11 mai 2006

COUPS DE CŒUR N°5

On parle beaucoup des jardins de Venise ces temps-ci. A ce propos, je vous recommande l'excellent petit reportage de Maurice Olivari au journal de 13 heures de TF1 du 9 mai dernier. On y voit Laetizia Querenghi, la grande spécialiste vénitienne des jardins et la charmante Comtesse Barnabo dont le jardin est vu chaque jour par des milliers de passants qui défilent devant ses balustrades, puisqu'il donne sur le Grand Canal (on peut y louer des appartements d'ailleurs). Voici un ouvrage exquis que j'ai toujours plaisir à relire et à offrir.

Frederic Eden
Un Jardin à Venise
Actes Sud
Riche aristocrate anglais, sir Frederic Eden, père du premier ministre de Sa Très Gracieuse Majesté, le célèbre Anthony Eden, s'installe à Venise pour raison de santé. Las d'une vie oisive, il achète en 1884 un jardin sur la Giudecca qu'il entreprend de transformer. Or, jardiner à Venise est presque toujours un cauchemar pour toute personne douée de bon sens : pergolas qui s'enfoncent dans la vase, quasi-impossibilité de planter des arbres, pluviométrie capricieuse, et une lagune quelque peu envahissante... Néanmoins, c'est avec un flegme et une ténacité typiquement anglaise que notre auteur s'emploiera à créer ce jardin devenu mythique, le plus grand de Venise.
Il a, en effet, fasciné de nombreux écrivains et inspiré l'œuvre de la célèbre architecte de jardin, Gertrude Jekyll. L'auteur nous invite ainsi à découvrir mille petits tableaux de la vie vénitienne : construction de pergolas, marcottage des rosiers, forage de puits, création d'une étable et d'une laiterie, fête du Rédempteur, démêlés avec les autochtones et les autorités municipales... Tous les amoureux de Venise ont entendu parler du "giardino Eden". Un jardin à Venise est le récit pittoresque de ce jardin planté par un membre d'Albion, sur une île, au sein de la plus exquise cité du monde. Le peintre Huntervasser y a vécu, des poètes l'ont dépeint. J'ai eu la chance de le visiter il y a longtemps. C'était, en dépit d'un quasi abandon, une merveille. Le reportage de TF1 en montre quelques allées sans le nommer. 
Un peu de musique pour changer.
Il y avait hier à Bordeaux un concert d'orgue (sur celui de Sainte Croix, le Dom Bedos dont je vous ai déjà parlé) et clavecin donné par Céline Frisch. Un régal. Samedi dernier, à l'église Saint Pierre, c'était celui des très jeunes "Musiciens du Chapeau Rouge", (ensemble dédié à la musique ancienne et à la tradition bordelaise qui, comme dans beaucoup de villes aisées, vit naître aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles des ensembles d'amateurs éclairés qui se produisaient dans les jardins ou dans les salons) qui vient de naître et que j'ai eu l'honneur de porter sur les fonds baptismaux en avril dernier avec d'éminents parrains comme Michel Laplénie, le directeur de Sagittarius et Davitt Moroney. Violoncelle baroque et clavecin pour des sonates italiennes de Vivaldi, du Gabrieli , Geminiani : Benoit Babel, au clavecin, et Clémence Prioux, au Violoncelle baroque. Ils ont plein de projets : le Stabat Mater de Pergolese, de Bach et du Telemann, une classe de maître avec Davitt Moroney... Mais je vous en reparlerai.
Antonio Vivaldi, 
les Cantates virtuoses
 Philippe Jaroussky 
et l'ensemble Artaserse
Label Virgin Classic
 C'est un CD qui m'a vraiment surpris. Ému même. Les Cantates virtuoses de Vivaldi interprétées d'une manière incroyablement sensuelle par Philippe Jaroussky, accompagné par l'Ensemble Artaserse, avec Jérémie Papasergio au basson et Emilia Gliozzi au violoncelle. Le chant s'élève et vous tendez l'oreille, ébloui, incrédule, confondu par tant de lumière, de naturel et de grâce. De grâce, oui ! Les cyniques, les désenchantés et autres esprits chagrins ricaneront sans doute. Pourtant le mot n'a jamais été si juste, si pertinent. Certes, il est difficile pour l'auditeur enthousiaste, exalté, de résister aux envolées lyriques : elles offrent une contenance face au mystère d'un timbre, d'une beauté à nulle autre pareille, qui défient le temps et les catégories. C'est incroyable : Philippe Jaroussky chante comme il respire : depuis toujours, sans se poser de questions, avec une aisance et une simplicité désarmantes. Ce don, que d'aucuns gâteraient en cédant aux succès faciles et aux mirages du showbiz, il le met au service de sa passion, généreuse mais réfléchie, pour la musique baroque. En quelques années, son parcours (sans faute), jalonné de chefs-d'oeuvre, denses, exigeants (Messe en si, la trilogie des opéras et les Vêpres à la Vierge de Monteverdi...), mais aussi de découvertes excitantes et de splendeurs inédites (I Strali d'Amore de Cavalli, Il Sedecia de Scarlatti, La Verità in cimento de Vivaldi), augure un avenir brillant et riches en surprises, car ce jeune contre-ténor partage la fièvre des explorateurs, cette capacité d'émerveillement qui animent aussi les musiciens qui l'ont dirigé et guidé : Gérard Lesne, Jean-Claude Malgoire, Gabriel Garrido, Jean Tubéry et Jean-Christophe Spinozi...
posted by lorenzo at 21:07

