12 janvier 2010

Quand il fait bien froid, le rôti de veau réconfortant s'impose

A Hubert D. et à sa compagne, Sophie.


Non seulement il fait vraiment froid mais le ciel s'est fait très gris et bas. Une sorte de neige fondue tombe et se transforme en verglas sur les dalles des rues. Peu de monde dehors, presque aucun bruit. Les chats dégoutés de ne pouvoir aller regardent par la fenêtre puis vont se lover dans les endroits les plus abrités de la maison. La panière de linge à repasser pour Ulysse, le noiraud, un gros pull-over tyrolien en laine bouillie laissé sur un fauteuil près du radiateur de la bibliothèque pour Mitsou, le roi des chats que tous les lecteurs de Tramezzinimag connaissent. N'est-ce pas le temps rêvé pour se mettre à cuisiner ? 

Concocter de bons petits plats est l'un des meilleurs remèdes contre la morosité. Puisque c'est de réconfort dont il s'agit ce matin, laissez-moi vous proposer un rôti de veau réconfortant (ou revigorant) : Arrosto di vitello detto di Casanova.

Il va vous falloir : un beau rôti de 1,5 à 2 kilos (noix ou quasi de veau), des gousses d'ail, des filets de harengs, des épices (romarin et thym), un verre de vin blanc, du beurre, de l'huile d'olive, du sel et du poivre.
 
Préparer une marinade avec du vin blanc, du romarin et du thym, poivrer le rôti avant de le tremper dans cet appareil. Ne pas saler à ce stade. Laisser mariner une ou deux heures dans un endroit frais (à l'abri des chats si vous en avez !). Puis égoutter légèrement la viande, la piquer d'ail, et barder le dessus du rôti de morceaux de harengs que vous aurez découpé comme du lard. Mettre au four dans le plat de cuisson avec deux cuillères à soupe d'huile et un bon morceau de beurre. Ajouter des herbes, la marinade. En milieu de cuisson saler et poivrer. Quand la viande est cuite, le hareng caramélisé et croustillant aura l'aspect et le goût relevé d'un morceau de lard rôti. Le suc du poisson se sera mélangé à celui de la viande, dégageant un arôme raffiné. Couper en tranche et servir aussitôt, nappé du jus que je déglace au dernier moment.

Comme accompagnement ? : Un plat de pâtes simplement cuites al dente avec de l'ail et du parmesan fraîchement râpé, ou bien une vraie bonne purée à la manière d'Alain Ducasse et vous allez vous régaler ! Pour la purée, voici le secret :


Prendre de belles pommes de terre, les peler et les laver, puis les mettre dans une casserole avec une branche de romarin et une gousse d'ail. Recouvrir d'eau froide (l'eau doit à peine couvrir les pommes de terre). Mettre une poignée de gros sel. Laisser cuire. Et mettre le lait à bouillir et le maintenir au chaud. Quand il n'y a presque plus d'eau dans la casserole, vérifier la cuisson des pommes de terre. La lame du couteau doit s'enfoncer facilement dans la chair devenue jaune pâle. Faire évaporer toute l'eau en remuant la casserole sur le feu, cela équivaut à égoutter les pommes de terre qui vont s'écraser une peu (ce qui est bon signe). Veiller à ne pas les faire accrocher cependant sinon elles prendront vite un goût de brûlé. 

Enlever l'ail et le romarin. Mettre les pommes de terre dans le moulin à légumes que vous aurez chauffé dans de l'eau bouillante et mélanger dans une terrine avec 15 cl de lait entier pour 1,5 kilos de pommes de terre. Mélanger les pommes de terre avec la préparation à l'aide d'une cuillère en bois. Ne pas trop remuer la chair écrasée des pommes de terre toute seule car elle risquerait de corder (la chair devient gluante et seulement bonne à coller du papier-peint !), ajouter ensuite 60 g. de beurre frai. Vérifier l'assaisonnement et servir aussitôt ou réchauffer à feu très doux au moment de servir. Vous aurez obtenu la meilleure purée du monde. Au Louis XV de Monte Carlo, Ducasse ajoute de l'huile de truffe mais cela n'irait pas avec notre rôti de veau d'aujourd'hui ! Bon appétit !


