Par Florence Carrot *
(Article paru dans Journal International le 27/11/2013.)
Journée internationale des migrants, 18 décembre 2013 | Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it |
Aujourd’hui
comme demain, les États européens seront confrontés aux défis des
migrations. Guri Storaas, étudiante en master de Droits de l’Homme et
Démocratisation à Venise, mais également fondatrice du mouvement
"Migrants Matter" a accepté de partager son combat, sa lueur d’espoir
sur des problématiques souvent mal comprises et amalgamées.
Journal International : Quel est le but d’une campagne de sensibilisation et pourquoi l’avoir dirigée en faveur des migrants ?
Guri Storaas
: Cette mission de sensibilisation permet avant tout de regrouper des
personnes engagées, afin de changer les politiques à travers différents
moyens et afin de faire évoluer les conditions auxquelles peuvent être
confrontées certaines personnes exclues de la société. Elle se
concentre sur le secteur européen notamment, car les migrants sont
certainement les cibles les plus faciles pour les États. Ils subissent
les politiques imposées et injustes déniant les difficultés auxquelles
ces hommes, ces femmes et ces enfants font face chaque jour. Ceux qui
n’agissent pas en ayant pleinement conscience des discriminations
subies soutiennent au fond indirectement les violations récurrentes
transgressant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.
JI
: Justement, votre campagne se dirige en faveur d’un certain groupe de
migrants puisqu’elle vise à la ratification de la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille de 1990, pourquoi avoir ciblé
cette forme particulière d’immigration ?
G.S.
: Tout d’abord, il faut savoir que cette convention est la seule qui
internationalement a été créée pour les migrants ainsi ce n’est pas un
thème réducteur que nous avons choisi, mais un texte d’appui officiel
qui nous permet d’agir activement sur différentes formes d’immigration.
Il est également vrai que le travail est une chose qui affecte
particulièrement les étrangers, les rendant plus vulnérables que les
autres, car bien souvent les familles se retrouvent séparées. De plus,
les migrants sont loin d’être privilégiés. Ainsi, ils subissent
un traitement excessivement injuste généralement les renfermant sur
eux-mêmes. Aucun texte ne définit véritablement leur statut ni ne
reconnait leur existence même. Souvent rejetés, seuls, les expulsions
de plus en plus nombreuses planifiées dans les pays européens sont la
preuve qu’aucune garantie de protection n’a été encore appliquée, voire
établie. Ce que nous souhaitons, c’est porter un message au nom de
tous les immigrés et en appuyant le projet de cette convention qui est
loin de faire l’unanimité jusqu’à présent. Nous pourrions enfin nous
assurer que les États aient à rendre des comptes sur les politiques
mises en place, qu’ils aient enfin une responsabilité officielle
lorsque ces personnes immigrant sur leurs terres se voient maltraitées.
JI : Pourquoi, selon vous, de nombreux états sont-ils septiques à l’idée de ratifier cette Convention et en quoi pensez-vous que votre mouvement puisse les aider à changer d’avis ?
G.S. : Lorsque les Nations Unies ont proposé ce traité, il n’a pas été très bien accueilli. Il a été adopté en 1990 et 13 ans après, en 2003, il a pu enfin entrer en vigueur, mais seulement grâce à 20 états signataires, ce qui est bien trop peu ! Cette Convention a le potentiel de promouvoir, au moins indirectement, le droit des immigrés, pour que leur protection soit garantie par la loi même. Malheureusement, même si elle a été acceptée légalement, elle n’est que trop peu mise en pratique.
JI : Pourquoi, selon vous, de nombreux états sont-ils septiques à l’idée de ratifier cette Convention et en quoi pensez-vous que votre mouvement puisse les aider à changer d’avis ?
