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27 janvier 2019

"Making a real difference" avec Cool Cousin, l'autre manière de découvrir la Venise de ceux qui y vivent

Lancée il y a un peu plus d'un an, l'application Cool Cousin, inventée par de jeunes et brillants cerveaux fait florès. De plus en plus de cousins la rejoignent présentant ainsi à travers leur profil la ville où ils vivent. A Venise, nous sommes sept, avec des profils ( et des âges) différents. Au 10 décembre dernier, soit 195 jours après avoir été choisi pour y participer, 2596 personnes avaient utilisé ma carte, mes 54 spots avaient déjà été "likés" 3119 fois et une bonne vingtaine de personnes se sont mises en contact avec moi pour des compléments d'informations, des demandes très diverses et des conseils. Une belle dynamique qui s'ouvre à de nombreuses nouvelles villes chaque jour. Montrer la Venise que j'aime, sans rien déflorer de ce qui fait la Sérénissime pleine de vie, accompagner son évolution et les changements qui s'opèrent spontanément le plus souvent à l'initiative des vénitiens eux-mêmes, donner à voir une ville qui palpite et vibre autrement qu'au rythme imposé du flot touristique. Une grande joie et beaucoup d'espoir pour demain.

10 décembre 2018

En dépit des barbares...

Le délicieux andante du concerto pour mandolines d'Antonio Vivaldi remplit la pièce dans laquelle j'écris de mille parfums joyeux. La tasse de thé fumant, et le jour dehors qui décline, le vieux chat qui dort sur la table à côté de moi, autant de petites choses qui me remplissent d'une joie tranquille. Le travail entrepris avance doucement. Il me faut parfois chercher la phrase exacte, celle qui correspond à l'idée venue soudain en pleine nuit ou dans la rue au milieu de la foule pressée. Parfois au contraire, les mots s'alignent naturellement et avec aisance sur la page. 

Kafka avec Otto Brod, le frère de l'ami de cœur
Je ne puis m'empêcher de sourire à cette question, jamais résolue, du pourquoi certains, dont je suis, ressentent l'impérieux besoin d'écrire encore et encore. Kafka dont la Pléiade édite une nouvelle édition des œuvres complètes, avait demandé - tout le monde le sait - à son ami Max Brod qu'il détruise après sa mort tout ce qu'il avait écrit et n'avait pas été imprimé, et que rien de son œuvre déjà publié ne le soit de nouveau. Comme le souligne la notice consacrée à cette nouvelle édition dans la Lettre de la Pléiade qui vient de paraître, « Ce qui lui importait, au fond, n'était sans doute pas que ses textes soient lus, mais le "simple" fait de les avoir écrits.»Et il est ensuite précisé : «Vivre - autrement dit "supporter "la maladie de la vie" - n'avait eu de ses à ses yeux que par l'écriture, même s'il n'était jamais parvenu à vire de l'écriture.» (p.16, Lettre n°64, sept-octobre 2018). 

Combien ces lignes résonnent à mes oreilles. L'acte d'écrire, le fait même d'écrire, voilà ce qui importe. Ce besoin m'est vital comme le sont l'eau pour les poissons, l'air pour les oiseaux et l'amour pour les petits d'hommes... Écrire n'est pas seulement dire et se dire. C'est inlassablement partir à la recherche d'une vérité intime qu'on perçoit mais qui file souvent entre nos doigts et nous laisse hagard au bord du chemin.  « Cette recherche d'une liberté de soi que seule l'écriture permet d'approcher et d'imposer quelles qu'en soient les conséquences » comme l'énonçait Michel Abescat à propos du roman d'André Aciman, "Appelle-moi par ton nom", (réécriture et réédition de la version originale du roman "Plus tard ou jamais")... Oser ainsi, au fil des pages, livre après livre, une sorte d'autoportrait crypté, les masques de la fiction servant à faire tomber un à un ceux de la vie réelle. combien le lecteur y gagne. mais combien aussi celui qui écrit y trouve la paix de l'âme. 

La suave mélodie du Largo du concerto pour luth, violons et continuo de Vivaldi qui accompagne mon travail maintenant est-elle pour quelque chose dans ces considérations bien éloignées de ce que j'avais l'intention d'écrire sur Venise et ses malheurs ?L'après-midi s'éteint doucement. Partout autour de la maison, les fenêtres s'illuminent peu à peu. La rue est animée encore, le luth rythme ma pensée. le chat s'est réveillé. il attend son dîner. Mes pensées s'égarent devant les derniers nuages roses et violets qui se laissent admirer avant que la nuit se fasse totalement noire. 

Il y a une semaine, le joli palcoscenico que je vois depuis mon appartement ressemblait à une scène de guerre, des feux partout, les vitrines saccagées, des hélicoptères qui tournaient au-dessus de la Porte de Bourgogne, des sirènes et plusieurs milliers de gens vêtus de noir, munis de bâtons, de  bouteilles, prêts à en découdre, les policiers, les blindés de la gendarmerie, des débris partout et dans l'air cette odeur pestilentielle de caoutchouc et de plastique brûlé. Désolation et bêtise. Des groupes de badauds filmaient ou prenaient des photos. Ailleurs les magasins étaient pillés. Enfermés dans certains magasins derrière leur rideau des commerçants tremblaient que le feu, la casse ne les atteigne aussi. A deux pas, sur les places environnantes, l'ambiance habituelle des samedis soirs, les terrasses pleines de monde, des musiciens, des rires... Et l'avenue livrée au pillage, les bancs qui brûlaient, les banques et la poste vandalisées, les panneaux publicitaires et les abribus en miette. Partout des gens aux fenêtres. De quoi avoir peur mais en même temps on avait l'impression que tout cela était irréel. Comme une scène de tournage. Des centaines de figurants, une certaine harmonie parmi la foule. J'ai même croisé des familles avec des enfants qui commentaient en regardant les feux qui avaient été allumés un peu partout, quasiment à chaque coin de rue. Puis la police est arrivée, lentement, presque en silence et la foule des manifestants, les casseurs et les badauds ont reflué vers les quais et les rues adjacentes... 
 
Voir cela sous ses fenêtres m'a paru invraisemblable. Surréaliste. Artificiel aussi. Puis la rue est devenue déserte. En face un joli banc tout neuf se consumait lentement. Plus un seul panneau n'était en place, l'arrêt de bus avait disparu, les poubelles fondues. Les pompiers sont arrivés, en même temps que les services de nettoyage. La première chose a reprendre vie et forme, a été le panneau publicitaire électronique, puis les plots, puis les cendres et les braises ont été enlevées, le sol lavé. Dimanche toute la journée des ouvriers se sont affairés. La rue est redevenue ce qu'elle était auparavant. On n'est pas une ville dévolue au tourisme UNESCO pour rien. La vie a repris avec un peu moins d'entrain. tout le monde était un peu sonné. Tout le monde pensait à la même chose : et si cela recommence ? Et si des excités s'en prennent aux habitations, à tous ces petits commerces ?  Et si un cocktail molotov ou une grenade pénétraient à l'intérieur d'un appartement et y mettait le feu ? 