10 commentaires:


Anne a dit…
Merci pour ces recettes. Je n'aurais jamais osé mettre du hareng avec du veau! Mais pourquoi le titre "di Casanova"?
Anne
Lorenzo a dit…
dans le nom est la réponse : rôti réconfortant ou revigorant. Censé donner des forces à qui en a besoin... Recette vénitienne du XVIIIe, on pense aussitôt aux ébats dont Giacomo se vantait... Ce plat était souvent préparé aux jeunes mariés pour le souper du milieu des noces. Un clin d’œil des cuisinières d'autrefois, à une époque où sous des airs affranchis, le monde est bien plus prude qu'il n'était alors. Il y a aussi les anchois qui bardent la viandes sensées donner force et vigueur et donnent un goût génial à celle-ci dans la recette du Fricandeau Remedio de jean Clausel. Un rappel des pratiques culinaires des anciens temps.
VenetiaMicio a dit…
Miam ! Miam ! Vous êtes une perle, comment peut-on se passer de vous ?
Voilà un plat qui m'aurait bien ravigotée...surtout que j'ai travaillé à l'extérieur, car nous sommes toujours bloqués dans notre belle Provence. Déjà la pelle est presque trop lourde pour moi, mais j'y suis arrivée !
Puis-je me permettre de vous donner une excellente recette de purée de pommes de terre à l'huile d'olive.
1 kg de pommes de terre moyennes (charlotte, ratte) 2,5 dl d'huile d'olive extra vierge -150 gr de lait -150 gr de beurre frais- sel de mer -4 pincées de fleur de sel
Choisir des pommes de terre de même taille et les peler. Les couvrir d'eau salée. Cuire à petite ébullition durant 20 à 25 min.Les égoutter soigneusement et les transvaser dans un moulin à légumes. Les passer immédiatement dans un plat chaud. Incorporer à l'aide d'un spatule le lait bien chaud et le beurre. Rectifier l'assaisonnement en sel. Incorporer petit à petit l'huile d'olive en mélangeant. Conserver au bain-marie. Au moment de servir, ajouter sur l'assiette un filet d'huile d'olive et une pincée de fleur de sel.
Voilà c'est la meilleure purée que j'ai mangé et elle est la recette de Wout Bru, l'excellent cuisiner de mon village chez Bru
Corinne a dit…
Du veau et du hareng ! C'est audacieux. Je remercie Patrick de m'avoir permis de découvrir ce blog. Il me semble qu'il existe aussi une sauce dite "ravigote", pour rester dans le même esprit. Que Casanova ait eu souvent besoin de recharger ses accus, nul n'en doute !
C'est un plaisir de vous rendre visite.
Lorenzo a dit…
Vous êtes la bienvenue Corinne. VenetiaMicio, cette variante de la purée de pomme de terre me semble délicieuse, nous allons l'essayer à la première occasion.
Corinne a dit…
Merci !
J F F GrandsLieux a dit…
Et voilà, je découvre que Venise a encore une recette inventive à son actif (au delà des macarons, du tiramisù, du foie au lard et des spaghetti aux clovisses).
Magnifique recette.
Dommage, ma cuisinière (oui, j'ai cette chance, mais pour combien de temps ? ) ne veux préparer que ses plats à elle...
Il va falloir que je m'y mette si je veux goûter à ce veau-là !
Anonyme a dit…
Bonjour
je voulais faire votre plat ce week end sauf que je n'ai pas su choisir entre les filets de hareng "nature" et les "fumé". J'imagine que si vous n'avez pas précisé c'est qu'il s'agit des nature .. mais j'aimerai bien en être certaine!
merci
Lorenzo a dit…
C'est avec des harengs "frais" mais les fumés font aussi bien l'affaire de même que l'on utilise selon son propre goût du lard fumé ou non dans d'autres recettes. Si vos harengs ne se laissent pas effiler jusqu'à ressembler à de belles bandes de lard (cela dépend de la qualité du produit), vous pouvez aussi essayer de larder la viande avec des lanières de poisson. personnellement je préfère barder le rôti, le poisson finit par caraméliser et le suc en devient d'autant plus subtil. Attention cependant à ne pas mettre trop de harengs. Pour un beau rôti quatre ou cinq bardes suffiront.

