06 mai 2017

Matisse photographié par Walter Carone




Henri Matisse dans son lit qui dessine sur un mur... Ces mots ont le rythme d'une comptine. L'image a été prise le 15 avril 1950, quelques années avant la mort du peintre. Alité suite à une paralysie, il dessine dans sa chambre-atelier de l'ancien hôtel Régina, sur la colline de Cimiez, à Nice, les motifs destinés à orner la chapelle de Saint-Paul de Vence comme il l'a promis à son amie Monique Bourgeois qui fut son modèle après avoir été son infirmière, devenue religieuse dominicaine. 

J'avais toujours trouvé ce cliché émouvant, rempli de poésie et de dévotion silencieuse, me demandant depuis toujours si son auteur savait ce qui émanait de cette scène prise sur le vif. L’œil derrière l'objectif, il observe l'artiste surprenant un de ses derniers moments de création. L'âge et la maladie vont bientôt l'abattre. En avaient-il l'intuition chacun d'un côté de l'objectif ? Nous, nous savons et cela rend la scène ainsi immortalisée aussi prégnante qu'une peinture religieuse. La date bien lisible sur le calendrier qui semble tourné a posto pour attirer l’œil, Le profil du peintre pareil aux représentations de saint Pierre ou de Saint Marc, tout confère à donner à cette image une résonance sacrée...

Une vieille amie vénitienne vient de m'offrir cette photographie qu'elle gardait posée sur son bureau, près de la fenêtre. La carte qui accompagnait le cadre portait ces mots du peintre s'adressant à Picasso : "Ce que nous cherchons tous à retrouver en art, c'est le climat de notre première communion !"


Comme une source d'eau vive. Ebauche 1 (extrait)

A la demande de plusieurs lecteurs, voici quelques extraits d'un travail en cours dont de précédents extraits ont déjà été présentés sur TraMeZziniMag. Il s'agit d'un work in progress comme disent nos amis anglo-saxons. Rien encore d'abouti que ces quelques lignes que je vous livre aujourd'hui. Une ébauche...

Relire de vieilles lettres n'est jamais anodin. Celles qu'il retrouva par hasard dans une vieille valise abandonnée sur le haut de son armoire, dans la chambre qu'il occupait autrefois dans la grande maison. Il y revenait assez peu. Rien n'avait vraiment changé. Seules les peintures du couloir et de l'escalier avaient été refaites. Meubles, tableaux, bibelots, tout y rappelait la vie d'avant, quand la famille entière se réunissait l'été autour des grands-parents. A la mort de sa mère, quand il avait fallu vendre l'immeuble où il avait grandi, une grande partie de ses affaires avait été entreposée dans le grenier de La Fontanelle. Il en avait disposé aussi dans sa chambre et les avait ensuite oubliés. La valise contenait des photos, des lettres, des souvenirs de voyage. bribes d'une vie ancienne, perdue, dont le souvenir peu à peu s'efface et que remplace, souvent avantageusement, les évènements du quotidien. Le paquet de lettre qu'il choisit datait du temps où il poursuivait ses études en Italie. Quelques mois avant la mort de sa mère. La plupart étaient de Pierre, son ami d'autrefois, son frère d'âme et de cœur. Pierre avait trouvé la mort dans un accident de voiture quelques années après son mariage. Odile sa veuve lui avait remis les lettres qu'il avait écrites à Pierre, et tout un tas de petits souvenirs de leur amitié. Antoine n'avait jamais vraiment fouillé dans ces vestiges d'une vie d'avant. Il prit une enveloppe timbrée de Venise qu'il avait envoyé, en avril 1981 à Pierre.
Merci, mon Cher Pierre, pour la longue lettre qui m'attendait ici à mon retour. J'avais emporté avec moi tes cartes d'Athènes et j'aurai dû y répondre depuis Bordeaux; mais tu sais dans quel état je traverse les veilles d'examen. Contraignant sans férir ma torpeur, me jetant dans les révisions, j'en ressort toujours envahi du puissant désir de tout lâcher et de dormir. Ta nouvelle lettre posée sur le bureau par ma logeuse rajoute à ma mauvaise conscience. Mais, rassures-toi, c'est toujours un bonheur que de te lire et une joie que de répondre à tes mots.

Tu me demandes si je vais bien. Te répondre par l'affirmative ne te satisferait guère. Tu sais combien ma joie et mon bonheur sont parfois précaires. Moi si arrogant face à la vie, je découvre en grandissant combien tout est fragile et difficile. Mais grâce à ce dieu auquel nous croyons corps et âme toi et moi, la Lumière est toujours là, parfois simple murmure incandescent qui surgit dans une parole, un geste, un parfum, mais le plus souvent éblouissement joyeux pareil à un rire d'enfant. Venise est mon île, mon refuge et je ne réagirai pas aussi vite ni aussi bien ailleurs devant les obstacles, les trahisons ou les échecs.