Envie de fuir cette réalité urbaine à laquelle personne ne s'attendait. Envie de se boucher les oreilles. Envie de laisser la ville pour ne plus jamais y revenir. Envie aussi de quitter ce pays qu'on reconnait de moins en moins chaque jour, où le premier magistrat débite des propos sans une once de cœur ou de sincérité, personnage falot que personne désormais ne croit plus, représentant d'une caste coupée des réalités des peuples, de leurs aspirations et de leurs souffrances. Les amis vénitiens qui ont vu les images de ces scènes d'apocalypse m'ont pressé de rentrer et l'un d'entre eux, pour me faire sourire, m'a dit « Allez, reviens-vite. On va s'organiser pour que cela n'arrive pas ici et pour cela on va faire en sorte que la Terraferma redevienne une île. Nous allons démolir le pont qui nous relie au reste du monde et reprendre notre vie là où Buonaparte et ses complices autrichiens l'ont interrompue ! » De quoi sourire effectivement. Ce serait tellement bien. Laisser dériver ce monde qui se meurt étouffé par ses objectifs dérisoires et dangereux pour l'homme, pour la démocratie et pour la nature. Il est bon de rêver et de plaisanter quelques fois. Cela évite de pleurer comme j'avais envie de le faire dimanche après le pitoyable discours de celui que nous avons pour président. Somme toute, nous ne sommes pas les plus mal lotis. Les américains se coltinent Trump, les anglais ont cette pauvre Mrs May qui n'en finit pas de tenter de sauver le Royaume Uni après Cameron qui avec son référendum, a fait imploser l'Europe, les chinois et leur tyran à vie qui voudrait imposer une dictature universelle et dénie tout autre droit à l'humanité que le droit au développement, L'ignoble Salvini et les autres excités incapables qui sont au pouvoir en Italie, en Pologne, en Finlande, en Turquie, Poutine qui étouffe l'âme russe en prétendant la faire rayonner... Je ne parle pas souvent «politique», mais ce qu'on aperçoit quelque soit le pays où nous portons le regard, est loin d'être réjouissant. Nulle part des êtres d'exceptions, inventifs, courageux, honnêtes. Seuls l'argent et le profit guident leur pensée. Écœurant. 

L’Église, ou du moins certains prélats éclairés dans l’Église, des êtres rayonnant d'amour, a pu parfois au cours des siècles former un rempart contre l'immonde. Ces esprits bienveillants et aimants s’ouvraient aux idées nouvelles chaque fois que celles-ci pouvaient contribuer à améliorer la condition humaine, alléger les fardeaux et prolonger l’enseignement de paix et d'amour du Christ. Qu'en est-il aujourd'hui ? Qu'est devenue la joie, et qu'en est-il de l'empathie, de la douceur ? De la paix ? L'impression parfois que le diable nous taraude, sans cesse à l'affût pour précipiter notre monde dans la haine et l'égoïsme... La course effrénée pour le profit, la quête sans fin du progrès sensé nous apporter le bonheur, le développement permanent, la consommation, ne sont-ce pas après tout que les manifestations de ce sentiment mortifère qu'est l’égoïsme ?

L'andante du concerto pour hautbois de Marcello m'emporte du côté de Sant'Anzolo, le campo sur lequel je vis quand - pas assez souvent - je suis à Venise. Qui se souvient encore que la famille du compositeur avait reçu le privilège d'y faire étendre tout le linge de leur Maison et celui de leurs affidés. Les archives de la Sérénissime regorgent d'informations sur de multiples petits faits survenus longtemps avant la chute de la République en raison de ce droit dont la famille Marcello usa et abusa. Depuis la pauvre veuve dont le mari et le fils trouvèrent la mort avec leur maître Lorenzo di Andrea Marcello dans la fameuse expédition des Dardanelles, qui s'arrogea le droit d'étendre son linge sur le campo et faillit finir en prison pour ce délit jusqu'aux voleurs qui faisaient régulièrement main basse sur les belles nappes brodées, les jupons de coutil et les tentures de soie brodée qu'on y faisait sécher. Le lucre, depuis la nuit des temps, rend l'homme à la sauvagerie. C'était déjà comme ça autrefois, ce sera hélas toujours pareil demain. Combien cela est attristant que de constater la bêtise humaine sans cesse améliorée, sans cesse revenant, sans cesse plus dangereuse... Faut-il en arriver à espérer que ces temps violents et imprévisibles marquent le début de la fin pour l'humanité ? faut-il appeler de nos vœux un monde où la nature reprendrait le dessus sur les milliers d'années de présence humaine ? Dieu, s'il existe, n'est-il pas en train de se lasser de cette créature en laquelle il a été le premier à croire et qui passe les siècles à cracher sur les valeurs qu'il a mis dans nos cœurs ? A regarder s'agiter les dirigeants politiques, les journalistes et les intellectuels de salon, les étudiants, les kurdes, les protecteurs de la cause animale, et maintenant une nouvelle variété de marsupiaux brouillons mais déterminés, baptisés "gilets jaunes" (horrible couleur que le jaune !) ici, les antifas là et les néonazis un peu partout, les décervelés de l'Islam et les faucons juifs, les lobbyistes malhonnêtes, tous font avancer irrémédiablement notre civilisation, voire l'humanité toute entière, vers l'échéance finale...

Venise qui a toujours était un laboratoire, pour le pire comme pour le meilleur, devrait être surveillée de près. Sa chute, hélas prévisible si rien n'est fait à l'échelle du monde - les italiens ne feront jamais rien et certains à Rome aimeraient bien qu'elle disparaisse à jamais - ne sera que le prologue à la chute de l'Occident, des valeurs qui sont les nôtres, de notre culture, de notre art de vivre et de nos libertés. Mais d'aucuns crieront, une fois encore, au pessimisme et au mauvais esprit. J'aimerai tellement que la réalité contredise mes propos pourtant depuis plusieurs décades, les faits sont là et l'issue patente... En attendant, il nous faut continuer à l'aimer cette Venise comme on aime notre civilisation. Il nous faut la défendre comme on défend nos valeurs. Avec toute notre énergie et veiller. 

Veiller à ne rien lâcher, à ne pas trahir par faiblesse et facilité. Lutter contre ceux qui veulent qu'on oublie les arts libéraux qui ont forgé notre culture, ceux qui crachent sur la Princesse de Clèves et les auteurs grecs, ceux qui veulent tout mettre entre les mains de la finance et de la technique, ceux qui méprisent l'homme et sa liberté, ses droits à la différence, à l'oisiveté, au rêve. Lutter contre ceux qui ne voient dans l'homme que des petits soldats, des esclaves ou des clients qu'on gave d'hormones et d'OGM, ceux qu'on abrutit de mauvaises nouvelles, de publicité et à qui on apprend la peur, voire la terreur (gloups, attention les enfants, le terrorisme nous menace - Aïe aïe aïe, Mamma, gli turchi !), ceux dont qu'on veut le plus ignares possible... Lutter pour que la Beauté, le don, la grâce soient les vertus cardinales d'un monde plus juste, plus fraternel et plus beau. Lutter pour chasser les pisse-vinaigres, les culs-de-plomb, les adorateurs de Mammon... 

