21 janvier 2008

La Venise des origines

Les Fous de Venise que sont pratiquement tous mes lecteurs sauront reconnaître l'endroit où cette photo a été prise (*). La question que je me pose - car un doute subsiste - est de savoir si cette crypte magnifique où on respire un air qui semble venu des temps anciens, était déjà inondée quand je vivais à Venise ? Je crois me souvenir de longs moments passés assis sur les dernières marches de l'escalier qui descend vers la crypte à lire le Lorenzetti sans être dérangé par d'autres visiteurs... La présence des générations fondatrices se ressent très fortement entre ces murs, comme à Torcello ou dans certains très vieux palais. Comme s'ils étaient physiquement présents bien qu'invisibles....
.
(*) : Il s'agit de la crypte byzantino-romane de la chiesa di San Zaccaria.

1 commentaire:

venise86 a dit…
Comme je vous envie de connaitre si bien Venise.. Intimement... Que de lieux à noter et à retrouver... moi qui suis brouillonne et pars le nez au vent des ruelles sans dessein, ni but determiné.. Venise la folle, la baroque, va t elle finir par me discipliner?

20 janvier 2008

Les noyés de la piazzetta

On a repêché l'autre jour le cadavre d'un homme flottant dans les eaux du grand canal. Cela ne se produit plus très souvent mais l'évènement a fait jaillir des tas de souvenirs dans l'esprit des vénitiens. Des bons et des mauvais.
 
Saviez-vous qu'autrefois, la République faisait exposer les noyés sur la piazzetta dei leoncini, cette petite place située à côté de la basilique San Marco, devant l'actuel patriarcat (demeure de l'archevêque de Venise). Là, les cadavres repêchés dans les eaux de la lagune étaient exposés sur des brancards afin de permettre aux familles de venir reconnaître parmi les dépouilles gonflées par l'eau de la lagune leurs disparus. C'était devenu une attraction. La nuit, des lanternes éclairaient les catafalques sous la surveillance des soldats qui veillaient à ce que personne ne vienne voler ce que les noyés pouvaient avoir sur eux. Il y eut une période où les brancards remplirent toute la place. C'est que pendant longtemps, il n'y avait pas de parapets. 
 
On pouvait glisser d'un pont ou marcher trop près de la rive. L'eau est froide en hiver et peu de gens autrefois savaient nager. Il y avait aussi les noyades provoquées. Un mari jaloux, un marchand escroqué, un adversaire politique. La méthode fit ses preuves. Pour rentrer chez soi la nuit, puisqu'il n'y avait pas d'éclairage public (ou, quand il y en eut un il n'existait pas dans toutes les rues de la cité et ne fonctionnait qu'aux alentours immédiats de San Marco), les vénitiens utilisaient les services de jeunes gens munis d'une lanterne spéciale que l'on appelait el Codega (les porteurs de lumières furent ainsi baptisés "codegon"). Une loi de 1450 obligeait toute personne circulant dans la ville après trois heures du matin à se munir d'une lumière afin d'être reconnaissable. Il y avait tellement d'agressions. 
 
Comme partout régnait une obscurité absolue parfois allégée par la présence de la lune et, de loin en loin, par les lumignons (les "cesendeli") qui brûlaient devant les petits temples votifs dédiés à la Vierge ou à des saints, il fallut bien trouver des solutions. ce fut El codegà. L'usage de ce service permettait de circuler en conformité avec la loi si on n'avait pas avec soi de lanterne ou de bougie. Comme il n'y avait pas de rambardes ni sur les ponts, ni le long des canaux, il était facile de tromper quelqu'un. Il suffisait que le porteur de lumière accélère et se rendre sur l'autre rive d'un canal par exemple puis attire son client qui pour ne pas le perdre de vue s'engage en direction de la lumière et plouf, le voilà à l'eau. Après une soirée bien arrosée et un trop riche repas, l'eau glacée de la lagune avait la plupart du temps raison de la pauvre victime. Le porteur de lumière éteignait vite sa lanterne et rentrait chez lui, la bourse bien remplie pour son méfait. D'autres fois, suivant le codegà dans des ruelles éloignées, le passant était attendu par des trousse-jarets qui l'assommait ou le transperçait de leur lame effilée et il finissait dans l'eau... On retrouvait nos pauvres victimes le matin sur la piazzetta dei leoncini...