A propos d'échecs, tu me connais tellement bien que tu a été le seul à me féliciter. Rater ce concours était couru d'avance. je ne voulais pas - plus - en être et intégrer cette fameuse école en septembre aurait signifié ma rupture avec Venise. Avec mes retrouvailles avec moi-même. Aurai-je pu continuer à écrire ? Aurai-je pu retourner là-bas et reprendre la vie d'avant, la même que vivent ces petits soldats bien peignés et en apparence tellement propres sur eux.

Les vingt- deux heures de train m'ont permis de me défaire de toutes les frusques que j'avais revêtu comme un linceul. J'ai revu Sophie, sans trembler ni fléchir. Indifférent. Les autres, mes condisciples, flambaient de plaisir. Moi le préféré des professeurs, celui qu'ils prenaient en exemple, venait de s'étaler lamentablement et l'arrogance qu'ils m'ont toujours prêtée éclairait leur regard. Ils me pensèrent plein de dépit quand je ressentais pour eux de la pitié. Il y a peut-être parmi eux quelques futurs sénateurs, des ministres ou des banquiers. Aucun n'aura ma liberté ni ma joie. Tu le savais toi avec qui, voyage après voyage, a appris à me connaître et qui partage les mêmes refus et aspirent à la même liberté, celle de l'âme.

Donc oui, je vais bien. Retrouver l'air, les senteurs, l'atmosphère d'ici me rédime instantanément. Arrivé hier à la nuit tombée, je me suis couché comme Proust l'a longtemps fait... Assez tôt en tout cas pour pouvoir sortir du lit à l'aube ce matin. Les cours ne reprennent que la semaine prochaine. Pourtant, avant même que de prévenir de mon retour les autres, il me fallait reprendre possession des lieux. En cette saison, l'invasion est déjà drue. américains et japonais sont vite partout dans les rues, sans compter les colonies de gamins boutonneux et braillards en voyage scolaire. Je me suis donc levé dès potron-minet pour profiter du silence de la ville.

La maladie de ma mère, tu le sais, m'oblige à repartir souvent pour être avec elle et soulager mes sœurs. Thérèse surtout qui attend son deuxième enfant. Partir est à chaque fois un déchirement pourtant mon retour est lié à l'amour que je porte à ma mère, à cette idée que nous présents elle peut mieux lutter contre le mal qui la ronge. La mort de notre père a été un cataclysme effroyable pour ce cœur simple et dévoué. Quand je rentre pour elle, je reste plusieurs semaines. heureux de retrouver le luxe et le confort de la grande maison - pour combien de temps encore, hélas ? - je me languis d'arriver et d'entendre René ou Maria venir m'ouvrir la porte. Cette fois, l'examen passé pour ne pas décevoir mes maîtres, faisait de ce voyage une contrainte. Je n'avais qu'une hâte : remonter dans le train. Je ne me suis absenté que dix jours mais cela me parait une éternité.

Mais revenons à ma promenade de retrouvailles. Elle n'a pas été que cela. loin s'en faut et tu vas découvrir pourquoi mon vieux.

Il fait frais encore avant que le soleil ne recouvre la lagune. Le pont de l'Accademia était vide, luisant encore de l'humidité de la nuit, et le grand canal silencieux, quelques lumières se reflétant sur ses eaux. Le ciel semblait encore hésiter entre l'obscurité et le jour. Tout était comme figé. Personne sur le campo du Cagalibri, quelques gens pressés dans les calle et San Marco enfin, luisante, irradiée de son éternelle beauté. Quelques balayeurs sur la place, des pigeons insomniaques et les serveurs du Florian, ceux de Lavena et du Quadri en train de nettoyer leurs terrasses. Croisé deux ou trois noctambules qui se rendaient à leur hôtel ou au Harry's Bar. Par la porte entr'ouverte, l'odeur du café et le bruit des tasses qui s'entrechoquent. De retour à Dorsoduro, la vie semble avoir commencé de reprendre. Devant l'Accademia, le marchand de journaux qui ouvre son kiosque et les gondoliers qui s'apprêtent... Les cafés ouvrent leur porte, des commerçants lèvent les grilles de leurs boutiques, deux religieuses vont vers le vaporetto d'un pas pressé. Plus loin, vers la Salute, je rencontre peu de monde. Quelques barques qui passent. Le ponton de la Bucintoro est trempé, tout comme la terrasse du Cucciolo. Le vieux serveur que je connais bien me salue de la main. Il n'a pas encore passé sa tenue de travail. A la Calcina, un groupe d'allemands sort avec ses valises en attendant le taxi qui les amènera à l'aéroport ou à la gare. Et puis les Gesuati, mon repère. Les marches sont vides. l'église n'ouvrira qu'à 9 heures pour les Laudes. C'est là que nous nous donnons rendez-vous avec Agnès, Rebecca, Violaine, Parviz, Stefano et les autres... Je me suis donc assis pour contempler la vue et "attendre la prochaine impulsion" comme tu dis souvent.

