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01 janvier 2017

Vivere a Venezia nei secoli dei secoli*...

Archives du blog Tramezzinimag I : Article paru le 1er janvier 2012
Peinture de David Henderson 
Les vénitiens et les amoureux de Venise sont mobilisés depuis des années pour éviter que leur ville ne disparaisse ou - et ce serait peut-être pire - ne devienne un simulacre, triste et mélancolique, d'elle-même. C'est pourquoi toutes les initiatives doivent être saluées avec enthousiasme. C'est de résistance dont il s'agit. D'indignation aussi, puisque le mot est fort heureusement à la mode. Mais c'est aussi une affaire d'éducation. Il y a des années, aux alentours de l'effervescence soixante-huitarde, les occitans, les basques et les bretons décidèrent de prendre en main la sauvegarde de leur patrimoine culturel en apprenant aux enfants la langue de leur païs. Dans la Venise actuelle, parents, enseignants, associations, s'organisent pour inculquer aux nouvelles générations l'amour de la Sérénissime, de ses traditions les plus authentiques et, vecteur fondamental qui soutient tout, de leur langue. Tous la parlent, à tous les niveaux de l'échelle sociale, et c'est bien. 

Tout est question d'amour, en fait : la continuité ou non de ce mode de vie particulier et singulier qui a jusqu'ici distingué et caractérisé Venise. Sans ses rites et son organisation, même une fois sa survie physique assurée, son économie prospère et florissante comme jamais auparavant, la Sérénissime ne serait plus la splendide cité que nous connaissons. Tous ceux qui l'aiment la désirent vivante et non pas muséifiée. Fiers de leur histoire, conscients de la valeur et de la rareté de leur patrimoine, de plus en plus de jeunes vénitiens revendiquent leur appartenance à une communauté historique mais bien vivante, ancrée dans le monde moderne tout en demeurant fidèle à ce qu'elle est vraiment. 

Il nous faut donc espérer que les louables efforts de tous prévalent - et ce n'est hélas pas encore gagné - sur les séduisantes sirènes de la modernité aseptisée, qui ont déjà causé à Venise bien de trop nombreux dégâts. Comme le soulignait un de mes vieux amis de San Alvise : "Tant que les jeunes préfèreront tramezzini, polpette et birrino aux hamburgers et coca-cola, tout n'est pas encore perdu !". Qu'en ce début d'année, le ciel l'entende ! 


(*) - Vivre à Venise pour les siècles des siècles.




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7 Commentaires   : (non archives par Google)

28 octobre 2016

L'âme de Venise nourrit les doux et les poètes


"Venise est un poisson" écrivait Tiziano Scarpa. "Venise est une maîtresse fidèle mais difficile" me susurrait à l'oreille une bouche avinée un soir tard sur la terrasse d'un palais du grand canal. Certains prétendent que c'est une vieille reine morte et déchue, momifiée, délabrée, vendue dont on montre la dépouille et les frusques aux gogos venus du monde entier pour quelques roupies... Pour d'autres "Venise est une catin"  qui se sert habilement de ses problèmes pour attirer l'attention et l'argent... Qu'en est-il réellement ?

Nous en avons débattu l'autre soir avec Alberto et Gianni, deux amis vénitiens. L'échange dura une partie de la soirée, caminando d'enoteca in enoteca. En rendre avec précision et fidélité le contenu n'est pas chose facile, mais je dois m'y essayer car je crois que l'échange rentre parfaitement dans la ligne et l'esprit de Tramezzinimag et ne laissera pas indifférent nos lecteurs.

Cela avait commencé du côté du Rialto. Au Banco Giro pour être tout à fait précis. Nous venions d'entendre, malgré nous, la conversation d'un groupe de touristes bruyants. Des bobos français, mécontents de la foule, des prix, des vaporetti engorgés par leurs semblables, qui prenaient tout de haut et se trouvaient bien mieux que leurs hôtes. " Tu vois, finalement ici il n'y a que des pecnots, cela se voit et leur dialecte vulgaire, quel cirque" avait lancé l'un d'eux entre deux gorgées de son spritz à l'Apérol.  Ils ont certainement raison ou plutôt tous doivent avoir des raisons pour pester ainsi et leurs propos ne font qu'exprimer le ressenti immédiat, épidermique, de la plupart des visiteurs. Autrefois, entendre des compatriotes s'exprimer ainsi m'aurait fait intervenir. Avec le temps, on se lasse de jouer les Don Quichotte.