3 commentaires:

Florence a dit…
Ciao Lorenzo,
Je ne connaissais pas l'ancienne "utilisation" de la piazzetta....
Pour ma famille, tous les enfants se sont faits photographiés assis sur un des leoncini de la photo. Tradition!! que j'ai bien sûr appliquée avec plaisir qui j'espère perdura un jour quand je serai nonna.
A presto

Anonyme a dit…
il semble d'après les webcams branchées en permanence sur 5 endroits de Venise que la meilleure semaine pour y aller soit celle-ci = juste avant le carnaval : presqu'aucun touriste! Marie G
Lorenzo a dit…
Effectivement, il faut en profiter. Le temps n'est pas si mauvais et la foule reste absente. Mais c'est hélas un peu comme le calme avant la tempête...

19 janvier 2008

Nature anti-nature

On ne rencontre jamais mieux Venise que seul et sans but. Malinconia. Cet état atroce et merveilleux, le solitaire s’y accroche car il y trouve un délicieux bonheur, une richesse unique. Triste et joyeux presque simultanément, le malade de Venise s’enrichit d’heures en heures de sensations spécifiques. 

Un peu à l’image du novice qui peu à peu se dénoue et entr'aperçoit sa véritable essence après plusieurs mois, voire plusieurs années dans sa cellule solitaire. Bien au contraire. 
C’est la joie de cette lumière, le bonheur de cette atmosphère unique, cet esprit unique : être et évoluer dans un milieu terriblement humain et pourtant totalement artificiel puisque gagné sur la nature. Les pierres et les piliers de bois sont de la nature mais leur utilisation et l’usage qui s’en suit est par essence anti-nature. Ce qui ne veut pas dire contre-nature… Bref au milieu de cet ensemble nature-antinature qu’est Venise, j’ai trouvé ma vraie nature. L’universalité née de sa beauté et des mythes qu’elle a ainsi suscité me permet – comme à des millions d’autres adeptes (on se croit toujours seul et unique amoureux, seul et unique connaisseur et de facto consommateur de Venise) de la retrouver partout presque instantanément et même sans le vouloir : sur les écrans de télévision, sur la toile, aux vitrines des librairies, dans les musées, les conversations. Un reflet, un son particulier, une odeur et n’importe où me voilà transporté à Venise et dans mes souvenirs aussi…

4 commentaires:

condorcet a dit…
Très belle évocation de ce lien si particulier qui unit Venise à ses admirateurs. Un amour partagé car, contrairement aux lignes vengeresses sur les foresti et autres vandales, Venise se dévoile avec plaisir aux promeneurs tardifs, à l'âme errante, à la recherche sereine. Comme le fil de l'existence, Venise se déguste à toutes les allures.
anita a dit…
Oui " on se croit toujours seul ...unique connaisseur ..." dégustateur de cette ambiance qui ( m')ensorcèle dès l'esplanade de la gare ... admirateur de tout Elle , ses ruelles casanoviennes , celles qui doivent se mériter ! ses verdures qui jouent les coquettes : se laissant admirer , un peu, beaucoup , passionnément ... C'est cela être amoureux ! Je remercie le Ciel de me permettre de La découvrir à chaque fois un peu mieux ... C'est cela être amoureux et remercier le Ciel de L'avoir connue

venise86 a dit…
Tout est dit ci-dessus et complète mon commentaire précédent.. Quand je suis à Venise, par bonheur, je ne construis rien de mes journées, ou presque. Je prends, je bois, Venise comme elle se donne... Et ce n'est qu'au retour que je rationalise.. J'aimerai tellement que Venise me devienne aussi familiere que mon coin de campagne, ou mon quartier quand je suis en ville... J'aurai tellement l'impression de l'offenser en voulant la rencontrer au travers des guides...
venise86 a dit…
Être amoureux, c'est retrouver, ou croire retrouver, partout, des signes de l'aimé... Il en est ainsi de Venise en effet... Mon entourage parle de mono mania... et ne comprend pas... Mais ne fait pas pour autant le voyage, paralysé qu'il est par les clichés...

18 janvier 2008

Une journée en hiver



 

4 commentaires:

Anonyme a dit…
la première photo, est-ce le canale di san Pietro? je crois reconnaître.... et la deuxième est assez ancienne, non? Bonjour de Belgique. Marie G
anita a dit…
Merci ....pour ce que je me réjouis de trouver le matin en ouvrant le mag ...
Aujourd'hui la Venise fraîchement engourdie et votre salutaire coup de gueule !
Anita
M@rie a dit…
Bonjour, j'ai visité votre blog et je l'ai trouvé intéressant. Pour rassembler les blogs évoquant Venise, j'ai créé une communauté nommée Venise sur la ville italienne ainsi que toutes les petites venises du Monde. Accepteriez vous de nous rejoindre sur cette communauté, si vous le pouvez?
Lorenzo a dit…
Merci pour cette invitation. Envoyez moi le lien.