04 janvier 2010

COUPS DE CŒUR N°38

Beaucoup de livres dans ce premier Coups de Coeur 2010, (le trente cinquième de la série !), le Père Noël vient à peine de passer et le facteur a glissé dans la boîte aux lettres quelques services de presse parmi lesquels certains titres vraiment sympathiques. Ceux recommandés ici ne sont pas tous des parutions récentes mais ils méritent vraiment votre attention !
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Henri Landier
Venise ou l'Innocence retrouvée

Editions Somogy
. 2007.
ISBN-9782757200865
Henri Landier entre en peinture comme d'autres entrent en religion. Une vie haute en couleurs comme sa peinture : il expose ses premières toiles à 13 ans, s'enfuit de chez ses parents quatre ans plus tard pour dessiner et peindre frénétiquement les bistrots de Montmartre, les rues de Paris, mais aussi le monde - de Maracaïbo à Amsterdam, en passant par la Provence - sans relâche. Huiles, dessins, gravures... Tous les supports l'inspirent et ses portraits gravés de Rostand, Michel Simon ou Pierre MacOrlan sont devenus des classiques. En 1980, le peintre redécouvre Venise, qu'il retranscrit dans de grandes aquarelles douces et joyeuses. C'est le fruit d'un travail de trente années qui est présenté dans ce livre en collaboration avec Alain Vircondelet qui retrouve dans les œuvres de Landier une Venise vivante et authentique "Venise ou l'Innocence retrouvée", ou la rencontre de deux artistes passionnés qui ensemble nous invitent à un voyage inédit. 
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Elio Bartolini
Le crépuscule de Ca
sanova (1774-1798)
Traduit par Isabelle Abramé-Battesti
Editions Desjonquères
210 pages.
ISBN : 2 904227 88 1
Les trois mille pages de l'Histoire de ma vie de Giacomo Casanova s'interrompent brusquement à son retour à Venise en 1774. Pourtant, il ne mourra que plus de vingt ans après, laissant délibérément dans l'ombre la chronique amère de son déclin. C'est cette période mal connue qu'Elio Bartolini retrace grâce à des témoignages et des documents d'archives.
Le temps des succès mondains et amoureux révolu, Casanova essuie une suite de revers qui le conduisent à devenir espion à la solde de l'Inquisition vénitienne. En 1782, une ultime bravade contre l'aristocratie de la Sérénissime l'en chasse définitivement : ses errances, qui le mènent dans la Vienne de Mozart et de Da Ponte, s'achèvent en Bohême, où, dans la retraite du château de Waldstein, l'aventurier revit ses heures de bonheur et d'insolence en rédigeant ses mémoires, avant de mouriren 1798, survivant de l'Ancien Régime, totalement oublié dans une Europe emportée par les tumultes de la Révolution et les conquêtes de Bonaparte.
Elio Bartolini est né dans le Frioul en 1922. Il avait auparavant présenté et annoté "Le Duel de Giacomo Casanova" et "Les trente-trois lettres de Francesca Buschini à Casanova". Son Crépuscule de Casanova a connu un très grand succès en Italie.
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Giambattista Basile
La chatte cendrillonne

traduit par Myriam Tanant

ill. de Jean-Baptiste Blom
Éditions Le Mercure de France
Coll.Le petit Mercure
64 pages
- ISBN : 2-7152-1949-0
L'histoire d'une Cendrillon napolitaine au XVIIe siècle, qui ne se laisse pas faire. Elle tue une marâtre, réussit à échapper à ses poursuivants et rend fou d'amour son roi qui, en contemplant le soulier perdu, s'écrie : " ô trépied de la belle marmite dans laquelle bout ma vie !". Tout un programme que les trois contes de ce petit recueil, extrait du Conte des contes de Giambattista Basile publié en 1634 et dont s'inspirèrent largement les frères Grimm. Un petit bijou que j'offre assez souvent autour de moi.

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Daisy Waugh
Bordeaux Housewives

Harper & Collins Ed.
400 pages
ISBN: 0007168209
Maud et Horatio Haunt ont franchi le pas. Avec leurs deux jeunes enfants, ils ont quitté leur ravissant intérieur londonien pour les collines fleuries et la vie rustique du Sud Ouest de la France. Daffy Fielding vient de persuader son mari de racheter l'Hôtel Marronnier. L'arrivée de ses compatriotes ne réduira pas l'ennui permanent de Lady Emma Rankin qui de son joli château va tisser les nouveaux liens qui s'instaurent dans ce joli coin de la campagne bordelaise. Mais tout va se compliquer pour le plus grand amusement du lecteur. Histoires cachées, adultère, bonne chère... Un roman très drôle et sans prétention pas encore traduit en français qui se lit d'une traite. Daisy Waugh, romancière et chroniqueur dans de nombreuses revues et magazines britanniques et américains, est la petite fille de l'écrivain Evelyn Waugh (et la fille d'Auberon Waugh). Elle est l'auteur de plusieurs romans, notamment "The Desperate Diary of a Country Housewife" (paru en 2008) que je recommande aussi à mes lecteurs anglophones. Elle n'est pas encore traduite en français.
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Collectif
La cuillère d'argent