Venise est, comme cela a toujours été, un poste d'avant-garde. Ce qu'on y invente chaque jour, par l'énergie et la volonté d'une minorité, le plus souvent mal vue, éloignée des sphères du pouvoir en place, permettra peut-être d'éviter la catastrophe finale. Il se pourrait qu'un modèle nouveau, spontané, transformable, vraiment équitable voit ainsi le jour qui donnera des idées au reste du monde...
A Tramezzinimag nous y croyons !

Crédit Photographique : © Giuseppe Zanon - Tous Droits Réservés.

30 novembre 2018

Chronique de Venise en novembre : La Madonna della Salute


Pour ma tante Randi. 
In Memoriam.

Chaque 21 novembre depuis le XVIIe siècle, les vénitiens rendent un hommage solennel à la Vierge Marie, adorée spécialement en ce jour pour avoir mis fin à la terrible peste qui décima la population de la Sérénissime en 1630. Émouvante et joyeuse fête qui rassemble les vénitiens qui viennent en famille ou entre amis de l'aube à tard dans la nuit.

Jeunes et vieux, croyants ou non, tous se rendent à la basilique de la Salute en empruntant le pont de bois qui enjambe le grand canal pour quelques jours. Tous vont vers la Madonna della Salute, la Mesopanditissa. Enchâssée dans le grand autel en marbre avec sa somptueuse sculpture de marbre réalisée par le sculpteur flamand Giusto le Court où la vierge apparaît tenant dans ses bras l'Enfant-roi, accompagnée d'un groupe d'anges qui chassent la peste sous le regard d'une femme en prière, allégorie de la ville de Venise invoquant l'intercession de Marie, l'icône, très aimée par les vénitiens, fait l'objet d'une grande vénération,  depuis que le doge Morosini décida de l'exposer dans le sanctuaire en 1670 dont elle est depuis le symbole.

Le pont de bateau, inauguré la veille par le cardinal Francesco Moraglia, patriarche de Venise et le maire Luigi Brugnaro, voit ainsi passer des dizaines de milliers de pèlerins qui portent avec eux un cierge que la plupart ramèneront chez eux pour protéger la santé de eux qu'ils aiment ou veiller à la guérison de leurs malades. L'usage est de les allumer autour du maître-autel où une messe est célébrée toutes les heures. La foule reste dense toute la journée. Les policiers, très nombreux depuis quelques années, en uniforme autour de la basilique ou en civil parmi les fidèles, veillent à maintenir la circulation. À certains moments, il y a tellement de monde, qu'ils doivent organiser un sens, brandissant des panneaux indiquant le sens autorisé ou interdit. Tout cela se fait dans la plus grande sérénité, paisiblement et joyeusement. Il s'agit vraiment d'un moment de fête, un de ces temps aimés quand on se retrouve volontairement entre parents ou amis.Les touristes qui pour la plupart ne savent pas ce qui motive ce grand mouvement de foule semblent un peu hagards. Certains s'éloignent effrayés ou, comme le disait une dame en prenant le bras de son mari : "N'y allons pas. Laissons-les !". "Mais pourquoi donc ?" Répliqua l'homme. "Par pudeur." fut sa (jolie) réponse. 

Cette solennité n'a rien d'artificiel et, tout comme le Redentore, autre grande fête traditionnelle, rien ni personne ne l'a dénaturée. Traditionnel moment de retrouvailles d'un peuple aujourd'hui réduit en nombre mais qui resté attaché à ces traditions ancestrales. Toutes les générations s'y retrouvent dans un même entrain et une piété commune, témoignage que l'âme authentique de Venise coule encore dans les veines de son peuple. Joyeux témoignage d'authenticité et de vie dans un monde qui se délite, où des forces implacables sont en mouvement qui poussent à l'uniformisation des usages et des goûts et grignotent inlassablement nos différences et nos libertés au nom du profit et de l'ambition de quelques uns.

Voir les petits vénitiens tenant fièrement ces ballons gigantesques ballons qui flottent partout dans la foule et qui se régalent avec leurs parents de pommes d'amour rutilantes, de marrons grillés, de massepain et de nougat, entendre les rires, et plus revigorant encore, entendre tout ce peuple s'exprimer en dialecte, tous milieux sociaux et âges confondus, mais quel bonheur. Quelle joie. Quelle fierté aussi. En rentrant chez moi, hier soir après la prière de clôture dite par le patriarche dans une basilique noire de monde, après être passé par la sacristie où autour du patriarche, prêtres, séminaristes et enfants de chœur quittaient leurs vêtements sacerdotaux au milieu des bénévoles qui vendaient images pieuses et chapelets, après m'être recueilli comme des centaines d'autres derrière le maître-autel, après avoir admiré les somptueuses noces de Cana du Tintoret et le groupe de saints autour de Saint Marc du Titien et ce Saint Sébastien de Basaiti qui vole haut sur l'une des parois de pierre blanche de la sacristie, deux des tableaux qui ont illuminé mes années d'étudiant à Venise, après avoir traversé le cloître du séminaire, c'est une immense paix que je ressentais. Les marchands de gourmandises et d'objets religieux rangeaient leurs marchandises, des groupes de passants se répandaient partout, tout résonnait de joie et de paix. 

Rare moment de grâce qu'on retrouve aussi à la Saint Martin quand les enfants se répandent dans les rues, le soir du Redentore quand flotte sur le Bacino di San Marco tout l'esprit festif des vénitiens... Mais aussi chaque jour après l'école à San Giacomo, à Santa Maria Formosa, ailleurs encore, et le soir pour la passeggiata à San Luca ou a pied de la statue de Goldoni et plus tard du côté de la Misericordia, la Movida estudiantine... En dépit des hordes de touristes, vivre à Venise est et demeure un bonheur. 



18 octobre 2018

La magie de Venise en novembre : les Dolomites en décor de fond sur la lagune


Lorsque la communauté arménienne offrit à la petite association de jeunes bordelais que j'avais alors l'honneur de diriger depuis mon doux exil vénitien, d'imprimer sur ses presses l'ensemble des documents de communication de l'ambitieuse manifestation que nous avions décidé d'organiser à Bordeaux en hommage à Venise, ce fut naturellement cette agrandissement de la fameuse carte de Erhardum Reüwich de Trayecto et Bernhard von Breydenbach qui publièrent au XVe siècle un ouvrage illustré sur le périple qui les mena de la sérénissime d'où ils embarquèrent, jusqu'en terre Sainte. Le père Mékhtariste, alors supérieur du collège arménien de Venise, qui m'accompagna à l'imprimerie située dans une aile du couvent, au milieu de la lagune. avec notre consul de l'époque, Christian Calvy (à qui je dois ce cadeau fantastique que les arméniens firent à notre petite manifestation), nous en fit une description très poétique dont j'ai noté l'essentiel dans mon journal de l'époque :

"Admirez la finesse du trait, même grossi. Les artistes ont voulu montrer cette vision extraordinaire qu'on ne voit pas souvent, des montagnes enneigées comme un décor de fond à Venise qui se détache devant elles comme par magie". 