17 janvier 2008

Carnaval revient dans dix jours et rien ou presque sur le net

A une semaine du début des festivités 2008, rien ne semble vraiment prêt pour informer les amateurs de cette liesse obligée qu'est le carnaval. Aucune lisibilité, aucun programme en ligne, rien que des généralités. Jan Van der Borg, professeur d'économie touristique à la Ca'Foscari et l'un des plus éminents spécialistes actuels de l'étude et de la gestion des flux touristiques dans les grandes villes d'art, écrivait ce matin dans le Gazzettino un billet d'humeur qui, au-delà de la rogne, montre d'une manière significative l'échec actuel de toutes les tentatives d'organisation et d'encadrement des grands évènements touristiques.


Il a voulu voir où en était cette fameuse Agenzia degli Eventi (agence des Évènements) qui est depuis peu responsable de l'organisation et de la sponsorisation des évènements touristiques, connue jusqu'à ce jour par l'appellation Casino di Venezia Spa. Organisme mi-privé mi-public qui regroupe entre autres des hommes d'affaires de Las Vegas, de Disneyland... Qu'en est-il des préparatifs ? Cet éminent universitaire s'est donc promené en ligne à la recherche de sites qui pourraient lui donner les informations nécessaires à l'organisation d'un séjour à Venise pendant le carnaval. Seul le site de la Municipalité donne quelques détails et renvoie au site officiel (www.carnevale.venezia.it) qui n'est encore qu'un superbe carton d'invitation animé sans aucun détail précis. Curieusement, sur le site du casino, aucune trace du carnaval ! Comme le souligne Van der Borg, n'avait-on pas insisté lors du lancement de cette fameuse "agence" sur "la priorité donnée à la mise en place d'une totale et complète synergie de communication" (cela figurait dans le somptueux dossier de presse qui nous avait été remis) ? 

Aucune information logistique (et quid de la gestion des flux justement ?), aucun conseil utiles pour ceux qui voudraient découvrir la plus importante manifestation touristique de l'année (quid de la qualité de la visite proposée au touriste ?). Un site officiel qui consiste seulement à présenter un sorte d'affiche publicitaire, carton d'invitation virtuel qui bouge dans tous les sens, où en plus du nom du directeur artistique, on découvre que seuls les habitants de la terraferma pourront dormir tranquilles pendant le temps du carnaval, puisque les manifestations semblent, au vu de ce qui est indiqué sur le site, ne concerner que les seuls quartiers du centre historique...


Il semblerait donc qu'encore une fois, les responsables locaux ont perdu l'occasion de donner une vraie lisibilité à l'évènement et aux règles de comportement de qui vient à Venise. Pour Van der Borg, avoir laissé de côté internet, le média considéré aujourd'hui à juste titre comme le plus puissant vecteur d'information - en général et en particulier pour le secteur touristique - est vraiment impardonnable. Pour notre spécialiste, cela n'est que le symptôme d'un mal bien plus grave : une agence dont le principe paraissait formidable qui s'avère mort-née aussitôt créée... On ne peut qu'espérer la voir ressusciter avec l'arrivée annoncée des intervenants privés. 

1 commentaire:


douille a dit…
Je crois que cette date de carnaval, trop hâtive sur les calendriers, n'arrange personne.

16 janvier 2008

Eaux mortes.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Quand Philippe quitta Paris, il ne savait pas si Anna l’attendrait. Elle lui avait écrit trois mots en deux ans et il n’avait plus aucune nouvelle depuis plus de six mois. Était-elle encore à Venise ? L’épreuve de l’hiver sur la lagune avait-elle eu raison de sa détermination. Il voulait la revoir et la serrer enfin dans ses bras. Mais que trouverait-il en arrivant ? Une maîtresse attentive et aimante ou bien une gorgone enragée ivre de travail et débordant d’idées fantasques comme lorsqu’elle s’était livrée le dernier soir, quand ils s’étaient promenés sur les Zattere et qu’elle l’avait laissé la prendre dans ses bras, face à Saint-Marc, à la pointe de la douane ?

Le train démarra enfin. Blotti contre la fenêtre de sa cabine, il attendait la cloche du premier service. Il aimait ce dîner rituel dans le wagon-restaurant italien. Les serveurs en veste blanche, le verre de Prosecco et les œillets-d'Inde dans les vases sur la nappe damassée. Autre chose que ces immondes voitures-bar du Paris-Rome ou du Paris-Milan… Il traînait longtemps à table, parlant avec les serveurs, presque toujours vénitiens. Quand il rentrait se coucher, les couloirs de son wagon étaient depuis longtemps vides de tout passager. Il dormait peu, rêvant à sa ville. Cette fois, Anna se mêlait aux images de Venise, les canaux, les reflets, les palais, les parfums, les silences et les bruits de la ville. Sa ville.

