05 mai 2006

Le spritz

Quand le beau temps revient et que les terrasses de nouveau fleurissent le long des fondamenta, quand les jupes des femmes se font plus courtes et que les garçons remontent leurs manches, la veste sur l'épaule, il redevient agréable de prendre le temps. Siroter un spritz (prononcez toutes les lettres) au bar de l'horloge, au pied de la maison du vainqueur de Lépante, à Sta Maria Formosa, au Margaret Duchamp de Sta Margherita, au Florian ou au bar de l'Arsenal, près de san Martino, debout parmi les autres clients ou assis à une table sous le soleil de mai, le journal devant soi, c'est boire l'âme de venise. C'est communier au quotidien immuable des vénitiens. Alors, il est naturel que de retour chez soi on souhaite, nostalgie oblige, retrouver les sensations qui ont fait palpiter notre petit coeur émotionné par temps de volupté. En voici donc la recette. Tout est dans le dosage et dans les ingrédients, pas toujours faciles à se procurer de par chez nous.
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Tout d'abord il faut savoir qu'il existe quatre variétés de Spritz : au Select (Select Pilla), à l'Aperol, au Bitter (avec du Campari) et enfin avec du Cynar (liqueur à base d'artichaut très à la mode dans les années 50). Le barman ne manque jamais de vous demander votre préférence. Pour ma part, je le prend toujours à l'Aperol. C'est un apéritif né à Vérone en 1919, fait à base de rhubarbe, de gentiane et d'oranges amères. Comme les vénitiens, ma préférence va au Select
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La recette :Dans un verre, mettre deux doigts de vin blanc sec ou de prosecco, un doigt de l'apéritif choisi (Select, Aperol, Campari, ou Cynar), remplir le verre d'eau minerale gazeuse. Une rondelle de citron ou d'orange, une olive sur une pique, parfois un glaçon quand il fait très chaud, et la magie est entre vos mains prête à illuminer votre gosier. Quand vous vous en préparerez un, fermez les yeux en le buvant. Vous retrouverez en un instant toutes les sensations qui furent les vôtres quand vous étiez à Venise : les bruits, les odeurs, la lumière... A la bonne vôtre!tabilité : rien ne va plus

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5 commentaires:

Lili a dit…
Voila un sujet d'actualité en ce dimanche matin.... l'heure de l'apéritif approchant....
J'ai découvert le spritz avec un ami vénitien dans un bacaro de Canareggio, debout au comptoir en dégustant quelques cichetti..Hmmmm... J'ai adoré.... Mais une autre fois,on ne m'a rien demandé et celui qu'on m'a servi était beaucoup trop amer à mon goût! Je ne suis pas spécialiste en la matière, alors si je veux un spritz "dolce"....que dois-je acheter, du Campari, de l'Apérol???? Merci Lorenzo et salute...
Guillaume a dit…
caro Lorenzo... lascia che io brinda con te alla primavera.. (io lo prendo al select di solito)
Anonyme a dit…
J'ai trouvé APEROL chez MONOPRIX et NICOLAS!!! SPRITZ TIME!!!
Lorenzo a dit…
Bravo, voilà une bonne nouvelle pour les amateurs de spritz. A Bordeaux, le restaurant italo-newyorkais "Le Vanzetti" rue des Lauriers a mis le spritz à sa carte. fait avec de l'Americano, il n'est pas mauvais ! Avis aux amateurs.

colibri a dit…
Bonjour Lorenzo, je me suis permis de faire un lien vers votre blog pour la recette du spritz, dans un billet que je publie demain, je tenais à vous en informer, par courtoisie. Si vous désirez que je retire le lien, pas de problème !

03 mai 2006

Quelques mots de Bernard Delvaille



Le message de Claude Chambard qui réagissait à la disparition de Bernard Delvaille m'a donné l'envie de me replonger dans les écrits de ce bordelais amoureux de Venise, mais surtout des voyages et des rencontres qu'on y fait qui toutes nous transforment et nous construisent. J'ai retrouvé dans un de mes carnets une phrase notée il y a quelques années et extraite de son journal (La Table Ronde) :
"Venise, ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un visage, le parapet des ponts, se donnant l'illusion de suspendre le temps..."
Et puis cet extrait de "Le plaisir solitaire" (Editions Ubacs - 1989) :
"J'aimerais vivre dans les ports verts et silencieux de Carpaccio, où le ciel et la mer ne font qu'un, et où les pavillons flottent à peine au vent humide et chaud de l'Adriatique. Mais ce n'est pas Venise, c'est un paysage de l'âme. Il y a aussi la forêt toute proche, et une petite chapelle au sommet d'un rocher. Et les embarcadères de corail et de soleil couchant de Claude Lorrain !"
Et enfin, cette phrase qui orne plusieurs de mes carnets et qui inaugure toujours mes agendas de La Pléiade :
"Je ne recherche dans la vie que le plaisir de chaque instant, je ne consens à vivre qu'à condition d'être heureux. Mon bonheur ne tient qu'à moi..."

posted by lorenzo at 21:47

02 mai 2006

L'agneau de Pâques


L'agneau de Pâques, que l'on sert avec de la polenta ou des pommes de terre au four le plus réputé de Venise est celui vendu par le boucher 
de Santa Margherita.
 
© Photo Claire Normand - avril 2006 - Tous Droits Réservés 


posted by lorenzo at 12:48

Ils sont tous là !

Curieuse impression ce soir, en pénétrant dans les salles vides de la Querini Stampalia. L’odeur des livres, le silence que perturbe le bruit de mes pas sur le plancher ciré, tout me ramène vers mon passé et soudain, les grandes pièces de cette bibliothèque où j’ai si souvent travaillé la nuit se peuplent des personnages qui ont accompagné ma jeunesse vénitienne..

