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02 juillet 2012

Venise et les peintres (I)

Venise et les peintres... Une longue histoire d'amour. un peu de hargne aussi parfois. Comment résister à cette lumière, à ces couleurs, à la magie des reflets... 

Ce miroitement qu'il est tellement difficile de traduire. Et les perspectives, la beauté altière des palais, la fascinante profondeur des ciels changeants... Beaucoup ont échoué à traduire ce miracle de beauté. Certains y parviennent à tel point que leur œuvre est définitivement associée à tout cela qui fait Venise et le regard qu'on pose sur elle, même à distance.





J'aime depuis longtemps partir à la recherche de ces vues de Venise, ces portraits de la Sérénissime nés un jour de la fascination d'un artiste, connu ou inconnu, professionnel ou amateur depuis le XIXe siècle. La galerie TramezziniMag vous en présente ici quelques uns, glanés au fil des ans, des expositions, des ventes et des lectures. Eugène Boudin aimait particulièrement la lumière sur les façades et leur reflet dans l'eau des canaux, comme le montrent les deux huiles présentées ci-dessus. 

Bon nombre de voyageurs ont avec eux un carnet à dessin où ils tentent d'immortaliser toute la beauté des lieux qu'ils arpentent. Simples ébauches, dessins achevés, crayon, encre, aquarelle, ces croquis ont toujours une âme et sont la plupart du temps remplis de poésie. Ils traduisent, parfois maladroitement l'amour de leurs auteurs pour Venise.



28 juin 2012

San Gregorio au temps des Habsbourg

Le cloître de San Gregorio par Antonietta Brandeis (1849-1920)

Originaire de Erdmannsdorf-Zillerthal, en Bohème (aujourd'hui Myslakowice en Tchéquie), elle fut élève de l'école des Beaux-Arts de Prague avant de suivre à Venise, les cours de Michelangelo Grigoletti alors directeur de l'Accademia. Elle a produit une grande quantité de peintures sur Venise dans l'esprit des védutistes que TraMeZziniMag aime particulièrement.

27 mai 2012

San Zaccaria, un matin de mai

San Zaccaria. Un matin de mai. Peu de monde dans l'église. Bellini. Le chef-d’œuvre. Le concert à la vierge. La madone assise en gloire sur un trône luxueux, entourée de saints, en extase vers son fils écoutant un ange lui faire de la musique. Tableau délicieux. Tant d'amour et de résignation dans ce regard de mère. Tant de douleur et de gloire dans ces sons qui le bercent. On ne fait plus de belle musique comme cela maintenant.

Joie et bonheur que ces retrouvailles matutinales avec la beauté. Dans la nef, une femme balaye le vieux pavement humide. Les cloches dehors sonnent à toute volée. La crypte résonne du clapotis de l'eau qui remonte des profondeurs du temps.  
C'est à chaque fois une grande paix, Venise, à l'intérieur d'une église. Quand la froidure de l'hiver rend la lumière de midi d'un blanc métallique, que les volutes de pierre et tous les ors s'animent et réchauffent le passant transi. Quand à la fin du printemps, lorsque le jour vient à mourir et teinte les vitraux de rayons roses qui rendent l'heure poignante et douloureuse alors que dehors tout n'est que rire et légèreté.
Autrefois, à San Zaccaria, on vendait à côté des cierges de jolies petites fleurs blanches appelées étoiles du berger. Les dames les accrochaient à leur revers quand elles ne les déposaient pas au pied de ce joli concert immortalisé par Bellini.

25 avril 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SERIE 28) : "Autant la mer" de François Matton

