16 avril 2012

Venise, belle et triste vitrine, par Aldo Cazzulo

Un fidèle lecteur nous a signalé cet article d'Aldo Cazzulo paru dans le Corriere della Sera publié par Courrier International, le 12 avril dernier. Point de vue réaliste certes mais assez pessimiste traduisant bien la situation actuelle de la Sérénissime, réalisé à partir d'un entretien avec l'ancien maire, le philosophe Massimo Cacciari, adepte du pragmatisme dont l'administration est aujourd'hui très controversée. Sa vision en tout cas s'avère juste et la réflexion de l'auteur, une bonne base pour les dbats actuels sur l'avenir de la Sérénissime.
 
Boutique de souvenirs à Venise.
Boutique de souvenirs à Venise. © spirosk.

Chaque année, des centaines d’habitants fuient la lagune, l’abandonnant aux multinationales et aux spéculateurs de l’art et la transformant en ville fantôme. Les tentatives pour raviver son économie se heurtent au manque de fonds publics et au fatalisme de ceux qui sont restés. 

Pour Massimo Cacciari, son ancien maire, Venise est sous l’emprise de deux malédictions : les comtesses qui s’agitent pour la sauver; et le caractère de ses habitants. “Venise se meurt !” déplorent les aristocrates et les Vénitiens.

En réalité, Venise est déjà morte. Elle a ressuscité, et est devenue une vitrine. Le jour, Venise n’a rien de triste, ni même de mélancolique. Au contraire, elle n’a jamais été aussi belle, aussi vivante. Jamais autant d’argent n’a conflué vers elle, du Nord-Est, de Milan, de l'Europe, de l'Amérique. Mais c’est de l’argent privé. Celui des marchands, et pas celui des mécènes . Partout fleurissent les restaurations et les fondations.

L’exemple le plus éclatant est celui de Pinault, qui a acheté un morceau de Venise – la merveilleuse Punta della Dogana, face à la place Saint-Marc, pour y exposer les artistes de sa collection qu’ensuite il vendra dans sa maison d’enchères.

Des rats qui courent dans tous les sens

Aujourd’hui, la polémique enfle à propos du Fontego dei Tedeschi, acheté par les Benetton sur lequel Rem Koolhaas, la grande star hollandaise de l’architecture, a dessiné une terrasse controversée avec vue sur le Pont du Rialto. Il est vrai aussi que personne n’avait plus mis les pieds dans la Punta della Dogana depuis des décennies. 

La nuit, Venise redevient elle-même : une ville dépeuplée, comme d’autres centres historiques. Mais ici, entouré par la beauté, le spectacle de volets fermés et des boutiques closes, des lumières éteintes, du silence, est plus triste, tandis que le flux des Vénitiens “de l’extérieur” et des touristes désargentés se déplace vers la terre ferme. Seuls restent animés les endroits où se retrouvent les étudiants : le Campo santa Margherita, San Giacomo dell'Orio, le marché du Rialto. Mais les résidents se sont plaints et la municipalité a imposé le couvre-feu à minuit.

Massimo Cacciari raconte : "Vous n’avez pas idée de ce que j’ai trouvé à l’intérieur de la Punta della Dogana ! Des rats qui couraient dans tous les sens, des employés reclus dans leurs petits bureaux. Dans la tour qui fait face à San Marco, peut-être le plus bel endroit du monde, quelqu’un s’était même discrètement taillé un appartement. Le jour où les travaux devaient commencer, on a trouvé dans les remises un dépôt de vieilles planches. J'ai dit : enlevez-les. On m'a répondu que ce n’était pas possible, que c’était du ressort de la Surintendance [équivalent de la Direction du Patrimoine]. J’ai alors appelé la Surintendance pour qu'elle vienne les reprendre. On m'a répondu que ce n’était pas possible car il s'agissait des restes d’un ancien plancher. A ce moment là, je me suis mis à hurler. Une scène hystérique. Je suis devenu fou”. 