Nous avons passé notre chemin. "Pour moi, ce ne sont pas ces qualificatifs-là, ce mode de concevoir Venise qui m'intéresse" ai-je commencé à dire en gravissant les marches du pont.  "Venise est bien plus qu'une ville, c'est un monde, un état, un lieu unique et tout cela forme un mythe. C'est avant tout un mythe et ce mythe nous le pénétrons, nous le sentons palpiter, nous le voyons se débattre et tenter de résister et de survivre en dépit de tout". 
"Tout à fait d'accord." répliqua Ettore, "je te rejoins totalement sur ce point" 

Gianni, dont le passage au séminaire a laissé quelques traces qui m'ont fait le surnommer le Ravi, a souvent une visions décalée de la vie et des gens. Sa manière de l'exprimer demeure impensable pour tous ceux qui baignent en permanence dans le politiquement correct. Pour Gianni, Darwin n'a jamais émis que des hypothèses et la Création est expliquée dans la genèse. Point besoin d'en débattre... C'est parfois compliqué d'aborder certains sujets mais tellement roboratif aussi. Gianni a gardé de ses années mystiques une grande fraîcheur et ce regard bon et tranquille des religieux : "Nous qui en sommes les  amoureux transis, nous l'intégrons en nous et Venise instille son doux poison dans notre quotidien. les écrits de Casanova, les adeptes de l'érotisme grotesque et répugnant de Baffo, la tradition des courtisanes scintillantes de bijoux les faisant ressembler à des sapins de Noël pour faire oublier les chlamydias et autres désespérantes saletés qu'elles transmettaient avec plus de facilité que les quelques secrets d'alcôve que de mauvais romanciers ont voulu nous faire croire être de graves secrets d’État, tout comme les jeunes mariés japonais en lune de miel qui se font photographier devant le pont des soupirs, tout ce grotesque n'a rien à voir avec la véritable Venise !"

Ettore abonda dans son sens : "Cette Venise-là pue la naphtaline et la lingerie en dentelle synthétique. Non, la puissance de cette ville-État est bien plus que le lupanar géant qu'on nous représente trop souvent. Mais laissons les obsédés dans la salle d'attente de leur psychanalyste et regardons la véritable Sérénissime, la Dominante, libre et fière, autocrate autant que démocrate, moderne et pourtant pleine de vieilleries qui avec un regard neutre pourraient faire fuir car le mauvais goût, c'est vrai, n'est jamais loin (voir plus haut l'allusion aux courtisanes et aux mœurs salaces de certains malades de l'entrejambe). "Pour évoquer la vraie Venise, j'ai toujours pensé qu'il fallait la libérer de ce sexisme délirant".  


Combien cela est juste. Représentons-nous plutôt le lion ailé, majestueux et tranquille et le saint Livre qu'il tient entre ses griffes, ouvert ou fermé selon le baromètre des relations diplomatiques des maîtres de la Cité lacustre. N'est-ce pas plus grand et noble que les ivrognes et les catins ? La douceur du regard des vierges de Bellini, l'aspect rassurant des drapés qui les habillent, l'enfant posé sur les genoux et les paisibles vedute de la campagne de Terraferma sont pour moi bien plus évocatrices de la beauté de Venise, avec ses couleurs changeantes, ses reflets, ses harmonies et ses silence. Mon adoubement à la Sérénissime est la conséquence de cette beauté débarrassée de toute attache sensuelle et de tout désir. Un sentiment d'appartenance et d'adéquation absolue qui ne passe pas par les draps brillants des gourgandines enrubannées ni des vénus à poil (et en surcharge pondérale) de Tiziano. Quel symbole pourrait mieux qualifier la Sérénissime ? A Venise, en dépit des tentatives de Buonaparte pour en éradiquer la présence quand en 1797 il se croyait Attila pour Venise, le lion est partout. 