Ils sont tous là, ces êtres brillants qui me fascinaient quand, jeune étudiant, j’étais reçu au Palais Clari ou chez le Duc Decazes : la vieille Comtesse Marcello avec sa béquille et ses cheveux blancs poudrés, Liselotte Höhs, Regina Reznik, Arbit Blatas, Hundertwasser, Santomaso, le Comte Targhetta d’Audiffret, le jeune Marquis Ivancich Biaggini que nous appelions tous Bobo, Silvana Scarpa, Matteo Lo Greco, Manfred Manera, Francesco Rappazzini, les patrons du Cherubin, ceux du Do Draghi et Antonio le serveur, Stefano et Betti, Parvis et Bijan, mes amis persans, Federico Biasin et Federico Allegri, l’avocat Salvadori, l’architecte Michel Regnault de la Mothe, Alvise Zorzi, Jacopo Foscari et sa grand-mère… Tant d'autres encore... 

Vieux, décatis, ou encore dans la force de l’âge, disparus ou bien vivants, ils ressurgissent après tant d’années comme des fantômes, témoins de ma vie ici, quand j’étais le jeune homme bien élevé et très beau que tout le monde invitait… Me revoilà, père de famille, le visage marqué, les cheveux blanchis par des années de soucis, d’erreurs, de mauvais choix ou de non choix. Que me disent-ils en réapparaissant ainsi ? Que j’ai eu tort ? Que ma vraie place est ici parmi eux ou bien que j’ai bien fait de m’éloigner et de ne garder de mon passé que les belles et bonnes choses ?
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Ils me confirment surtout combien cette vie vénitienne a été riche et formatrice, combien j'y ai reçu. Mes années d'apprentissage ont à jamais le goût de l'air un peu salé qu'on respire à Venise. Ce sont mes enfants aujourd'hui qui, écouteurs à l'oreille, avec une musique différente, partent la nuit, déambuler dans les ruelles de notre ville. Leur joie d'être ici est la parfaite justification de mes choix. Si j'étais resté, ils n'existeraient pas. Ils valent mieux que tous mes rêves d'autrefois...
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J’ai terriblement mal aux pieds. Venise me fait souffrir d’une manière triviale ce soir ! Mais quelle joie ineffable. J’ai marché dans les rues toute la nuit, refaisant les trajets qui me portaient les nuits d’autrefois vers ma liberté de jeune homme, vers les découvertes et les triomphes de ma jeunesse… Ce lyrisme fera sourire. Douce nostalgie qui me reporte trente ans en arrière ou presque. Une vie. En passant devant des portes que j’ai bien souvent franchi la nuit, le soir, la journée, je retrouvais à chaque fois un peu de cette jeunesse, avec ses aspirations, ses désirs et ses rêves. En rentrant me coucher, l’air du magnificat de Vivaldi que j’écoutais toujours en marchant la nuit, résonnait clairement dans ma tête et je me suis couché avec la sensation d’avoir de nouveau vingt ans… Qui comprendra cette sensation merveilleuse ?
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Lorsque j’habitais calle de l’Aseo, à l’entrée du ghetto, je partais souvent la nuit après dîner à la recherche de l’inspiration ou sous le prétexte d’échapper à mes doutes, à mes frayeurs. Je marchais ainsi pendant des heures puis je rentrais, heureux, exténué et en me jetant sur mon lit, je ressentais une joie indescriptible qui pourrait sembler ridicule, avant de sombrer dans un profond sommeil. Mes pas me portaient tout d’abord vers San Alvise. Je remontais ensuite vers les Fondamente Nuove, puis j’arrivais à San Zanipolo, l’Arsenal, les jardins de la Biennale, San Elena, San pietro, puis le retour par les Schiavoni, San Marco, San Moïsé, Santo Stefano, l’Accademia, San Gregorio, la Salute et la Punta della Dogana, les Zattere, la gare maritime, Santa Margherita, San Pantalon, les jardins Papadopoli, la gare, la lista di Spagna et par la Fondamenta di Cannareggio, le ghetto nuovo, et le retour à la maison… Une promenade de plusieurs kilomètres dont je ne ressentais alors que très rarement la fatigue…
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Écrit le 21/04/2006
posted by lorenzo at 07:58

01 mai 2006

Clin d’œil à Lili, lectrice

Chaque fois que je reviens à Venise, je trouve ma ville plus belle, mille trésors nouveaux m'apparaissent que j'avais perdu l'habitude de voir et cela me rend très heureux...
Carlo Goldoni
posted by Lorenzo at 22:59

Le peintre, par Henri de Régnier

Je sonne une dernière fois, et je lâche le cordon qui pend le long de la porte. J'écoute le carillon de la clochette qui retentit dans le vestibule sonore et dans tout l'appartement vide. Maintenant je suis certain qu'il ne viendra pas m'ouvrir, comme il le fait d'ordinaire, le pouce au trou de sa palette qui ressemble à une mosaïque fondue, tandis que, de l'autre main, il boutonne son gilet. Je n'ai plus qu'à descendre l'escalier sans même demander au concierge où est son locataire, car il me répondrait que "Monsieur est en voyage".

Il a, sans doute, établi son chevalet au coin de quelque calle ou sur les marches de quelque pont, à moins que dans sa gondole presque immobile, à l'ombre d'un mur de palais, il n'en dessine le reflet dans l'eau. Parfois d'autres gondoles frôlent la sienne et la balancent doucement. De grosses péottes pansues passent, chargées de légumes, de fruits, de planches, de plâtre ... Un homme rame seul debout dans un sandolo et tourne la tête pour regarder cet original qui écrase sur le papier son fusain, – qui grésille comme un moustique.

Personne, mieux que lui, n'a peint Venise. Ne lui en demandez pas les aspects célèbres : il ne vous montrera ni le Palais ducal, ni les Procuraties, ni Saint-Marc, ni la Salute, ni le Rialto, mais il saura choisir pour vous émouvoir l'angle d'un petit campo désert, un vieux mur qui découvre à marée basse des coquilles marines incrustées parmi de fines algues, une cour avec un puits où des guenilles sèchent à des ficelles, la Venise secrète et singulière dont le charme fétide et délicieux ne s'oublie plus quand on l'a, une fois, ressenti.