Il n’avait pas tout à fait fini Sciences po. Brillant mais paresseux, il s’était enfoncé dans la vie étudiante comme on se rue vers un eldorado à peine découvert.

(à suivre)
 
 
 
 

4 commentaires:

anita a dit…

C'est émouvant , frissonnant , chaleureux comme .....vous !
Vite , la suite ....
Anita

Etienne a dit…

Joli texte Lorenzo Est ce une nouvelle ou l'ébauche d'un roman enfin ? nous attendons la suite avec impatience c'est vrai !

Lorenzo a dit…

Un test plutôt sur une idée de texte que je vais prendre le temps de peaufiner à Venise dans quelques jours.

Anonyme a dit…

que ça doit être charmant un oeillet-dinde!!! et les oeillets-dindons? ne viendraient-ils pas d'Inde, plutôt? oups pardon... un si joli texte! désolée!

 
 

15 janvier 2008

Persone per Hora Segreta

Délations, dénonciations et accusations alimentèrent les tribunaux vénitiens tout au long de la vie de la Sérénissime. Je viens de lire un ouvrage de Paolo Preto sur cette institution typique du système politique et juridique de la Venise d'autrefois. 
 
Professeur d'histoire moderne à l'Université de Padoue, l'auteur est surtout connu pour son travail retentissant sur les Services Secrets de Venise. Dans son ouvrage sur le système de délation qui était courant dans la cité des doges, Paolo Preto aborde les précédents connus dans les cités antiques et à Rome. Il nous amène jusqu'à la République de Venise, et on voit ce processus de gouvernement de la cité se développer en même temps que le principe de l'inquisition. Les dénonciations anonymes ne l'étaient pas tant que cela. Elles devaient pour aboutir sur le bureau des membres du Conseil des dix ou pire sur celui des inquisiteurs être corroboré par deux témoins dont les coordonnées devaient être précisées. Toute dénonciation fallacieuse faisait encourir à son auteur la même peine que celle qui aurait pu être appliquée à celui qu'il dénonçait à tort. C'était un moyen de maintenir les citoyens dans un état de veille permanente vis à vis de la défense des principes fondateurs de l’État et de préserver le respect des règles, gage du maintien du tissu social. La peur du gendarme amplifiée par la peur d'être dénoncé par son voisin. Les fascistes de Mussolini remirent à l'honneur cette pratique comme Rome avant Venise avait eu l'initiative. 
 
Les dénonciations anonymes qui font partie de la "légende noire" de la Venise des Dix et des Inquisiteurs, représentent un des thèmes principaux qu'utilisèrent les ennemis de la République et de son système. Mais despotisme, espionnage organisé, délation et vengeance forment autant d'éléments parfaits pour les romanciers, les peintres et les librettistes d'opéra. Avec le temps, on ne fait plus une fixation sur ce mode de gouverner les peuples. Big Brother au XXIe siècle ne fait pas mieux et je ne suis pas certain que notre époque d'autocensure et d'inculture soit plus libre et respectueuse de l'homme que celle de la Venise du Conseil des Dix.

1 commentaire:

anita a dit…
D'une nature génétiquement confiante ( !!! ) je me méfie cependant des " traces " qu'il me faut laisser sur la toile ... "tordre" ma nature me fait beaucoup de peine .
Anita

14 janvier 2008

Rébellion à Venise : il y a un avenir pour la cité lagunaire crient les vénitiens !

 
Lorsque MassimoCacciari a annoncé que pour la première fois dans l'histoire de la Venise moderne, les vœux des autorités constituées seraient prononcées depuis la terre-ferme, le tollé fut général. 

Le maire-philosophe osait enfreindre une tradition séculaire et choisissait la banlieue de Mestre pour présenter les vœux de la municipalité aux vénitiens et au monde. Du jamais-vu. De la provocation. Tout un symbole en vérité. Si Cacciari a préféré la ville nouvelle aux dorures du salon d'apparat de la Ca'Farsetti, c'est qu'il voulait adresser un signe fort en direction des habitants de la terra ferma - là où il y a le plus d'électeurs - dans la perspective des élections à venir mais aussi pour signifier. Ses adversaires prétendent en fait que devant l'absence d'un vrai projet visionnaire pour l'avenir de la lagune, il faut occuper l'espace en remuant de l'air... 