Traduit de l'italien
Editions Phaidon
1064 pages
ISBN 0714896667

Plaisir absolu des yeux et des papilles, ce livre de cuisine est incontournable. La bible ! C'est le plus populaire d'Italie depuis sa première édition en 1950 par Domus, le célèbre magazine italien dédié à l’architecture et au design. Il est présent dans toutes les cuisines de la péninsule, comme un temps le Ginette Mathiot en France et en Belgique (la qualité en plus) ! Pour la première fois publié en français, cette authentique bible de la cuisine italienne propose 2000 recettes, la plupart du temps très simples et joliment illustrées. De quoi donner envie de se mettre aux fourneaux aux plus réticents ! Un régal vraiment. Si vous aimez la cuisine italienne, il n’y a pas à hésiter. Ce livre est une bible : Antipasti, paste i risotti, verdure, pesci, frutti di mare, carni, dolci. Que des recettes issues de la tradition, recettes traditionnelles et innovations contemporaines glanées par des spécialistes dans chacune des régions du pays dans ce très gros volume, dont les pages risquent vite de se parfumer de basilic et de se tacher d’huile d’olive. "Pour l'édition en français, les ingrédients, quantités et modes de préparation ont été adaptés aux goûts et aux habitudes modernes afin d’en faciliter l’utilisation tout en conservant l’esprit original du livre et la volonté de transmettre ce savoir-faire ancestral aux nouvelles générations. Simple et sophistiqué à la fois, La Cuillère d’argent s’adresse tant aux cuisiniers occasionnels qu’aux talents confirmés." (Amazon). Belle et pratique mise en page, superbe couverture, nombreuses photographies et sympathiques illustrations de Francesca Bazzuro, en font un alléchant ensemble. Des menus réalisés par des grands chefs confirment le caractère incontournable du livre. "Pour toute ces raisons, La Cuillère d’argent, plus qu’un classique de la cuisine italienne, est bien LE livre de cuisine à avoir chez soi" (Le mot de l'éditeur).

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7 commentaires:

Enitram a dit…

Tout simplement merci pour ces coups de cœurs (déjà le 35 ième)si bien résumés qui nous donnent envie de se précipiter en librairie, et la musique, cela m'étonnerai qu'elle soit absente de votre florilège...

Lorenzo a dit…

cette fois-ci oui, mais le prochain sera effectivement fourni en conseils musicaux et en adresses ! Bien à vous Enitram.

Thierry a dit…

Je suis très heureux d'apprendre l'existence de Daisy Waugh et de la découvrir, en pensant à son grand-père dont j'avais lu "Brideshead revisited" avec délice, quoiqu'en traduction française, mon "anglais" étant plus qu'élémentaire. Merci de toutes ces alléchantes références.

Michelaise a dit…

Sympa le Père Noël, veinard (vivent les services de presse !)... j'aurais préféré que ce soit l'italien qui ne soit pas traduit que l'anglais, car je suis comme thierry, rudimentaire !!! non, élémentaire ! mais tout cela est bel et bon, merci Lorenzo pour ces découvertes que nous transformons parfois en achats (je viens de recevoir l'Aguéev que vous aviez recommandé)

Thierry a dit…

Bonsoir Michelaise,...ouf! bien content de ne pas me savoir le seul "nul en anglais" sur ce blog...so british...lol...et j'en profite pour vous adresser mes meilleurs voeux!

Lorenzo a dit…

Impossible d'être ou plutôt de rester nul en anglais : achetez un journal, une revue ou mieux un roman et jetez-vous à l'eau vous verrez, ça vient vite et tout seul. Bien que belle et sophistiquée, la langue de Shakespeare est très intuitive, fonctionnelle et les mots qu'on ne connait pas, avec un peu de pratique et de réflexion, on finit toujours par en trouver le sens ! Essayez et vous verrez ! Really !