C'est celle-là qu'il a peinte, mais dont il ne parle jamais. Les mois et les mois qu'il y a passés ont-ils donc disparu de son souvenir ? Jamais il ne prononce le nom de la ville quand nous sommes ensemble, quoique nous pensions l'un et l'autre à elle. Nulle part elle n'est plus présente que dans cet atelier. Elle est dans ces toiles retournées et que j'imagine à ma guise, tout en regardant dans une vitrine quelqu'une de ces fioles transparentes rapportées de là-bas et qui semblent toujours contenir de l'eau de la lagune, tandis que, sur le parquet, se roule un chat qui porte au cou un de ces colliers en boules de verre coloré qu'on fabrique à Murano, – un chat trapu, rond et baroque, qui a l'air de ces animaux un peu diaboliques dont Carpaccio animait ses compositions et dont il ornait ses terrains semés de fleurettes délicates, sous les pas de ses San Giorgio et de ses Santa Orsala.


Henri de Régnier
"Esquisses vénitiennes"- 1905.

posted by lorenzo at 22:41

28 avril 2006

Le départ d'un poète




 
Un grand amoureux de la Sérénissime est mort le 18 avril, à Venise. Il avait 75 ans. C'était l'un des meilleurs spécialistes de la poésie française. Longtemps directeur de la collection "poètes d'aujourd'hui" aux Éditions Seghers, ce bordelais a publié de très beaux livres. Né dans un port, il aimait voyager. Bernard Delvaille a su très bien parler de Venise, une de ses destinations favorites: "ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un visage, le parapet des ponts, se donnant l'illusion de suspendre le temps..." Nombre de ses écrits ont accompagné mon adolescence et mes errements d'apprenti-écrivain. Il m'a donné le goût de l'édition et du voyage. Comme lui, l'Angleterre, l'Italie mais aussi le Danemark sont mes terres d'élection.
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© Photo inédite de Claire Normand - Avril 2006. Tous Droits Réservés
 

posted by lorenzo at 19:12

26 avril 2006

Même si carpe diem ne suffit pas...



C'est enfin le printemps donc. Partout les bars ont sorti leurs tables et quel bonheur, le soir, quand le soleil est couché, de boire un verre au bord d'un canal. Pour ce matou de Dorsoduro, c'est vraiment le bonheur !

posted by lorenzo at 23:50

Mamma, li turisti !

Enzo Pedrocco avec cette photo lance une polémique : pour lui les touristes en s'appropriant Venise, la dénature. Sartory répond que les touristes venant des villes envahies et polluées par les voitures sont ravis de se vautrer à même le sol comme d'autres s'assoient dans l'herbe des prés quand ils arrivent à la campagne. Voici une adaptation du texte de Pedrocco. Quel est votre avis, amis lecteurs ?
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La mentalité hédoniste du vacancier de base sous-entend, presque toujours comme un automatisme, qu'après de longs mois de travail, de soucis et de stress, le repos bien mérité doit forcément s'accompagner d'un laisser-aller total et par conséquent d'un abandon instantané de tout civisme et de toute éducation. Pour dire les choses autrement, ce comportement dénie soudain tout respect de soi-même, d'autrui et de l'endroit où on se trouve. Peu à peu, on voit ainsi l'individu le plus policé, le plus respectueux, le plus citoyen, se relâcher (ne dit-on pas dans le langage courant "il se lâche, je me lâche, lâchez-vous" ?). Et, l'air de rien, cette attitude comportementale a des conséquences énormes sur l'humanité toute entière. (Vous savez, le battement d'aile d'un papillon à l'autre bout du monde qui serait à l'origine d'un ouragan ic i!). Bref, l'ivresse du vacancier se transforme rapidement en un appétit de bien-être qui pourrait avoir notre sympathie si seulement il ne s'accompagnait pas d'exactions et de destructions...

Prenons l'exemple de la très sympathique petite famille de la photo. Je suis convaincu qu'elle serait la première à s'étonner et regretter un comportement aussi désinvolte, inopportun et absolument déplacé si elle n'était pas atteinte par la griserie de l'ivresse du vacancier : se vautrer ainsi au beau milieu d'un lieu de passage très fréquenté, qui ne ressemble en rien à une pelouse de parc anglais ni à une plage de bord de mer, puisqu'il s'agit de la place située devant la gare Santa Lucia. Mais pour se rendre compte de l'inanité d'un tel comportement, il faudrait ne pas être déjà atteint par l'ivresse du vacancier...
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Sur le même sujet, l'image suivante. Sans commentaire. (photo du même) L'assesseur, Augusto salvadori, a pris des mesures anti-bivouac pour éviter ce genre de spectacle sur la piazza ou sur les Esclavons mais les touristes ne comprennent pas et se plaignent. Je suis presque certain que le même lieu pris en photo une heure après, montrerait les leoncini (la petite place surélevée qui est devant le palais patriarcal, où on déposait autrefois les noyés pour qu'on vienne les reconnaitre) garnis de papiers gras et de bouteilles vides, comme souvent dès que la bonne saison revient... Bien entendu, s'il y avait davantage de lieux adaptés aux touristes peu argentés, des espaces verts avec des bancs et des tables, des toilettes publiques, des corbeilles plus nombreuses et des "stewards" ou des "hôtesses" pour rappeler les usages à tout ce monde, les choses seraient différentes. mais Venise n'est pas Disneyland, ce n'est pas un parc d'attraction, ni un parc tout court, encore moins une réserve. C'est une ville, certes unique et dont la beauté appartient à tous, où des gens vivent, travaillent et doivent se déplacer. Je vous assure qu'on a vite l'impression, quand on vit à Venise, et que le beau temps amène des hordes de visiteurs, que nos rues, nos campi, nos intérieurs aussi, sont autant de cages qui attirent les visiteurs et que d'humains, nous passons à l'état de singes qu'on observe, qu'on photographie... A quand les cacahuètes ? 