Cet époustouflante perspective, inchangée ou presque des siècles plus tard, est toujours un grand bonheur quand on peut la contempler. 



C'est notre actuel représentant, Gérard-Julien Salvy, qui a bien voulu attirer mon attention sur ce magnifique spectacle. Le voici tel que les vénitiens ont pu le contempler ces jours derniers. Pour ceux qui ont la chance de l'avoir déjà vu en vrai, mais aussi pour les autres, Tramezzinimag est heureux de vous présenter ce magnifique palcoscenico dressé par Mère Nature.






25 septembre 2018

03 septembre 2018

Regata Storica 2018, un super millésime !



L'une des dernières vraies fêtes des vénitiens. J'emploie sciemment cette formule plutôt que fête vénitienne qui s'apparente désormais aux artifices mercantiles que produisent partout dans le monde les organisations en charge de la culture et du tourisme. L'intention est bonne bien sûr, attirer le chaland avec des bribes de l'Histoire d'un pays, d'une ville, d'un peuple. Mais si les spectateurs se régalent - au prix de bousculades et de suées en plus de tickets d'entrée pas donnés - les vénitiens s'enfuient, reconnaissant de moins en moins leurs fêtes. 

Même la Fête de la Salute est aujourd'hui suivie par les hordes qui arpentent le pont, assistent aux messes votives comme on regarde un match de foot, et mitraillent - se mitraillent aussi - l'évènement pour pouvoir rayonner dans les réseaux sociaux et proclamer  des "nous y étions !" exhibitionnistes.  


Bref la Regata Storica garde ses codes, ses usages et les vénitiens ne l'ont pas encore désertée. Certes, le nombre grandissant de fenêtres closes et de balcons vides rappelle tristement combien la ville se vide de sa population, certes il faut ordonner à la police de règler la circulation piétonne comme on le fait avec les automobiles sur les routes, avec des zones interdites parce que déjà trop encombrées, avec des rues mises en sens unique. Certes, on entend bien plus parler anglais, chinois, russe ou français sur la Piazza et le long des rives du Canalazzo, mais c'est aussi le temps de la Mostra du Cinéma et de la Biennale... Et puis tout le monde a bien le droit d'assister au spectacle de ces rameurs qui concourent de la même manière depuis des siècles.

Cette année, il a cependant une nouveauté. Elle n'est pas due à la volonté des organisateurs pas plus qu'à la pression touristique ou mercantile. Elle ne vient pas des politiques.Elle s'est imposée à nous tous comme le soleil perce les nuages après l'orage.

Il s'agit de la jeunesse. La jeunesse vénitienne qui manifeste peu, qui semble déconnectée des usages et des traditions, qui statistiquement ne fait plus vraiment le poids face aux anciens, de plus en plus nombreux, de plus en plus vieux,  aux étudiants venus d'ailleurs - de plus en plus nombreux aussi - et aux masses de visiteurs qui envahissent chaque jour de l'année désormais, les rues de leur ville. Ces garçons et ces filles nées ici ont leur ville dans le sang. ils en parlent la langue, ils en sont fiers. Totalement en prise avec leur époque, ils sont dotés deqs derniers outils de communication, smartphones flambants, tablettes, ordinateurs portables, mais aussi moteurs hors-bords rutilants avec lesquels ils aiment parader, jouant à tape-cul avec leur embarcations parfaitement entrenues, filant vers le Lido où ils se retrouvent en bande sur les plages ou chez les glaciers, la musique à fond. Mais ils savent aussi ramer à la vénitienne, d'instinct le geste leur vient et presque tous participent à des régates. 

Mais cette année, ils ne se sont pas contentés de participer. Ils ont donné une couleur, une orientation à la course. Très jeunes, ils ont la force et peuvent désormais défier leurs aînés, plus forts, plus expérimentés mais qui ne possèdent pas, ou plus, cette fougue, cette détermination propre à la jeunesse. Bien plus encore, ils ont montré lors des courses qui leur étaient réservées, un sens de la courtoisie, du fairplay, une rigueur sportive dans l'esprit Olympique voulu par Pierre de Coubertin. Pas d'embrouille, pas de manœuvres pour mettre en difficulté l'adversaire. Une course  - un combat allais-je écrire - à la loyale comme le sport devrait toujours en offrir. Et Dieu que le spectacle était beau. Tellement beau que les commentauers de la télévision etd e la radio sont restés un instant muets 

Après la course des gondolini, Zaniol, l'un des plus jeunes participants, arrivé en tête avec son compagnon Moretti, a dit au micro de Radio Venezia "siamo piccoli ancora, dobbiamo imparare ancora", ("nous sommes encore petits et nous avons beaucoup à apprendre"). Pourtant, les deux sont de la graine d'athlètes, de futurs grands champions !  Leçon de modestie quand on compare ces deux jeunes gens aux vedettes vainqueurs une fois encore et pour qui vaincre et écraser l'adversaire importe plus que participer et donner à voir du beau spectacle. Ceux-là sont d'hier et Wikipedia gardera le souvenir de leurs victoires mais ils n'attirent guère la sympathie alors que les Zaniol, les Moretti, et tous les autres, nous envoient de beaux signaux. Non l'avenir de l'humanité n'est pas si nir tant que des jeunes encore en apprentissage de la vie, agissent avec respect, empathie, dans un esprit de camaraderie et de fraternité sans lequel il n'y a pas de bonheur possible. Face aux contraintes du monde libéral où seul l'argent et la réussite matérielles comptent, ces enfants - car ils se définissent avec lucidité comme cela eux-mêmes - montrent une autre voie. Plus saine, plus harmonieuse et qui fait mentir les anciens fourvoyés qui nous entraînent vers la catastrophe.

Reportage photo de Catherine Hédouin (Tous Droits Réservés) :








 

01 septembre 2018

I Gondolini : Avec la bénédiction du Père, les champions de demain se mettent à l'eau

 
"Le sport est harmonie, mais si c’est la recherche de l’argent qui prévaut, et celle du succès, alors cette harmonie se casse... Dans une optique de victoire à tout prix, on court le risque de réduire les athlètes à des instruments dont il faut tirer profit... Ils entrent alors dans un mécanisme qui les transforme, ils perdent le vrai sens de leur activité, cette joie de jouer qui les a attirés en étant enfants et qui les a poussés à faire tant de sacrifices et à devenir des champions..." 
 