Comme sont partout les jolies vierges à l'enfant. Elles président de jolis concerts, trônent en majesté sous des dais de tissus flamboyants ou apparaissent dans toute la délicatesse de leur flamboyante jeunesse, toujours fines, délicates, pures... Il faut aller dans les musées à la recherche des jolis pastels de Rosalba Carriera, pour retrouver plus tard cette joliesse simple et délicate et pure. Il y en aura pour ricaner et me reprocher ce goût pour la mièvrerie. Mais oui c'est vrai, notre époque aime le lourd, le hard, l'excès. Normal n'est-ce pas quand une civilisation entre en décadence après tout. Néron préférerait les catins imbibées d'alcool aux vierges chantant le Miserere. 

Aimer la beauté ne veut pas dire souhaiter en faire pitance à chaque instance. Elle n'est pas une proie que l'on chasse mais un moyen qui permet de transcender la misère et la médiocrité de nos vies, de nos vies, nos aspirations. Entendre résonner le Gloria Patris du Nisi Dominus  de Vivaldi, traduisant à la perfection cet abandon à la Grâce. C'est ce que j'ai compris très vite, la première année où j'ai vécu à Venise. Mes longues promenades solitaires au petit matin ou la nuit dans les rues désertes, les messes dominicales à San Giorgio du temps où la communauté bénédictine comptait plus d'une douzaine de frères, celles des franciscaines du côté de san Francesco della Vigna ou à Sant'Elena, les offices de la Pâque orthodoxe à San Giorgio dei Greci et le miracle souvent renouvelé de ces ciels flamboyants, de ces silences tellement remplis que déchirent soudain le cri d'une mouette où le chant des cloches.

20 septembre 2016

Tramezzinimag, une renaissance : le chantier avance, peu à peu...

Les fidèles lecteurs de Tramezzinimag le savent, le 23 juillet dernier, Google a supprimé purement et simplement et sans aucune explication, le blog et toutes les publications réalisées depuis 2005 (ainsi que les autres blogs hébergés sur le compte Google+, les archives photos de chacun de ces sites, celles de mes différentes activités associatives, et de nombreux documents de famille...). 

Le combat juridique s'amorce et nous ne lâcherons rien. En attendant, des fidèles, férus d'informatique qui soutiennent ce combat viennent de trouver une page du blog piratée par un site pornographique américain... Ainsi un billet de juin 216 et un autre de juillet s'ouvrent sur des images vulgaires et vraiment disgusting avant de présenter l'article original de Tramezzinimag... Est-ce la raison de la suspension du compte et la suppression du blog ? L'enquête est ouverte. De quoi devenir républicain et s'inscrire au Tea Party (c'est une plaisanterie !) mais tous les yankees ne sont pas des enfoirés seulement âpres au gain et férus de pornographie. Ce sont les aléas du net et le manque de prudence en ne surveillant pas davantage nos sauvegardes. 

Par ailleurs, nous travaillons - vous l'aurez peut-être constaté - à la republication des anciens articles. pour l'instant, il s'agit d'éditer ceux qui étaient le plus lus. Le plus long et compliqué est la reconstitution des illustrations, images, vidéos et sons. Ceux appartenant à Tramezzinimag ou ceux dont le copyright n'était enregistré dans l'adresse du lien ne sont pas toujours rechargeables. Pour les autres, on les retrouve sans difficulté sur les sites d'archive du net voire même dans le cache de Google

Republier un article avec ses liens, ses illustrations, sa mise en page, peut prendre plusieurs heures. C'est du temps en moins pour publier de nouveaux articles. Que nos fidèles lecteurs veuillent bien nous en excuser et qu'ils soient une fois encore, remerciés. pour leur patience et leur soutien !
Cela retarde aussi le lancement des Éditions Tramezzinimag dont nous vous reparlerons dans ces colonnes en octobre. En attendant cette sympathique chanson interprétée par Logan Heftel.