Découvert par hasard ce très bel album-livre comme je les aime, où l'histoire mêle les mots et le dessin. Un trait acéré et plein de poésie, sans fioritures ni concessions. c'est moderne et très classique en même temps. L'histoire est belle et parlera certainement à beaucoup. Une parenté indirecte avec Venise qui parlera aux lecteurs de TraMeZziniMag. Voici ce que l'auteur a écrit sur cet opus dans son blog :
"Vouloir partir vivre sur l'eau est un rêve d'enfant qui ne s'encombre pas du réel. C'était le rêve de mon frère Benoît, tel que je le raconte dans Autant la mer. Partir vivre sur l'eau, loin de l'agitation des villes, loin des habitudes bourgeoises, loin de ce qui se répète sans qu'on le remette en question, loin des moules dans lesquels, après quelques fanfaronnades, on se coule si vite (c'est tellement pratique), loin des responsabilités compliquées, loin des enjeux d'argent, loin de la nécessité de se battre pour travailler, loin de la nécessité de jouer des coudes pour être, sinon le premier, celui qui sait passer sans scrupules au-dessus des autres (tous les coups bas sont bons), loin des stratégies honteuses nécessaires pour se faire passer pour celui sur qui compter, loin de tout les arrangements véreux - sans parler de la vie de couple, de la sexualité arrangée, cadrée, fichée, tristement réglée. Partir loin de tout ça qu'il est répugnant d'endosser à son tour : le monde bavard des hommes qui produisent, réclament, vendent, mentent, se réjouissent de réussir un coup, se désolent outre mesure d'en avoir raté un autre. Cette misère que mon frère, encore très jeune, n'avait pas connue directement mais qu'il devinait facilement par l'observation des autres (The Others), il voulait la fuir au plus vite, et je le comprends." 
 Autant la mer 
François Matton 
Éditions P.O.L. - 2009 
128 pages, 17 €

21 avril 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SERIE 27) : Connaissez-vous André Hambourg ?


Ils sont nombreux les peintres que la lumière de Venise a su captiver. André Hambourg est de ceux-là. Né et mort avec le siècle (il naquit en 1909 et s'est éteint en 1999), ancien élève des Beaux-Arts de Paris, il fut peintre officiel de la Marine et correspondant de guerre. Il vécut à Honfleur, connu pour la beauté de sa lumière si changeante qui attira tant de peintres. Son expérience professionnelle l'amena à publier plusieurs ouvrages consacrés à son vécu à la fin de la guerre. Il fut l'un des premiers français à pénétrer dans le fameux nid d'aigle de Hitler à Berchtesgaden en 1947. 
A la peinture et à l'écriture, s'ajoutaient des talents d'illustrateur et de graveur. Je l'ai découvert dans les années 80 en farfouillant dans la bibliothèque de mes parents. Ils possédaient une édition de l'Altana ou la Vie Vénitienne d'Henri de Régnier (Éditions Rombaldi, 1959) magnifiquement illustrée par André Hambourg. Quelques années plus tard, une exposition à Granville m'a permis de me rendre compte de visu combien sa palette était riche de poésie et de profondeur. 
Certains le rangent avec une certaine condescendance dans la catégorie des peintres mineurs qui n'ont pas révolutionné la peinture et quand bien même. Ses tableaux sont pleins de charme, joyeux, ensoleillés. Il émane de sa vision picturale de Venise une grande sensibilité. Dans ses premiers séjours au tout début des années 60, il a pu s'immerger dans une Venise pleine de vie qui renaissait, se relevant, comme tout le reste de l'Europe, des rigueurs de la guerre. Il y avait peu de touristes encore, et beaucoup de vénitiens, jeunes et vifs. Toute cette atmosphère se retrouve dans ses peintures.
Ses héritiers ont édité récemment un catalogue raisonné de son œuvre. Je ne l'ai pas encore feuilleté (voir le lien ICI). Je me demande si cet homme au sens de l'observation tellement aiguisé (l'expérience de ses années de correspondant de guerre et de peintre de la Royale) l'avaient amené à dessiner des croquis de ce qu'il voyait avant que d'en faire la traduction sur ses toiles. Les lecteurs de TraMeZziniMag connaissent mon goût pour les carnets d'artiste, les croquis au fil du crayon ou de la plume, toujours très vifs, très purs et authentiques. C'est une question que je souhaiterai poser à ceux qui connaissent bien son travail. Le site qui lui est consacré parle d'un carnet vénitien justement. 
Venise l'avait tellement impressionné, qu'il fut comme figé par sa beauté : "J'ai voulu travailler immédiatement, mais je n'y suis pas parvenu. C'était comme si je m'étais trouvé devant une femme trop belle, trop désirée et qui se serait refusée. J'étais paralysé. J'ai laissé tomber mes bras et mes pinceaux..."
Mon ami Antoine, dans sa dernière lettre avait choisi d'illustrer un poème de Jean de la Ville de Mirmont (écrit en 1910 et extrait de "Retours", paru dans l'Horizon Chimérique), par une vue du Bacino di San Marco, intitulée "Printemps à Venise". Une foule d'embarcations occupent le premier plan, avec au fond, nimbé d'une brume estivale, la basilique de San Giorgio. Ceux qui connaissent Venise retrouveront toute l’atmosphère d'un jour d'été. Ils seront aussi d'accord avec moi quand je dis qu'il y a une parenté avec le travail vénitien d'Albert Marquet.
" Mais que m'importe la tristesse des retours 
Et l'éternelle ressemblance de mes jours ! 
Ce que je cherche et ce que j'attends n'est pas en eux 
Ni dans tout ce que l'on voit et puis que l'on oublie. 
Le bonheur désiré sera si lumineux Que le reste paraîtra l'ombre de ma vie."

