15 septembre 2017

COUPS DE CŒUR N°53

Les aléas de l'informatique, la chaleur accablante de l'été, les nombreux déplacements ont retardé la publication de ce 53e coups de cœur initialement prévu pour le 25 août. Que nos lecteurs veuillent bien nous excuser pour ce contretemps. Au passage, s'il y a parmi les lecteurs de l'ancien TraMeZziniMag des gens qui auraient eu l'idée géniale d'enregistrer sur leur disque dur des numéros précédents de cette rubrique (entre 2005 et le fatidique mois de juillet 2015), nous serions ravis de pouvoir en obtenir copie afin de les ajoutes aux archives du nouveau blog comme cela nous est souvent demandé.  

François Lerbret
Le Labyrinthe et le rêve
Venise, Rome
Le Temps qu'il fait.
2017. 96p.
TraMeZziniMag voit ses antennes se dresser dès qu'un titre apparait se référant à Venise. Lorsqu'un ouvrage vient au monde par la volonté d'un éditeur que nous apprécions particulièrement et dont la ligne éditoriale correspond tout à fait à ce que nous aimons lire, dont jamais aucun livre ne nous a déplu (le catalogue ICI et que le soin apporté à la mise en page, à l'impression, à la ouverture comme c'est le cas des éditions Le Temps qu'il fait, que dirige avec maestria Georges Monti, nous ne pouvons que le mettre en avant et tenter de contribuer avec nos faibles moyens, à sa promotion. Le premier livre de François Lerbret, professeur de lettres classiques à Lyon est de ceux-là et si j'avais le bonheur et l'opportunité de faire renaître la présence du livre français à Venise, il occuperait le centre de la vitrine. Musicien de jazz et amoureux de l'Italie. On imagine le bonheur de l'avoir pour enseignant si du moins les lycéens ont encore un peu de jugeote. Son livre ? Il évoque tout ce que avec Lo Spirito del Viaggiatore, nous défendons depuis la création du site. Mais de quoi s'agit-il ? Laissons l'auteur s'expliquer : «Il ne s’agira pas ici de figer telle ou telle vision pittoresque par l’écriture ni même de proposer un itinéraire inédit à un éventuel voyageur, mais plutôt de suggérer ce que l’on a cru voir circuler dans une contemplation plus ou moins attentive. C’est ce résidu visuel qui fait de l’impression confuse une certitude poétique que le lecteur pourra peut-être glaner çà et là. Et puisque la culture classique (histoire, mythes, langues) tend à s’effilocher au point de devenir imprécise à beaucoup, puisque l’on voit à notre époque les explosifs ou l’abandon venir à bout de Palmyre, Hatra, Pompéi ou Leptis Magna, il m’a paru important de perpétuer d’une manière ou d’une autre la polysémie de lieux familiers dont la précarité m’était précieuse.»Avec ce livre, qui devrait être considéré comme un indispensable pour le voyageur - n'employons plus le mot touriste qui, à Venise en particulier, a pris un sens péjoratif voire vulgaire que Stendhal n'aurait pu imaginer. Il s'agit au fil des pages de faire émerger une "sensation poétique plutôt que de plagier la réalité, cette manière de confronter l’immuable et le renaissant en cherchant à vivre le déplacement comme une traversée du temps". TraMeZziniMag ne pouvait pas ne pas recommander ce bel ouvrage qui s'avère bien plus qu'une contribution àl’ordinaire littérature de voyage mais l"a version personnelle d’un thème déjà beaucoup joué, une narration rêvée «contredisant la chronologie fougueuse du monde» La quatrième de couverture en dit long, mais les deux premières lignes de l'avant-propos déjà parlèrent à mon cœur : "Il y a aujourd'hui autant d'intérêt à écrire sur Rome et Venise que d'ajouter un mot de trop à une phrase trop longue." Mais l'auteur en rajoute pour m'atteindre dans le mille : "J'espérais que le déplacement dans l'espace fût également un voyage dans le temps et, ici ou ailleurs, cette impression ne m'a jamais quitté"... Voilà donc un ouvrage qui s'inscrit totalement dans notre vision du Voyage en général et de Venise en particulier. Tout le livre est ainsi un bonheur, l'auteur nous invite à contempler ce qu'il contemple et nous offre la clé de ce ressenti que nous pensons être les seuls à percevoir, ce sentiment surprenant d'une proximité immédiate avec la ville, "intimité immédiate et inconditionnelle" qui permet aux âmes les plus pures de découvrir les portails magiques comme celui par lequel Hugo Pratt fait s"échapper de l'histoire Corto Maltese  à la fin de Fables de Venise. François Lerbret connait bien l'alchimie qui nous rend Venise indispensable. Et quand il nous amène à Rome, le charme, loin de se diluer ou se rompre, s'intensifie et nous le suivons au fil des mots, tenus en haleine par la poésie de ses phrases et la sincérité de son amour pour ces lieux. En le lisant, j'entendais dans ma tête cet air magnifique d'Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel pour violon et piano. Faites l'expérience lisez le beau petit ouvrage de François Lerbret en écoutant cette musique et la magie opèrera, et comme moi vous aurez envie sur le champ de remercier l'auteur et son éditeur pour ce joli cadeau...