09 mai 2006

Les Bonnes Adresses Budget de Tramezzinimag


Deux jeunes étudiantes suisses me demandent une adresse de séjour économique à Venise. Il y a bien sur l’Auberge de Jeunesse à la Giudecca mais, si l’accueil demeure sympathique, le bâtiment est excentré. Pleins de petits hôtels existent autour de la gare et les particuliers louent de plus en plus des chambres de leur maison. Je connais deux adresses plus que recommandables.
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La première, qu’un ami américain a testé l’an passé, est tenue par un chinois. Située à Cannaregio, sur la calle Ghetto Novissimo, ce Bed and Breakfast est très propre et bien tenu. La colazione est abondante et appétissante, l’accueil attentionné. Les dortoirs sympathiques. Le tout pour 20 euros la nuit ! Mais c’est petit. N’arrivez-pas à onze heures du soir en espérant trouver un coin disponible. Le quartier est très pittoresque et c'est un régal, le soir, de se promener aux alentours du ghetto, vers San Alvise, sur la Fondamenta San Gerolamo où vous croiserez peu de touristes.
Il y a tout près d'excellents petits restaurants et des bars tout aussi agréables. Par exemple le seul authentique kebab de Venise, tenu par un syrien ou tout l'Orient se retrouve le soir : persans, syriens, libanais, éthiopiens, égyptiens, étudiants en architecture ou en Lettres. A deux pas, inutile de vous parler du Paradiso Perduto, haut lieu des soirées étudiantes, avec sa cheminée qui permet l'hiver de superbes grillades et ses groupes de jazz. J'y ai réchauffé mes os d'étudiant lorsque je vivais dans mon petit taudis du ghetto. Il y avait aussi, à deux pas de chez le chinois une mamma di gatti qui nourrissait une trentaine de chats faméliques. Juste à côté, une rôtisserie proposait le dimanche du poulet rôti au jus avec des frites... C'était notre repas favori quand nous étions fatigués des pâtes, polenta et autres usuels de la cuisine vénitienne. Je me demande si cette boutique existe encore...
Calle Ghetto Nuovissimo, 1451/A
Contact : Francesca (039) 041 71 97 48