24 août 2016

Venezia è il mio futuro

En juillet les vénitiens ont manifesté d'une manière originale pour démontrer avec leur attachement à leur ville leur détermination à faire bouger les choses face à l'inertie de l'équipe Brugnaro

Un groupe de jeunes gens entre vingt et trente ans s'est organisé, cette Generazione 90 n'a pas fini de nous surprendre et nous devons soutenir leur action. Maxi Navi, moto ondoso, pollution atmosphérique et pollution des eaux de la lagune, inconduite des hordes de touristes mal élevés qui consomment la ville et ne respectent rien, commerces de proximité qui ferment, transports en commun submergés par les groupes, prix qui grimpent, impossibilité de se loger... 

Il est loin le temps où les vénitiens résignés partaient s'installer en terraferma. Aujourd'hui les jeunes ne veulent plus partir et nombreux sont les vénitiens exilés à Mestre ou à Marghera qui veulent revenir dans le centre historique. Cela a donné cette impressionnante mobilisation immortalisée par les vénitiens eux-mêmes à qui TraMeZziniMag rend hommage. Qu'ils soient assurés de notre soutien inconditionnel ! 

Un témoignage recueilli sur les réseaux sociaux. ceux qui sont passés par Venise cet été auront remarqué ces banderoles un peu partout dans la ville, partout où des vénitiens de sang ou de cœur, résidents et bien décidés à le rester, vivent et sont prêts à lutter pour la sauvegarde de leur ville !

Foto Veronica Scarpa





Foto Alberto Alberti
Foto Alberto Benvenuti
Foto Aline Cendon
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Althea Pauletto
Foto Anna Bolcato
Foto Anna Bolcato
Foto Cristina Marson La Rossa
Foto Dario Vianello
Foto Federica Travagnin
Foto Gagliardi
Foto Giangelo Bellati
Foto Jessica Torli
Foto Magda Pattarello
Foto Marco Gasparinetti

Foto Paolo Valdisserri
Foto Philippe Apatie
Foto Saveria Befana
Foto Sebastian Fagarazzi

Foto Monica Sambo
Foto Carla Sitran
Foto Flavio Lombardo

25 juillet 2016

"Si trovemo al maregrafo" : une énigme à Venise...


Quand on ne fait que passer à Venise - mais cela est valable pour tous les lieux du monde - on ne voit pas la même chose que les gens qui y vivent, ceux qui y sont nés, y grandissent, y vieillissent voient. Il en est de même pour les usages, les habitudes, les coutumes mêmes. ces dernières sont plus faciles à assimiler. Il suffit d'appliquer le proverbe anglais souvent cité sur TraMeZziniMag. "When in Rome, do as the romans do'" et par là, non seulement de s'intéresser à ces usages mais de s'appliquer à la respecter, car ce faisant ce sont les vénitiens que l'on respecte. 

Ces quelques mots pour reprendre à notre compte une interrogation mise en première ligne par des vénitiens engagés dans la défense de leur ville. Il y avait hier une manifestation pour réclamer le retour du maréographe installé depuis toujours au pied du campanile de San Marco.
  
Mais il vous faut d'abord, chers lecteurs, savoir de quoi il s'agit. 
 
Nombreux sont les vénitiens qui sont allés enfants avec leur grand-père, leur père ou leur professeur pour observer les graphiques du marégraphe de la Piazza, comprendre le mouvement des marées et lire les prévisions. Nombreux aussi ceux qui passant par là s'arrêtaient, intrigués par cet instrument scientifique créé pour observer  et donner les prévisions des marées. Placé dans une vitrine visible par tous, au pied du campanile de San Marco, il faisait partie du paysage, élément architectonique au même titre que les grilles qui entourent le bâtiment, son banc de marbre, les sculptures et autres fioritures du Paron di casa. Pour beaucoup, c'était aussi un point de rencontre, presque devenu une expression populaire, "Dove si trovemo ? Al maregrafo" (1). 
 