Thierry a dit…

Thank you so much, dear Lorenzo, you are marvellous teacher, is'nt it? (I hope it's ok, like that!)...
...and to send you my best wishes, please, look at this...Mrs. Whithney Houston...so beautiful woman:
http://www.youtube.com/watch?v=xiMl8UcXOLs&feature=related
Whitney Houston - I look to you (2009)

03 janvier 2010

Venise de noir et de blanc


Des amis revenus de Venise me parlaient de la neige tombée sur la Sérénissime, il y a quelques jours. Cela m'a donné envie de parler de cette métamorphose de la ville pleine de couleurs quand soudain elle se transforme et devient blanche et noire avec des nuances de gris si typiques des hivers sur la lagune. Qui pourrait mieux en parle qu'Alain Buisine ? Voici ce qu'il écrit dans son Dictionnaire amoureux et savant des couleurs de Venise ? :
"«A vrai dire, l'incontestable prédominance de la couleur n'empêche pas, apparemment, Venise d'opérer des prodiges dans le noir et blanc : l'eau les lie. Les Italiens excellent dans l'utilisation du noir et blanc, pierre blanche et obscurité intérieure. La couleur surgit au milieu, intensément mais graduellement amassée : une gondole entre ciel et eau », remarque Adrian Stokes dans Venise... « Ces complexes et quasiment dialectiques, rapports du noir et du blanc qui se produisent et s'intensifient l'un l'autre, en particulier parce que le marbre d'Istrie, si massivement utilisé à Venise, noircit dans l'ombre, blanchit - neige ou sel - au soleil », dramatisant, retenant et matérialisant les jeux de l'ombre et de la lumière : les encadrements blancs des fenêtres donnent sur l'extrême obscurité des intérieurs, mais en retour, les « fenêtres les plus sombres gagnent une sorte de radiance à être ouvertes sur les eaux encloses : leur obscurité brûle lentement, et pour toujours, sur l'élément réflecteur au-dessous qui est pour une part obscurité, pour une part lumière.» Il n'y aurait donc de plus exemplaire image de Venise que «les cinq balustres noircis à la dernière fenêtre des anciennes prisons [qui] sont portés par de blanches allèges bombées. On dirait des pingouins. Les blancs et noirs des oiseaux marins sont les pierres de Venise». Faut-il en conclure que pour l'essentiel, et aux dépens de la couleur elle-même, «les colonnes et ressauts des constructions vénitiennes affichent un noir et blanc spectaculaire», dès lors qu'ils sont construits en une pierre qui possède la curieuse propriété optique de blanchir à la lumière et de noircir à l'ombre ?"

"En fait Adrian Stokes, qui n'ignore pas qu'il ne peut pas soutenir à l'infini son subtil paradoxe, est lui-même bien obligé de convenir qu'«à Venise, dans son ensemble, le ton acquiert facilement la valeur attribuée à la couleur. Ainsi, le noir comme le blanc prennent un sens qui se situe en deçà et au-delà de leur valeur tonale, un sens essentiel au rapport profond des couleurs, à l'identité dans la différence. Le serpent navigable du gondolier est noir [...] entre l'eau et la mer; mais plus qu'une silhouette détachée sur un paysage appelé à dessiner un contraste, la gondole noire se donne dans un rapport organique avec son clair environnement - rapport suggérant la circulation et qui appartient à la couleur plus qu'au ton. Cette obscurité solide semble avoir été tirée des zones sombres qui, en retour, paraissent plus claires ». Absolu triomphe du chromatisme. A Venise, même le noir et le blanc finissent par rentrer dans le spectre des couleurs, mais réciproquement les couleurs n'échappent jamais à un effet de noir et blanc. Ainsi le campo San Zan Degola : «Un degré extrême de décoloration dans une ville aux teintes pourtant délavées. Mais rien de terne, plutôt une luminosité diffuse, des passages subtils d'ombre et de clarté que voile ou dévoile un soleil pâle, comme le ferait, sur un corps nu, le mouvement./La place est vide en ce début d'après-midi : rien ne s'y donne en spectacle sinon, longuement, la métamorphose infime de la couleur lorsque l'œil glisse d'une matière à l'autre [...]. Les nuances, entre chair et pierre, du campo semblent se situer dans une sorte de no man's land du spectre solaire : photographié en noir et blanc, l'espace perdrait ce que le blanc contient secrètement de rose, de jaune, de gris. Photographié en couleurs, il ressemblerait à un cliché en noir et blanc» ("Le grain de la vue", Edwige Lambert)."
 