On parle d'une charte du visiteur à Venise : comment appréhender la ville, comment se comporter, comment la comprendre et surtout comment ne pas la polluer et mal consommer ce qu'elle a à vous offrir. Les parapluies par exemple. Dans les ruelels étroites, quand un vénitien pressé d’attraper le vaporetto croise un autre vénitien, il n'y a jamais d'accrochages, de baleine dans l’œil. L'homme, ou le plus jeune des passants, lève automatiquement son parapluie, tandis que l'autre le penche sur le côté en le baissant. Ils se croisent ainsi sans ralentir, sans se bousculer. Sans se gêner. Souvent en échangeant un sourire. Prenez au même endroit quelques touristes déguisés dans leur imper sac-plastique-poubelle aux couleurs criardes, vous êtes quasiment certain de vous prendre leur parapluie dans la figure. Le pauvre va hésiter, faire un pas en arrière, un pas en avant. Vous aussi. Et l'embouteillage se profile... Il suffit d'un livreur poussant un chariot et les poils du vénitien se hérisse : "Brutta gente" entend-on souvent murmurer quand ce n'est pas une injure en dialecte. Marcher dans les rues de Venise, cela s'apprend. On peut y flâner sans encombrer l'espace. On peut prendre des photos sans empêcher les livreurs de livrer leur marchandise, les balayeurs de balayer et les passants de passer. 
Heureusement, tous les vénitiens connaissent des raccourcis et des itinéraires-bis. Ceux-là, je ne vous les donnerai pas ! Il y a quelques années, un assesseur très généreux voulait organiser une meilleure répartition du touriste dans la ville... Il était question de mieux répartir les hordes. Comme vous le savez, 98% des visiteurs occupent l'espace, masse par masse, de l'esplanade de la gare avec le pont des Scalzi et la Lista di Spagna, puis on retrouve les agglomérats humains au Rialto, à Saint Marc devant la basilique, la tour de l'horloge et le campanile, la piazzetta, le pont des pailles (celui qui permet de voir le pont de soupirs). Un second agglomérat, moins dense et plus culturel, se retrouve sur le pont de l'Accademia et s'aventure jusqu'à la Salute. quelques autres vont vers les Zattere, mais comme la pointe de la douane est en travaux, ils ne peuvent plus faire le tour mais cela reviendra. Cet assesseur bien intentionné voulait donc créer des terminaux vers l'Arsenal, sur les Zattere, pour mieux répandre la foule. Ce fut un tollé absolu. Car, même en plein été, aux alentours du 15 août, quand 200.000 personnes débarquent chaque jour dans Venise, il y a des dizaines d'endroits paisibles, vides de touristes ( sauf quelques égarés la plupart du temps complétement effarés de se retrouver là). Ces campi tranquilles, ces cortile ensoleillés où dorment des chats bien gras et où jouent les enfants, ces parvis d'églises vides comme dans un village de campagne, ces jardins publics absents des guides sont des lieux merveilleux. Des oasis dans le désert. Je vous en montrerai quelques uns.
A une condition. Ne mangez pas de mauvais sandwiches sur la place Saint Marc ou sur les marches de la Salute, ne rentrez pas dans la basilique San Marco en mâchouillant du chewing-gum, votre canette à la main et le torse nu, ne bousculez pas les vénitiens sur les vaporetti pour mieux voir les palais du grand canal. Achetez vos tramezzini accompagnés d'un verre de vin blanc au bar du coin, prenez votre café debout comme les vénitiens, dehors si vous le souhaitez, pour le pipi, prenez vos précautions à l’hôtel avant de sortir et si vous êtes - comme moi - des grignoteurs, alors regardez sur votre passage, il ya des bars et des pâtisseries partout. Alors, si vous savez vous adapter ainsi, Venise est à vous !
posted by lorenzo at 22:28

23 avril 2006

Une vie ordinaire

En relisant le petit ouvrage d' Henry de Régnier que je cite souvent, je suis tombé sur une phrase qui a marqué toute ma vie vénitienne. Il recommande au visiteur de rester avant tout lui-même à Venise. 

Point trop d'églises ou de musées, si ce n'est pas votre "truc". Avant tout, vivez comme vous le feriez n'importe où ailleurs : "Le point essentiel et le précepte fondamental est de vivre à Venise comme on vivrait partout ailleurs, d'y rester soi-même et de ne pas s'y faire une âme factice. Si vous aimez voir des églises, visitez des églises; si vous aimez voir des tableaux, regardez des tableaux, mais ne vous y croyez pas obligé. Venise n'oblige à rien, pas plus à se grimer en romantique qu'à se déguiser en esthète... Ne posez pas devant vous-même, un pigeon sur chaque bras. Marcher vous plaît ? ne prenez pas de gondole. Ne sacrifiez pas vos aises et vos goûts au souci de la couleur locale. Ne demandez à Venise que votre agrément..."
Car, ce qui rend Venise si attachante, ce qui fascine et attire, ce n'est pas seulement les monuments, les trésors d'art, les vestiges d'un passé grandiose. Non, j'en suis convaincu, c'est l'ordinaire, le quotidien qui nous marque. Car, comme partout ailleurs dans le monde, à Venise, on travaille, on mange, on organise sa vie de chaque jour. les enfants vont à l'école, les parents partent travailler, les vieillards se réchauffent au soleil. Bien que de plus en plus difficile, la vie quotidienne à Venise, à elle seule, est un trésor qu'on veut très vite partager. Se rendre le matin au kiosque du coin pour acheter le journal et parler des résultats sportifs avec le vendeur, prendre son pain chez le boulanger, faire la queue chez le boucher, puis à la poste. Discuter un peu avec la fleuriste sur le campo en regardant les enfants courir après les mouettes. Entendre les cloches de l'église répondre à celles des églises voisines et rentrer chez soi préparer le repas. Les tulipes dans un vase sur la belle nappe bleue, le rayon de soleil qui illumine le pavement de la cuisine, l'odeur des glycines partout dans la ville et bientôt, les cris des enfants qui sortent de l'école... Ailleurs, les cris des barcaroï qui chahutent et plaisantent en livrant leur marchandise au marché, les gondoliers qui sortent du bar entourés de l'odeur du café qu'ils viennent de boire, le livreur de brioches qui s'en va par les calli, le panier sur la tête comme autrefois. Les ouvriers qui poussent leur chariot; les carabiniers, toujours grands, toujours impeccables qui se donnent un air sévère, surtout devant les filles (et devant les vitrines où ils aiment se contempler)... Tout ce monde est le même qu'ailleurs, mais ici il y a quelque chose de plus. La lumière, les odeurs, le décor ? Tout cela à la fois sans doute. C'est Venise au quotidien. C'est la Venise que j'aime. La prochaine fois que vous y allez, humez cet air unique, ouvrez grand vos yeux à Castello, à Dorsoduro comme à Canareggio. Vous verrez, une heure de quotidien ordinaire vous fera plus de bien qu'une nuit de sommeil. Vous reviendrez réjoui, affamé et heureux ! Essayez.
posted by lorenzo at 21:52