07 avril 2012

Pietro della Vecchia, un petit maître injustement méconnu

Pietro della Vecchia, de son vrai nom Pietro Muttoni qui naquit et mourut à Venise (1603 - 1678), est un peintre aujourd'hui considéré comme mineur mais qui, principalement actif dans sa ville natale en pleine époque baroque, représentant bien cette grande école vénitienne. Élève d'Alessandro Varotari dit il Padovanino qui lui apprit la manière des grands précurseurs du XVIe siècle, notamment Titien et Giorgione. Reconnu pour l'habilité avec laquelle il reproduisit le style des maîtres du XVIe siècle, il fut aussi le spécialiste des scènes grotesques et un portraitiste réputé. Peintre officiel de la République, il fut chargé de la réalisation des cartons des mosaïques de la Basilique Saint-Marc, vaste chantier qui l'occupa tout entier de 1640 à 1673. Il épousa une femme peintre d'origine flamande, Clorinda Renieri, fille du peintre Nicolas Regnier, surtout passé à la postérité en tant que marchand d'art, avec lequel Pietro Della Vecchia entretenait des rapports d'affaires. Il repose dans l'église San Canciano où eurent lieu en septembre 1678 des funérailles d’État conduites par les plus éminents membres du Sénat.

06 avril 2012

Au hasard de nos promenades...

Connaissez-vous le Palazzo Montecuccoli ? Construite au XVème siècle dans le style de Pietro Lombardo, cette vaste bâtisse se trouve au sud du Grand Canal, non loin du pont de l'Accademia, pratiquement en face du Palazzo Franchetti. 
 
Plus connue sous le nom de Ca' Contarini dal Zaffo, l'imposante demeure est couramment appelée aujourd'hui Palazzo Polignac. Ce fut la résidence de Winnerita, Princesse de Polignac, la fille de l'homme d'affaire américain Isaac Merritt Singer, fondateur de la célèbre entreprise de machines à coudre. Sa sœur qui avait épousé le Duc Jean-Elie Decazes s'étant suicidée, elle élèvera ses neveux et leur lèguera le palais. C'est sous le 5e duc, Elie, disparu l'année dernière, arrière-petit-neveu de la Princesse de Polignac, que j'ai eu le bonheur de fréquenter cette maison tellement hospitalière qui grouillait d'amis inconnus et de visiteurs illustres. Dans l'un des premiers billets de ce blog, un lecteur anonyme m'en avait fait le reproche assez crûment alors - je racontais ces rencontres incroyables pour le jeune homme que j'étais : le vieux prince de Faucigny-Lucinge sourd comme un pot quand cela l'arrangeait qui nous racontait sa jeunesse et se moquait de son neveu par adoption, l'ancien président Giscard ("celui au nom d'emprunt" comme avait dit avec malice le Général de Gaulle), le chef lyonnais Paul Bocuse... C'est dans ces murs aussi que j'appris à mieux connaître mon ami Roger de Montebello, petits-fils du duc, ses cousines Sabran, les Breteuil... Une famille très unie, drôle qui vivait simplement et s'amusait beaucoup. La duchesse Solange servait le soir après dîner du tilleul venant de leur propriété de Libourne, les dîners étaient souvent monochromes, concocté par un chef emprunté à quelque ambassade, le service impeccable et un protocole royal qui effrayait un peu - c'était voulu - le jeune homme mal dégrossi que j'étais. Combien d'après-midi passés dans le jardin à papoter... Et cette fameuse visite de la reine mère d'Angleterre venue inaugurer des vitraux restaurés de San Giovanni e Paolo qui passa prendre le thé au palais.
 