La même chose s’est produite pour le piazzale Roma, où se dressera le nouveau palais de Justice, dont le prix a triplé depuis le devis initial. "Des terrains contaminés. Des chantiers retardés. Et des obstacles de toutes sortes, dont celui-ci : les travaux sont sur le point de commencer quand on m’annonce une découverte sensationnelle. Des caisses pleines d’os d’animaux. J'explique alors que la chose est pourtant bien connue : jusqu’au XIXe siècle c‘était là qu’étaient installés les abattoirs. On me répond que l’affaire est de la plus haute importance puisqu'on va pouvoir reconstituer toute la chaîne alimentaire de Venise au XVIIIe siècle. J’y vais et on me montre un os de chèvre, de veau, de bœuf… Cette fois encore, je me suis mis à crier. Une autre scène d’hystérie. A nouveau, je suis devenu fou : "Si les travaux ne commencent pas tout de suite, je prends un marteau et je détruit tous ces os, un par un !”.

Les écœurantes pleurnicheries sur Venise

Massimo Cacciari explique qu’il ne supporte plus les "écoeurantes pleurnicheries” sur Venise, les jérémiades que répandent "ces maudits snobs” et un peuple qui aime tant se plaindre. Il rappelle ce qui a été fait ces vingt dernière années : le nouvel Arsenal avec le centre de recherches Thetis ; la reconstruction du théâtre la Fenice – en dépit de toutes les péripéties ; la restauration de Ca' Giustinian, siège de la Biennale d’art. 

Le problème, c’est que la municipalité n’a plus un sou. Les deux sources historiques qui l’alimentaient se sont taries : la loi spéciale et les casinos. L’Etat a diminué sa subvention et tout l’argent part dans le projet Mose : la plus grande réalisation d’ingénierie hydraulique au monde, censée protéger Venise de la montée des eaux de la lagune. Cinq milliards d’euros y ont déjà été engloutis et il reste encore deux années de travaux.

L'autre coffre-fort, c’est le casino. Autrefois les smoking blancs des joueurs de chemin de fer accourraient au Lido, aujourd’hui ce sont les Chinois qui, a Ca'Noghera, sur la terre ferme, se pressent autour des machines à sous. Entre la crise et la concurrence de l’Etat avec les jeux d’argent en ligne, cette manne qui était de 200 millions d’euros par an n’est plus, ces dernières années, que de 145, dont il faut soustraire 100 millions de coûts fixes. Les revenus de la ville se sont écroulés.

La longue hémorragie

Aujourd’hui, Venise doit faire face à deux grands défis : le dépeuplement du centre historique et le destin de la plus grande zone industrielle d’Europe, Marghera. Le compteur numérique de la pharmacie Morelli sur le campo San Bartolomeo, rappelle aux passants la longue hémorragie de Venise qui ne compte plus aujourd’hui que 58 855 résidents.
Le problème, c’est que les Vénitiens ne veulent plus vivre à Venise, non seulement parce que les appartements dans les étages élevés sont extrêmement chers, et que personne ne veut de ceux qui sont au niveau de l’eau, trop humides, ni de ceux qui sont sous les toits, surchauffés en été.

Les Vénitiens veulent comme nous tous : avoir leur voiture en bas de chez eux [et non pas dans les immenses parking du Piazzale Roma]. La mairie possède 6 000 appartements, pour la plupart loués aux Vénitiens modestes. C’est la classe moyenne qui fait défaut, les bourgeois qui habitaient entre l’étage noble et les mansardes.

Les Vénitiens partent vivre sur le continent, à Mestre, la ville la plus laide d’Italie, du moins jusqu’à ces dernières années. On a récemment transformé la piazza Ferretto en espace piéton, planté des bois aux abords de la ville, transformé en parc paysager la décharge de San Giuliano, doté l’agglomération de l’Internet à haut débit et bientôt s’ouvrira le chantier du futur pôle culturel de Mestre, le M9. 

Pierre Cardin, qui en réalité s’appelle Pietro Cardin est né à Sant'Andrea di Barbarana (près de Trévise), voudrait avant de mourir ériger à Marghera, la "Tour Lumière", un bâtiment d‘un milliard et demi d’euros, de 240 mètres de haut et de soixante étages qui abritera l'université de la mode. La mairie ne s’y oppose pas.