Pour ceux qui n'ont pas (encore) lu cet admirable ouvrage, notez que son auteur n'aime pas trop le noir et blanc pour représenter Venise. Mais il s'agit surtout des ces images de la fin du XIXe ou du début du XXe qu'on trouve à profusion dans les brocantes et qui effectivement donnent de la cité des doges une vision sinistre voire inquiétante. Seuls les grands photographes de cette époque - comme ceux de la nôtre - parviennent à montrer le sublime de la ville mis en valeur par le contraste du noir et blanc.

On pourrait penser qu'hormis le propos sur le noir et blanc, cette longue citation de Buisine n'a rien à voir avec un billet assez ancien de Maurice Darmon qu'il consacrait au magnifique ouvrage de Jean-Christophe Bailly, "l'Instant et son ombre"... Pourtant, là-aussi, dans un domaine proche, ce qui s'impose reste avant tout la quête de sens : cliquez ici.

Stéphanie M. a dit…

Bonne année à vous Lorenzo ... Je suis votre blog avec toujours autant d'intéret, merci à vous ! Amicalement,

Michelaise a dit…

Ouvrage passionnant en effet que ce dictionnaire des couleurs de Venise, qu'il est bon de relire parfois, guidé par un aminaute toujours attentif à "sa" ville

02 janvier 2010

Résolutions 2010 : la liste

Trouvé dans mes courriels cette amusante carte postale des années 30. "Auguri, auguri" dit-elle. Je vous l'adresse à mon tour. Que cette année 2010 vous soit favorable et heureuse.

Parmi les vœux ( résolutions & bonnes intentions) de Tramezzinimag :
  • Le voyage en avril pour quelques Fous de Venise,
  • La sortie d'un petit ouvrage sans prétention qui reprendra quelques unes des chroniques du blog et des extraits de mon journal vénitien, 
  • Davantage de bonnes adresses et de recettes sur le site, 
  • Le lancement du site internet, 
  • La mise en place d'une campagne de restauration de symboles de la Venise mineure qu'il faut sauver d'urgence (de la pollution et du vandalisme), 
  • Davantage de compte-rendus de lectures, 
  • Un meilleur suivi de la nombreuse correspondance que je reçois (comme Gaston Lagaffe aux Editions Dupuis, les courriels s'entassent et je ne sais plus par lequel commencer...) 
Et puis, égoïstement, de plus nombreux et plus longs séjours à Venise pour votre serviteur afin de mieux vous parler de la Venise d'aujourd'hui et de celle de demain... 
 
De tout cela nous reparlerons dans les prochains jours. 

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6 commentaires:

maite a dit…
Eh bien...que de bonnes et agréables résolutions, puissiez-vous toutes les réaliser, a presto !
Enitram a dit…
Quelle bonne idée d'éditer un recueil de votre blog car souvent j'en ai imprimé des extraits comme celui du 11/09/2009, "par une chaude nuit d'été, la lagune". Votre écriture est belle et poétique à souhait, bravo ou bravissimo !!!!!
Très bonnes résolutions pour cette nouvelle année !
Anne a dit…
"La sortie d'un petit ouvrage sans prétention": c'est une très bonne nouvelle, Lorenzo. Il faudra nous donner les références pour pouvoir le demander en librairie.
Anne
Michelaise a dit…
Que voilà une jolie liste de résolutions Lorenzo et de projets... Il y en a sans doute d'autres qui n'ont pas trait à Venise, que pour tous ces désirs, vous trouviez l'énergie, l'inspiration, le temps, le ressort afin de les mener à bien

Lorenzo a dit…
Merci à vous toutes !
n-talo a dit…
bonne année et bonne route pour 2010

Images de la Saint Sylvestre à San Marco


Pluie et acqua alta pour le début 2010 là où il y avait la neige l'année d'avant. Cela n'a pas empêché plus de 30.000 personnes de faire le déplacement sur la Piazza. Les pieds dans l'eau...