Walter Richard Sickert, l'artiste qui a peint cette toile (entre 1901- 1904) et qui avait rencontré la princesse à Dieppe fut convié quelques temps après à Venise. Il y réalisa de nombreux dessins et on connait de sa période vénitienne plusieurs belles vues du palais Polignac. Certains de ses dessins sont aujourd'hui dans des collections publiques, comme une très belle ébauche de ce tableau au crayon et à l'encre rouge, conservée à la Whitworth Art Gallery de Manchester.

27 mars 2012

La Galerie de Tramezzinimag : Enzo Pedrocco et le quotidien, ce qu'on préfère à Venise...

Pour bon nombre des lecteurs de TraMeZziniMag, c'est d'abord la vie quotidienne qui plait avec son charme, ce rythme unique qu'on ne retrouve dans aucune autre ville du monde. D'autres mettront en avant la musique, les restaurants, les baccari, les reflets qui démultiplient à loisir tout ce que notre regard peut capter de beauté, il y en a qui ne jurent que par les églises ou les palais, Philippe Sollers choisirait les filles, lui qui prétend que Venise est avant tout la ville des femmes quand Rome serait celle des gitons. Certains ne feront pas le détail et englobent tout dans leur amour-passion. Mais n'est-ce pas le vénitien qui est le mieux placé pour décrire ce qui peut provoquer ce délire intérieur quand il s'agit d'évoquer la Sérénissime ? 

Le fringant Enzo Pedrocco de Venessia.com est un vénitien de San Girolamo. Depuis des années, il voit sa ville qui change et pousse de temps à autre de grands coups de gueule salutaires. Ses photos sont régulièrement publiées dans le Gazzettino et bon nombre de sites vénetophiles connaissent ses clichés. Témoin attendri du quotidien, il sait montrer avec humour, parfois avec un brin de mélancolie la Venise d'aujourd'hui. Pedrocco est un bon vénitien. Un vrai de vrai. Un de ceux à qui on aimerait pouvoir ressembler. 

S'il aime à voyager, il revient toujours dans sa ville avec bonheur et son objectif immortalise ces mille sensations ordinaires qui font le doux poison de Venise. Le seul en tout cas qui ne tue pas, mais régénère tout en nous. Ce n'est pas pour rien que le lion de Saint-Marc a des ailes, il matérialise avec splendeur la transformation que Venise opère en nous : il nous pousse des ailes ! C'est un florilège de ses clichés que je vous propose aujourd'hui. 


1 - Un chat à sa fenêtre

2 - la vieille dame

3 - Juifs vénitiens pendant Hag haSoukkot, la fête des tentes

4 - Passeggiata automnale à San Barnaba

5 - San Girolamo au bout de la Fondamenta delle Capucine. les lecteurs s'en fichent certainement, mais j'ai vécu un an un peu plus loin sur la droite, mes fenêtres donnant sur le terrain de sport...

 
6 - Vie tranquille à San Alvise

7 - Jeu de garçons et ses inconvénients. On a tous eu ce petit problème...

8 - Méditation post-méridienne

9 - Sérénité.

10 - Chiachierata

11 - Les joueurs de carte et le caniche. Me rappelle une belle estampe de Mario Rocchi.

12 - Poésie de l'ordinaire.

13 - Cortile secret.

14 - Douce paix du jour.

15 - Petits riens du quotidien. On est loin des touristes et c'est bien.

16 - Venise aussi a sa Movida et c'est chaque soir ! Si seulement nous avions eu cette chance à l'époque de mes vingt ans. Seul le Cherubin à San Luca, et le Haig's près du Gritti restaient ouverts tard le soir. A 22 heures, niente "movida" ! Santa Margherita et la Misericordia n'étaient que désert...

02 septembre 2011

La Venise de Guardi

 
" Les maisons de Venise sont des immeubles, avec des nostalgies de bateau : d'où leurs rez-de-chaussée souvent inondés. Elles satisfont le goût du domicile fixe et du nomadisme."
Paul Morand


