cet endroit des logements sociaux qui faisaient cruellement défaut. C'était cette triste période où l’État avait décidé de libéraliser les loyers, jetant à la rue des centaines de vénitiens, appelés les sfrattati (i sfratai en vénitien) Dans le cadre du programme électoral de son équipe, le maire Orsoni a promis la construction de plusieurs milliers de logements sociaux, histoire de revitaliser l'habitat dans le centre historique, ou pour être plus précis afin d'en juguler la désertification. Même à Disneyland, il faut bien loger le personnel... Hélas, si des chantiers ont bien été ouverts, aucun n'est encore parvenu à son terme. Une première tranche de constructions avait déjà été prévue par la municipalité Costa. Plusieurs milliards avaient même été débloqués pour ce faire. Sans suite à ce jour. Toujours le mystère des marchés publics italiens.

Le projet Coletti est intéressant. Il s'agit de réaliser des logements sociaux qui seront destinés en priorité aux jeunes ménages et à ceux qui travaillent dans le centre historique. Prendre en compte, enfin, les gens qui vivent et travaillent à Venise. Ambitieux, ce projet l'est quand il veut contribuer au "repeuplement" d'une zone laissée en friche depuis la disparition des établissements de formation qui occupèrent les lieux pendant de nombreuses années (Algarotti, Zuccante, Fermi). Ambitieux aussi l'objectif décidé par les intervenants : réaliser, d'ici 2015, soixante-dix appartements dits de "social housing" financés par un apport de 13 millions d'euros (dont 6 millions environ avancés par la municipalité et le reste par les Œuvres Pia Coletti, structure communale). Le protocole permettant de lancer l'opération a été signé Ca’Farsetti il y a quelques semaines, permettant de démarrer l'appel d'offres. 
"Ce projet, explique Bruno Filippini, l'assesseur en charge de l'habitat, veut répondre aux exigences des vénitiens, et avant tout aux demandes des jeunes couples et des travailleurs du centre historique. Outre l'opération d'habitat social, le projet prévoit la réalisation d'une zone verte sur l'emplacement d'un vaste terrain vague au milieu de l'ex-Coletti." Comme l'a expliqué Paolo Stocco, le président des Ouvres Pia Coletti, qui milite depuis des années pour la restructuration de ces locaux abandonnés , "les appartements auront une superficie allant de 45 à 100 m²".

Le lancement du chantier Colettti a également le mérite de rappeler les autres projets de logement sociaux. A cet égard, l'assesseur Filipini a fait le point sur le chantier Conterie Murano (36 logements), sur l'ancien hôpital Umberto Ier de Cannaregio (40 maisons individuelles), la poursuite du projet Piruea au Lido (38 logements) et celui de la via Mattuglie à Asseggiano (72 logements). "Dans le cadre de la décentralisation domaniale (piano sul federalismo demaniale) a ajouté Filippini, l'ancienne caserne Sanguinetti, à San Pietro di Castello et les locaux de l'ancienne École de Mécanique à Celestia seront bientôt mis à la disposition de la commune." Le site de Scalera à la Giudecca, quant à lui devrait être achevé dans les délais prévus en dépit des difficultés du constructeur traduit aujourd'hui devant les tribunaux. La municipalité insiste sur sa détermination a défendre les intérêts de ses administrés devant les retards, les exactions et les abus suscités par le projet. Pourtant sur les 6.400 logements sociaux promis par la ville depuis dix ans, pas un seul n'est disponible à ce jour. La première tranche qui prévoyait 1.400 appartements avait été votée par la municipalité Costa en 2003, pour un investissement prévisionnel de 116 millions sur six ans qui devait être complété en 2009. Si une partie du programme est en cours de construction, la plus grande partie initialement prévue est bloquée suite à la défaillance des partenaires privés. Les 5.000 autres logements ont été annoncés en 2010 dans le programme électoral du maire actuel, Giorgio Orsoni. Ils sont toujours lettre morte à ce jour...

01 février 2013

Bonne nouvelle, le réverbère revient enfin !

Il aura fallu pas mal de négociations et de pressions pour décider le milliardaire français de rendre aux vénitiens la pointe de la Pointe de la Douane et ranger son éphèbe à la grenouille dans un recoin de ses collections. Le réverbère va revenir. C'est officiel et Tramezzinimag s'en réjouit.
 

Ce n'est pas qu'elle était laide cette sculpture mais sa présence - et celle d'un vigile grognon - à un endroit stratégique de la ville où tout le monde aimait à se promener le soir, avait bousculé les usages. Pour la première fois, un lieu public, le chemin qui longe les anciens magazzini de la douane, était de fait quasiment privatisé ou du moins offert à l'usage d'un milliardaire arrogant. Les vénitiens n'aiment pas qu'on joue avec leurs traditions et ils n'ont jamais vu d'un très bon œil qu'on piétine les usages. Or ces lieux étaient depuis toujours voués à la passeggiata, enfants, couples d'amoureux, artistes, musiciens ou simples riverains, tous aimaient à se promener le soir face au plus beau panorama de toute la lagune. Combien d'amoureux se sont embrassés là, sous la lumière du réverbère ou à l'ombre des colonnes du bâtiment ? Des pêcheurs s'y installaient dans le journée, des vieilles dames venaient y promener leurs chiens et papoter. La nuit, quand la ville endormie se faisait silencieuse, il y avait toujours un noctambule pour venir là avant de regagner son lit.

Vous le savez sans doute, le fameux réverbère avait été enlevé lors des travaux et jamais remis, à la demande du locataire des lieux et de son architecte. A la place, cette sculpture de Charles Ray, haute de 2,47 m qu'on protège des intempéries par une cage de verre blindé. Les vénitiens ravis au début de ce nouvel ornement des lieux l'acceptèrent tant qu'il s'agissait d'une situation provisoire. le temps d'une exposition comme on est habitué désormais d'en voir surgir un peu partout dans la ville au moment de la Biennale... hélas, l'enfant et son crapaud ont pris racine. Et il devenait évident que le provisoire s'installait dans la durée. Et le réverbère ? La ville a d'abord essayé de noyer le poisson en expliquant que la nouvelle esthétique des lieux ramenait les aménagements à l'aspect d'origine... La pilule était trop difficile à avaler. Les vénitiens se rebiffèrent. Pétitions, émissions de radio, manifestations. On parla même dans certaines arrières-boutiques de faire subir à l’œuvre le même sort que celui que Buonaparte réserva au Bucentaure... Finalement, le bon sens a prévalu. La sculpture s'en va et le réverbère revient. Nous nous en réjouissons. 

Exit les vigiles aussi, du moins espérons-le. Quelle barbe pour deux amoureux qui veulent être un peu tranquilles, la nuit quand la ville se fait silencieuse et que les touristes dorment enfin, si un sbire méfiant et voyeur  tournait autour d'eux, sous la lumière du lampadaire...