.L’autre lieu que j’ai personnellement testé se trouve aussi dans le même quartier de Cannaregio. C’est en plus un lieu assez extraordinaire, chargé d’histoire et de mystères. Il s’agit de la Casa Studentesca Santa Fosca. Cet établissement est géré par la Pastorale Universitaire du Patriarcat de Venise. Au milieu d’un jardin qui mériterait d’être réaménagé (c’est en projet), cette résidence étudiante ouverte toute l’année aux voyageurs, jeunes et moins jeunes, est située sur les ruines de l’ancien couvent de Santa Fosca.
Les restes de l’abbatiale du XIVe siècle sont encore bien visibles. Je recommande les chambres du rez-de-chaussée qui donnent sur le jardin ou sur le canal voisin. Le petit déjeuner est servi dans une grande salle où l’ambiance est très familiale. Lits superposés, lavabo dans les chambres. Confort sommaire mais vraiment économique (entre 17 et 22 euros selon que vous choisissez la chambre double – très petite – ou les dortoirs, et selon votre âge aussi). Si vous êtes plusieurs, entre amis ou en famille c’est une solution très économique car vous pouvez aller et venir quand vous le voulez – sauf aux heures prévues pour le ménage dans la matinée – ce qui est très appréciable.
Un bouquet de fleurs, quelques cartes postales sur le mur et vous êtes chez vous pour trois sous. C’est à deux pas du Rio Terra San Leonardo avec plein d’osterie et de baccari dans els environs. L’idéal pour les jeunes. Il y a même internet à disposition dans le hall ! Quand il fait beau, je vous recommande le jardin derrière la cour, pour y bouquiner ou faire de l'aquarelle. Au milieu des merles et des roitelets, dans l'herbe haute, vous rencontrerez certainement le roi des chats et ses acolytes. mais c'est une autre histoire...
Cannaregio, Fondamenta Canal Sante Fosca 2372
Tel. et Fax (039) 041 71 57 75
E - mail: ostello@santafosca.it
http://www.santafosca.it/

07 mai 2006

Un an déjà !

Voilà, vous n'avez peut-être pas fait attention, mais il y a exactement un an, le 7 mai 2005, naissait TraMeZziniMag qui fête ainsi son premier anniversaire! Il y a exactement un an, jour pour jour, je publiais mon premier "post" sur blogspot. Un peu hésitant, je découvrais l'art et l'usage des blogs. C'est ainsi que vint au monde Tramezzinimag... Un peu fourre-tout au départ, les conseils éclairés de certains lecteurs, blogueurs émérites m'ont aidé à donner peu à peu à ce journal, son sens et sa forme. Plus de 5600 visiteurs m'ont fait à ce jour l'honneur de me lire. Grâce à eux, je m'améliore. Enfin je crois... 

Je ne suis certes pas un grand écrivain, juste un petit plumitif ravi de pouvoir partager son amour pour Venise et qui exprime ses joies et ses colères chaque jour depuis douze mois. Mais je dois avouer qu'un de mes meilleurs moments de la journée, lorsque je quitte mon cabinet, c'est, une tasse de thé fumant sur ma table, Mitsou le chat ronronnant sur mes genoux, je me mets à mon clavier pour écrire et mettre en page mon article quotidien. 

Depuis une quinzaine de jours, j'ai eu un peu de mal à tenir le rythme : beaucoup de travail, quelques soucis, des petites contrariétés et une grande fatigue (l'âge vient, le bougre...). Mais que mes lecteurs ne s'inquiètent pas, j'ai l'intention de sévir encore longtemps pour la gloire de Venise et mon plus grand plaisir. Comme un remède à mon exil !
En tout cas, JOYEUX ANNIVERSAIRE à mes lecteurs et un grand MERCI à tous pour votre soutien (en particulier à ceux qui m'écrivent régulièrement) ! Rendez-vous au Harry's Bar pour un verre de l'amitié. Bellini per tutti ! Chiche !

Grisaille

Pourquoi ce drôle de sentiment ce soir ? Une espèce de dépit, une rage insidieuse. Comme une grande colère. Le temps est orageux ici. Il va pleuvoir. les enfants sont insupportables. Peut-être suis-je trop impatient. Nerveux en tout cas. Le ciel est noir. Il fait si sombre que j'ai dû allumer toutes les lampes. C'est comme si j'entendais la musique que Hans Zimmer a créé pour "Batman Begins", le film de Christopher Nolan sur les débuts de Batman à Gotham... J'enrage de n'être plus vénitien en fait, de supporter la pollution, le bruit, la grisaille de Bordeaux. Pourtant j'aime cette ville, les façades qui blanchissent les unes après les autres, les arbres en fleurs, les oiseaux qui chantent et les rues redevenues propres et agréables, les gens qui se promènent... 

