02 décembre 2018

Carnevale 1729, un concert à Venise est un émission présentée par Donna Leon, diffusée par ARTE le 18 novembre dernier  et qui est disponible sur le site de la chaîne jusqu'au 24 mai 2019. L'occasion pour Tramezzinimag de proposer à ses lecteurs une promenade dans la Venise de cette année 1729...

Un jour de février 1729 à Venise. 
Alvise III, troisième du nom et sixième issu de la famille Mocenigo, ancien chef de guerre, est doge depuis sept ans. Son règne est paisible et  pacifique. La République est en déclin, l'économie n'est pas très florissante mais elle demeure un lieu admiré, un état craint et respecté. Buonaparte et la révolution française n'ont pas encore été inventés ! Le doge fait paver la Piazza, rénove de nombreux bâtiments. On lui doit la piazzetta qui garde encore l'aspect qu'elle avait dès sa réorganisation en 1722 avec les deux superbes lions de marbre rouge de Cotanello réalisés par Bonazza, que Mocenigo offrit - payé de ses deniers - à la Sérénissime. 

C'est le début de la soirée. Un jeune homme de belle apparence sort du Sturion. La taverne est déjà pleine de monde. Des commerçants et des artisans pour la plupart. C'est l'une des osterie le plus à la mode de la ville, à deux pas du Rialto. L'une des plus anciennes aussi. Le jeune homme se nomme Ludovico Ughi. Il est heureux. Le Sénat vient de lui octroyer une somme rondelette pour son plan détaillé de la ville, qu'il a présenté le matin même au Palais. Venise est resplendissante. C'est le temps du carnaval, et la République s'apprête à sortir ses plus beaux atours. La Ruga di Ca Vidal est presque vide. Ughi devise joyeusement avec son ami Alvise Valvasense. Ils se connaissent depuis l'enfance. C'est grâce à lui que Ludovico a pu faire imprimer sa carte à San Giuliano, chez le plus grand graveur de la République, Giuseppe Baroni, fondateur et administrateur de la Guilde des graveurs. Le maître a accepté d'imprimer le plan dans des délais incroyables et ce matin, ils étaient tous chez le doge qui les félicita et passa commande. Joie et fortune pour Ludovico qui vient de fêter la commande avec plusieurs pichets de vin de Malvoisie. L'atmosphère est joyeuse aussi dans les rues avoisinantes. Carnaval s'immisce déjà dans les esprits, il délie les pensées les plus moroses et allègent les esprits chagrins. Pendant plusieurs semaines, les masques vont se répandre partout. Bien que tout soit en train de vaciller et que bientôt le vieux monde s'écroulera, personne encore ici ne s'en préoccupe... 


Au diable la montée des prix et les taxes qui flamboient, on ne pense qu'aux spectacles qui vont se succéder pendant les prochains mois, jusqu'au début de l'été. Le programme en cette année 1729 est impressionnant. Grandes fêtes, concerts et surtout des opéras. Ils ne seront pas moins de sept cette année. Du jamais vu et que des grands noms. Metastase en a écrit plusieurs dont des inédits et c'est la star du moment, le jeune et tonitruant Farinelli qui en sera la vedette. Le castrat déjà célèbre restera plusieurs semaines à Venise. La saison lyrique promet d'être exceptionnelle avec notamment la création de sept opéras et les débuts du célèbre castrat Farinelli. Pour fêter sa commande, Ludovico a prévu de se rendre au théâtre Grimani, à San Giovanni Crisostomo, qui deviendra plus tard le Malibran. Les jeunes gens discutent gaiment en chemin. Les filles et les garçons sont beaux, quelques masques les abordent, les rues embaument déjà. Au détour de la rue qui mène au campiello où il vit, Ludovico croise un groupe de gens pressés, il est soudain entouré d'une douce odeur, un mélange délicat de rose et de muguet. Un petit groupe de gens élégants et masqué bavarde devant l'entrée de la Corte del Leone Bianco, sorte d'antichambre all'aperto de l'auberge la plus courue de Venise, Il Leone Bianco, aménagé depuis des années Ca'da Mosto. Parmi eux, un jeune homme, assez grand et très distingué. Il émane de lui une odeur de violette musquée. A côté de lui se tient, petit et grassouillet, Adalberto, le régisseur du théâtre qui sert aussi de chambellan et de guide auprès des artistes invités. Il connait bien Ludovico et son ami  Alvise. Depuis l'école. Il fait les présentations. 
 
Portrait de Farinelli
Le jeune monsieur distingué n'est autre que Carlo Broschi dit Il Faranelli, la vedette du moment ; à peine âgé de 24 ans, le chanteur dont tout le monde parle et qui fait se pâmer les dames comme les messieurs dans toute l'Italie, du royaume de Naples aux Etats pontificaux, de Toscane au Comté de Nice, est sans aucune équivoque, le meilleur chanteur de son époque ; celui dont tout le monde parle. 

Il est là, en face de Ludovico et de ses amis. D'abord interdits, les jeunes gens se plient rapidement en deux, dans un salut comique que n'aurait pas désavoué Arlequin. Farinelli est très aimable. Il semble ne voir aucune moquerie dans cette attitude et répond aux salutations par une courbette aussi profonde. Tous éclatent de rire en même temps. La glace est rompue. Le chanteur partait souper chez son protecteur à Venise.  Qu'à cela ne tienne, tout le monde est invité à suivre le célèbre castrat. Et le lendemain, tous se retrouvèrent pour assister à la première de l'opéra Catone in Utica sur un livret de Métastase et une musique du compositeur Leonardo Leo ( diminituf de Lionardo Oronzo Salvatore de Leo ) dans lequel Carlo Broschi interprète Arbace. Ludovico et Farinelli resteront amis tout au long de leur vie. Il y a quelque part dans le monde un exemplaire du plan de Ludovico Ughi, dont le titre exact est "Iconografica Rappresentazione della Inclita Città di Venezia Consacrata al Reggio Serenissimo Dominio Veneto", qui porte le nom de Carlo Broschi detto Il Farinelli écrit en forme de dédicace par l'auteur Ludovico Ughi. Cette carte, assez rare à trouver, se négocie aujourd'hui - en dépit de l'écroulement du marché des antiquités et des livres et papiers anciens, jamais moins de 1.500 euros. Gageons que l'exemplaire ayant appartenu à Farinelli, s'il existe encore, vaudrait 100 fois plus ! Mais ne nous arrêtons pas à ce genre de considérations bassement matérielles !


Carnevale 1729, un concert à Venise.
Dans l'écrin du très rococo palazzo Zenobio, longtemps collège arménien, Dans un concert privé donné au palais Zenobio, la mezzo-soprano Ann Hallenberg, accompagnée par l’orchestre Il Pomo d’Oro, dirigé par Zefira Valova, interprète les plus grands succès lyriques de cette année éblouissante. Au début du XVIIIe siècle, le carnaval de Venise rayonne bien au-delà de la lagune. Dissimulés derrière des masques, les Vénitiens et des voyageurs venus de toute l'Europe festoient, dansent, écoutent de la musique. La saison 1729 est exceptionnelle avec notamment la création de sept opéras et les débuts du célèbre castrat Farinelli. Une page d'histoire mémorable racontée aussi, entre deux pauses d'archets, par la romancière Donna Leon, qui a fait de la cité des Doges le cadre de ses enquêtes policières. 
Pour visionner la vidéo sur ARTE : c'est ICI.