Certes Venise demeure une destination privilégiée pour les voyages de noces, et pour beaucoup la basilique Saint-Marc est le plus bel édifice du monde. Il suffit, pour s’en convaincre, d’admirer la coupole de la Création, la Genèse des analphabètes où Dieu pose la main d’Adam sur la tête du lion pour signifier la primauté de l’homme sur les animaux ; le même lion qui, sur la mosaïque voisine sort de l’arche de Noé et, après des mois d’inertie, étire ses pattes avant de se mettre à courir. 

C’est cela que Venise devrait faire, se remettre dans la course, malgré le poids d’un tâche immense : préserver toute cette beauté et faire renaître une ville autour d’elle.

Aldo Cazzulo
Traduction : Françoise Liffran

Quand Venise se réveille !

Venise bouge. Venise prend en main son destin. Elle sait que ses dirigeants désabusés ou achetés préfèrent se claquemurer dans le confort de leur position plutôt que de retrousser leurs manches et chercher avec toute la communauté lagunaire les solutions pour sauvegarder la Sérénissime, pour permettre à ses populations de continuer à vivre dans leur ville, pour éviter d'inévitables catastrophes et de massacre écologique qui jour après jour risque d'avoir raison de la Venise dont le sol est foulé chaque année par 1.500.000 touristes. Aux militants depuis longtemps engagés dans un combat difficile contre Rome, contre la Région, contre les pollueurs, les spéculateurs, les profiteurs, s'ajoute désormais l'homme de la rue et les vénitiens de cœur qui à travers le monde veulent défendre cette ville-civilisation dont ils ont compris la valeur et la rareté. Car c'est bien de civilisation dont il s'agit et la révolte qui est dans l'air de la lagune ces temps-ci n'est qu'un commencement. L'aube du réveil.

Tramezzinimag devait publier un long billet explicatif sur l'opposition de la population vénitienne aux Grandi Navi, mais n'étant pas sur place en ce moment, j'ai trouvé plus judicieux et plus utile pour cette lutte dont je suis totalement solidaire, de diffuser l'excellent article-réquisitoire de Olga et Claude Barrère sur leur excellent site olia i klod sur wordpress.com. 

Il suffit de cliquer ICI.

Bonne nouvelle : 18 chatons tatoués et vaccinés se sont installés à Venise ces derniers mois

SAR le prince Mitsou dans sa jeunesse - © Agence Chat Presse / TraMezziniMag 2004
Où comment lutter contre la désertification féline... Venise sans chat serait aussi triste que Venise sans le lion de San Marco, ou sans gondole ni gondolier, la passeggiata sans spritz, le Lido sans la Mostra et le Florian sans le chinois ! Pourtant les ennemis du chat semblaient avoir gagné, le centro storico s'était vidé peu à peu de sa population féline. Il faut dire que les mamma gatti vieillissantes ou passées nombreuses de l'autre côté du miroir n'étaient plus assez nombreuses pour nourrir et soigner ces pauvres petits fauves abandonnés et rien n'était vraiment fait pour limiter les naissances et éviter les maladies. La municipalité décida d'agir. On commença par financer une campagne de vaccination,de tatouage et de castration. puis un jour, un conseiller municipal ami des chiens et qui ne cachait pas sa haine des chats ordonna leur déportation massive vers une île éloignée de la lagune où on les abandonna à leur sort... Peu à peu le paysage vénitien changea, on vit de moins en moins de matous allongés au soleil dans les ruelles calmes, sur la margelle des puits... La population féline était en voie d'extinction dans l'indifférence quasi générale. Ah combien l'humain est ingrat !

Pourtant, le meilleur ami du vénitien, impitoyable mercenaire chasseur de rats et de pigeons malades avait pourtant toujours été un fidèle petit soldat. On le respectait autrefois, qu'il soit beau ou très laid. A cause de cette glorieuse épopée où, par sa lutte acharnée contre les rats, ils permit d'en finir avec la peste. Pas un navire de la Sérénissime qui ne sortit de l'Arsenal sans un matou à son bord. On comptait à Venise presque autant de chats que de foyers. Ils ont toujours humblement servi et honoré le Le lion de San Marco, leur royal cousin, protecteur et modèle jusqu'à ce que le monde vénitien moderne préfère aux joyeux Raminagrobis lagunaires la gent canine...