29 août 2011

La bête curieuse

Chesterton a écrit : «C'est une chose que de raconter une entrevue avec une gorgone ou un griffon, une créature qui n'existerait pas.[...] Ce dont souffre le monde moderne, c'est d'un évident déficit d'émerveillement.» souligne Martin Steffens, dans son admirable Petit traité de la joie. Et il continue en écrivant ces lignes que je trouve fondamentales (dans le genre «Mais bon sang, c'est bien sûr, pourquoi n'y ai-je pas pensés plus tôt ?») :
« Preuve en est, le rôle qu'il donne aux loisirs et, plus particulièrement, à cette faculté que nous avons d'imaginer :l'imagination servirait à s'évader, à fuir la réalité, à inventer d'autres mondes. Elle serait une porte sur l'ailleurs, ailleurs dont nous aurions besoin pour ne pas étouffer dans ce monde trop réel. Pour Chesterton, les choses sont différentes : le monde est en lui-même digne de notre émerveillement. Et si nous voulons le fuir, c'est faute de lui prêter attention. Or une telle attention peut nous être donnée par l'imagination : celle-ci porte en elle un pouvoir de déréalisation. Elle oppose à ce qui est ce qui aurait pu être. Ainsi naissent les gorgones et les griffons, les délires et les utopies. Mais cette fuite peut être plus qu'un aller sans retour : vacance de l'attention au réel, cette évasion permet de mieux revenir sur ce qui est, lavés de nos lassitudes. Par elle, il s'agit non tant de voir de nouvelles choses que de voir à nouveau les choses. Comme de s'imaginer un animal aux yeux petits comme des billes mais à la carrure imposante, grise autant que magnifique, dont l'obtuse tête, terminée par une corne et de profonds nasaux, se trouve à la hauteur de pattes rondes et lourdes qui semblent clouer le sol - animal terrifiant, et cependant végétarien... Une gorgone ? Un griffon ? Non point : un rhinocéros. Un quelque chose qui, ayant le malheur de faire partie du monde réel, a été soustrait à notre faculté d'émerveillement. Un quelque chose qui, sitôt qu'on le déréalise, redevient étonnant, impossible, et par là surprenant. Le monde est gorgé d'impossibilités dont nous avons pris l'habitude. Le monde est plein de merveilles auprès desquelles nous avons omis de nous émerveiller.»
Je ne sais pas vous, mais moi, ce texte m'a littéralement bousculé. Comme tout l'ouvrage d'ailleurs que je vous recommande ardemment. Ce fut une des lectures de mon été dans notre presqu'île du Cotentin, dévorées parfois bien installé sur un bon vieux et confortable transat en toile rayée, à l'ombre de notre gros mûrier, avec le parfum des roses anciennes et de l'herbe coupée, sur la plage au milieu du varech avec le cri des mouettes, mais aussi - le plus souvent cette année, hélas - devant la cheminée de la vieille maison où brûlait un grand feu bienvenu.
Martin Steffens
Petit Traité de la joie
Ed. Salvator, 2011
192 pp.


1 commentaire d'origine :
Anne a dit...
 
Merci pour le tableau, la référence et l'extrait bien choisis. Ils donnent envie de lire ce livre. 
 

31 mai 2011

Christian Boltanski à la Biennale

Christian Boltanski, figure emblématique de la scène artistique internationale, représente la France à la 54e Biennale d'Art Contemporain de Venise et propose une installation spectaculaire unique intitulée "Chance". Il traite ainsi de l’un des thèmes qui lui sont chers, celui du hasard, de la chance et de la malchance, des forces qui fascinent et imposent leurs lois. L’artiste a choisi pour Commissaire Jean-Hubert Martin, directeur honoraire du Musée national d’art moderne Georges Pompidou.

_______

2 commentaires:

Anonyme a dit…
Bonheur total de retrouver ce grand artiste à la Biennale... Je suis pressée d'y arriver.
Sans compter que je lui ai déjà donné les battements de mon cœur... Pour l'île...
Bonsoir.
Anne a dit…
J'ai hâte de voir cette oeuvre à la Biennale!
Merci pour cette présentation.
Anne