J'avoue ne plus savoir ce qu'il en est. Les politiques prétendent que l'avenir économique de Venise est à Mestre comme il le fut un temps à Marghera... Marghera vaste complexe industriel né de la volonté d'un riche aristocrate visionnaire n'est plus qu'une gigantesque friche qui se transforme peu à peu et à qui on doit l'inexorable pollution de la lagune et l'empoisonnement d'un écosystème qui apporta la vie et la prospérité aux vénitiens pendant plus d'un millénaire. Mestre dans sa laideur contemporaine n'a rien à voir avec Venise. C'est un autre monde.
 
Certes il est peuplé aujourd'hui de tous ceux que la spéculation et le tourisme a chassé du centre historique, mais ce n'est rien qu'un gros bourg de province grandi trop vite gonflé de ces zones urbaines où on vit mal et tristement et qui dégénèrent peu à peu en nids de délinquance et d'exclusions. Tout au long de son existence souveraine jamais Venise n'a connu cette misère déguisée sous des oripeaux de confort et de modernité. L’État prenait soin des pauvres et des laissés pour compte. 
 
Tous les sujets de la Sérénissime mangeaient à leur faim. Jusqu'à la révolution française, les pitoyables razzias de Buonaparte et l'insane occupation autrichienne. Le Corbusier disait que "Venise est la cité de l'avenir parce que la ville piétonne est le rêve de tous les architectes"... Sans tourner le couteau dans la plaie on peut se poser des questions sur l'avenir justement quand on voit les difficultés des administrateurs d'aujourd'hui quand il s'agit d'élever un quatrième pont sur le grand canal (avec l'aide de toutes les techniques sophistiquées du XXIe siècle) face à l'aisance de ceux qui érigèrent en un temps record un des chefs-d'oeuvre de l'architecture qu'est le pont du Rialto (sans ordinateur, sans interventions extérieures et sans incident technique). Il est clair que Santiago Calatravà n'est pas Antonio da Ponte ! Massimo Cacciari n'est pas non plus le doge Pascuale Cicogna sous le règne duquel le pont du Rialto fut construit.

Alors avec toutes ces ratiocinations, les vénitiens crient leur ras-le-bol. Ils veulent vivre, travailler et mourir au pays. Cela ne vous rappelle rien ? Moi oui, les paysans des montagnes que chantait Jean Ferrat et que le progrès, la croissance, et tutti quanti forçaient à partir peu à peu pour renforcer les rangs des déclassés, des exploités dans les barres de H.L.M. des grandes cités, purs produits de notre époque moderne. Mais je m'égare. Il s'agit de Venise et des vénitiens, pas de Roubaix-Tourcoing. Mais le résultat est le même.

2 commentaires:

Luc et Danielle a dit…

Bravo et merci Lorenzo pour cette très bonne synthèse des problèmes actuels de Venise !

Quant au Comte Volpi, qui a initié le Port de Marghera, il n'est pas à l'origine de la partie chimique, qui est venue bien plus tard. Il souhaitait prioritairement développer l'économie locale dans un axe "transports modernisés".

Enfin, peut être un espoir pour la pollution, même si c'est aussi un drame pour d'autres, le pôle chimique de Marghera est aujourd'hui en faillite et sa reconversion est à l'ordre du jour. L'ensemble de la zone chimique, après dépollution du sol, devrait être transformé en un pôle technologique type "cité numérique". Il ne manque plus que les "sous" des autorités nationales.