Absence avec préméditation

Bobo Ferruzzi
.C'est vrai, je suis parti, sans rien dire, en catimini. Certains d'entre vous s'en sont inquiétés ! Cela fait plaisir de se savoir un tout petit peu utile à mes lecteurs ! J'ai tiré les volets, fermé la porte à double tour et, le chat confié aux voisins, nous avons quitté Bordeaux, son ciel pollué, ses travaux, sa poussière pour des horizons plus purs. Il fallait bien ça. Tant de mois de fatigue amassée, de lassitude, de stress mal digéré et ce teint, grisâtre, comme les nuages bordelais... Bref, je vous ai abandonné une longue semaine. Mais me revoici, reposé, bronzé, de joyeuse humeur (comme les enfants d'ailleurs), plein d'idées et de (nouveaux) textes. Car, sous ma glycine, face à la lagune, j'ai beaucoup travaillé. Je ne dirai pas que c'est avec joie que nous avons repris le chemin de Bordeaux. Il fait si lourd ici. Mais il faut bien reprendre les habitudes et la nécessité de la vie nous ramène toujours vers notre devoir... Encore un petit effort, quelques années de travail encore, et, Dieu voulant, ce sera Venise per sempre (pour toujours). Enfin. 
En attendant, c'est promis, je ne m'en irai plus sans vous prévenir !

posted by lorenzo at 21:40

15 avril 2006

Notizie di Venezia : la décrépitude du pont del Vin, à San Marco

Le Gazzettino de ce matin rappelait au bon souvenir de l’administration l’état lamentable d’un des ponts emblématiques du quartier San Marco. Il y a un peu plus d’un an que les gondoliers de l’embarcadère voisin de San Zaccaria signalaient à l’administration l’état pitoyable du ponte del vin, situé sur la rive des esclavons, au pied du palais Dandolo, l’actuel Hotel Danieli, à deux pas de Saint Marc

Quelque chose a bien été fait pour protéger les splendides chapiteaux endommagées. Un filet tenu par une sorte d’échafaudage prévient la chute des pierres dans l’eau. Aujourd’hui le pont se pressente aux touristes tout de crêpe vêtu, en deuil de sa splendeur. Mais à part cela, rien. La toile peu à peu se désagrège augmentant l’impression de misère du monument... Passage obligé pour qui débarque à Venise entre les jardins de la Biennale et Saint Marc. Et les passagers des navires venus du Tronchetto ou de Punta Sabbioni ne peuvent pas ne pas voir cette triste verrue. Il s’agit pourtant d’un lieu inévitable par où tout le monde passe et qui ne peut être caché aux visiteurs. Gageons que cet article fera bouger les services concernés 

A propos du ponte del Vin, je cherche depuis des années une photographie de ce pont avec des marchands de bonbons et d'eau parfumée, qui au début du siècle arpentaient les Esclavons pour vendre leur marchandise aux visiteurs et aux passants. C'est un magnifique cliché qui a aussi été éditée en carte postale, aux alentours de 1880. Si un de mes lecteurs sait où trouver un exemplaire, qu'il me le fasse savoir.

Voici pour nos lecteurs italiens et les italianisants l’intégralité de l’article :
“Anche un ponte è, per la città, un biglietto da visita importante. Purtroppo non è il caso della situazione che si può constatare al Ponte del Vin, ai piedi di Palazzo Dandolo - vicino all'Hotel Danieli - ovvero a pochi passi dall'area marciana.
E' passato un anno da quando i gondolieri dello stazio, adiacente alla fermata del vaporetto di San Zaccaria, hanno detto all'amministrazione che è necessario intervenire. Qualcosa è stato fatto nel senso che "il ponte è stato fasciato" per evitare che i preziosi capitelli si staccassero e precipitassero in acqua, come è accaduto invece l'anno passato al ponte degli Scalzi.
Qualche anno fa Franco Mazzon, gondoliere, insieme a un suo collega, ha consegnato a una vigilessa una colonnina che si era staccata proprio dal Ponte del Vin ma da allora poco è stato fatto. I mesi passano e a oggi il ponte si presenta con crepe, evidentissime, che lentamente si sgretolano e aumentano a dismisura.
La città si presenta agli occhi dei "foresti" con un ponte che in realtà è un passaggio obbligato per chi sbarca dai lancioni negli approdi dislocati in Riva degli Schiavoni, arrivando dal Tronchetto e da Punta Sabbioni e, vuole raggiungere, in una splendida passeggiata, Piazza San Marco.”
[Traduction de la rédaction : "Un pont, c'est une importante carte de visite pour une ville Malheureusement, ce n'est pas le cas du ponte del Vino situé au pied du Palazzo Dandolo, tout  près de l'Hôtel Danieli, à quelques pas de San Marco.
Voilà près d'un an que les gondoliers de la station de San Zaccaria, ont informé l'administration de la situation du monument. Jusqu'ici la seule intervention a consisté à envelopper le pont a été enveloppé par un échafaudage pour empêcher les précieux chapiteaux qui le soutiennent de tomber dans l'eau, comme cela s'est passé l'an dernier pour le pont des Scalzi.
Il y a quelques années, le gondolier Franco Mazzon avait remis à un policier avec un de ses   collègues,  une colonneune colonne qui s'était détachée du pont. Depuis, rien n'a été fait. Des mois sont passés. Aujourd'hui, le pont présente d'importantes fissures,  Les pierres s'effritent de façon spectaculaire.
Avec ce pont, passage obligé sur le parcours san Marco -Riva degli Schiavoni, la ville offre aux visiteurs débarquant des bateaux en provenance u Tronchetto et de Punta Sabbioni, un bien piètre accueil sur la piazza San Marco".
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11 avril 2006