22 mai 2011

Etre en mai à Venise


Joli mois de mai. Alors qu'il pleut sur New York et que le ciel du Sud-Ouest est mitigé avec parfois de gros orages comme autrefois on en subissait en plein été, Venise est inondée de soleil et l'air comme la lumière sont très purs. la douceur du mois de mai sur la lagune n'est pas une légende. Mais que fait-on ce mois-ci dans la Sérénissime ? Que faut-il ne pas louper ?
 .
Comme Tramezinimag l'a déjà annoncé, tous les lundis de mai, on lève son verre à l'Art avec le Happy Spritz en musique (live). Un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte, la visite des jardins et des collections un verre à la main est un bonheur. Regarder passer les bateaux depuis les terrasses, bavarder dans le jardin, un délice de happy fews qui font des émules car il y a désormais foule à chaque rendez-vous ! Si vous avez des enfants avec vous, en dehors du Spritz et des conversations sur l'art dans toutes les langues, ils aimeront l'atmosphère magique des lieux.
 ..
 .
Mais pour les amateurs d'art, les experts et les passionnés, il y a aussi ce mois-ci l'extraordinaire spectacle de l'Esther de Véronese enfin restaurée qui s'expose en majesté au Palazzo Grimani. Occasion unique pour voir ces chefs-d’œuvre de près avant leur restitution aux plafonds de la Chiesa di San Sebastiano ! Qui dit que rien plus jamais ne se passe à Venise en dehors des méga-évènements mondialement médiatisés de la Biennale, des expositions Pinault et de la Mostra del Cinema
.
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Tenez, pendant quelques jours, du 13 au 15 mai, se déroulait à l'Arsenal la IVe édition de Mare Maggio, organisée par Lorenzo Pollicardo, sous l'égide de Expo Venice. Trois journées dédiées à l'art de naviguer avec des régates, des promenades sur un bragozzo authentique, des expositions d'embarcations historiques comme le sous-marin Dandolo et la machine de Marconi. A la fin de la manifestation, des stands proposaient à la vente des objets et ustensiles pour la navigation mais aussi pour les collectionneurs. 

09 mai 2011

COUPS DE COEUR (HORS SERIE 5) : Andrew May, le regard sensible d'un photographe britannique



Mon dernier billet était illustré d'une photo du rio terà secondo, où se trouve la demeure du célèbre éditeur vénitien, Alde Manuce, sans mention de date ni d'auteur. La qualité du cliché méritait d'y revenir et le respect des droits d'auteur s'imposant, il était normal que je signale le travail de cet excellent photographe britannique, Andrew May qui m'autorise à publier un de ses clichés.

"Sunset over the Lido, Looking across
towards the Lido from St Mark's"

by Andrew May © - 2008

04 juillet 2010

Bobo Ferruzzi, notre ami

Il y a plus de quatre mois déjà que le peintre Bobo Ferruzzi nous a quitté. C'était le 15 février 2010. Il était âgé de 82 ans et ses derniers mois de vie ont été marqués par la maladie. Cet homme très actif, plus que vivant, débordant d'énergie et de lumière a cessé de lutter et s'est abandonné au destin commun. Mais outre les traces immuables de sa bonté et de sa délicatesse, son œuvre demeure après lui et c'est un peu d'immortalité qui lui est ainsi donnée. Bobo est toujours parmi ceux qui l'aiment. Avec Hélène sa femme, avec Nora et Roberto ses enfants. Avec ses amis vénitiens et les autres, ceux de partout ailleurs.

Pour lui rendre un dernier hommage, ses amis sont venus du monde entier. Ils se sont rassemblés dans une église bondée où de nombreux vénitiens étaient là aussi. Beaucoup de (belle) musique, avec un chœur que dirigeait Livio Piciotti et la soliste Ulli Piciotti, dont la voix de soprano respirait l'émotion ; du violoncelle aussi, qui était l'instrument de prédilection de Bobo. Il y eut aussi de nombreux discours. L'écrivain Donna Leon parla longuement de la Venise que Bobo, comme à tant d'entre nous, lui fit découvrir. Cette Venise grouillant de joie et d'âme, profondément vivante et secrète dont on retrouve la description dans chacune des aventures du Commissaire Brunetti. L'écrivain rappela avec ses mots, bien des anecdotes que nous pourrions tous raconter, tant nous fûmes nombreux à en vivre de semblables : les coups de gueule face à la bêtise, les rires et les plaisanteries, la poésie, tout ce qui émanait de Bobo quand il parlait de Venise et de la lagune. Vif, drôle, généreux, avec un sens aigu, comme absolu, de la Beauté. Ceux qui admiraient les jolis verres soufflés à la bouche, aussi fins que ceux du XVIIe qui étaient utilisés à sa table, avaient souvent la surprise d'en trouver un carton dans leur valise. On avait apprécié le vin délicieux servi à sa table, aussitôt on repartait avec une ou deux bouteilles... Cette générosité discrète caractérisait le personnage. Bobo n'arrêtait jamais de faire des cadeaux, des coussins et des pièces de ces somptueux tissus en velours de soie de Norelène, créations d'Hélène et de Nora Ferruzzi, des céramiques vernissées qu'il fabriquait comme autrefois, ... Donna raconta qu'il s'était même occupé un jour d'un problème de plomberie dans l'appartement où elle venait de s'installer... Le suisse Yves Tabin, soulignant lui aussi la générosité du maestro et l'amour qu'il portait à ses amis, rappela qu'il est maintenant de la responsabilité de tous ceux qui l'ont connu de garder la mémoire de cet être d'exception qui a su tant donner. Cet héritage immatériel que nous devons conserver dans nos cœurs. Ses amis se sont ensuite retrouvés chez lui, parfois après plus de vingt ans d'absence. Inutile de dire que Bobo était présent dans tous les échanges, toutes les conversations.