Mais Venise me manque déjà. Le quotidien est lourd. Le tramway tout à l'heure était bourré de lascars sales et bruyants, mal élevés, parlant fort. Hier le Jardin Public débordait des mêmes, vautrés sur les pelouses où ils laissent mille traces de leur passage le soir : bouteilles vides, papiers gras, kleenex ou papier toilette, branches cassées et fleurs arrachées. les barbares sont partout. A Venise aussi me direz-vous, mais quand on veut les oublier, éviter les hordes de veaux déguisés en touristes, il suffit de se perdre dans les dédales et quelques ponts plus loin, on n'entend plus rien que le bruit de nos pas, le chant des oiseaux et le cri des enfants qui jouent dans les cours des maisons, sous le regard des chats endormis sur la margelle d'un puits. Là-bas, même dans un quartier populaire et décati, rien de sordide ne vient vous agresser l’œil. Et si les graffitis et les tags se répandent aussi, ils ne se retrouvent que dans les quartiers du centre. A Bordeaux, les barbares sont partout, autour des Quinconces, sur les marches du Grand Théâtre, sur les quais. Une invasion. et ils saccagent, ils consomment le décor... Saint Michel, hier encore si pittoresque, est devenu un champ de déjections canines arpenté par de jeunes islamistes allumés et agressifs et de babas drogués... Mais bon, voilà, nous en sommes tous là, on ne fait pas toujours et à tout moment ce que l'on veut.. 

Heureusement, il y a des moments de joie et des petits bonheurs même ici, en exil : la messe des artistes ce soir à sainte-Croix, avec le magnifique orgue de Dom Bedos (1750), les voix parfaites du groupe de chanteurs qui anime cette messe mensuelle à la demande des pères dominicains et qui interprétait aujourd'hui une messe de Gabrielli, des motets de Roland de Lassus, le ciel magnifique en sortant et ce matin, mon fils au violoncelle, le chat qui jouait avec le lapin et qui s'arrêtèrent pour l'écouter, l'excellent porc à la napolitaine arrosé d'un Lacrima Cristi rouge 1990 et Nina Simone qui chante divinement "I shall be released" de Bob Dylan. 

Un coup de téléphone à des amis vénitiens m'a remis d'aplomb : Les glycines du jardin sont fanées, il fait beau et l'exposition des œuvres de la collection Pinault au Palais Grassi a beaucoup de succès ; les travaux de rénovation du canal derrière la maison sont terminés ; le questeur s'est plaint du manque d'effectifs dont il dispose alors que les manifestations de prestige attirant des personnalités célèbres sont de plus en plus nombreuses... Une chiaccherata sympathique qui me replonge dans ma vraie vie, la vénitienne. le reste n'est que faux-semblants et trompe-l’œil. En attendant notre prochain séjour. Haut les cœurs ! demain est un jour férié. Au programme : ballade en vélo, cuisine avec les enfants, goûter au salon de thé marocain et cinéma ou lecture dans le jardin. Crosby Still Nash and Young chantent "Our house". Je vais me coucher. Bonne nuit. 