Bernard Mandon
Belleville tropical
L'Harmattan. 2017
C'est un quiproquo qui a mené ce livre jusqu'à la rédaction. Un bar à vin parisien bruyant comme le sont hélas trop souvent ce genre d'établissements, quelques verres d'un délicieux nectar et le discours enthousiaste d'un type à la table voisine m'ont amené à lire un roman policier que je n'aurai jamais ouvert si je n'avais pas entendu la vénitienne quand il s'agissait en réalité de la vietnamienne... Parmi les services de presse, il y a tant d'ouvrages qu'on ne parvient pas à lire. Pour TraMeZziniMag, la tâche est relativement simplifiée. Nous ne parlons en général que de ce qui a trait à Venise en langue française, parfois en italien ou en anglais. Mais là, cherchant le moment où apparaitrait cette fameuse vénitienne, votre serviteur s'est pris aux mots et le rythme très cinématographique du roman, le caractère des personnages principaux, l'énigme en elle-même, tout fonctionne tellement bien que, non seulement on prend un plaisir fou à suivre le héros, policier banal dans un Paris méconnu, mais on y rentre vraiment. Tout se passe à Paris, dans le quartier de Belleville. Plusieurs agressions de femmes asiatiques se produisent. Des tensions inhabituelles et des manifestations de la communauté asiatique inquiètent les pouvoirs publics. Au départ, le cadavre d'une jeune Vietnamienne déposé sur un trottoir au milieu des poubelles... Assassinée. Brochard et ses collègues de la PJ sur le pied de guerre, l'enquête peut débuter. Différentes communautés se croisent, s'affrontent, le racisme n'est pas loin et la mort rôde. Ce livre offre une vision sociale de la réalité à travers des personnages souvent dépassés par les péripéties auxquelles ils sont confrontés. Classique mais cela fonctionne du début à la fin. Un excellent roman policier. La dernière page terminée, il m'a semblé intéressant de faire profiter les lecteurs de TraMeZziniMag de cette sympathique découverte.

Las Hermanas Caronni 
Baguala de la siesta
Label CD. 2017
Navega Mundos
Les Grands Fleuves / L'Autre Distribution, 2015
Une révélation au sens le plus sacré du terme. Deux sœurs, deux voix, une clarinette, un violoncelle. Une merveille que ces disques le premier paru en 2011 et réédité cette année. et le second sorti en 2015. Laura et Gianna, deux jumelles, nées en Argentine, le pays du tango, ont accosté sur les rivages européens dans les années 90 et la magie de leur musique ne fait que grandir.  sont deux musiciennes qui jouent ensemble depuis toujours et qui ont développé un répertoire musical très original qu'elles ont glané aux quatre coins du monde et ça swingue. Pourtant leur jeu comme les morceaux interprétés  respirent leur formation classique et la mayonnaise prend parfaitement. Les deux sœurs sont des passionnées, elles chantent les poètes qui leur sont chers : Rainer Maria Rilke, Gabriel Garcia Marques… Et on entend au loin leur affinité première et toujours présente avec la musique classique. Leurs voix se mêlent au son des instruments avec la magie de la langue espagnole tellement appropriée pour ce genre de musique. De belles émotions avec ces deux CD dont ion ne se lasse pas. Écoutez et vous serez vous aussi sous le charme !

David Hockney, 
82 portraits et une nature morte
exposition du 24 juin au 22 octobre 2017
Ca'Pesaro, Galleria d'Arte Moderno
Tous les jours sauf le lundi, de 10 à 18 heures.
Depuis juin, on peut voir à Venise, dans les salles du musée d'art moderne de la Ca'Pesaro, une série de peintures du célèbre artiste britannique, la première exposition de cette envergure jamais organisée dans un musée italien. Inaugurée sans tambour ni trompette, voilà une mostra à ne louper sous aucun prétexte. Parce qu'il s'agit d’œuvres originales de David Hockney, parce que ses peintures ne sont pas visibles partout et qu'il s'agit d'une série de portraits réalisés toujours de la même manière par le peintre. Même fauteuil, même décor réduit au maximum et même délais de trois jours pour la pose. Plus qu'une série de portraits, cette présentation s'avère être un catalogue de l'univers privé de l'artiste, mais aussi une taxonomie des types humains, réflexion sur la peinture en tant que medium de première importance. L'exposition est tout cela en même temps. Incroyable Unicum d’œuvres qui présente un extraordinaire intérêt artistique,  clin d’œil à la Biennale voisine. C'est aussi une magnifique leçon de peinture où comment peindre un fauteuil bridge , toujours le  même sur lequel Hockney fait s'asseoir pour trois jours de pose, ni plus ni moins, des amis, des connaissances, des personnes avec qui il travaille. On y voit Larry Gagosian, le galeriste de Los Angeles, le grand artiste américain John BaldessariLord Jacob Rothschild, Barry Humphries... La muséographie particulièrement soignée et colorée pour s'associer aux couleurs des tableaux présentés, les formats, le parcours, tout concourt à faire de cette exposition un des évènements artistiques de l'année en Europe. Tout cela est dû au talent de la curatrice Edith Devaney (elle-même portraiturée par Hockney). Un atelier-laboratoire permet aux visiteurs de réaliser leur autoportrait à la manière du peintre à l'aide d'une série de modèles, papier et feutres fournis. Catalogue de l'exposition édité par Skira. La genèse de l'exposition expliquée ICI