Séquence

Ce matin, dans les rues, dans les bars, sur les embarcadères de l'ACTV comme sur les vaporetti ou dans les trains de banlieue qui amènent chaque jour, les vénitiens de la terre ferme qui viennent travailler dans le centre historique, on ne voyait presque pas un visage. Partout les journaux étaient déployés comme de grands manifestes. Le résultat incroyable des élections législatives a assommé tout le monde. 
Qui l'emporte, finalement ? Une sensation bizarre, l'Italie coupée de deux. Pas de réjouissances, beaucoup de doutes. Aucun leader ne s'est encore exprimé sur aucune chaîne de télévision ni à la radio... Les commentaires vont bon train et les disputes aussi. Atmosphère électrique comme au bon vieux temps de la DC contre le PCI. Mais là, aucune bonne humeur, pas de joyeuses plaisanteries comme avant. A Venise, la majorité de la population a choisi Romano Prodi et son Union de Centre gauche. A l'échelon régional, c'est plutôt la Maison des Libertés  (!) de Berlusconi qui l'emporte.
Mais le ciel est clair, la journée sera belle. Les mouettes tournent en criant au dessus du marché aux poissons dont les tentures rouges battent au vent. Le traghetto du Rialto transporte les ménagères avec leurs cabas remplis de fruits et de légumes. Le grand canal brille. La vie continue avec ce je ne sais quoi de toujours festif qui fait le quotidien ici et met toutes choses à distance...
posted by lorenzo at 09:45

10 avril 2006

L'image du jour



La belle saison tarde encore à s'installer. Pourtant, la lumière est là, diaphane, chaude et unique. Partout, le printemps attend ; les fleurs dans les arbres, les oiseaux qui chantent et le sourire des gens qui se fait plus allègre... Une légèreté dans l'air. Des senteurs plus chaudes... Venise en avril !


posted by lorenzo at 11:30

Wake Up Italy !

 
pochoir se passant de commentaires,

photographié sur un mur de Venise
© Karin Rikmann

Surprenant : le Gazzettino l'a annoncé ce matin, plus de 70% des électeurs vénitiens se sont déjà rendus aux urnes, dimanche. C'est à Spinea que le taux frise les records : 76% à 20 heures, soit deux heures avant la fermeture des bureaux. Quelle majorité sortira des urnes ? Inutile de dire que l'on ne parle que de ça dans les bars, sur la vaporetto, dans les rues. Le ciel passe du bleu au rose puis du gris au bleu. Comme si lui aussi hésitait. Prodi ou Berlusconi ? Suspense. De toute façon, pour Venise, la question est avant tout : lequel des deux s'occupera enfin correctement, efficacement et définitivement, des problèmes de Venise et de la Vénétie ?

09 avril 2006

Venise ! ô ma jolie

par Léon-Paul Fargue
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...Venise, opéra nautique dont le soleil est le Roi-Ballet. A Venise, il y a trois couchers de soleil par jour. Le soleil a des morts magnifiques. Il est païen, il se couche sur des lits de roses. Nulle part il n'a plus belles funérailles. Tordue de pourpre cariatides brasiers de statues d'or, des monceaux qui fument s'exhale l'odeur immense de Vénus consumée.
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Baisers marqués aux bouches fardées du soir. Bouches éparses, l'air, l'eau, la lumière, tout est bouche. Avec tout on voudrait l'amour, ce toucher de soie du ciel, ces verts écrasés d'argent, les doigts tièdes des brises d'orient, les ailes, la vague, le vent, on ferait l'amour à la mort...
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... Lumières qui courent, un galop d'ombres. Têtes de morts sous des tricornes, crânes féroces d'oiseaux, les barques emplies de spectres de satin volent sur un styx incendié de violes. Don Juan descend aux enfers... Carnaval ! Bernheim frère est en Cardinal, Bernheim jeune en Arétin. L'ancienne Comédie se promène dans les coulisses du canal.
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Ah ! ses jambes fines sous la cloche de taffetas touchent le cœur comme de longs doigts. En vain la vapeur d'une dentelle feint de dérober le lilas de son sein. Ses lèvres ont un goût de tulle illusion. Âpre loup, aux yeux de proie sur ton bec vorace, dévore-moi ! Multiplie tes faux serments par des jeux de glaces, ton vrai masque, celui qui ment le mieux est sous ton masque...
 
Comme elle a bien gémi en ré mineur !
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Mobile Venise où l'amour se voit passer et périr !
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Venise, je t'ai vue glauque aux pierres grises ; couleur de poisson, rouillée de sang séché, verdie d'oxyde ; sous des nuages de plomb tes marbres envahis de pâleur ! Je t'ai vue négresse à chair bleue, corps d'ébène où des lèvres ouvrent leur corail nocturne, je t'ai vue noire lamée d'argent comme le gondolier de la mort.
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Venise de vert jade et d'abricot glacé
Venise rouge et topaze brûlée
Venise de résine et de poix
Venise de bitume broyé de roses
Venise aux fièvres noires et au climat d'argent
Venise couleur d'espace.
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Miroir fuyant où tournent des délires d'ombres lacérées, tes chambres pantomimes, les objets de l'insomnie les yeux grands ouverts comme des yeux qu'on a oublié de fermer, et tant d'âme dans ces chambres amassée, la lyre immense des corps ravis, les mille morts de l'amour, ah quelles démences se frappent aux pilastres ! insaisissable suite de fantômes, vaine splendeur du ciel sans moissons, tes voix sur l'eau, tes soupirs, ton lourd sanglot, brisante Venise, l'âme n'est plus qu'un cri, on s'épuise à ta beauté !




