De
tout temps, les vénitiens devaient prendre eux-mêmes en charge le
nettoyage des canaux et des rives. régulièrement les riverains
effectuaient ce travail qui évitait l'envasement et les eaux stagnantes
et saumâtres. C'est ainsi qu'avec le renouvellement des marées, si on ne
pêchait plus depuis longtemps du haut de son balcon, on pouvait sans
craindre la poussée de pustules eczémateuses, se baigner dans l'eau
verte des canaux. Les enfants ne s'en privaient pas qui plongeaient du
haut des ponts pour se distraire et puis pour amuser aussi les passants
et les voyageurs contre quelques piécettes. Il aura fallu attendre plus
de cent cinquante ans pour que la Magistrature des Eaux impose le curetage et le dragage des rii
de la ville. Cela se fait année après année. On en profite pour refaire
les réseaux de câbles et de canalisations, pour restaurer les
fondations des bâtiments, des quais et des ponts. Finalement à voir
travailler les ouvriers chargés de ce nettoyage mais aussi de ces
rénovations, on se rend compte qu'en dépit de la mécanisation des tâches
effectuées, le travail reste le même. Pendant des années on a cru, au
nom du sacro-saint mythe du progrès, que les techniques modernes
valaient toujours mieux que les procédés antiques.
Mal en a pris les
vénitiens (et surtout les italiens parachutés dans les administrations
vénitiennes qui eurent en charge le dossier restauration) : on a vu par
exemple que les briques de fabrication industrielle qui ont servi jusque
dans les années 80 ne se conservaient pas très longtemps et attiraient
des champignons qui s'attaquaient ensuite aux parties anciennes des
bâtiments. En revanche la brique cuite au feu de bois et faite des
matériaux identiques à ceux employés depuis toujours par les maçons
vénitiens résiste parfaitement aux intempéries et à ces bactéries. La
pierre d'Istrie,
dure et résistante à l'eau ne peut être remplacée par aucune pierre de
synthèse ou d'une autre provenance. Elle est totalement imperméable et
sa densité convient parfaitement au contact prolongé avec l'eau de la
lagune. Les bois des palli
ne peuvent être remplacés par d'autres essences car le résultat n'est
pas le même en terme de solidité par exemple. On ne le dira jamais
assez, à Venise
comme ailleurs : le passé a beaucoup à nous enseigner et demain
n'existera pas sans une bonne connaissance d'hier. C'est valable pour
tout, j'en suis convaincu...
- Votre conclusion me remplit d'allégresse, mon cher Lorenzo, car le souci du temps devient par trop évanescent : vous avez bien raison d'en réaffirmer tout l'intérêt.