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11 commentaires:

beatrice De a dit…

Et ben dis donc ! J'espère quand même que les pètards
n'ont pas été trop mouillés. Cela fait des photos d'ambiance sympa.
Je ne connais pas Venise, la place.St. Marc croulant sous autant de monde. Même que, quand j'y vais pour acheter des perles de verre pour mes colliers, il y a déjà bien assez de monde avec les touristes.
Alors *bonne année.

Béatrice de Lausanne en Suisse.

Thierry a dit…

Ces photos sont magnifiques...merci Lorenzo!

Vraiment, rien n'est banal, encore moins vulgaire, à Venise, fût-ce un rassemblement "popu", y compris avec des touristes...C'est Venise, la plus forte, la plus puissante!

(quand je pense que je n'ai SURTOUT pas fait le déplacement aux Champs-Élysées, à côté desquels pourtant je me trouvais, le 31 XII au soir, dégoûté par ce que j'y avais vu, une autre année...)

Anonyme a dit…

Bonne année Lorenzo, et merci pour les rêves éveillés que vous nous faites vivre chaque jour. Je vous souhaite de pouvoir vous installer définitivement dans cette cité magique (je me le souhaite aussi à moi, en passant !), ou au moins, d'y passer le plus de temps possible.
Vénitiennement votre.
Gabriella

Gérard a dit…

On mesure l'urgence d'arrêter toutes ces inondations au plus vite . Le concert du nouvel an , à la Fenice , était encore superbe . Hier soir . La lagune , sa vérité , son mythe , ont vraiment besoin d'une grande résurrection , et c'est peu dire : c'est encore un des seuls lieux modernes au monde . Mais ça pour le comprendre , bonjour ! Sauf sur ce blog magnifique et surtout incontournable , qui nous rappelle avec classe quelques vérités bonnes ou moins bonnes à dire , mais surtout qui ne détériore en rien quand il ne la grandit pas comme personne la grandeur immémoriale de la souveraine cité-mémoire . Merci à vous , meilleurs voeux 2010 à tous , et longue vie à ce journal d'affections . Génial ! Pour un paysan comme moi .

Polar a dit…

Mouai... En même temps, Venise sans acqua alta... Il faut simplement maîtriser les excés du phénomène, ce que fera sans doute le MOSE. Là, ça fait une semaine que ça dure, les gosses et les touristes sont ravis, c'est la course aux bottes, les vénitiens le prennent avec leur fatalisme souriant habituel et il n'y a comme d'habitude que les vieux bourgeois du Dorsoduro en loden et chapeau à plume vert qui balancent des "permesso" rageurs à tout ce qui leur barre la route et qui a le mauvais goût de parler français ou anglais... A partir de demain, le spectacle est fini: il va geler!... Peut-être de la neige, c'est beau aussi, Venise sous la neige!

Lorenzo a dit…

J'aime bien mon vieux loden usé par les intempéries des hivers vénitiens (tradition vestimentaire héritée des générations d'avant mais qui ne date que des années 20 avec les modes venues du Trentin et de l'Adige, "à l'autrichienne"...)et j'avoue que moi aussi, parfois, je pousse des "permesso" agacés quand je suis un peu pressé et que des touristes braillards bouchent complètement le passage... Je suis contaminé mais je mentirai en disant que cela m'ennuie ! Trêve de plaisanterie, si on comprend l'humeur de certains vénitiens devenus grincheux avec l'âge, la majorité d'entre eux reste bienveillante et accueillante. Mettez-vous une seconde à leur place : la ville dénaturée, envahie, qui n'a plus rien à voir avec celle qu'ils ont connu et ajoutez-y les difficultés de nos temps, l'enlaidissement et l'appauvrissement mental (je pense aux graffitis qui polluent les murs de la ville comme n'importe quelle cité du monde hélas), vous comprendrez leur réaction épidermique. Pour eux, ces groupes de barbares qui viennent consommer leur monde et se repaissent du spectacle des inondations comme une animation de Disneyland, sont (indirectement) responsables de la disparition des boutiques de première nécessité (pratiquement plus d'épiciers, de pressings, de cordonniers, de bouchers, finies les drogueries et les merceries...)et ils les traitent de "deficiente" sans complexe quand ils se retrouvent dans les bars pour un'ombra. mais ce ne sont pas que des "bourgeois" de Dorsoduro (qui râlent, s'impatientent et portent des lodens verts !), le facchino qui pousse son chariot de marchandises, le facteur ou le marinier de l'ACTV disent et pensent de même. On peut s'en moquer, il faut certainement s'en inquiéter. Goldoni est loin, trop loin !