G.S. : Lorsque les Nations Unies ont proposé ce traité, il n’a pas été très bien accueilli. Il a été adopté en 1990 et 13 ans après, en 2003, il a pu enfin entrer en vigueur, mais seulement grâce à 20 états signataires, ce qui est bien trop peu ! Cette Convention a le potentiel de promouvoir, au moins indirectement, le droit des immigrés, pour que leur protection soit garantie par la loi même. Malheureusement, même si elle a été acceptée légalement, elle n’est que trop peu mise en pratique.
Selon moi, les États refusent de coopérer, car la définition donnée à l’immigration ici est bien trop large et malheureusement, de nos jours, c’est une notion qui fait peur et qui doit être plus précise pour qu’on puisse l’accepter. Je suis persuadée que c’est notamment la peur qui paralyse les États jouant sur l’aspect de sécurité en l’opposant directement à l’immigration. Les stéréotypes que l’on entend chaque jour, particulièrement depuis la crise de 2008, sous-entendant que "plus les immigrés arrivent, plus les taxes pour la population seront importantes", que l’économie soit disant "s’écroulerait si nous accueillions trop d’étrangers" sont néfastes à l’égard de l’image de ces personnes.
Je pense également que le fait qu’aucun groupe spécifique ne se soit
battu au nom des migrants a également joué en la défaveur de ce projet.
Malheureusement, nous ne sommes que de petits groupes défendant des
intérêts totalement différents si l’on regarde au premier abord, car il
est vrai que l’hétérogénéité migrante peut créer quelques tensions.
Pourtant, au fond, nous recherchons tous le même but : que les immigrés
bénéficient d’une protection adéquate, qu’eux aussi puissent profiter
des droits «définis pour tous» (Ndlr, DUDH 1948). C’est
pourquoi, à notre échelon, nous devons parler, nous devons nous
mobiliser afin de changer quelques mentalités, afin de cibler l’aspect
positif de l’immigration, de le partager et de sensibiliser l’opinion
sur le bénéfice de cette nouvelle forme de multiculturalisme.
JI : Quelles sont les actions qui ont pu ou peuvent aider votre campagne à se développer et à se faire connaitre davantage ?
JI : Quelles sont les actions qui ont pu ou peuvent aider votre campagne à se développer et à se faire connaitre davantage ?
G.S.
: Nous avons la chance d’avoir 50 étudiants de notre promotion motivés
et passionnés pour démarrer notre projet. Par la suite, chacun de nous
a eu un rôle spécifique dans la mise en place de la campagne. Par
ailleurs, une action toute simple telle que celle initiée aux European
Development Days regroupant quelques personnes criant, et frappant des
mains dans les couloirs de Bruxelles entre deux conférences, leur
volonté de convaincre les états membres de l’Union européenne de
ratifier la convention a eu un impact très positif. Nous avons pu
rencontrer quelques politiciens qui suivent notre projet de très près
et le supportent et c’est un appui non négligeable à l’échelle
européenne. Les réseaux sont très importants pour porter notre message.
Nous discutons également beaucoup avec les personnes autour de nous pour leur faire prendre conscience de l’importance de ce projet, débattons également avec eux parfois, nous sommes ouverts aux débats. Nous sommes une sorte de mouvement non-lucratif qui souhaite intégrer tout un chacun dans son combat. Nous sommes des membres de la société civile ayant décidé de se battre pour une cause que l’on trouve noble. Si nous nous mobilisons en faveur de processus légaux c’est parce que ce sont eux qui régissent par la suite nos vies, nous sommes les citoyens du monde, nous votons donc nous avons le droit de manifester au nom de ce qui nous parait juste. Trop souvent, les politiciens oublient que nous leur avons accordé notre confiance en les élisant, il est nécessaire via ce genre d’actions de leur remettre un coup de pression. Notre groupe Facebook invite à la discussion instantanée et aux soutiens surtout par n’importe qui souhaitant partager son opinion sur notre mouvement. Notre blog est notre liberté d’expression, notre façon de développer sur ce qui nous indigne, sur nos actions, mais surtout sur ce à quoi l’on croit : partager nos valeurs en parlant de l’immigration.