Mitsou, prétendant à la couronne du royaume des chats. © TraMeZziniMag, 2012.

Mais tout est peut-être en train de changer. Chiens, votre triomphe touche à sa fin ! Un groupe d'Anonymous (dont nous respecterons l'anonymat bien évidemment), s'est ému de la terrible situation et a cherché une solution. C'est ainsi que depuis quelques semaines, se transformant en cigognes, ces braves amis du chat ont introduit dans la ville un petit nombre de jeunes chats anonymous, tous dûment vaccinés et tatoués, confiés à des maîtres aimants, qui seront appelés à se reproduire pour notre plus grand bonheur. Mitsou, notre bon vieux chat rouge, a suivi l'affaire avec beaucoup d'intérêt. S'il ne peut plus contribuer lui-même au repeuplement de la Sérénissime, il s'est aussitôt porté volontaire pour ceindre bientôt la couronne du roi des chats. Les lecteurs de TraMeZziniMag savent tous que celui-ci est vénitien de Venise. Il a ses chances, croyez-moi sur parole !

2 commentaires:


Veneziamia a dit…
MIAOUUUUU ! Quel bonheur de vous lire ! Françoise
J@M a dit…
Très bonne nouvelle !

Puisque la commune ne bouge pas, les habitants se mobilisent



En cette période de tension électorale en France et quand on voit un peu partout dans le monde se lever des bonnes volontés en réaction à l'inanité des pouvoirs publics, leur démission, leurs manques de moyens, leur incapacité à agir efficacement autrement que dans la répression et la langue de bois, certains évènements donnent du baume au cœur et rassurent. Il existe donc bien une conscience politique des peuples, expression d'un nécessaire retour au vrai sens du mot, le service de la polis, de la cité, la victoire de l'intérêt général sur l'intérêt de quelques uns, la victoire de la communauté sur l'infect communautarisme (je pense au refus récent franc et massif des courageux citoyens helvétiques d'accepter l'implantation de minarets dans leur pays). ..Les citoyens sauveront la démocratie, et c'est eux qui par leur geste quotidien, font marcher la société quand les politiques de tous bords, les technocrates qui leur obéissent et les médias qu'ils fascinent, se perdent en discours inutiles,souvent mensongers et plats, toujours éloignés des vraies préoccupations des citoyens... Mais on va encore me traiter de réactionnaire !

L'exemple est donné par ces habitants du quartier de Dorsoduro fatigués d'attendre en vain une action de la municipalité pour nettoyer la corte dei Fontego derrière le campo Santa Margherita devenue depuis quelques carnavals les latrines de la place. De plus en plus souillée par le vomis et l'urine les lieux empestent. Une dizaine de riverains, après avoir écrit à plusieurs reprises à la mairie, avaient donc décidé d'agir eux-mêmes sans plus attendre. Ils ont retroussé samedi leurs manches, sorti seaux et balais, eau de javel et lessive et, à grands coups de lave-ponts, ils ont nettoyé les dalles de la cour.

Belle initiative quand on sait que partout en occident ou presque, l'idée même de nettoyer devant sa porte n'effleure plus personne... Lors des chutes de neige de cet hiver, je me souviens des commentaires rigolards de mes voisins quand j'ai pris la peine de nettoyer le trottoir devant la porte de mon immeuble à l'eau chaude puis de jeter un mélange de sable et de sel pour éviter que le sol devienne glissant. "Il y a les employés de la ville pour le faire"... L'argument le plus employé est celui des impôts "après tout, on paye assez d'impôts locaux comme ça, c'est à eux de nettoyer pas à nous !" Pour se faire pardonner son silence et sa non-intervention, la municipalité de Venise pourrait peut-être rembourser une partie des impôts locaux versés par ceux de ses administrés qui s'emploient à nettoyer la ville...
En fait il n'existe pas à Venise un service mécanisé de nettoyage urbain qui puisse être utilisé partout. Si des points d'eau on été mis en place par endroit pour permettre un nettoyage du sol, il faudrait des machines adaptées à la ville et comme il n'y a plus d'argent... Les citoyens ont donc décidé de s'en occuper eux-mêmes ! D'autres ailleurs ont entrepris de nettoyer les murs souillés par ces tags ignobles qui transforment certaines rues en décor de friches industrielles américaines. Comme la démocratie est affaire de tous, l'entretien et la protection de la cité concerne tous ses habitants. Les vénitiens viennent de montrer l'exemple à suivre. Se sentir solidaire de sa communauté de vie, cela n'a rien à voir avec le communautarisme sectaire et ferment de haine de certains barbus. Bien au contraire.