C'est avec les mots du pape François que les jeunes athlètes et leurs aînés ont été accueillis par Don Fabrizio Favaro sur les marches de la Salute. Partis du palazzo Vendramin-Calergi, siège du casino municipal, devant lequel trône une rutilante Ferrari (symbolisant le jumelage de la Régate Historique de dimanche prochain avec la célèbre course automobile de Monza qui aura lieu le même jour et sera présentée en même temps sur les écrans de la RAI).
 
Signe des temps, cet engin automobile, transporté en grande pompe sur le grand canal quelques heures avant ce magnifique et traditionnel cortège des gondolini (les barques à deux rameurs). "Nous vivons une époque moderne" comme répétait notre ami Philippe Meyer à ses auditeurs. C'est donc devant une foule assez nombreuse composée de vénitiens, curieux, parents et amis des athlètes, journalistes et quelques touristes, que les rameurs ont reçu la bénédiction après avoir écouté les discours d'usage, celui du maire Brugnaro qui a rappelé le jumelage avec le grand prix de formule 1 de Monza, le délégué à la Tradition (mais oui !) Guivanni Giusto qui a tenu à souligner la présence de très jeunes coureurs en lice pour la première fois, augurant d"un bel avenir pour la voga alla veneziana

Tout le monde était sérieux et recueilli, conscient de l'importance de cette cérémonie, dans un monde qui bouge tellement vite et laisse souvent se perdre usages et traditions. Chants traditionnels de la lagune interprétés avec enthousiasme et bonne humeur par le chœur Serenissima, puis ce fut au tour de deux rameurs, Mary Jane Caporal et Alessandro Vignati qui ont déposé un bouquet à l'autel de la Madone, entorse à la tradition, puisque jusqu'à présent l'usage voulait que ce soient les plus anciens qui se déposent la gerbe... Peut-être par ce choix, les organisateurs voulaient-ils souligner l'importance donnée à la participation de tous ces jeunes prêts pour la relève. Après le Notre Père repris par tous, les jeunes ont reçu un maillot du groupe Avm (Azienda Venezianan della Mobilità) remis par le conseiller municpal Piero Rosa Salva, tandis que le commandant Marco Agostini, chef de la police municipale a proclamé l'ordonnance qui règlera la circulation piétonne dimanche. A partir de 13 h. 30 et jusqu'à la fin de la manifestation, la police pourra mettre un sens unique dans les rues adjacentes au grand canal. Comme pendant le temps du carnaval, l'accès à certaines zones pourra être bloqué pour éviter tout incident.






Crédits Photographiques : Catherine Hédouin - 2018 . Tous Droits Réservés.

27 août 2018

Un matin comme les autres. Chroniques d'un été vénitien (2)

Vivre en pleine conscience les instants les plus bénins de nos jours érigés en ouvrage d'art, work in progress toujours inachevé, l'écoulement des heures où les tâches du quotidien prennent le masque d'évènements sacrés. Le premier café du jour d'habitude est un moment de calme. j'aime bien le prendre en dehors de la maison, surtout en cette saison. Un de mes endroits favoris depuis quelques mois, surtout lorsque le temps s'avère doux comme aujourd'hui, est le café de la Foresteria des Crociferi. L'endroit est tranquille, ombragé, et on a le choix entre une terrasse sur l'eau ou le cloître de cet ancien couvent garni de tables et de chaises longues. L'accueil y est vraiment sympathique et attentionné. Le café et les viennoiseries qu'on y trouve sont parmi les meilleurs de la ville. Bref, l'endroit idéal pour reprendre les notes de la veille, lire le journal, répondre aux courriels du jour avant que de vraiment commencer la journée. Depuis chez moi, il ne faut pas plus de dix minutes à pied pour y parvenir et quand j'arrive au comptoir pour passer ma commande, il n'y a guère que trois ou quatre personnes. Les touristes ne se lèvent pas très tôt. Fort heureusement. Mais, ô surprise, une longue queue ce matin tout le long du bâtiment sur le campo, depuis la caserne des carabiniers jusqu'à l'intérieur du bâtiment... Etudiants venus demander une chambre pour la rentrée prochaine ? Touristes ? 

De loin cette foule en cet endroit était pour le moins étrange. Il s'agit en fait d'un casting géant pour un film que se tournera à Venise. Secret bien gardé jusqu'à hier sur le titre du film. Il s'agit en fait de la suite de Spiderman, qui devrait s'intituler Far from Home avec toujours Tom Holland que dirigera Jon Watts. Des gens de tous âges et des deux sexes attendent depuis un long moment déjà que le réalisateur et son équipe fassent leur choix. Le film devrait sortir sur les écrans pendant l'été 2019 aux Etats-Unis. Pas vraiment le genre de cinéma que la Mostra met en compétition mais visiblement l'idée d'y participer ayant fait se déplacer autant de personnes, L'homme-araignée, interprété depuis Captain America : Civil War, par le jeune Holland, connu sur les réseaux sociaux pour ses gaffes et ses non-révélations, trop nombreuses et pertinentes pour ne pas être orchestrées par de très bons professionnel est très populaire en Italie !



Inutile de dire, que du coup, les lieux sont aussi bruyants que le marché du Rialto vers 11 heures ou le hall de Santa Lucia les jours de grosse affluence - ce qui représente beaucoup de jours dans l'année, vous le savez... Mais qu'importe, la  nous apporte des solutions. C'est un casque aux oreilles que j'écris et déguste mon macchiato à la température parfaite, au goût onctueux, et le croissant qui l'accompagne. Fait d'une délicieuses pâte de brioche, jaune, veloutée et remplie d'une confiture d'abricots artisanale, il a des relents des petits-déjeuners d'autrefois à la campagne. La foule est bon enfant, patiente, les gens plaisantent, bavardent entre eux et de temps à autre la file avance. Un entre soi bien sympathique. Il y a là plus d'une centaine de vénitiens, un petit 500e de la population de Venise... 


Décidément, la ville s'est depuis quelques jours placée de nouveau sous le signe du cinéma. La Mostra commence demain soir. Déjà hier, nous avons foulé le tapis rouge traditionnel. Non pas encore celui du Festival, la fameuse Mostra dont c'est la 75e édition (gloups, terrible nostalgie : les éditions auxquelles j'étais accrédité pour un quotidien français portaient les numéros 42 et 43 mais chi se ne frega...), mais celle du mythique Hôtel des Bains rouvert pour l'occasion par la COIMA, l'actuelle propriétaire de l'Excelsior et des Bains. 



Après plusieurs années de mystère et de silence, des projets de résidence de luxe, des rumeurs de démolition et de pillages, c'est officiel : d'ici 2025, l'Hôtel des Bains retrouvera sa splendeur d'antan et ouvrira de nouveau ses salons, ses chambres, son restaurant et ses plantureux jardins au public. Une belle nouvelle. Le prétexte de cette réouverture temporaire, une exposition organisée sans grands moyens qui retrace en quelques centaines de photos et de documents fac-similés l'histoire de la Mostra depuis sa création en 1932 jusqu'à nos jours. On y retrouve des photographies en noir et blanc de vedettes célèbres, d'hommes politiques et des scènes de films cultes. 


