Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

04 octobre 2007

Promenade dans Venise





8 commentaires:

Constance a dit…
Enchantée... de découvrir ce blog, de pouvoir garder un oeil à Venise, dont je suis, comme tant d'autres, une amoureuse fervente. Je le mets tout de suite dans mes favoris ; j'y apprends ce que je n'avais jamais compris ( sans être dérangée par la bizarrerie! ), la logique étrange des numéros de ligne des vaporetti, j'y trouve matière à lecture et à réflexion. Je reviendrai y passer du temps, j'irai fouiller dans les liens nombreux que vous proposez, et je vous remercie de ce lien précieux avec ce lieu précieux. Je me permets de mettre ce blog dans mes liens, espérant que cela ne vous ennuie pas.
venise86 a dit…
Tes photos sont trop belles, et je te les emprunte régulièrement, en te citant bien sur... Le bonheur d'être à Venise au quotidien grâce à toi...
Lorenzo a dit…
ce ne sont pas toujours les miennes. Souvent des photos que j'emprunte moi aussi au hasard du net à des inconnus ou à mes amis qui ont la gentillesse de me les adresser. Dans la mesure du possible j'en indique la provenance et l'auteur.
condorcet a dit…
Je souhaite non pas "réagir" (ce qui constitue vraiment l'antipode de tout esprit véritablement enclin à réfléchir) mais évoquer cette nostalgie de la Venise d'antan qui vous habite. J'ai 29 ans : et ce regret du disparu qui transparaît dans vos souvenirs se retrouve parfois dans mes pensées historiennes. Je me souviens de cet enthousiasme pour l'histoire qui a bercé mon enfance, quelque puéril qu'il fût, et des décombres chronologiques et mémoriels dans lesquels on se repaît. Cette décrépitude des lieux intellectuels a ceci commun avec les "espaces vécus" qu'elle nous ôte un peu de notre mémoire collective ou plutôt de notre imaginaire mental.
Lorenzo a dit…
Nulle nostalgie en fait si ce n'est celle liée à un temps à jamais enfoui qui fut celui de mes jeunes années heureuses et pleines d'enseignements nouveaux quand je vivais, j'aimais et j'étudiais à Venise. Ensuite, nostalgie de ce que j'imagine avoir été la ville (et la vie dans cette ville) de mes ancêtres dont le sang qui coule dans mes veines s'échauffe depuis toujours quand j'approche de la lagune. Pour le reste, le quotidien, la vie courante, la Venise d'aujourd'hui vaut aussi parce qu'elle est d'aujourd'hui, palpable, ordinaire et en devenir. L'histoire ne doit pas nous être regret mais espoir n'est ce pas ! Espérer toujours que les nouvelles générations sauront tirer du passé les meilleures leçons et innover inventer bâtir pour réussir là où ceux d'avant n'ont pas su ou pas pu.
condorcet a dit…
Ce sottoporgo figure dans une séquence de "Mort à Venise" où Gustav Aschenbach suit Tadszio dans une Venise spectrale.
condorcet a dit…
Aie aie mon cher Lorenzo, vous venez d'associer deux mots dans une expression qui m'exaspère : les "leçons de l'histoire"... je vous expliquerai un jour pourquoi : ce soir, disons seulement que le déterminisme n'est pas une clé de compréhension du passé.
Si si le passé est regret et fol espoir puisque le regard de l'historien pas plus que celui de l'acteur ne peuvent en restituer la richesse. Toute la beauté de l'histoire réside dans cet aspect révolu du passé et l'impossibilité de le rendre tout à fait. D'où la nécessité d'avoir un regard plus riche.
Pour l'avenir, la question est plus personnelle qu'historienne.
Delphine R2M a dit…
Mais que c'est beau...
Merci Lorenzo!

Venise en travaux


De tout temps, les vénitiens devaient prendre eux-mêmes en charge le nettoyage des canaux et des rives. régulièrement les riverains effectuaient ce travail qui évitait l'envasement et les eaux stagnantes et saumâtres. C'est ainsi qu'avec le renouvellement des marées, si on ne pêchait plus depuis longtemps du haut de son balcon, on pouvait sans craindre la poussée de pustules eczémateuses, se baigner dans l'eau verte des canaux. Les enfants ne s'en privaient pas qui plongeaient du haut des ponts pour se distraire et puis pour amuser aussi les passants et les voyageurs contre quelques piécettes. Il aura fallu attendre plus de cent cinquante ans pour que la Magistrature des Eaux impose le curetage et le dragage des rii de la ville. Cela se fait année après année. On en profite pour refaire les réseaux de câbles et de canalisations, pour restaurer les fondations des bâtiments, des quais et des ponts. Finalement à voir travailler les ouvriers chargés de ce nettoyage mais aussi de ces rénovations, on se rend compte qu'en dépit de la mécanisation des tâches effectuées, le travail reste le même. Pendant des années on a cru, au nom du sacro-saint mythe du progrès, que les techniques modernes valaient toujours mieux que les procédés antiques. 
Mal en a pris les vénitiens (et surtout les italiens parachutés dans les administrations vénitiennes qui eurent en charge le dossier restauration) : on a vu par exemple que les briques de fabrication industrielle qui ont servi jusque dans les années 80 ne se conservaient pas très longtemps et attiraient des champignons qui s'attaquaient ensuite aux parties anciennes des bâtiments. En revanche la brique cuite au feu de bois et faite des matériaux identiques à ceux employés depuis toujours par les maçons vénitiens résiste parfaitement aux intempéries et à ces bactéries. La pierre d'Istrie, dure et résistante à l'eau ne peut être remplacée par aucune pierre de synthèse ou d'une autre provenance. Elle est totalement imperméable et sa densité convient parfaitement au contact prolongé avec l'eau de la lagune. Les bois des palli ne peuvent être remplacés par d'autres essences car le résultat n'est pas le même en terme de solidité par exemple. On ne le dira jamais assez, à Venise comme ailleurs : le passé a beaucoup à nous enseigner et demain n'existera pas sans une bonne connaissance d'hier. C'est valable pour tout, j'en suis convaincu...
1 commentaire:
condorcet a dit…
Votre conclusion me remplit d'allégresse, mon cher Lorenzo, car le souci du temps devient par trop évanescent : vous avez bien raison d'en réaffirmer tout l'intérêt.