2 commentaires:


Veneziamia a dit…
Bonjour Lorenzo, Merci pour votre message de ce jour. Oh non, vous n'êtes pas un réactionnaire, bien au contraire, je dirais même que vous êtes en avance et vous avez amplement raison. Mais les consciences se réveillent et bravo aux vénitiens qui nettoient leurs rues sans rien attendre des dirigeants politiques. Les manifestations de ce week-end contre les monstres de croisières sont un exemple de plus que la lutte contre la cupidité a encore de beaux jours devant elle.
Votre message mérite de plus amples développements, donc à plus tard ! Bonne journée. Françoise
Anonyme a dit…
La conscience citoyenne n'est pas valable uniquement à Venise, c'est sur la base de respect du bien commun qu'il faut agir partout !! Nous sommes tous responsables.

Y'a du boulot !

Amicalement.

Isabelle

15 avril 2012

COUPS DE CŒUR (HORS SÉRIE 26) : Cima da Conegliano se montre à Paris


Considéré comme l’un des grands maîtres de la Renaissance à Venise, peu connu du grand public, Giambattista Cima da Conegliano (1459-1517) a marqué la peinture de son temps. Sa maîtrise des couleurs et son goût pour les paysages de Vénétie en font un peintre très attachant auquel le Musée du Luxembourg rend hommage. Avec 30 pièces rassemblées pour l'occasion, le musée présente une des plus importantes expositions jamais consacrées à ce peintre, dans une très belle mise en scène, moderne et aérée. Elle retrace le cheminement artistique de l'artiste par un accrochage chronologique qui n'est jamais contraignant.
Comme le souligne Giovanni Carlo Federico Villa, professeur d'Histoire des Arts à l’Université de Bergame, commissaire de l'exposition, "Cet artiste a joué un rôle déterminant dans la peinture de la fin du XVe et du début du XVIe siècle dans la Sérénissime, où la Renaissance tient en trois mots: couleurs, lumière, atmosphère". Il était très apprécié du doge Barbarigo qui le considérait supérieur à Bellini et à Carpaccio. Peintre religieux avant tout, il a également exécuté des œuvres profanes, comme des panneaux de cassone, ces coffres richement ornés qui contenaient le trousseau de la mariée. Ils retracent des scènes de la mythologie, comme Thésée et le Minotaure ou encore Thésée à la cour de Minos.
Très ouvert aux nouvelles techniques, ses compositions étaient très originales pour l’époque, d’un dessin toujours minutieux sans être rigide. Elles s’inspirent parfois de la sculpture, tel le Saint-Sébastien qui a été choisi pour l’affiche de l’exposition. "Il paraît monumental, parce que Cima a pensé aux grandes statues de cette période, avec son buste tourné, l’ombre sur l’épaule, occupant tout l’avant du tableau. Le paysage de village en montagne paraît du coup minuscule." explique le professeur Villa. C'est ce que Dürer vint admirer quand il séjourna à Venise. Cima de son côté étudia beaucoup les peintres du Nord. En attestent deux œuvres de la fin de l'exposition, une Vierge allaitant - peut-être sa dernière œuvre - où la pose de l’Enfant s’inspire justement d’une gravure du maître allemand, et un magnifique Christ couronné d’épines, peint sur fond noir qui respire la douleur.
L'exposition montre aussi combien le peintre de Conegliano était féru d'innovation et de modernité, un "grand inventeur du modèle du retable" : en peignant sa toile en contre-plongée, il anticipe le regard du visiteur et sublime le sujet avec la superbe Vierge à l'enfant avec des saints du Duomo de Conegliano, prêtée à titre exceptionnel et pour la première fois. La Vierge et l’Enfant siègent en majesté, entre saint Jean-Baptiste, saint Nicolas, sainte Catherine, sainte Apolline, saint François et saint Pierre.