Le public vient surtout pour revoir les salles, les plafonds décatis, les peintures écaillées. Fatigué mais toujours splendide, de cette flamboyance classieuse des vieilles demeures nobles. Les terrasses sont ouvertes au public et le mobilier de jardin a retrouvé sa place. les statues et les vases de pierre sont toujours à leur place et le jardin - relativement - entretenu. Au vernissage qui a eu lieu hier, il y avait le ban et l'arrière-ban du monde du cinéma, le président de la Biennale, les dirigeants de la COIMA, et une bonne partie de la société vénitienne. On n'y a pas vu le maire Brugnaro, dont on chuchote qu'il boude l'initiative parce qu'il aurait préféré un énième programme immobilier bon pour les caisses des partis qui le soutiennent. Mais ce ne sont que des potins auxquels il ne faut surtout pas porter attention. 


En tout cas,  en foulant le tapis rouge du péristyle, votre serviteur a retrouvé avec une certaine nostalgie, des bribes de son passé vénitien. Ma rencontre sur la terrasse avec Hervé Guibertles clichés qu'il m'avait montré dans sa chambre aux persiennes viscontiennes, nos échanges sur Venise, Matzneff et Visconti, le garçon dégingandé qui l'accompagnait, boudeur, les propos désabusés de Ionesco à sa femme, Charlotte Gainsbourg presque bébé encore  la grande réception de Daniel Toscan du Plantier avec Unifrance dans les jardins pour je ne sais plus quel film ou simplement pour célébrer l'omniprésence de la France et de son cinéma à Venise, notre arrivée avec Fabienne Babe  que poursuivait de ses assiduités ordonnées par la production du bellâtre Rob Lowe en talonnettes, et Agnès la fille du consul... La présentation du film Il Sapore del grano, filmé dans l'appartement que j'occupais Calle Navarro, à Dorsoduro et dont le héros porte mon prénom en hommage aux soirées passées à élaborer le scénario avec Gianni Da Campo et puis la rencontre avec Marina Vlady, l'une des protagonistes du film... Les années joyeuses. Une autre vie, un autre monde dont le souvenir après tout n'intéresse personne. Juste des souvenirs dont l'évocation m'émeut...




26 août 2018

Dans quelques jours la très attendue Regata Storica

Cliché Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.

Comme chaque année, Venise se prépare à la Regata Storica, le rendez-vous le plus important sur le calendrier des festivités traditionnelles de la Sérénissime, un des rares qui rassemblent la population et les touristes, la compétition la plus suivie - et la plus spectaculaire, des adeptes de la fameuse "Voga alla Veneta", discipline sportive unique au monde pratiquée dans la lagune depuis la nuit des temps. 

La régate et le cortège historique qui la précède auront lieu comme chaque année le premier dimanche de septembre, à 16 heures. Comme toujours devant une foule nombreuse et très impliquée où se mêleront des vénitiens de tous âges et de tous milieux, des invités étrangers (la Mostra du Cinéma début aussi dans les prochains jours), et des touristes venus du monde entier. 

La Regata Storica dans son aspect actuel est née à la fin du XIXe siècle. La tradition des courses d'embarcations à la rame est connue depuis les débuts de la République et n'a jamais été interrompue, même sous l'occupation française puis autrichienne. C'est en 1899 que le maire de l'époque, Filippo Grimani, lui donna sa forme définitive. Elle fut insérée dans le programme de la IIIe Biennale d'art et il y fit ajouter un cortège historique d'embarcations  de parade, reconstruites d'après des plans et des gravures d'époque, dont la Bissone sur lesquelles prennent place des figurants en costume d'époque. Le cortège est censé rappeler le retour en triomphe de Caterina Cornaro reine de Chypre que les vénitiens avaient contrainte d'abdiquer en 1489 en faveur de la République en échange de la seigneurie d'Asolo et d'une importante rente, entraînant de facto l'annexion de l'île par la Sérénissime.

Cliché Catherine Hédouin - Tous Droits Réservés.

20 juin 2018

Editions Tramezzinimag : et si nous lancions la machine tous ensemble ?


Variations en guise d'avant-propos.
Il y a quelques semaines, j'étais assis à une terrasse en train de lire Le Gazzettino quand le non de TraMezZiniMag fut prononcé. Bien évidemment je dressais l'oreille, cherchant en même temps à me cacher derrière les feuillets bien pratiques du quotidien vénitien qui ne fois déployés devaient me faire ressembler à l'inspecteur Clouzot cherchant à passer inaperçu. En réalité, j'étais installé sur une table haute, devant l'une des fenêtres du bar largement ouvertes sur la rue et les deux dames qui venaient de mentionner le sésame qui ouvrit ma curiosité étaient installées un peu plus loin en contrebas de ma place. 

Elles ne pouvaient me voir, assises à l'angle de la terrasse et ne devaient apercevoir tout au plus qu'un pan du journal avec derrière un homme en train de le lire. Il y avait du bruit dans le café. Je ne parvenais pas à tout bien entendre. Les deux dames parlaient français. l'une dit à l'autre : "je me demande à quoi il ressemble vraiment, la photo sur le blog est la même depuis des années !". "Oh pour moi ce n'est pas vraiment important, c'est ce qu'il écrit dans Tramezzinimag qui m'intéresse. "Oui, mais il écrit de moins en moins". Moue dubitative de la dame se reflétant sur la vitre : "Il a peut-être moins de temps ?" "Ou bien il est à court d'idées et puis les blogs, qui est ce qui les lit encore ? " Toi , moi, et plein d'autres". "N'empêche qu'il écrit peu". Et tu as entendu ce que disait X. (là, je censure le nom) à la visite l'autre jour ? Il va lancer une maison d'édition" "Oui, je me demande quand et où !" "Ben ici je suppose, Tramezzinimag c'est sur Venise non ?" Passée la fierté d'entendre deux inconnues parler de TraMezZiniMag et de son inventeur - ce qui demeure un petit plaisir que je serai hypocrite de refuser - je me suis dit que la rumeur se faufilant, il était temps de mettre à l'eau le navire puisque il avait déjà tellement de marraines...