Gérard a dit…

Plus généralement , il est devenu désuet et malvenu de s'accrocher dur comme fer à la vie des cités antiques .
Et pourquoi donc ?
Très simple .
Le tourbillon de folie de l'économie libérale à outrance , des fonds de pension et des finances à vocation planétaire , de la pensée multilatérale et paradoxalement à consistance unique ou monoforme , du déni de démocratie que des gourous et des imposteurs incroyables veulent à tout prix nous imposer , bref cette force de destruction hyper concentrée , maléfique , se justifie de tout et menace l'Histoire et la Culture , les bouscule toutes deux et ceci sans vergogne .
Des soudards .
Et nous , misérables , un genou déjà à terre !
Ah , la beauté des forts !
On ne l'sait pas tout à fait encore , bien que nous en ayons quelques aperçus particulièrement effrayants .
Faudrait y voir !
Quand même ,
A deux fois !
Jean François Kahn disait que la vraie révolution à venir sera faite par ceux qui mettront l'Homme et ses environnements au centre de tout .
Un nouvel Humanisme .
Renaissant .
Et à définir .
Une recherche .
Ou ,
Un vide espérant à combler .
Ou quelque chose comme ça .
J'y crois .
Toute folie humaine appelle inévitablement l'espérance de son contraire .
C'est justement la parade à l'attaque de ceux qui veulent nous détruire sans cesse .
Ils sont hélas partout !
Et c'est pour ça que tous les humanistes , finalement , s'attachent tant à la préservation de l'antique cité , ce vieux refuge .
Ce sont des anachroniques un peu dépassés , mais hyper modernes .
Des fous , des libertaires , des romantiques , des poètes ou des rêveurs , bref des solitaires : ils sont l'essentiel de ce que l'on appellera un jour de manière simple , l'Homme .
Puisqu'ils y vont , chacun à leur façon , tous tendus vers ce qu'ils attendent secrètement .
Une étrange attirance .
Le vide que cette société à but seulement et désespérément argentifère crée n'a , par nature , aucun avenir .
Ce vide absurde génèr
e sa propre déchéance : la savent-ils , cette sécheresse ?
Certainement pas !
Et pourtant demain n'est rien d'autre qu'une sphère immense remplie du non moins gigantesque hier , et ces monstres " aujourd'hui libéraux " qui veulent éradiquer tout ça n'y pourront rien !
Puisque c'est déjà écrit sur des pans même assez plissés de notre vieille voûte antique !
On s'accroche .

Viale Garibaldi, janvier 2008

 

Une splendide photographie de nos amis Luc et Danielle qui nous amènent dans un joli périple du côté de Castello à la découverte de sites inédits et de trésors méconnus. Jetez un coup d’œil à leur article sur e-venise.com

4 commentaires:

FRANCOIS a dit…

Venise veut dire "reviens" c'est vrai qu'on a chaque jour cette envie folle d'y retourner ....
J'y suis allé 6 fois,je veux y retourner cette année une semaine.

Votre site est vraiment extraordinaire ...il remplit nos cœurs et nos âmes et apaise cette envie folle et irrépressible de repartir...

bravissimo!!!et MERCI

Lorenzo a dit…

merci à vous. C'est votre enthousiasme et votre soutien qui font vivre TraMezziniMag !

Tietie007 a dit…

Nous avions bien aimé cette artère un peu à l'écart de l'agitation autour de Saint Marc. Au bout, il me semble que sur la droite il y a un grand parc, ce qui nous avait surpris. Nous avions fait le tour du quartier et j'avais remarqué de superbes immeubles d'époque, peut-être du logement social. Je pense que c'est dans ce quartier que les vrais vénitiens habitent.

Lorenzo a dit…

Effectivement il y a non loin les jardins publics et de la Biennale dont Napoléon décida l'aménagement. C'est un lieu bien agréable en été. Au-delà, les logements construits à partir des années 20 forment un quartier un peu à part comme en face de la gare ces immeubles collectifs qui donnent tous sur des rues pavées et non plus des canaux. Si vous poursuivez votre promenade, vos pas vous porteront vers San Elena et son cloître. les moines y vivent paisiblement et sont très accueillants. L'église dans sa simplicité franciscaine est (en été surtout) un havre de paix. A côté un stade où les jeunes vénitiens s'entraînent au football. En marchant encore on rejoint par des tas de détours la basilique San Pietro, l'ancienne cathédrale et résidence du patriarche avec son campo verdoyant et le port. Des lieux éloignés du passage des touristes.

13 janvier 2008

Miss Olga Rudge, for her Ninetieth Birthday, 13 April 1985


It was quite late, you know... San Marco was deserted. (She refilled
my glass). I had been to a concert... It was no long ago.
(She smiled).


Capisci? I knew I should have walked 'round, but there it was :
San Marco,
my dear, and no one on it ! I began to walk across the empty
Square -


you understand, my dear ? Out of the shadows a young man appeared.
I continued walking. He began to leap and dance around me.


I walked on... (Olga's elegant head, defiantly eret)... crossing
San Marco at an angle, you understand, towards the Canale.


I had been at the teatro Malibran, at a concert. Again the man
leaped and danced in a circle around me ! (Her face crinkled).


I said nothing. He said nothing. As I walked, he danced,
I walked and so on. (She shrugged : if that is what he wants to do !) He danced, circle after circle... until we finished crossing the square.That's all : (she laughed) I walked, he danced !
I know a good sight more about Miss Olga Rudge than that
but nothing to describe her any better (or so well!) I think


Ezra (a master, who took the simpler forms of courage for granted, while the larger he headed on, intractable as an angered daemon)


was listening, impresed by her handsome gestures and fearlessness,
amused by her merriment and large appetite for being entertained.