Cima da Conegliano est le peintre des couleurs de Venise, tels les bleus lapis et les rouges carmin toujours appliqués de manière "très fines et très subtiles, avec parfois douze couches successives de glacis", précise le commissaire. Ces mélanges de pigments se retrouvent dans les différentes versions de la Vierge à l’enfant, à la robe rouge et au voile bleu orné d’un liseré jaune éclatant (il en a peint près d'une quarantaine au cours de sa vie), toiles de commande pour orner les parois des chapelles privées ou des chambres des riches familles vénitiennes et qui permettent d’observer l’évolution de son travail au fil du temps. Mais le plus captivant chez cet artiste, qui a passé l'essentiel de sa vie à Conegliano, cette jolie petite ville du Nord de la Vénétie, c'est qu'il a reproduit dans ses toiles les paysages qu'il avait sous les yeux, sachant en restituer les formes (presque toutes identifiables) mais aussi la lumière. Rarement un peintre s'est avéré aussi respectueux de la topographie qu'il dépeignait. "Mêlant de manière originale nature et architecture", il transpose dans ses toiles une lumière réelle, nimbée de douceur et de délicatesse, offrant à notre regard une œuvre poétique, propice à la méditation et au rêve. Les tableaux de Cima da Conegliano - qu'un de mes maîtres appelait "le poète du pasage" - ont enchanté ma jeunesse !



S’ouvrant sur une vue de Venise en 1500, l’exposition se conclut avec le très impressionnant panneau représentant le lion de San Marco en gloire, image symbolique forte commandée à l'artiste pour le Palais de Justice à Venise, situé autrefois à l'intérieur même du palais ducal. 

Giambattista Cima da Conegliano est un des plus grands artistes vénitiens de la renaissance. cet homme qui a peu voyagé, nous a transmis à travers son œuvre toute la poésie et la richesse de Venise, ses couleurs, sa lumière, ses paysages. Contempler sa peinture est une sorte de voyage onirique empreinte de véritable spiritualité. Il y a dans l'une des deux salles de la National Gallery de Londres qui sont consacrées à la peinture vénitienne, un tableau de très grande taille (près de 3 mètres de haut), visible de très loin, l'Incrédulité de saint Thomas, réalisé pour la Scuola di San Tomaso de Portogruaro en 1504, montrant bien la place de choix que ce peintre occupe au milieu des Bellini, Mantegna, Schiavone et Antonelle da Messina
.
Musée du Luxembourg, Paris 
jusqu’au 15 juillet 2012 
tous les jours de 10h à 19h30
 Nocturne le vendredi jusqu’à 22h
 http://www.museeduluxembourg.fr