Nous avons développé quelques partenariats avec notre université tout d’abord, mais aussi avec la PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants) et des ONG se battant pour les droits des sans-papiers. Par la suite lors du festival des droits de l’Homme de Venise se focalisant cette année sur l’identité, nous avons eu l’honneur de rencontrer autour d’une table ronde Jacopo Molina, conseiller du parti démocrate de Venise, nous donnant la position italienne concernant les questions migratoires. Tout en réfléchissant, autour de quelques films tels que "Mare Chiuso", à la politique italienne et aux diverses condamnations que l’Italie a reçu par la Cour européenne des Droits de l’Homme suite à des violations très graves. Nous avons eu aussi notre mot à dire en traversant Venise le 18 décembre 2013, Journée internationale des migrants où, je pense, nous avons pour ainsi dire touché les âmes de certains.
Journée internationale des migrants, 18 décembre 2013 | Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it |
JI
: Comment est-ce qu’un mouvement étudiant pourrait influencer la
politique et faire changer les choses ? Pensez-vous que cette journée
récente puisse avoir de l’influence par la suite ?
G.S.
: Vous savez, je sais que les campagnes de sensibilisation peuvent
prendre du temps, j’ai eu des expériences totalement différentes en
Afrique et en Norvège quand nous défilions à cause de l’impact du
changement climatique. Nous avons également mobilisé du monde, organisé
des activités diverses, récolté des signatures et même fait un tour en
caravane avec au moins 180 personnes pour convaincre des milliers de
gens de nous rejoindre. Et cela a marché, ce n’était pas toujours
évident, mais nous sommes allés à la rencontre de la population, car
après tout dans la politique c’est d’eux dont il s’agit non ? Avoir la
foi est essentielle. Je ne dis pas que notre mouvement universitaire
aura autant d’impact que celui qui m’a valu un long voyage, mais
tellement humain avec 200 000 signatures récoltées et des concerts au
nom de notre cause du Kenya à l’Afrique du Sud, mais je crois que c’est
maintenant ou jamais. Un mouvement tel que celui-ci se fait au jour le
jour, se vit et se construit dès à présent même si le chemin est long.
Ce jour-là, nous avons défilé avec une quarantaine de personnes en
marchant silencieusement en rang, certains portaient des masques
représentant les états se voilaient la face en ne ratifiant pas,
d’autres têtes baissées montraient leur désarroi face au manque de
coopération puis des lettres avec une lueur d’espoir dans les yeux de
chacun se démasquant et retrouvant le sourire apparaissait s’adressant
directement aux États membres de l’Union Européenne. On pouvait alors
apercevoir ce message impératif en anglais "EU, Ratify Migrants Convention !" avant
que les élèves ne se mettent à chanter et distribuer des dépliants
pour que l’Union Européenne aille enfin de l’avant surtout après la
polémique de Lampedusa Nous avons eu un impact relativement positif et
beaucoup d’intrigués nous ont écouté, appréciant notre engagement, donc
je suppose que notre campagne au nom des migrants a eu son cadeau de
Noël : elle n’a laissé personne indifférent.
Crédit Photo © EMA Students | migrants-matter.blogspot.it |
Notes :
* : Florence carrot est étudiante en sciences politiques à l'Université Lyon II et passant un an en Inde, elle est correspondante
dans ce pays (Chennai et Madurai) pour Le Journal International,
mais aussi stagiaire chez People's Watch (ONG promouvant les Droits de l'Homme) et
volontaire ponctuelle à l'école de Vellore Garden of Peace. elle cherche à privilégier un regard quelque peu critique dans ses articles toujours inspirés par les Droits de l'Homme, et
auxquels s'ajoute souvent une dimension plus sociologique.
**: Le blog de Migrant matter : http://migrants-matter.blogspot.it
et leur page Facebook : https://www.facebook.com/migrantsmatter?fref=ts
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