posted by lorenzo at 23:54

05 mai 2006

Le spritz

Quand le beau temps revient et que les terrasses de nouveau fleurissent le long des fondamenta, quand les jupes des femmes se font plus courtes et que les garçons remontent leurs manches, la veste sur l'épaule, il redevient agréable de prendre le temps. Siroter un spritz (prononcez toutes les lettres) au bar de l'horloge, au pied de la maison du vainqueur de Lépante, à Sta Maria Formosa, au Margaret Duchamp de Sta Margherita, au Florian ou au bar de l'Arsenal, près de san Martino, debout parmi les autres clients ou assis à une table sous le soleil de mai, le journal devant soi, c'est boire l'âme de venise. C'est communier au quotidien immuable des vénitiens. Alors, il est naturel que de retour chez soi on souhaite, nostalgie oblige, retrouver les sensations qui ont fait palpiter notre petit coeur émotionné par temps de volupté. En voici donc la recette. Tout est dans le dosage et dans les ingrédients, pas toujours faciles à se procurer de par chez nous.
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Tout d'abord il faut savoir qu'il existe quatre variétés de Spritz : au Select (Select Pilla), à l'Aperol, au Bitter (avec du Campari) et enfin avec du Cynar (liqueur à base d'artichaut très à la mode dans les années 50). Le barman ne manque jamais de vous demander votre préférence. Pour ma part, je le prend toujours à l'Aperol. C'est un apéritif né à Vérone en 1919, fait à base de rhubarbe, de gentiane et d'oranges amères. Comme les vénitiens, ma préférence va au Select
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La recette :Dans un verre, mettre deux doigts de vin blanc sec ou de prosecco, un doigt de l'apéritif choisi (Select, Aperol, Campari, ou Cynar), remplir le verre d'eau minerale gazeuse. Une rondelle de citron ou d'orange, une olive sur une pique, parfois un glaçon quand il fait très chaud, et la magie est entre vos mains prête à illuminer votre gosier. Quand vous vous en préparerez un, fermez les yeux en le buvant. Vous retrouverez en un instant toutes les sensations qui furent les vôtres quand vous étiez à Venise : les bruits, les odeurs, la lumière... A la bonne vôtre!tabilité : rien ne va plus

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5 commentaires:

Lili a dit…
Voila un sujet d'actualité en ce dimanche matin.... l'heure de l'apéritif approchant....
J'ai découvert le spritz avec un ami vénitien dans un bacaro de Canareggio, debout au comptoir en dégustant quelques cichetti..Hmmmm... J'ai adoré.... Mais une autre fois,on ne m'a rien demandé et celui qu'on m'a servi était beaucoup trop amer à mon goût! Je ne suis pas spécialiste en la matière, alors si je veux un spritz "dolce"....que dois-je acheter, du Campari, de l'Apérol???? Merci Lorenzo et salute...
Guillaume a dit…
caro Lorenzo... lascia che io brinda con te alla primavera.. (io lo prendo al select di solito)
Anonyme a dit…
J'ai trouvé APEROL chez MONOPRIX et NICOLAS!!! SPRITZ TIME!!!
Lorenzo a dit…
Bravo, voilà une bonne nouvelle pour les amateurs de spritz. A Bordeaux, le restaurant italo-newyorkais "Le Vanzetti" rue des Lauriers a mis le spritz à sa carte. fait avec de l'Americano, il n'est pas mauvais ! Avis aux amateurs.

colibri a dit…
Bonjour Lorenzo, je me suis permis de faire un lien vers votre blog pour la recette du spritz, dans un billet que je publie demain, je tenais à vous en informer, par courtoisie. Si vous désirez que je retire le lien, pas de problème !

03 mai 2006

Quelques mots de Bernard Delvaille



Le message de Claude Chambard qui réagissait à la disparition de Bernard Delvaille m'a donné l'envie de me replonger dans les écrits de ce bordelais amoureux de Venise, mais surtout des voyages et des rencontres qu'on y fait qui toutes nous transforment et nous construisent. J'ai retrouvé dans un de mes carnets une phrase notée il y a quelques années et extraite de son journal (La Table Ronde) :
"Venise, ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un visage, le parapet des ponts, se donnant l'illusion de suspendre le temps..."
Et puis cet extrait de "Le plaisir solitaire" (Editions Ubacs - 1989) :
"J'aimerais vivre dans les ports verts et silencieux de Carpaccio, où le ciel et la mer ne font qu'un, et où les pavillons flottent à peine au vent humide et chaud de l'Adriatique. Mais ce n'est pas Venise, c'est un paysage de l'âme. Il y a aussi la forêt toute proche, et une petite chapelle au sommet d'un rocher. Et les embarcadères de corail et de soleil couchant de Claude Lorrain !"
Et enfin, cette phrase qui orne plusieurs de mes carnets et qui inaugure toujours mes agendas de La Pléiade :
"Je ne recherche dans la vie que le plaisir de chaque instant, je ne consens à vivre qu'à condition d'être heureux. Mon bonheur ne tient qu'à moi..."

posted by lorenzo at 21:47

02 mai 2006

L'agneau de Pâques


L'agneau de Pâques, que l'on sert avec de la polenta ou des pommes de terre au four le plus réputé de Venise est celui vendu par le boucher 
de Santa Margherita.
 