13 avril 2012

COUPS DE CŒUR N°46

Gabrielli, Jacchini, Vitali
La Nascita del Violoncello
Les Basses Réunies,
sous la direction de Bruno Cocset
Livre-CD - 136 pages.
Label Agogique - 2011 - AGO001
Découvert il y a seulement quelques jours, ce premier livre-disque d'un nouveau label est une superbe réussite que TramezziniMag recommande à 100% : belle réalisation éditoriale, iconographie somptueuse et une prise de son magnifique pour retracer la naissance du violoncelle."Avant que de connaître sa forme définitive au cours du XVIIIe siècle, ses origines multiples se déclinent à travers les instruments hybrides des siècles antérieurs. Au programme figurent des œuvres rattachées à l’école de Bologne de Domenico Gabrieli, Giuseppe Jacchini et Giovanni Battista Vitali, destinées à mettre en valeur une écurie de sept instruments différents, choisis et accordés en fonction des pièces. La facture robuste et primitive du violoncelle Gasparo da Salo convient à merveille aux passacailles et autres ricercare à l’écriture virtuose. Bruno Cocset varie les registrations et révèle leur polyphonie latente." peut-on lire dans la critique de Jérémie Bigorie parue dans Classica. Basse de violon alla bastarda caractérisée par une tessiture très étendue, cousine des violes, violoncelle "Bel Canto", puissamment lyrique, enjôleur et voluptueux. Pour réaliser ce projet, Bruno Cocset est entouré de musiciens de talent, inaugurant d'une manière triomphale et somptueuse ce nouveau label. Un grand grand disque.
...
Dix hivers à Venise
réalisé par Valerio Mieli
avec Isabella Ragonese, Michele Riondino
Sorti en salle en février 2012.
C'est l’histoire de deux jeunes qui, n’arrivant pas à s’aimer tout de suite, doivent apprendre à le faire, tout en essayant de se frayer un chemin dans le monde des adultes... Cela se passe à Venise, personnage du film à part entière comme souvent ; une Venise poétique et silencieuse, quotidienne. Les protagonistes côtoient les habitants, au marché, sur le vaporetto ou dans les bàcari. "Réalisme et légèreté", deux caractéristiques dont le jeune réalisateur a imprégné son film. Dieci Inverni était au départ un projet universitaire pour le diplôme de son auteur au Centro Sperimentale, l'école de cinéma de Rome. Tourné en huit semaines entre la lagune vénitienne et la Russie, il raconte l'histoire de Camilla (Isabella Ragonese) et Silvestro (Michele Riondino), deux jeunes personnes à l'aube de leur vie d'adulte, qui font connaissance par hasard sur un vaporetto un soir d'hiver à la fin des années 90. Ce sont les premières images du film. Elle est timide, il est effronté, mais quelque chose passe entre eux. Le garçon va la suivre dans les ruelles embrumées... Ainsi débute une aventure qui durant dix ans les mènera de Venise à Moscou. Les deux héros vont s’aimer de plus en plus fort sans jamais parvenir à se le dire. N'en disons pas davantage. Soulignons simplement l'intérêt du public et de la critique : Prix du Meilleur Réalisateur Émergent au David Di Donatello, Nastro d’argent et une sélection à La Mostra de Venise. Un très beau film et tout sauf une bluette superficielle. Et Venise y est déroutante et splendide. Le texte qui a servi au scénario du film publié en 2009 chez Rizzoli n'est pas traduit à ce jour en français. Dommage.
...
Venise, Trésor d'îles
Documentaire de Pierre Brouwers
Coll. DVD Guides, EditionsTF1 Vidéo. 2012.
Un film et un guide pour découvrir ou redécouvrir la Sérénissime dans son quotidien, avec ses marchés, ses canaux, ses gondoles et ses vaporetti. Le documentaire permet également de voyager à travers toutes les richesses artistiques culturelles et artistiques que recèle la cité des Doges. Tout y passe, monuments, œuvres d'art, les îles, les souffleurs de verre. Le journaliste Pierre Brouwers, qui est aussi photographe se présente volontiers comme globe-trotter. Il est le créateur de la collection de documentaires Découvrir le monde et Le monde vu du ciel. "Pour moi, Venise est la plus belle ville du monde. A chaque pas, la beauté et la richesse culturelle sautent aux yeux. Filmer le carnaval, avec ses costumes délirants et ses masques sophistiqués, a été un des plus grands moments dans mon métier de cinéaste." Ses films sont diffusés sur les chaînes Voyage et France 5.
...
Il Caffé dei Cioppi
159 rue du Faubourg Saint-Antoine
75011 Paris
01 43 461 014
Ouvert du mardi au vendredi.
Une fois n'est pas coutume,TramezziniMag tenait à présenter dans ses coups de cœur un établissement parisien. Ou plutôt une véritable enclave italienne dans Paris. Pour se remettre doucement d'un retour d'Italie ou pour patienter avant d'y retourner, rien de mieux que cette adresse découverte par hasard dans le très authentique quartier du Faubourg Saint-Antoine Lalanne-Desmet. Contrairement à son nom, ce n'est pas un simple café, mais un délicieux petit restaurant à l'ambiance milanaise (là, ce n'est pas péjoratif pour une fois). Quand on fait l'expérience d'un déjeuner gourmand installé à la terrasse de l'établissement inventé et animé par un jeune couple drôlement sympathique, Fabrizio Ferrara (sicilien) et Federica Mancioppi (milanaise). Caché dans le Passage Saint-Bernard, une des nombreuses petites ruelles du quartier, le restaurant, grand comme un mouchoir de poche, ne propose que seize couverts seulement, avec une carte assez réduite parce qu'elle change tous les jours et dont chacune des quatorze lignes met littéralement l'eau à la bouche. Une adresse qu'on voudrait garder pour soi mais quand on voit l'affluence, on se dit que les initiés sont déjà nombreux. L'endroit respire la bonne humeur et la simplicité. Le vrai chic. C'est bon, ce n'est pas cher. Pas une seule faute de goût. Une perle ! Les maîtres de maison qui opèrent devant vous, font ce qu'ils aiment, cela se voit et se retrouve dans les assiettes ! Charcuterie italienne (coppa et jambon délicieux, et le speck sublime), assiette de burrata aux asperges, soupe de courgettes à la menthe, un vitello tonnato qui touche à la perfection, risotto à l'encre de seiche (génial), Penne à la saucisse et aux oignons nouveaux, linguine aux palourdes et des polpette comme chez ma grand-mère... De très bons desserts aussi, dont la spécialité des lieux, la fameuse sbrisolana mantovana (voir la recette ci-dessous), sorte de tarte croquante aux amandes, servie avec une crème au mascarpone légère comme le souvenir d'un premier baiser. La carte des vins présente une bonne sélection (très bon prosecco) peut-être un peu chère par rapport au reste mais au diable le porte-monnaie, manger au Caffé dei Cioppi (pratiquement impossible sans réserver) en vaut bien la peine et ne ruine pas. Comptez 40 € par personne. On peut aussi commander des plats à emporter. Comme c'est à Paris, et que tout y va très vite, n'attendez-pas pour découvrir ce merveilleux petit morceau d'Italie.
...
Recette : Sbrisolana mantovana
C'est vraiment délicieux et assez simple à réaliser, un peu comme un crumble. Son nom provient du dialecte mantouan et signifie "brisée". Chacun à sa recette, voici celle de ma famille. Le goût diffère un peu de celle du Caffé dei Cioppi mais c'est un régal aussi. 
 