En effet, à la grande surprise des vénitiens, après près de six ans de d'importants travaux de solidification et de rajeunissement, le chantier de renforcement du campanile de San Marco (notamment par l'insertion de tiges de titane), était enfin achevé. La surprise fut grande le jour où les échafaudages furent démontés : l'appareil en question avait simplement disparu, sans qu'aucune explication ne soit donnée. Était-il en révision ? Avait-il été volé ou endommagé ? Ou bien s'agissait-il d'une décision de l'administration municipale ? Et si c'était le cas, pour quelle raison ? Les commentaires depuis allaient bon train, la disparition d'un outil capable d'alimenter des polémiques sur des sujets particulièrement sensibles. Alors qu'en est-il vraiment ?


L'association Gruppo WSM s'est vite inquiétée de l'affaire. Formée de vénitiens déterminés non pas seulement à sauvegarder la cité des Doges, mais à la sauver des pillages, détériorations, et autres malversations qui contribuent à l'exode de sa population et à la transformation de ce qui fut la capitale d'un des plus puissants et modernes états du monde en un cloaque, l'association dénonce jour après jour tout ce qui accélère cette situation. Sans nous permettre de prendre parti (2)  Le groupe, après avoir passé au crible des documents anciens et la presse des années 2000, ils ont trouvé  pas mal d'informations intéressantes qui pourraient expliquer la soudaine disparition de l'appareil... On n'est pas loin d'un dossier à la Montalbano ou mieux encore à la Brunetti... 

A titre d'exemple, en 2003 plusieurs groupes d'experts ont  découvert un lien effectif entre le passage des grands navires dans le bassin de San Marco et les oscillations enregistrées par l'aiguille sur le rouleau des graphiques traduisant le mouvement des marées. Pratiquement le marégraphe se comportait comme un sismographe ! Plus les bateaux étaient gros, plus l'aiguille s'affolait, soulignant l'impact négatif sur les eaux de la lagune, et donc sur les fondations des bâtiments de la Sérénissime... Silence officiel sur les rapports. Les vibrations enregistrées sur l'appareil et les nuisances sonores des moteurs, déjà à l'époque, préoccupaient les techniciens de l'ARPAV(3), puisqu'il existe plusieurs rapports présentant des résultats inquiétants... L'appareil aurait-il était éliminé car "trop ​​sensible" et gênant pour quelqu'un ?

S'il est vrai que les progrès de la technologie permettent de
remplacer les anciens systèmes de détection des marées par des systèmes modernes informatisés, directement gérés par l'ISPRA (ex-APAT), le le gruppo WSM a dénoncé cette disparition auprès des autorités compétentes et demande que l’appareil reprenne sa place "dove gera come gera". Attendons les réponses de l'administration...


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1-  "Où est-ce qu'on se retrouve ? Au maréographe !"
 
2- J'estime en effet, qu'en dépit de 50% de sang vénitien, demeurant un forestiero (étranger), ce serait manquer de respect et de courtoisie envers Venise et les vénitiens que de me mêler sans y être invité à toutes les polémiques. J'apporte mon soutien inconditionnel à toutes les initiatives et tous les combats qui permettront de changer les choses, ma disponibilité pour y contribuer, mais je me refuse à toute immixtion dans la vie de Venise puisque je n'en suis pas citoyen mais seulement l'hôte ! 

3- Agenzia Regionale per la Prevenzione e Protezione Ambientale del Veneto. Il s'agit d'une des agences du service Sanitaire National, implantées depuis 1993 et gérées directement par les régions.

4- Allusion à la formule devenue célèbre, lancée par le maire de l'époque, Filippo Grimani lors de l'écroulement du campanile (14 juillet 192), appelant à sa reconstruction "comme il était et où il était", formule reprise en 1992 par le maire Massimo Cacciari après l'incendie de la Fenice (29 janvier 1996).

23 juillet 2016

Venise autrement chez Détours : l'émision de la RTS s'intéresse à Tramezzinimag

© Détours - Radio Télévision Suisse - Photographie Antoine-Lalanne-Desmet - 2016. Tous Droits Réservés.