Comme la part du colibri
Quatorze années de travail, souvent assidu, parfois difficile, cela mérite un peu de reconnaissance même si celle-ci n'est en rien le moteur de mes actions ni le carburant qui me fait avancer dans mes projets. Savoir que ma passion trouve encore, après tant d'années, quelque écho est effectivement un bonheur qui justifie le temps passé, les soucis et déboires que les lecteurs fidèles - et lectrices aussi - connaissent par cœur, tant j'ai (trop) souvent abordé le sujet, mais la conversation surprise par hasard - je ne m'arrête guère aux terrasses des cafés pour lire le journal que j'aime décrypter chez moi - m'a été comme un révélateur. Non pas une révélation. Aucune épiphanie

Ce que je percevais en négatif s'est déployé soudain : rien ne nait de rien et sans prétendre, notre part, aussi infime soit-elle et précaire et temporaire, a toute sa place dans le cheminement des idées. L'histoire du colibri toujours en encore. Si vraie, si belle et qui justifie les actions les plus simples, les plus dénuées d'arrières-pensées. Alors, comme une évidence, il était largement temps de passer à l'acte et de lancer cette belle idée d'une fabrique de livres, faits avec amour pour un public très large d'amoureux des beaux textes, qui partageraient avec nous cet amour de Venise, du rêve et des voyages... Mais créer une maison d'édition cela semble aisé au premier abord. Choisir des textes, élaborer une jolie maquette, et vogue le navire. Si seulement.

 

Éditer un livre est un travail minutieux, long et parfois terriblement difficile. Puis, le livre imprimé, le dossier de presse élaboré, il faut qu'il parte à la rencontre de ses futurs lecteurs, il faut qu'on parle de lui, il faut qu'on le désire et qu'on le voit chez les libraires, dans les colonnes des revues. Travail de fourmi qu'on ne peut faire seul. Certes, la petite équipe qui mitonne le projet éditorial de Tramezzinimag s'étoffe semaines après semaines et un petit pécule dort dans le coffre d'une banque prêt à pourvoir aux premières dépenses. Encore faut-il être sûrs que les lecteurs suivront, que les partenaires distributeurs, journalistes, libraires joueront le jeu et accueilleront les premiers nés de la couvée avec commisération, voire avec enthousiasme.


Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin*
Afin de mettre le maximum de chances avec nous, je lance un appel aux amis de TraMeZziniMag. Il va nous falloir plus que ce que nous avons pour le moment, pour faire face aux frais d'installation, à l'achat de matériel informatique, à la communication de lancement, et aux frais de lancement des premiers ouvrages.

Aidez-nous en devenant partenaires associés de la maison d'édition. Pour cela, plusieurs possibilités : devenir donateur ponctuel, souscrire aux premières parutions, participer au crowd-fundings qui seront lancés en France, en Belgique, au Canada et en Italie, devenir membre actif de l'association des Amis de TraMeZziniMag, voire rejoindre l'équipe à Venise ou en France. Toutes les contributions seront accueillies avec joie, toutes les propositions étudiées avec attention.




* Proverbe africain.

15 avril 2018

Venise en avril : su et zo i ponti, fleurs de ciment et autres promenades

On peut à Venise se contenter d'errer le nez au vent de San Marco au Rialto, de la pointe de la douane aux confins des Fondamente Nuove et se sentir loin de la vie habituelle, loin du monde courant et oublier tout le reste. C'est agréable certes, et beaucoup s'en satisfont, mais c'est assez réducteur pour cette ville unique au monde. Y vivre est un bonheur qui se paye. 


Aucune allusion aux prix pratiqués par les commerces et restaurants chinois - et s'il n'y avait que dans ces lieux-là... - mais aux difficultés rencontrées pour trouver du pain frais, des lacets de chaussure ou du dentifrice. Capable d'abriter plus de 100.000 habitants, Venise fut jusqu'à récemment dotée de toutes les facilités nécessaires à la vie quotidienne, des commerces de proximité à foison, des écoles, des crèches, des hôpitaux. On y vivait mieux qu'ailleurs car sans le stress du trafic automobile et dans un décor unique au monde, entouré d'eau comme dans une matrice. L'eau est toujours là, elle monte au gré des marées et des vents un peu plus souvent qu'autrefois, la beauté même décatie par l'usure du temps, et la pollution - Venise serait plus polluée que Pékin à certains moments de l'année (c'est sûrement ce qui attire les milliers de chinois qui y viennent vivre ou la visitent), et mêmes nombreux, les moteurs des bateaux sont loin d'atteindre le niveau sonore insupportable des grandes cités modernes. Mais il n'y a pratiquement plus rien qui permette aux vénitiens de vivre facilement. Avec un million de touristes en plus par rapport à l'an passé - ce qui donne plus de 30.000.000 de visiteurs par an ! - on n'est pas comme ailleurs. Dubrovnik ou Corfou vivent le même cauchemar : les habitants s'enfuient, les maisons se vident vite transformées en hôtels ou en chambres d'hôtes pour l'appât du gain et les boucheries, les fleuristes, les boulangers et les épiciers cèdent la place à des marchands de bimbeloterie à trois sous (toujours les chinois) ou des fast-foods... 

Bref, ce n'est pas une sinécure. Pourtant, Dieu comme on y est bien. Surtout aux périodes boudées par les touristes (ou par les voyagistes plutôt) et pendant la saison touristique (qui s'étend quasiment sur toute l'année désormais) dans les moments où les hordes se posent pour se sustenter, reposer leurs pauvres pieds endoloris ou pour dormir. Le vénitien peut alors retrouver ses homologues, promener tranquillement son chien ou faire jouer ses enfants sur les campi vidés du plus gros des troupeaux de visiteurs. Il peut saluer ses voisins sans être la cible de dizaines de photographes, il peut arpenter les rues et traverser les canaux sans faire la queue comme à un feu rouge ni risquer de se faire écraser les pieds par une valise à roulettes. C'est pendant l'enfer un peu moins l'enfer et tout le monde se détend.

C'est dans cet esprit que s'est déroulé pour votre serviteur une bonne partie de la journée d'aujourd'hui. Après avoir traversé le grand canal avec hésitation (passer sur l'autre rive n'est pas une mince affaire depuis quelques temps : le pont de l'Accademia est en rénovation. entouré de palissades, le piéton ne dispose plus que d'un passage étroit en sens unique et il est très fréquenté ) emplettes dans un supermarché bon marché du côté de Sainte Marthe pour des produits d'hygiène ménagère, promenade dans ce quartier éloigné et peu fréquenté par les touristes - il faisait doux et le soleil donnait enfin envie de flâner -  ombra ensuite au bistrot Do Draghi sur le campo Santa Margherita come di solito, servi par la ravissante Angelina de Trévise.

Il y avait ce soir d'étranges flâneurs. En effet, une partie des 11.000 inscrits à la traditionnelle course Su e Zo i ponti, quarantième du nom, arpentaient de nuit les rues et les ponts de la ville pour le prélude à la manifestation, sorte de course de charité au bénéfice de la Mission salésienne de Iaurretê en Amazonie. La foule était donc plus dense encore que d'habitude autour des points névralgiques de la cité des doges mais il faisait beau et la manifestation est sympathique avec une majorité de vénitiens des environs, jeunes et vieux. En tendant l'oreille, on distinguait les participants venus de Trévise, ceux de Mogliano ou de Castelfranco des vénitiens purs. Parmi les inscrits des coureurs venus de plus loin encore mais en majorité de la province.