Dachine Rainer
extrait de "Giornale di venezia"

2 commentaires :


Anonyme a dit…
such a talent !
Anonyme a dit…
Où peut-on trouver son livre Giornale di venezia ? Vos chroniques sont tjs aussi passionnantes ! Sunny

12 janvier 2008

Piazza San Marco par un soir d'hiver

 

5 commentaires:

anita a dit…

vos tramezzini recèlent des trésors de goûts infinis ...miam miam et re-miam !!!
Anita

Lorenzo a dit…

Merci beaucoup. Votre prénom va droit au coeur de tous les italiens et des italianisants, vous le savez surement, c'était celui de la femme de Garibaldi qui l'aida physiquement et moralement. Ce prénom continue d'être porté par les descendantes de Garibaldi.

anita a dit…

Remerciement à ...votre merci !!!
Lors de ma jeunesse , quand je venais , le plus souvent en famille , passer des vacances en Italie , mon prénom et ma blondeur plaisaient beaucoup aux Italiens !!! Cette sympathie réciproque contribuait au petit bonheur de la parenthèse estivale ...
Mon père était d'Espagne où le prénom se porte toujours , là aussi .

venise86 a dit…

Toujours, toujours, bonheur de passer ici.. J'en suis restée éloignée trop longtemps...

géraud a dit…

Bonjour, je voulais signaler la nouvelle adresse du lien "Action culturelle française à Venise" : www.france-venezia.it ou http://www.france-italia.it/VENEZIA/venezia.php?m=23&l;=it.
Un blog très intéressant.

COUPS DE CŒUR N°23

Comme mes lecteurs me réclament toujours de nouvelles adresses et qu'à vouloir satisfaire la demande je n'aurai bientôt plus aucune adresse secrète et réservée au point qu'il me faudra conserver mon carnet noir dans le coffre d'une banque suisse, je vous présente ce soir un lieu que j'aime beaucoup qui reste encore assez confidentiel bien que bénéficiant depuis son ouverture en 1987 une réputation internationale. Il s'agit du restaurant Al Covo, situé à Castello.
 
Ristorante Al Covo
Campiello della Pescaria, Castello 3968
tél. : 041 5223812
Fermé mercredi & jeudi
C'est un établissement très agréable, élégant, tranquille, avec un service qui frise la perfection est situé dans la zone dite de "Bragora", sur le campo della pescaria, à dix minutes à peine de la piazza mais très en retrait des chemins envahis par les touristes. "Luxe, calme et volupté" disait un critique italien qui ne manque jamais d'y déjeuner quand il passe par Venise. 45 places et une petite terrasse en été, deux jolies salles à la décoration discrète et cossue avec au mur des oeuvres originales de Boetti, Schifano, Ceccobelli. Fondé en 1987 par Diane et Cesare Benelli, deux italiens qui se sont rencontrés aux Etats Unis et décidèrent de concrétiser leur rêve commun en ouvrant un restaurant à Venise. Le grand-père maternel de Cesare tenait dans les années 20 au Lido, la Trattoria Toscana.
La cuisine est très raffinée et délicieuse, surtout à base de poissons et de crustacé (d'une fraîcheur à faire pâlir les meilleurs restaurants japonais). On trouve à la carte des préparations traditionnelles comme la friture de poissons, mais quelle qualité ici, quel goût ! Beaucoup de recettes sont revisitées voire inventées par le maître-queue. La carte des desserts n'est pas très riche mais la carte des vins elle, est remplie de trésors judicieusement choisis. Que demander de plus ? Que l'adresse reste confidentielle. Que leurs produits continuent de venir de la lagune. Qu'ils n'augmentent pas trop leurs prix contrairement à ce qui se passe ces derniers mois chez tous leurs collègues de la Sérénissime. Car naturellement, le prix est au niveau de la qualité de ce qu'on y mange. Mais pour un tel résultat, c'est plus que raisonnable. De plus, c'est un des rares (bons) restaurants ouverts le dimanche et le lundi ! Il vaut mieux réserver. Allez-y quand vous serez à Venise et vous me donnerez votre avis. Je doute qu'il soit négatif !

11 janvier 2008

I walked, he danced...

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler sur ce site, de Dachine Rainer, cette extraordinaire vieille dame rencontrée à Venise en 1984 ou 85. J'ai relu son Giornale di Venezia, recueil de poèmes composés la plupart pendant son séjour vénitien, et qu'elle termina entre Dwelley House, son manoir écossais et Twickenham, où elle s'était retirée, chez sa fille Thérèse.
 