Quelques années après mon départ de Venise, jeune marié, je retournais avec ma femme et des amis à Venise. Je voulais naturellement rendre visite à Bobo. Il avait des raisons de m'en vouloir. J'avais travaillé pour lui chaque jour et il se reposait entièrement sur moi pour la tenue et le suivi de la galerie, mais mes projets de "Semaine de Venise à Bordeaux" m'occupaient tout entier et je passais mon temps pendu au téléphone avec la France (la note fut salée cette année-là), une fois la manifestation terminée, j'aurai dû revenir et reprendre mes activités auprès de lui. Il n'en fut rien, puisque je devais me marier quelques mois après et ne revint plus qu'épisodiquement, hélas. Pourtant, l'accueil de Bobo fut chaleureux. Il m'embrassa comme un vieil ami en me tendant la main. Sa poignée vigoureuse ne cachait aucune amertume. Il était content de me voir et c'était comme si nous nous étions vus la veille. il embrassa ma femme qu'il connaissait à peine, et mes amis qu'il n'avait jamais vu. Quelques minutes plus tard, nous étions tous les cinq assis dans le salon, en train de déguster un des vins délicieux qu'il avait toujours en réserve. Servis dans ces fameux petits verres soufflés à l'ancienne dont je conserve encore un ou deux exemplaires chez moi. En un instant les amis qui m'accompagnaient furent conquis. Impossible de rester de glace face au personnage. Bobo était un de ces êtres rares qui vous donnent l'impression d'être plus intelligent après l'avoir rencontré. Un maître d'heures à la générosité éclatante. 

Rien n'avait vraiment changé. L'entrée entourée des étagères où sont rangées la plupart de ses toiles et des livres, puis  la salle de séjour qui fait office d'atelier, de salon et de salle à manger en même temps. Bobo s'installa dans un des fauteuils recouverts de toile peinte par ses soins où se retrouve toute la lumière joyeuse de ses peintures. Il nous invite à nous asseoir. Je retrouve le grand canapé où je me lovais parmi les nombreux coussins, quand Bobo m'invitait l'hiver, avec le feu dans la petite cheminée aux colonnes torsadées noircies par la fumée. Je crois entendre encore le son de sa voix presque enrouée, son accent un peu guttural mais plein de chaleur, quand il parlait français. Quand nous travaillions ensemble, il s'adressait souvent à moi en dialecte. Tout était couleur chez lui, même ses pensées. Je ne sais plus sur quoi porta la conversation. Il cherchait un document sur la table, derrière lui sur les marches de la mezzanine. Il y en avait partout, dans un savant désordre. Comme avant. Quand il parlait de la peinture, mais aussi de Venise, son regard s'illuminait, ses gestes se faisaient plus amples comme pour appuyer sa pensée. Et tous étaient captivés. 

Il aimait particulièrement parler des peintres qu'il a connu et qu'il aimait. Certains artistes ne parlent que de ce qu'ils ont fait, pas du travail des autres qu'ils critiquent le plus souvent. Pas Bobo. Il fallait l'entendre parler de Luigi Tito par exemple, de Pisis ou Vedova ou d'autres grands. Il les nommait par leur prénom. Luigi par-ci, Emilio par-là. Venise n'est pas si grand. A fouler les mêmes pavés, on finit toujours par se croiser et faire connaissance n'est-ce pas. Il savait admirer le talent des autres et Bobo le géant se faisait alors tout petit, très humble. Il racontait les rencontres de son adolescence à la Pensione Bucintoro qui appartenait à ses parents, avec les peintres comme les bordelais André Lhôte et Albert Marquet, mais aussi Raoul Dufy, François Desnoyer avec qui il réalisera bien plus tard une fresque près de Perpignan.