On en croisait partout du côté des Zattere en fin d'après-midi et la galerie ItinerArte de la très solaire Maria-Novella Papafava dei Carraresi, descendant d'une des plus grandes familles originaire de Padoue inscrite au Livre d'Or de Venise et fille de l'écrivain Novello Papafava qui fut directeur de la RAI, où se déroulait le vernissage d'une intéressante exposition des travaux de Virgilio Patarini et de Maria-Novella elle-même, vit passer des tas de gens bizarrement vêtus pour les lieux. Déjà vêtus des maillots et blousons officiels de la manifestation, ils erraient à la recherche d'une terrasse ou d'un marchand de glaces. Nico n'est pas très loin. Certains, sûrement mal informés, traînaient même avec eux un vélo...

Perifrase veneziane

La découverte du travail de Virgilio Patarini,  un de ces artistes au talent polymorphe comme TraMeZziniMag les aime, est une belle surprise. Ce lombard (il est né à Breno dans la province de Brescia, non loin de Bergame, dans cette contrée splendide qui a tout pour façonner la sensibilité chromatique des peintres et des cinéastes - Comencini, Guadagnino viennent de par là ), a plein de cordes à son arc. Plasticien, scénographe, auteur, commissaire d'expositions, l'homme est passionné. Il communique instantanément sa jovialité avec la faconde des gens réellement inspirés et qui n'ont rien à prouver. La simplicité est souvent la compagne du vrai talent. Il propose dans la jolie petite galerie, pimpante et rénovée de Maria Novella des travaux récents, des paysages urbains réalisés aux pigments sur des plaques de ciment. Images de la Venise connue, skylines de la Sérénissime, conçues sur place mais peintes à Naples, nées du regard acéré du peintre mais interprétées par le biais du medium utilisé comme la traduction d'un ressenti. Il en ressort un travail pictural qu'on pénètre peu à peu et d'où surgissent des réminiscences d'émotions esthétiques personnelles et de sensations vécues au fil des promenades dans ces lieux connus de tous mais qui nous sont uniques. San Giorgio, San Trovaso, Marghera, autant de paysages urbains reconstitués dans des gammes chromatiques chaudes mais de cette chaleur si prégnante qu'ont les métaux quand ils vieillissent, ces tons veloutés de la rouille et de la  mémoire. Certains évoquèrent Zoran Music qui travailla sa vision de Venise dans les mêmes tons mordorés. Une agréable promenade. 


Les travaux de Maria-Novella Papafava présentés dans la deuxième - ou bien est-ce la première, car la galerie est faite de deux lieux mitoyens mais séparés - se marient parfaitement avec les œuvres du sympathique lombard. Elles illustrent avec la délicatesse et la fougue artistique de l'artiste, plasticienne, écrivain, danseuse et chorégraphe, auteur-compositeur, actrice, ces paraphrases vénitiennes - c'est d'ailleurs le (joli) titre de la mostra - mais aussi le talent de la maîtresse des lieux. Toujours avec discrétion et un sourire ensorcelant mais qui semble toujours vouloir s'excuser, elle exprime une sensibilité tellement ciselée qu'elle frise parfois la souffrance. Celle des plus talentueux d'entre nous, ceux que la vie ou la lucidité écorchent mais dont ils se nourrissent et qui offrent au monde une œuvre pleine de poésie. En parcourant ces parafrasi veneziane, j'avais dans la tête la voix de John Wills chantant Love is Swift My Dear qui me revient souvent lorsque je marche seul dans les rues de Venise. 

Parfois l’effet d’un enfant
L'atmosphère toujours conviviale, retenue et pourtant pleine d'empathie qui suintent de ces lieux, les carafes de spritz et les tramezzini de Rosa Salva, le public où se mêlaient amis de la galerie, artistes, philosophes et poètes évoquaient aussi les Kinderszenen, l'opus 15 de Robert Schumann, et plus particulièrement L'enfant qui s'endort (Kind im Einschlummern) qui évoque aussi mes années vénitiennes de jeunesse, quand, comme Clara à Robert, on me disait souvent : "tu me fais parfois l’effet d’un enfant ! " Un des plus beaux compliments qu'on puisse recevoir et que je fais à mon tour aux deux artistes tant la poésie qui émane de leur travail comme de leur approche des beautés de la Sérénissime déborde de pureté, d'amour et de pudeur...


A deux pas de la galerie, sur le campiello, la jolie petite maison rouge était habitée par une famille sympathique. Giusi Gradella et son mari magistrat m'y accueillaient souvent avec leur gentillesse et leur simplicité. Ils logeaient mon amie Anna Neushhafer, jeune allemande à peine mariée à un pasteur avec qui j'écoutais souvent les Scènes d'enfant par Martha Argerich. Leurs deux filles, plus jeunes que nous, rayonnaient dans cette maison d'intellectuels cosmopolites qui me reposaient alors de l'atmosphère dans laquelle j'étais contraint de vivre du côté de Cannaregio. Il régnait chez eux le même esprit que chez mes parents et les dîners auxquels j'étais convié me ramenaient chez moi comme ceux de la duchesse Decazes me transportaient chez mes grands-parents. 


C'est dans cette maison que je découvris vraiment l’œuvre de Robert Schumann avec les disques d'Anna que nous écoutions avec un walkman, merveilleuse invention de Sony... Rien à Venise, aucune sensation, aucun recoin, aucun moment n'est anodin pour mon cœur. Je me suis formé dans ces lieux, j'ai vécu l'essentiel de ma vie intérieure en partant de ce qu'ici j'ai reçu, appris, compris...  

Promenade culturelle 
Cette journée sous le signe de l'art. Visite des galeries du côté de la Fenice. Chiacchierata avec Renato Luce dans sa galerie devant ses magnifiques Cesetti et ses Santomaso. Nous évoquons Graziussi qu'il ne porte pas dans son cœur comme beaucoup de professionnels ici, le Naviglio, et les autres galeries disparues. Visite ensuite à la galerie Bordas où sont exposés des œuvres de Zoran Music. Bonheur de voir ses croquis et quelques livres d'artistes splendides parus chez Fata Morgana ou ailleurs. Quelques petites toiles que je ne connaissais pas et l'ombre d'Ida Barbarigo, de François Mitterrand  et de sa fille Mazarine du temps où les croiser dans la ville était une habitude... Que dirait l'ancien président de ces hordes bruyantes qui dévalent le long des rues sans jamais s'arrêter devant les belles choses exposées mais qui stagnent devant les boutiques des chinois comme subjugués par les horreurs présentées ? Mais il est temps de rentrer dîner. La course nocturne passe sous nos 
fenêtres ou presque. Cela promet de durer un moment. Public bon enfant mais bruyant... 

Crédits photographiques (et remerciements): © Catherine Hédouin, Avril 2018 - Tous Droits Réservés