C'est d'ailleurs dans ce sens que la municipalité, sous l'égide d'Augusto Salvadori, l'adjoint au titre poétique d'Assessore al Decoro, a lancé une opération de lutte contre les comportements anormaux
des touristes qui se rafraîchissent sur le bord des canaux et vont dans
les rues en se tenant d'une manière choquante. L'élu a demandé à la
police municipale d'intensifier sa vigilance. « C'est devenu une situation intolérable ». Comme le disait un ami commerçant «les touristes se trompent, se promener en bikini et torse nu, c'est bien à Venise, mais celle de Californie !» (NDR : Venice Beach)
En
y réfléchissant bien, on a l'impression d'être revenu quelques années
en arrière, quand des groupes de jeunes erraient sac à dos géants sur leur
dos nu, se déshabillaient sur les places et lavaient leurs vêtements
aux fontaines, trempant leurs pieds endoloris par leurs lourdes
chaussures de randonnées dans l'eau sale des canaux et s'étendant sur le
sol pour bronzer un casque sur les oreilles... Mais ils étaient moins nombreux.
Chaque été, jour après
jour, quand arrive l'époque de l'invasion estivale des gogos, le
phénomène se reproduit. Toujours localisé autour du Rialto et de San Marco bien entendu, les seuls lieux qu'ils fréquentent. Ces touristes-là prennent Venise
pour une plage. A l'unanimité, tous les vénitiens réagissent contre ce
relâchement inapproprié. On pourrait même poser des panneaux de
signalisation avec la mention «turisti in moja»(touristes se ramollissant)... Après tout est-ce qu'on trempe ses pieds dans la fontaine de Trevi ou se baigne-t-on dans l'Arno ? Personne. La plage, c'est au Lido !
C'est
pourquoi la municipalité vient de remettre en usage l'interdiction des
bains dans les canaux du centre historique, maintenant une certaine
tolérance à la périphérie du périmètre fréquenté par les
touristes, où les jeunes vénitiens continuent de temps à autre de se
lancer du haut des ponts pour épater les filles et mesurer leur force ( le cinéaste vénitien Enzo Luparelli en a fait un merveilleux petit film, "Nuota", dont nous reparlerons).
.
C'est
seulement une question de respect. Pour la ville et pour ses habitants.
J'expliquais un jour à deux jeunes adolescents belges venus avec leur classe
découvrir la Cité des Doges, qu'on ne rentrait pas dans un magasin,
torse nu et pieds nus. Question de courtoisie. Ils étaient certes très
beaux, avec cette jeune vigueur qui aime à se montrer. Mais le marchand
de lunettes de soleil et son voisin le fabricant de masques ne
semblaient vraiment pas apprécier l'invasion de ces jeunes éphèbes
étourdis. Ceux-ci s'étonnaient du peu d'empressement des commerçants
qu'ils croisaient, et s'initiait ainsi dans le groupe l'idée que les
vénitiens sont peu accueillants. C.Q.F.D. !
«Mort au torse-nudisme en ville !» disait avec humour un pochoir sur un mur de l'Erbaria l'autre jour. «Mais ce tour de vis n'est pas la manifestation d'un quelconque autoritarisme», précise un proche de l'assesseur Salvadori, «les ouvriers qui travaillent en pleine chaleur, chargent et déchargent
des marchandises ou refont des maisons ont le droit de travailler torse
nu, mais le touriste qui circule en ville, dans les églises, les musées,
les boutiques et les restaurants, doit être vêtu décemment. Essayez de
visiter le Louvre ou le British Museum en caleçon et sans chemise ! »