Agnès a dit…

Je vous souhaite une belle et douce année 2010, si possible le plus souvent à Venise bien sur !

VenetiaMicio a dit…

Bien parler Lorenzo, c'est tout à fait ce que je pense et je ne suis pas vénitienne, malheureusement !
Mais il y a tellement de vérités dans vos propos, que je comprends l'agacement de certains, et j'admire leur patience également, devant tous les évènements que vous venez d'énumérer...

Polar a dit…

Ne vous inquiétez pas, je l'aime bien moi aussi, notre vieux vénitien en loden et feutre à plumes... Au premier coup de feu, je rends les armes avec un "scusi" souriant, je fais semblant d'engueuler mes gosses pour qu'ils serrent à droite et qu'ils arrêtent de sauter dans les flaques avec des hurlements de sauvages et tout rentre dans l'ordre... Pour ce qui est des rapports de Venise avec le tourisme, ils sont d'une telle ambiguïté que des réductions manichéennes du type "invasions barbares" sont complètement irréalistes. Pour s'en convaincre, il suffisait de lire le Gazzettino ou de regarder les infos locales l'année dernière à la même époque lorsqu'il s'agissait de commenter le très léger recul de fréquentation pour l'année 2008!...
Quand à l'acqua alta, je suis là aussi surpris que vous la réduisiez à un « Dysneyland pour touristes « … C'est un spectacle toujours étonnant, souvent magnifique (oui, je sais...), et j'ai quelques photos de ruelles inondées dans nuit ou des colonnes de la piazzetta au petit jour qui peuvent en témoigner. De ce point de vue, il est d'ailleurs intéressant de noter que les barrières du Mose ne se déclencheront qu'à partir d'un certain coefficient qui reste quand même assez important. L'excellent Massimo n'a visiblement pas l'intention de stériliser la ville.
Bonne année, bravo & bonne continuation

Les Idées Heureuses a dit…

Le loden n'aurait pas suffit, cher Lorenzo, il fallait doudoune, bonnet, gants, bottes car l'acqua alta a fait son apparition tous les jours de la semaine deux fois même, en matinée et en soirée...
J'ai rencontré pour la première fois ce phénomène de marée à Venessia, il est vrai que les reflets de la Place San Marco, le campanile dans ces eaux qui viennent du tréfonds ont de quoi vous faire vibrer, mais je dois reconnaitre que j'évitais d'y aller car je ressentais une grande tristesse de voir ces rangs de personnes à la queue leu leu, sur les pontons, s'arrêtant pour prendre "LA photo souvenir" puis,avançant ne regardant que leurs pieds ...un peu dans l'eau à nouveau pour une autre photo: et que je patauge, et que j'éclabousse avec mes grandes "palmes", sans l'élégance toutefois et le charme des mouettes qui flottaient comme si de rien n'était...
Je pensais à l'usure de la pierre, j'observais plus loin les commerçants qui font face avec force coup de balai et pelle pour vider ce début de local-aquarium sans poisson.
Les vénitiens ont l'habitude de ce phénomène,tenant un sac contenant les chaussures adéquates lorsqu'il le faut, connaissant les lieux et les quartiers plus hauts, plus secs. Il faut les suivre quitte à se perdre une nouvelle fois...
Le lendemain du Capodanno, que de bouchons de champagne qui flottaient, de verres en plastique laissés là, attendant le service du nettoiement pour être évacués...
et puis la nouvelle panoplie de secours en plastique rose ou bleu avec des semelles non moins grises, juste un secours qui se sème aussi lorsque le besoin de les mettre ne se fait plus sentir...
Nous n'avons pas vu un chat si ce n'est sur le campo San Lorenzo où on leur a construit un petit chalet en bois, par contre que de petits chiens, je n'en avais jamais vu autant, des petites crottes aussi, attention aux bottes, de ne pas y marcher dedans.

Cependant Venessia reste Venessia! C'était cette fois là "la Mélancolique, elle était belle,diaphane, froide, grise, elle flottait avec encore plus de grâce, et de force, elle était plus sauvage, plus difficile à cerner, elle nous a encore une fois conquise.

Lorenzo a dit…

Jolie description. Merci.