C'était un projet assez ancien. L'idée en était venue à Antoine Lalanne-Desmet - dont Tramezzinimag a déjà souvent cité dans ces colonnes - lors d'un voyage d'agrément il y a trois ans avec comme troisième larron mon filleul Jacques Comby, pianiste de talent mais aussi l'un des camarades de virées parisiennes d'Antoine. Guider les auditeurs dans la Venise de Tramezzinimag, ou pour être plus près de l'idée de départ, dans la Venise où j'ai vécu avec les gens que j'y connais tout en présentant la vision que j'en ai et qui évolue avec les années. Ce fut le prétexte de mon voyage de mai dernier dont la chronique a été publiée sur le blog. Des heures de prise de son, de nombreux entretiens avec des amis, des détails revenus au fil des discussions entre Antoine et moi et l'idée de montrer une Venise différente de celle qu'on voit dans les documentaires des télévisions du monde entier. Parler de la lagune, de ses habitants, des gens qui se battent pour que le monde unique de la cité lagunaire perdure et ne se transforme ni en réserve d'indiens ni en parc d'attraction. Cela a donné deux heures d'émission. Il y avait de la matière pour quatre ou cinq heures supplémentaires d'émission... 

Les productrices de Détours, la célèbre émission de la Télévision Suisse Romande, qui ont souvent parlé de Venise, voulaient un autre angle d'approche et ce fut ma vie à Venise il y a trente ans et la comparaison avec ce que la Sérénissime est devenue - est en train de devenir - et quelques témoignages de ce que fond des vénitiens, de naissance ou d'adoption pour éviter le naufrage de la Dominante, préserver ses merveilles tout en évitant qu'elle ne soit plus qu'un musée qui servirait de décor obligé aux historiettes d'amour et aux auto-portraits (les ridicules "selfies" à perche) réalisés par milliers chaque jour sur ses ponts et ses campi. C'est ainsi qu'on découvre l'action d'un groupe de jeunes gens venus de tous horizons qui avec des architectes, des artistes, des vieux vénitiens aussi inventent une réponse iconoclaste mais viable au problème du logement intra-muros, celle de fous de musique ancienne et de bateau qui en perpétuant le rythme traditionnel de la navigation à la rame, livrent chaque semaine fruits et légumes de l'agriculture bio locale aux vénitiens, sans moteur et avec bonne humeur, un restaurateur venu de France qui a su marier la tradition culinaire d'ici et des senteurs et goûts nouveaux, une charmante éditrice, vénitienne de la Giudecca qui édite une revue et écrit des livres, suivie dans cette passion par son fils, écrivain de Venise vivant à Paris mais revenant dès qu'il peut sur la lagune... 
 
On entend Gabriele qui compare le tourisme d'aujourd'hui et celui d'il y a quelques années. Il en côtoie tous les jours dans son hôtel et ne manque pas d'anecdotes sur la mauvaise éducation générale des visiteurs. Tobia amoureux de sa ville qui a transformé la maison de famille en lieu de création artistique. A la fois résidence d'artiste, galerie, scènes musicale et table d'hôte gourmande, on y perpétue la création artistique et la vie culturelle locale, loin des biennale et collection Pinault réservées à une élite qui ne sait rien de la vraie Venise, d'autres encore que je vous laisse le plaisir de découvrir... 

Difficile pour la réalisatrice qui a dû faire des coupes dans les heures de son et construire avec Antoine un montage qui tienne la route et trahisse le moins possible l'esprit dans lequel le reportage avait été envisagé. On n'entend pas la très belle déclaration d'amour de Roger de Montebello qui nous faisait visiter son atelier à l'emplacement idéal, pas plus que les femmes de la prison de la Giudecca qui cultivent dans le potager de l'ancien couvent où est située leur lieu de détention, une quantité de fruits et de légumes en biodynamie qu'elles vendent à de nombreux restaurants et proposent chaque semaine aux vénitiens directement devant l'entrée du jardin. N'est pas non plus à l'antenne cette passionnée de roses qui nous a fait l'honneur de son jardin, et tant d'autres dont nous nous servirons dans un autre projet dont je vous reparlerai et qui devrait être lancé cet automne et sortir avant l'été prochain. Mais n'en disons pas davantage. juste ce qu'il faut pour mettre l'eau à la bouche à nos lecteurs ! 