Écrit sur le yacht de la Princesse de Polignac.
posted by lorenzo at 14:49

07 avril 2006

COUPS DE CŒUR N°4

Harry's Dolci 

Giudecca 774
tel. 041-5208337
De l'autre côté des Zattere, à la Giudecca, se trouve l'un de mes lieux préférés. Les habitués de Venise qui me lisent connaissent certainement le Harry's Dolci. Situé juste après le pont de Sant'Eufemia, à deux pas de l'arrêt du vaporetto, Arrigo Cipriani avait choisi ce lieu pour en faire une sorte de pâtisserie-salon de thé d'où on pourrait contempler Venise depuis les fenêtres. C'est très vite devenu en fait un restaurant dont l'attrait principal - outre une excellente cuisine - est la merveilleuse terrasse. Les tables, dressées sous un velum blanc, avec une pelouse très verte, permettent dès le printemps de déjeuner dehors, aevc cette vue unique sur les Zattere, la pointe de la Douane et au loin, San Marco, avec les paquebots qui passent. Le service est efficace, discret et l'accueil extrêmement courtois. Qui que vous soyez, on vous accueille au Harry's Dolci, comme en face au Harry's : célèbre ou inconnu, le maître d'hôtel et les serveurs vous font la fête. Ce n'est pas jovial, c'est respectueux et courtois. Sans pesanteur. La nourriture servie est du même acabit, légère, raffinée, délicieuse. Le meilleur sandwich club du monde, un risotto primavera extraordinaire, les Filets de Saint Pierre à la Carlina, les pâtes aux écrevisses et aux courgettes. A la carte des desserts, un merveilleux gâteau au chocolat, des sabayons... Les enfants sont reçus comme des princes et, en été, lorsque les parents dégustent leur Bellini, les enfants seront très fiers de boire aussi leur cocktail, la même chose sans alcool, (jus de pêche fraîche et limonade). Les prix sont bien plus raisonnables que chez le grand frère légendaire de San Marco ! Dès les premiers rayons du soleil, il devient prudent de réserver. Si vous ne connaissez pas allez y déjeuner (dîner en été) et vous ne regretterez pas le déplacement.
Deux maisons plus loin, vers les mulini Stucky, se trouve la maison d'Arbit Blatas et de Regina Resnik. Leur nom est sur la sonnette, bien que très âgée, Regina vient encore parfois à Venise. N'hésitez-pas, si vous aimez l'opéra, si vous aimez la peinture, sonnez chez elle, de ma part. Elle vous recevra avec joie et vous parlera de sa longue carrière de diva, de metteur en scène. Elle vous racontera son combat pour la sauvegarde du Ghetto sur lequel elle a réalisé il y a quelques années un superbe documentaire. En rentrant chez vous, vous retrouverez sa voix divine dans Elektra ou dans Carmen.
posted by lorenzo at 23:07

05 avril 2006

Al Cucciolo, un tempo fa...

Quand j'habitais calle Navarro, au dernier étage de cette vieille maison de brique dont les fenêtres ouvraient sur les toits, avec le campanile de Santo Stefano comme décor, notre véritable salon, le lieu de tous nos rendez-vous était à deux pas, sur les Zattere. C'était le Cucciolo, un tout petit bar aujourd'hui disparu mais dont la terrasse existe toujours, devenue le restaurant de l'hotel La Calcina, celui-là même où vivait Ruskin. Le serveur nous connaissait bien et il savait quand notre bourse était pleine ou désespérément vide. Notre unité de compte était le café "macchiato". Bruno, qui devait avoir une cinquantaine d'années, déambulait, bougon et attentif, entre les tables remplies d'étudiants bavards, de vieilles dames pomponnées et de touristes, ceux du moins qui à l'époque s'aventuraient de ce côté des Zattere. Il nous portait les cafés, les toasts (alias croque-monsieur) ou les sandwichs, mais aussi le gianduiotto que nous avions proclamé être le meilleur de tout Venise. 
Au printemps, dès que le soleil se faisait plus ardent, filles et garçons venaient là pour bronzer. On voyait ainsi, à l'heure du déjeuner, des groupes de jeunes vénitiens les yeux fermés, vautrés sur leurs chaises, les pieds sur la rambarde de fer, et un éventail en aluminium devant eux sous le menton. Les filles relevaient leurs jupes, les chemises des garçons s'entrouvraient. Nous nous donnions toujours rendez-vous à cet endroit et comme tous les jeunes de tous les temps, nous refaisions le monde. J'y ai écrit mes premiers articles ( sur une Remington portable), j'y ai révisé mes examens, lu des livres essentiels qui ont compté pour moi. Je revois tous ceux que nous avions l'habitude de croiser sur cette terrasse, de mars à octobre...
Une année, revenu à Venise avec des amis, j'avais rendez-vous au Cucciolo avec quelqu'un qui m'est très cher et que je n'avais pas vu depuis quatre ou cinq ans. J'arrivais en avance. Le soleil de mai se reflétait sur l'eau de la Giudecca. La terrasse était presque vide. Je m'installais au bord de l'eau, comme autrefois. Soudain Bruno est arrivé, avec son grand tablier blanc et, comme s'il m'avait vu la veille, me lança avec la même familiarité que cinq ans plus tôt un "Ciao Lorenzo, un macchiato come di solito ?" ("salut, Laurent, un macchiato comme d'habitude ?)... Je n'étais jamais vraiment parti. J'étais stupéfait. Non seulement qu'il me reconnaisse, mais qu'il se souvienne de mes habitudes. Lorsque mon ami arriva, tout semblait être rentré dans l'ordre : Rien n'avait bougé. Nous étions certes plus âgés, la vie nous avait transformé, mais Venise était là, toujours identique au décor de notre flamboyante jeunesse. Quel réconfort. 
Hélas, à Venise aussi les choses ont une fin et le décor a été repeint. Le Cucciolo n'existe plus. Bruno doit être à la retraite, et c'est chez Nico, aujourd'hui que l'on s'attarde. Les glaces y sont merveilleuses, mais la terrasse est bien moins agréable que celle du Cucciolo, plus spacieuse mais moins tranquille. Très animée - un arrêt du vaporetto est juste à côté et les promeneurs venant de San Marco et de l'Accademia débouchent juste là... 
J'ai passé sur ce ponton de bois, sous les parasols bleus, d'inoubliables heures de farniente formateur. J'apprenais à vivre et à goûter la saveur d'un bonheur tranquille. Une des clés de mon amour pour Venise..
posted by lorenzo at 19:32

04 avril 2006

Le promeneur de Venise Par Mazarine Pingeot, Ida Barbarigo, le 22 décembre 2004.