Le vaporetto dont l'arrêt est à vingt mètres de là déversa son lot de gens, des employés, des enfants, des tout en grisaille, quelques tâches plus claires par-ci par là, le caddie jaune et vert d'une dame, le cartable rose d'une petite fille, et comme jaillissant d'un feu de joie deux êtres magnifiques, rayonnants, dont l'aspect irradie et aveugle. J'exagère à peine. Ils venaient vers moi sans m'avoir reconnu au début. Appuyé dans l'angle du mur, la lumière du jour n'éclairait que mes jambes et le bas de mon torse. Ce n'est qu'en arrivant devant les marches de l'église que Nicolas et Laura m'ont vu. Captivé par leur apparition inattendue à cet instant, là, sur les Zattere, je n'avais pas bougé. "Antoine, c'est toi ? Tu es rentré depuis quand ?" Nicolas me frottait vigoureusement la tête avec son poing fermé comme à son habitude et Laura se jeta dans mes bras. Sa peau sentait l'eau de Cologne et les boucles de ses cheveux me chatouillaient délicieusement. j'étais au paradis. Venise d'un coup répondait à ma ferveur par la joie que ces deux-là avaient à me revoir. Des passants surpris par le bruit que nous faisions levèrent un œil vers nous. Rideau.

Bien évidemment, nous sommes allés prendre un café ensemble. Ils allaient travailler aux Beaux-Arts. les ateliers sont plus tranquilles pendant le temps des vacances. Nous nous étions quittés dix jours plus tôt et j'ai eu le temps comme je te l'écrivais dans ma dernière lettre, de penser à tout ce que nous avions vécu ces dernières semaines et ce que cela semblait signifier pour la suite. Tu as raison, je suis profondément amoureux de ces deux êtres lumineux et splendides. Mais ce n'est pas de désir dont il s'agit mais de connivence, d'une parfaite adéquation entre elle, lui et moi. Comme si peu à peu nous nous modelions les uns dans les autres pour ne plus former qu'une seule et même entité, une même âme... Ne te moques pas Mon Vieux Pierre et ne sois pas jaloux non plus. Tu dois absolument venir au plus vite et faire leur connaissance. Tu vas les adorer. Pardon, tu vas réellement beaucoup les aimer, j'en suis convaincu. D'autant que Nicolas voudrait vraiment que nous organisons ce voyage en Grèce. Si tu parvenais à te libérer de l'emprise familiale et pouvais lâcher ta bande de cousins, pourquoi ne partirions-nous pas tous les trois ? Nous devons en reparler mon vieux. Dis-moi vite un OUI franc et massif !

De tout cœur et à toi à jamais,
A.
Se peut-il que nous travestissions ce que nous sommes vraiment dans les mots qu'on assemble pour ceux à qui nous nous adressons ? Est-on toujours honnête et vrai dans nos correspondances ? Le mot lui-même ne signifie-t-il pas que nous jouons ainsi un jeu social pour adapter nos idées, nos désirs, nos réflexions à l'image que les autres se font de nous, pour les complaire dans la construction du personnage qu'ils voient ou qu'ils espèrent. L'idée même de "correspondance" implique de correspondre à une certaine image que se fait de nous-même l'être à qui nous écrivons" écrivait Roger Martin du Gard... Antoine se demandait s'il avait réellement été ce garçon romantique et sensible, aux sentiments pétris d'absolu et totalement voué à une vision spirituelle de l'existence. Était-il vraiment ce jeune homme joyeux, doté d'une foi simple et rayonnante ou bien tout cela n'était-il que travestissement et mensonge. Il avait été heureux depuis toujours et son bonheur irradiait. Sa fortune aussi qui attirait beaucoup de monde parmi les jeunes qu'il fréquentait. Mais combien de nuits il passa à ressasser cet encombrant sentiment d'imposture ? Il ne s'était jamais senti digne d'autant de bonheur, de joie, d'attention. Jamais malade, il se sentait coupable de sa bonne santé devant les malades. délivré de toute contingence matérielle, il souffrait quand il croisait un pauvre. Convaincu de la présence de Dieu à chaque moment de sa vie, il souffrait de sentir le doute et l'angoisse chez les autres. Mais il était faible et ne luttait jamais longtemps contre tout cela. Il aurait pu devenir un saint mais combien de fois il risqua de se perdre et se frotta au diable...

Le Musée Correr expose Roger de Montebello

Exposition Roger de Montebello
"Portraits de Venise et autres portraits"
sous la direction de
Jean Clair

avec la participation de 
Gabriella Belli
directrice des Musées de Venise
 
Musée Correr
du 13 mai au 10 septembre 2017

Preview (sur invitation) 10-11-12 mai pendant la semaine d'ouverture de la Biennale

Une présentation aura lieu 
le jeudi 22 juin à 12h 
à l'occasion d'un dialogue sur la peinture contemporaine 
entre Jean Clair et Gabriella Belli
 au Musée Correr