Pour ceux qui ne l'ont pas encore écouté, voici le lien pour écouter le reportage d'Antoine Lalanne-Desmet, réalisé par Carmen Algarrada : Cliquer ICI pour écouter le premier épisode et ICI pour le second. 

En attendant, bons baisers de Venise. Nous étions partis pour faire une sortie en bateau puis aller en vélo jusqu'aux Murazzi pour nous baigner. Mais le ciel en a décidé autrement. La lourdeur du matin l'annonçait. La pluie est tombée pour la première fois depuis plusieurs semaines. Le ciel est de nouveau dégagé mais pas de plage aujourd'hui. Demain est un autre jour. 

Beaucoup de français dans les rues comme chaque fin de semaine. Et puis les hordes habituelles venues d'Asie, d'Allemagne ou des pays scandinaves. Les récents évènements de Nice et Munich semblent avoir ralenti un peu le mouvement. Ici aussi la police et des soldats en arme circulent, surtout autour de la Piazza, à la gare et au Rialto, mais on ne ressent aucune tension. Il y a juste dans les esprits qui voudraient n'y pas penser, cette incompréhension que nous ressentons tous ce me semble quant à l'inanité de ces horribles meurtres et cette folie qui semble s'emparer des hommes...

26 août 2015

L'âme des autres

  «Il y a des personnes qui sont dans le monde comme l'âme des autres.» Cette belle maxime de Leibnitz nous rappelle combien ces flammes errantes que sont les belles âmes peuvent à tout moment mettre le feu en nous et préservent l'humain de sombrer dans le désespoir ou la barbarie. Les cyniques n'aiment pas les belles âmes. Est-ce de cela qu'est mort Mario Stefani, le poète vénitien déjà cité par Tramezzinimag il y a quelques semaines et sur lequel nous reviendrons souvent dans les prochaines semaines ?


Mi canta ancora nel cuore
la bella favola di Venezia
la bella elegia che non ha occhi per piangere

via via da questa città dove l'acqua cresce
città che muori mia Venezia
le sirene annunciano come un bombardamento
angosce e morte

Elle chante encore dans mon cœur
La jolie fable de Venise
La belle élégie qui ne peut verser une larme
Partir loin de cette ville où l'eau ne fait que monter
Ma cité qui meure Toi Venise 
Les sirènes qui retentissent comme pour un bombardement
Angoisse et mort
 
Remplis de désillusions et de regrets, ces vers font l'éloge d'une cité moribonde, vouée à disparaître, celle chantée par Diego Valeri et Aldo Palazzeschi, celle de De Pisis et peinte par Bobo Ferruzzi, «la jolie fable de Venise»... 
 
Triste souvenir pour Mario Stefani dont le cœur est encore tout nourri aux images d'antan. L'acqua alta fait bien plus que submerger les endroits les plus bas de la ville, elle inonde de désespoir cet inconditionnel de Venise qui a grandi en elle et la voit peu à peu se déliter. Comme l'explique Flavio Cogo, dans son excellent ouvrage, Mario stefani e Venezia. Cronache di un grande amore, (non encore traduit en français) publié en 2013, les grandes eaux sont pour le poète le symbole palpable de la mort, qui s'opposant à ce qu'il y a de vital et de naturel dans le flux et le reflux de la marée, pareil au sang qui court dans nos veines. Ce phénomène devenu réellement préoccupant tant il se répète de plus en plus et dans des proportions parfois alarmantes - depuis la fameuse inondation de 1966, est associé dans les vers du poète de San Giacomo dell'Orio, au chant lugubre des sirènes qui rappelle les bombardements.  