© Photo Claire Normand - avril 2006 - Tous Droits Réservés 


posted by lorenzo at 12:48

Ils sont tous là !

Curieuse impression ce soir, en pénétrant dans les salles vides de la Querini Stampalia. L’odeur des livres, le silence que perturbe le bruit de mes pas sur le plancher ciré, tout me ramène vers mon passé et soudain, les grandes pièces de cette bibliothèque où j’ai si souvent travaillé la nuit se peuplent des personnages qui ont accompagné ma jeunesse vénitienne..

Ils sont tous là, ces êtres brillants qui me fascinaient quand, jeune étudiant, j’étais reçu au Palais Clari ou chez le Duc Decazes : la vieille Comtesse Marcello avec sa béquille et ses cheveux blancs poudrés, Liselotte Höhs, Regina Reznik, Arbit Blatas, Hundertwasser, Santomaso, le Comte Targhetta d’Audiffret, le jeune Marquis Ivancich Biaggini que nous appelions tous Bobo, Silvana Scarpa, Matteo Lo Greco, Manfred Manera, Francesco Rappazzini, les patrons du Cherubin, ceux du Do Draghi et Antonio le serveur, Stefano et Betti, Parvis et Bijan, mes amis persans, Federico Biasin et Federico Allegri, l’avocat Salvadori, l’architecte Michel Regnault de la Mothe, Alvise Zorzi, Jacopo Foscari et sa grand-mère… Tant d'autres encore... 

Vieux, décatis, ou encore dans la force de l’âge, disparus ou bien vivants, ils ressurgissent après tant d’années comme des fantômes, témoins de ma vie ici, quand j’étais le jeune homme bien élevé et très beau que tout le monde invitait… Me revoilà, père de famille, le visage marqué, les cheveux blanchis par des années de soucis, d’erreurs, de mauvais choix ou de non choix. Que me disent-ils en réapparaissant ainsi ? Que j’ai eu tort ? Que ma vraie place est ici parmi eux ou bien que j’ai bien fait de m’éloigner et de ne garder de mon passé que les belles et bonnes choses ?
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Ils me confirment surtout combien cette vie vénitienne a été riche et formatrice, combien j'y ai reçu. Mes années d'apprentissage ont à jamais le goût de l'air un peu salé qu'on respire à Venise. Ce sont mes enfants aujourd'hui qui, écouteurs à l'oreille, avec une musique différente, partent la nuit, déambuler dans les ruelles de notre ville. Leur joie d'être ici est la parfaite justification de mes choix. Si j'étais resté, ils n'existeraient pas. Ils valent mieux que tous mes rêves d'autrefois...
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J’ai terriblement mal aux pieds. Venise me fait souffrir d’une manière triviale ce soir ! Mais quelle joie ineffable. J’ai marché dans les rues toute la nuit, refaisant les trajets qui me portaient les nuits d’autrefois vers ma liberté de jeune homme, vers les découvertes et les triomphes de ma jeunesse… Ce lyrisme fera sourire. Douce nostalgie qui me reporte trente ans en arrière ou presque. Une vie. En passant devant des portes que j’ai bien souvent franchi la nuit, le soir, la journée, je retrouvais à chaque fois un peu de cette jeunesse, avec ses aspirations, ses désirs et ses rêves. En rentrant me coucher, l’air du magnificat de Vivaldi que j’écoutais toujours en marchant la nuit, résonnait clairement dans ma tête et je me suis couché avec la sensation d’avoir de nouveau vingt ans… Qui comprendra cette sensation merveilleuse ?
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Lorsque j’habitais calle de l’Aseo, à l’entrée du ghetto, je partais souvent la nuit après dîner à la recherche de l’inspiration ou sous le prétexte d’échapper à mes doutes, à mes frayeurs. Je marchais ainsi pendant des heures puis je rentrais, heureux, exténué et en me jetant sur mon lit, je ressentais une joie indescriptible qui pourrait sembler ridicule, avant de sombrer dans un profond sommeil. Mes pas me portaient tout d’abord vers San Alvise. Je remontais ensuite vers les Fondamente Nuove, puis j’arrivais à San Zanipolo, l’Arsenal, les jardins de la Biennale, San Elena, San pietro, puis le retour par les Schiavoni, San Marco, San Moïsé, Santo Stefano, l’Accademia, San Gregorio, la Salute et la Punta della Dogana, les Zattere, la gare maritime, Santa Margherita, San Pantalon, les jardins Papadopoli, la gare, la lista di Spagna et par la Fondamenta di Cannareggio, le ghetto nuovo, et le retour à la maison… Une promenade de plusieurs kilomètres dont je ne ressentais alors que très rarement la fatigue…
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Écrit le 21/04/2006
posted by lorenzo at 07:58