Ciao fioi ! (*)

A deux pas de chez nous, il y a le campo Sta Margherita. Aujourd'hui c'est un lieu à la mode, très fréquenté par les touristes (les bobos parisiens notamment). Quand j'étais étudiant, c'était un lieu tout à fait authentique. .

L'ancienne église n'était toujours qu'un ancien cinéma porno fermé pour vétusté. le seul bar sympa, c'était les "Do' draghi" de Renzo Ballarin, juste en face du campanile en allant vers San Pantalone. C'est un des lieux-phare de mon histoire vénitienne. Là où j'ai rencontré tous ceux qui ont compté pour moi pendant mes cinq années de vie à Venise. Et puis, jusqu'en avril dernier, il y avait la fameuse Trattoria due Torri, l'un des derniers restaurants casalinga de toute la ville. Cessation d'activité pour les propriétaires, Edoardo et Giusi. Ils étaient fatigués de tant d'années passées à recevoir vénitiens et touristes dans un restaurant (plus de 50 couverts en salle) qui certes ne payait pas de mine, mais où on mangeait délicieusement bien, surtout quand les patrons ou les serveurs vous connaissaient. C'est souvent le problème à Venise. Le même plat commandé et servi à deux tables différentes n'aura rien à voir selon que vous soyez habitué ou inconnu. On peut le regretter. Ceux qui bénéficient du traitement de faveur ne s'en plaindront jamais. Discrimination positive, j'en ai bien peur (clin d’œil en passant). 
Mais revenons à mon sujet : le due torri, connu aussi sous le nom de Trattoria Da Edoardo ou de Ristorante Ai Mureri, a fermé ses portes et j'avais omis de vous en parler. La dernière fois que j'y suis allé, c'était avec les enfants, au printemps dernier. Nous étions à l'intérieur (un peu triste, sans fioriture) car al sole, il y avait une table de voisins venus fêter un anniversaire. La salle était grande. Il y avait outre les patrons qui vous accueillaient, deux serveurs que j'ai toujours vu là et puis une dame toujours affairée qui dressait les tables. Une vraie ruche. Davide, le chef râleur comme tous les chefs passait souvent dans la salle. Il mitonnait une cuisine familiale à des prix plus que raisonnables. 
Même le menu turistico - que je passe mon temps généralement à dénoncer quand on me demande conseil pour se bien restaurer dans le centro storico -, était bon et abordable. C'est la vie, l'authentique disparaît un peu chaque jour. Je ne sais même pas ce qu'il y a la place aujourd'hui. Un piège à touristes, agressif et artificiel certainement. C'est triste car c'est vraiment un morceau de la Venise authentique qui a disparu. Comme le magasin de jouets (juste en face d'ailleurs). 
Sur la photo ci-dessus, Edoardo et la Signora Giusi (la Signora), Gianluca le serveur et Davide le chef. Il manque Susy et la belle dame aux cheveux blancs qui s'occupait des tables. Loredan, Betti, Stefano, Antonio, je les ai tous connu ici. Et d'autres que j'ai oublié. Nous passions du bar des Do' Draghi à la trattoria. A l'époque on pouvait commander des plats et du vin à emporter. Quelques uns d'entre eux sont devenus de vrais amis même en dehors du restaurant. 
Le dernier soir, en plus de l'honnête petit vin habituel servi au pichet, ils ont offert plusieurs tournées de pâtes. On a pu ainsi manger - pour la dernière fois - la pasta paesana (tomate fraîche, basilic et crème de lait) et puis la fameuse pasta alle due torri à base de sardoni (ces grandes cousines des sardines qu'on pêche dans l'Adriatique) et tomates fraîches. Tout ça va bien nous manquer. Voilà depuis le mois de mars dernier, il manque quelque chose Campo Santa Margherita. Je suis un peu triste en y pensant. Mais qu'est ce qu'on y peut ? Je garderai comme beaucoup de mes amis vénitiens le souvenir ému des pommes de terre rôties (ils en faisaient toujours peu et il fallait prévenir d'avance quand on en voulait), le ragù à la saucisse avec des gnocchis, leur bacalà, les crevettes frites avec de la polenta. Délices, délices.
Mais s'il n'y avait que ce local. Le “Clodia”, un bar mythique de la calle delle razze à Castello, que tenaient deux vieux couples délicieux a changé de gestion et de décor. Finis les tramezzini format familial et leur extraordinaire “aranceta” à un prix pré-ère moderne. Un lieu authentique avec une clientèle authentique. Des gens du coin.  Au lieu de ça on trouve désormais un décor qu'aime décrire le satiriste Stefano Benni (lire son roman Bar Sport, paru chez Feltrinelli qu'il écrivit à 26 ans) : une pointe de chic, du rustique moderne, de fausses vieilles briques qui transparaissent de ci-de là pour faire usé ; nappes et serviettes rouges en lin, pringles à volonté, petits pains lilliputiens avec du saucisson nain et autres micro-produits à des macro-prix, le tout avec une musique Loundge bien entendu... Nous vivons une époque moderne comme le répétait Philippe Meyer... J'ai un peu l'impression de tourner au vieux machin, mais tant pis ça fait du bien. 

(*) "Salut les potes" en vénitien.