Au-delà des opinions politiques, des mœurs et des philosophies, l'amour que d'autres portent à Venise, attire la sympathie. François Mitterrand aimait beaucoup la Sérénissime. Il y a passé son avant-dernier Noêl au Palais Balbi-Valier, la demeure de Zoran Music et d'Ida Barbarigo. J'ai découvert ce texte par hasard, envoyé par un ami magistrat italien. Il m'a beaucoup ému. François Mitterrand aimait l'Italie. Il avait bien compris Venise et s'y plaisait. Sa fille, Mazarine Pingeot était avec lui lors de ce dernier séjour. Elle a recueilli le témoignage d'Ida Barbarigo. Voici l'intégralité de ce texte : 

«Ida Barbarigo et Zoran Music sont les plus chers amis vénitiens de François Mitterrand. "Vénitien" n’est pas là un adjectif restrictif, mais qualitatif. François Mitterrand les voyait ailleurs, cela s’entend, à Paris ou à la campagne, mais ils portaient en eux où qu’ils soient, les couleurs, les parfums, l’âme de Venise. Les villes souvent se livrent grâce aux êtres qui les habitent. Et Ida comme Zoran incarnent mieux que quiconque l’esprit, la lumière, l’histoire de Venise. Il faut dire qu’ils sont peintres tous deux, qu’Ida vient d’une grande famille vénitienne, et que son appartement à Venise est un résumé de la ville, de son passé, de sa gloire et de sa mélancolie. C’est donc auprès d’elle que j’ai recueilli tout naturellement le témoignage de la relation intime que François Mitterrand entretenait avec Venise. Le Président François Mitterrand venait souvent à Venise. Il était heureux dès son arrivée, il souriait, tournait le regard autour de lui, à chaque fois surpris et enchanté par l’atmosphère souvent brumeuse et humide de la ville. L’air marin, le silence, le lent écoulement de l’eau dans les canaux ; au lieu de remparts, cette Venise offrait une imposante enfilade de palais bâtis directement sur l’eau. Il connaissait tout, désormais. Il pouvait faire part de son expérience des ruelles, ponts, places, monuments, musées et églises aux personnages que parfois, à cause de sa fonction, il était tenu de rencontrer. Et il en était assez fier. Mais ce qu’il aimait c’était passer des heures dans l’atelier, après avoir marché et visité ses lieux préférés - il prenait ses livres puis, assis sur son fauteuil près des fenêtres qui donnent sur le canal, il se renfermait dans son être. Le matin de bonne heure, il aimait faire une énergique promenade jusqu’à la pointe de la Salute, le long de la "fondamenta" qui longe le canal de la Giudecca. Il s’entretenait volontiers avec les personnes qui le reconnaissaient. D’ailleurs il y avait quelque chose en lui, dans son aspect (il avait un art d’arriver avec douceur et silence, comme une apparition) qui ne pouvait pas manquer d’être remarqué. Tous le regardaient, comme étonnés. Si par chance, parmi les passants il se trouvait des Français, il était au comble de la joie.» C’est avec une grâce et une gentillesse spéciale qu’il se laissait aborder, qu’il prêtait attention à leurs dires. Lorsqu’il s’agissait de petits groupes de jeunes Français, alors il entretenait des longues conversations, et il était parfaitement comblé. Car le Président Mitterrand à Venise devenait encore plus Français que lorsqu’il était à Paris. Loin d’être le "Vénitien" - il était et restait l’image, le condensé de la France. Il était clair qu’il aimait Venise car il en percevait toute la longue histoire, la force d’un État resté intouchable, libre, pendant un millénaire. Puis Venise s’était effondrée. Napoléon aida sa chute, et sa partielle destruction. Dans les églises il y a les monuments, les sépulcres, les statues des condottieri, des Doges. Venise laisse ainsi lire son histoire dans les tableaux, les architectures, les décors qui sont encore partout dans la ville. C’est cette lecture qu’il appréciait si fort. L’histoire des vicissitudes humaines, dans chaque petite parcelle de Venise. Il aimait à entrer dans les nefs solennelles des cathédrales. Il percevait l’enchantement des proportions parfaites des architectures, dans ces énormes espaces où règne l’harmonie, figurations de l’univers inconnu, et il y trouvait la paix, la dignité que la grande beauté peut inspirer.»

03 avril 2006

Itinéraires des Photographes Voyageurs

Pour les bordelais ou pour ceux qui vont venir en avril à Bordeaux, Nathalie Lamire-Fabre, la galeriste de Arrêt sur l'Image, propose à nouveau ce qui est devenu une manifestation très courue et fort appréciée des amateurs de photographies. Ses ITINÉRAIRES DES PHOTOGRAPHES VOYAGEURS revient avec avec le printemps et s'expose dans différents lieux de la ville.

Joli choix encore cette année. Il y a notamment Philippe Guionie, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler, du temps d'Arc-En-Ciel, ma petite société de conseil en communication aujourd'hui disparue (ce fut un beau petit outil qui me permit notamment de faire venir Venise à Bordeaux en 1985). 
Depuis 13 ans, le programme est composé d'expositions singulières : de la photographie humaniste classique à une photographie plus "contemporaine", l'association est animée par une volonté d'éclectisme. Cartier-Bresson, Max Pam, Jean Dieuzaide, Bernard Plossu, Raymond Depardon sont ainsi venus présenter leur travail. 
Comme le précise leur site :"L'association tient également à soutenir des artistes moins connus du grand public, notamment les jeunes artistes aquitains comme Sarah Caron, Christophe Goussard, Polo Garat, Jacques Sierpinski, Philippe Pons ou Stéphane Klein"…

"Un seul critère, la singularité des regards. La fidélité également est mise en exergue par l'association, celle avec nos partenaires (La Mairie de Bordeaux, le Gœthe Institut, l'Institut Cervantès, le consulat de Suisse, la bibliothèque municipale et les musées de Bordeaux, le Mercure Hôtel Bordeaux Château Chartrons, Fip..) et également avec des photographes et des professionnels de la photographie (l'association gens d'images…) qui nous soutiennent depuis plusieurs années.
Depuis 6 ans maintenant, " Itinéraires des photographes voyageurs " s'est associé à la société
Pixels et Grains d'Argent qui propose au public l'ensemble des outils de communication, un cd-rom catalogue de la manifestation, ainsi qu'un site Internet présentant l'intégralité des expositions et depuis cette année plus de 2500 photographies en ligne".


Photographie de © Philippe Guionie,
Amsara, Turquie. Droits Réservés.
posted by lorenzo at 12:40