01 mai 2006

Clin d’œil à Lili, lectrice

Chaque fois que je reviens à Venise, je trouve ma ville plus belle, mille trésors nouveaux m'apparaissent que j'avais perdu l'habitude de voir et cela me rend très heureux...
Carlo Goldoni
posted by Lorenzo at 22:59

Le peintre, par Henri de Régnier

Je sonne une dernière fois, et je lâche le cordon qui pend le long de la porte. J'écoute le carillon de la clochette qui retentit dans le vestibule sonore et dans tout l'appartement vide. Maintenant je suis certain qu'il ne viendra pas m'ouvrir, comme il le fait d'ordinaire, le pouce au trou de sa palette qui ressemble à une mosaïque fondue, tandis que, de l'autre main, il boutonne son gilet. Je n'ai plus qu'à descendre l'escalier sans même demander au concierge où est son locataire, car il me répondrait que "Monsieur est en voyage".

Il a, sans doute, établi son chevalet au coin de quelque calle ou sur les marches de quelque pont, à moins que dans sa gondole presque immobile, à l'ombre d'un mur de palais, il n'en dessine le reflet dans l'eau. Parfois d'autres gondoles frôlent la sienne et la balancent doucement. De grosses péottes pansues passent, chargées de légumes, de fruits, de planches, de plâtre ... Un homme rame seul debout dans un sandolo et tourne la tête pour regarder cet original qui écrase sur le papier son fusain, – qui grésille comme un moustique.

Personne, mieux que lui, n'a peint Venise. Ne lui en demandez pas les aspects célèbres : il ne vous montrera ni le Palais ducal, ni les Procuraties, ni Saint-Marc, ni la Salute, ni le Rialto, mais il saura choisir pour vous émouvoir l'angle d'un petit campo désert, un vieux mur qui découvre à marée basse des coquilles marines incrustées parmi de fines algues, une cour avec un puits où des guenilles sèchent à des ficelles, la Venise secrète et singulière dont le charme fétide et délicieux ne s'oublie plus quand on l'a, une fois, ressenti.

C'est celle-là qu'il a peinte, mais dont il ne parle jamais. Les mois et les mois qu'il y a passés ont-ils donc disparu de son souvenir ? Jamais il ne prononce le nom de la ville quand nous sommes ensemble, quoique nous pensions l'un et l'autre à elle. Nulle part elle n'est plus présente que dans cet atelier. Elle est dans ces toiles retournées et que j'imagine à ma guise, tout en regardant dans une vitrine quelqu'une de ces fioles transparentes rapportées de là-bas et qui semblent toujours contenir de l'eau de la lagune, tandis que, sur le parquet, se roule un chat qui porte au cou un de ces colliers en boules de verre coloré qu'on fabrique à Murano, – un chat trapu, rond et baroque, qui a l'air de ces animaux un peu diaboliques dont Carpaccio animait ses compositions et dont il ornait ses terrains semés de fleurettes délicates, sous les pas de ses San Giorgio et de ses Santa Orsala.


Henri de Régnier
"Esquisses vénitiennes"- 1905.

posted by lorenzo at 22:41