Dachine était persuadée qu'on en voulait à sa vie et qu'un gang lié à l'Establishment cherchait à l'empoisonner. De fait, dans une lettre datée de mars 1987 ou elle répondait à mon invitation (je lui proposais de venir se reposer et travailler chez moi), elle m'expliquait qu'elle venait de mettre en vente sa propriété qu'elle aimait tant parce qu'elle y subissait mille pressions. Elle me disait même souffrir d'un empoisonnement chronique au mercure que rien d'autre qu'un complot ne pouvait expliquer selon elle... Qu'en fut-il en réalité ? Interrogée, sa fille reste très évasive. Discrète. Ses amis américains ou irlandais n'hésitent pas à se lancer dans de terribles diatribes contre l'Establishment britannique et les hommes en noir qui n'oublient jamais rien... 
 
On nage en plein roman et ma petite Miss Marple, qui a connu les affres de l'emprisonnement et des violences policières pour ses actions contre la guerre, sa dénonciation du fascisme latent et des exactions du capitalisme - comme du bolchévisme d'ailleurs - dans les années 1930 à 1950, fut en même temps l'amie et l'hagiographe d'Ezra Pound et de sa femme Olga Rudge. Cela en fait un personnage atypique de l'intelligentsia anglaise. Une femme d'une grande liberté d'esprit, une de ces intellectuelles comme le XXe siècle en a produit. je pense à Virginia Woolf, Edna O'Brien ou à Marguerite Yourcenar. De Yourcenar, elle avait la culture, de Woolf cette attitude purement anglo-saxonne. 
 
Un mélange de high-tea-biscuits-tweed attitude et de whisky sec. Elle était totalement imprévisible pourtant. S'apitoyant sur le sort des chats abandonnés de Venise, elle ne pensait plus qu'aux moyens d'approvisionner les différentes associations qui s'occupent de la gent féline dans la cité des doges. Lorsque j'eus à résoudre de graves problèmes avec le galeriste de la Fenice qui m'avait employé, elle se révéla redoutable tacticienne, s'impliqua dans ma vie en recherchant solutions et parades. Elle vivait dans l’œuvre d'Ezra Pound, homme des droites extrêmes, dont le travail git encore malheureusement dans un injuste purgatoire que ses prises de position ne justifient absolument pas. Nos visites à Olga Rudge (qui repose aujourd'hui à ses côtés au cimetière de San Michele) furent toujours pour moi un régal. Les deux femmes parlaient bien évidemment du maître avec force détails. Olga Rudge nous parla un jour de la passion de Pound pour Vivaldi qu'il contribua à faire redécouvrir dans les années 30. J'ai eu la chance d'entendre plusieurs enregistrements d'émissions faites par Ezra Pound où il parlait de Venise et de Vivaldi, dans la maison même où il composa plusieurs de ses grands poèmes.  
 
Dans ces moments-là, Dachine ressemblait à une petite fille reçue par sa directrice de pensionnat ! Un jour, elle raconta à Olga une soirée au théâtre Malibran où nous nous étions réfugiés un soir de carnaval. Venise était ce soir-là entièrement sonorisée et les hauts-parleurs diffusaient à outrance de la musique rock. La ville était envahie par le bruit. Un paroxysme de décibels, si vous m'autorisez cette expression. Au théâtre, le concert fut si beau, si ample, si agréable à nos oreilles et tellement reposant. 
 
En sortant, j'étais tellement joyeux : tellement content d'avoir pu fuir ce bruit insupportable, je venais de régler mes problèmes avec G. grâce à l'intervention du consul (je dois à cet excellent homme beaucoup de ma réussite à Venise comme après en France !), j'avais trouvé en quelques jours un nouvel appartement et le journal allait publier mon article sur Moebius. Bref, mon euphorie se matérialisa en une sorte de ballet effréné. je tournais autour de Dachine en riant, comme un cabri, comme un enfant. Elle riait, tentait de parler, se remettait à rire tout en avançant et en me traitant de gamin, mais je n'arrêtais pas de tourner autour d'elle en chantant et en riant. Nous avançâmes ainsi jusqu'à la Piazza presque vide... 
 
J'ai eu la surprise de découvrir longtemps après la version poétisée dans le Giornale di Venezia que Dachine publia en revenant de Venise : «I walked, he danced». Le souvenir de cet enfer sonore du carnaval de cette année-là est décrit dans son poème «Rock Music» qu'elle m'a dédicacé.