 
Cela pourra en surprendre certains, mais derrière d'image rieuse du carnaval et des cortèges aquatiques avec un doge de pacotille pour fasciner le public, il y a dans le cœur de certains vénitiens, beaucoup d'amertume et de chagrin. Chacun l'exprime d'une manière différente, en italien ou en dialecte mais c'est toujours, véritablement la même souffrance. Depuis plus de trente ans, poètes et écrivains, peintres et musiciens, natifs de Venise ou vénitiens d'adoption crient leur désarroi. Les prédictions les plus sombres répondent aux chants de requiem, les invocations désespérées pour qu'un miracle surgisse et sauve la Sérénissime des menaces de la nature des exactions de l'homme mais aussi la sauve d'elle-même, de ce qu'elle est devenue et des dangers nouveaux qui se font jour. 

Stefani était radical, d'autres artistes sont ou ont été communistes, socialistes, chrétiens engagés ; quelques uns, plus rares sont proches de l'ex-MSI, néo-fasciste aujourd'hui représenté par sa frange la plus droitière regroupée dans la Ligue du Nord. Quelque soit leur sensibilité politique, tous ont en commun l'amour de leur patrie, la volonté de faire changer les choses pour que Venise survive ; pour qu'elle se développe face aux enjeux modernes. On ne construit pas des maisons ni des routes avec des poèmes, ils ne créent pas des emplois ni ne contribuent à augmenter la population pas plus qu'à la rajeunir (2) mais par leurs mots, les poètes contribuent à faire prendre conscience de l'extrême gravité d'une situation qui devient chaque jour, de moins en moins supportable. 

On sourira sûrement à ces cris d'amour lancés de partout par les Fous de Venise, qu'ils soient sur place ou exilés loin d'elle ; et après ? Est-ce que la mort annoncée de la ville intéresse vraiment notre époque qui ne se conçoit plus qu'en termes de globalisation, de mondialisation ? Che se ne frega (1) de ces quelques milliers de pauvres vénitiens obligés de quitter la maison de leurs pères pour s'entasser dans des logements sociaux du côté de Marghera ? Une espèce de parc d'attraction qui risque de sombrer sous la mer ? Un scoop unique qui ferait (fera ?) de superbes images pour les journaux télévisés, quelques secondes d'émotion habilement amenées par la voix de circonstance du présentateur, un plateau d'experts peut-être, la une des journaux pendant deux ou trois jours, puis la planète se remettra à tourner. 
 
Les tour-opérateurs, les croisiéristes (combien ces nouveaux mots sont laids) referont leurs programmes : on viendra sur les lieux avec des bateaux à fond transparent, voir en sous-marin pour admirer - photographier - les vestiges de la cité enfouie. Une mine d'or finalement. Sur la terra ferma ou peut-être sur une île épargnée par les flots, on visitera la réserve où vivront quelques centaines de vénitiens, avec leur drôle de dialecte, leur verroterie et leurs superstitions. Plusieurs fois par jour, des gros bateaux débarqueront des flots de touristes amusés qui se prendront en photo avec les indigènes à l'aide de leurs perches à selfie... C'est peut-être l'intuition de ce cauchemar qui désespéra Mario Stefani au point de se pendre dans sa maison, au-dessus de la trattoria al Ponte, tout près de la Zucca, à San Giacomo dall'Orio (2)... 

«La solitude, ce n'est pas être seul, c'est aimer les autres inutilement» (Mario Stefani)
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Notes :

(1)  : Qui s'en soucie
(2) : Selon les derniers chiffres publiés par l'Anagrafe de Venise (État Civil), il y a désormais 9,3 personnes de plus de 60 ans pour 1 jeune de moins de 20 ans
(3) : Comment se fait l'histoire... Stefani habitait dans le même immeuble qu'un célèbre universitaire vénitien, Padoan, situé juste à côté du pont et non pas dans le palais sur la façade duquel on a apposé la plaque commémorative inaugurée par le maire-philosophe Cacciari. Un des copropriétaires de l'immeuble où vivait le poète (au-dessus de la trattoria del Ponte) ayant refusé son autorisation en dépit de nombreuses tractations. Il a donc fallu trouver un autre endroit. C'est pour cela que la plaque ne mentionne pas l'immeuble.