Un de ses amis a dit de lui que "s'il aimait peindre avec passion, et ne peignait plus que Venise, ce n'était pas un artiste, mais un amoureux qui ne peut se passer de croquer celle qu'il aime avec passion". Il ne peignait que par amour, c'est vrai. Rien dans ses propos n'était jamais lassant. Sa voix dans ma mémoire est associée au feu qui crépite dans la cheminée, mais aussi au clapotis de l'eau autour de la barque quand je l'accompagnais du côté de San Giorgio. Il y peignit cette série de longues toiles représentant les Schiavoni que l'on exposa longtemps dans la salle du fond... Hélène, toujours discrète et souriante écoutait son mari. Elle partageait avec lui cet amour inconditionnel du beau,de la lumière etd es couleurs. de la musique aussi. Avant de connaître Bobo, elle avait fait partie du groupe Hesperion XX de Jordi Savall. Je me souviens d'un disque Erato que l'on écoutait souvent chez eux. Je ne sais plus quelle était l'œuvre qu'ils me firent découvrir. une merveille, en parfaite adéquation avec le décor de cette maison plein de vie et d'amour. Hélène parlait peu, mais ses yeux étaient illuminés de gentillesse et de douceur. A l'image des étoffes qu'avec Nora, la fille de Bobo, elle a créé pendant des années. On y retrouve les mêmes harmonies, la même force sereine que dans les peintures de Bobo, les petites sculptures de cartapesta que Bobo s'amusait à peindre. L'une d'entre elles, qu'il décrocha un jour du mur derrière la table de sa salle à manger, trône sur mon bureau. Il émane d'elle tout ce qui caractérisait le travail de Bobo. Harmonie, beauté, vie, chaleur... Cela jaillissait de partout chez lui, jusqu'au revêtement des sièges du salon, les chemises du maestro. A ces images qui reviennent en mémoire, se mêlent les bonnes odeurs des repas - concoctés alors par leur vieux cuisinier-homme-à-tout-faire dont le nom m'échappe. Je me souviens encore d'une poularde rôtie comme Rabelais en aurait rêvé, servie avec des aubergines grillées et du riz à la tomate... Je n'écoutais pas la conversation, je revoyais, fasciné le décor de ma jeunesse que j'ai si souvent pensé avoir laissée là, à Venise que j'ai le sentiment d'avoir trahie... Mes amis restèrent fascinés, buvant les paroles en même temps que le Soave bien frais dont Bobo remplissait nos verres. Il semblait prêt à parler encore et encore sans jamais plus s'arrêter et ce qu'il racontait était passionnant. Brillant.

La lumière baissait déjà. Nous avions passé tout l'après-midi bien calés dans le canapé du salon-atelier de Bobo. Derrière le maestro, son chevalet vide, et la boite de couleurs avec sa palette, avec ses couleurs : les bleus, les ocres, les rouges. Toutes les couleurs de Venise. J'avais envie de les photographier mais je n'ai jamais osé. Partout, au milieu des antiquités qu'il adorait, il y avait ses peintures. Tous les formats, tous les genres, toutes les périodes. Une en particulier m'a toujours fasciné. il l'avait amené à Bordeaux pour l'exposition que je lui avais organisé pendant cette fameuse "Semaine de Venise" d'octobre 1985, qui bouscula tant de choses dans ma vie. Une toile assez grande représentant le rio della Croce à la Giudecca, avec le mur et le pavillon d'entrée du Giardino Eden. Presque abstraite cette toile privilégie les rouges et les ocres avec beaucoup de blanc. Tracée à grands traits vifs et rapides, la toile est éclatante. J'en ai longtemps rêvé, mais Bobo qui l'avait sortie de sa collection, n'a jamais plus ensuite voulu la vendre.

Le temps pourtant passa trop vite. Il faisait nuit quand nous avons pris congé. mes amis repartaient avec une poterie de Bobo et une bouteille de vin. Je récupérai la sculpture de Mürer laissée à Venise quelques mois auparavant. En me la rendant, Bobo m'expliqua comment la faire briller sans en endommager la belle patine. Ses doigts caressaient le bronze avec délicatesse. Encore un de ses gestes d'amour, hommage d'un maître à la pleine Beauté.