Les ingrédients :
150 gr. de farine de blé, 150 gr. de fioretto (farine de maïs ultra fine), 150 gr. de beurre ramolli, 2 jaunes d’œuf, 150 gr. de cassonade, 150 gr. d'amandes fraîches pelées ou non selon votre goût, le zeste d'un citron, 1 petit verre de Liqueur Strega, 1/2 cuillerée d'extrait de vanille, 1 pincée de sel fin.
 
Hacher 3/4 des amandes et laisser le reste entier. Pétrir à la main tous les ingrédients jusqu'à l'obtention d'une pâte homogène mais ne pas chercher à la rendre lisse. Laisser reposer quelques minutes. L'émietter ensuite et en former des morceaux comme pour le crumble, que l'on dispose dans un moule. L'appareil ne doit pas faire plus de 2 centimètres de haut. 
Égaliser en tassant la pâte légèrement (trop compacte, elle sera trop dure après cuisson). C
uire à four chaud (180°) pendant 45 minutes. Vérifier la cuisson avec la lame d'un couteau. La sbrisolana ne doit pas coller au couteau. Elle est cuite quand elle prend une jolie couleur dorée. 
Relativement molle au sortir du four, elle va durcir en refroidissant, donnant ce croquant dont mes enfants raffolent. 
 Si on veut le servir entier comme une tarte, ne démouler le gâteau que lorsqu'il est refroidi sinon il se brise. 
Je le sers tiède (donc souvent brisé) avec une crème légère meringuée (en utilisant les blancs montés en neige) ou mieux - et plus léger - une coupe contenant pour moitié de la compote de pommes et du yaourt turc (bien ferme, peu gras et sans gélatine) qui est un de mes ingrédients fétiches.



10 commentaires:

Anonyme a dit…
C'est toujours un plaisir, Lorenzo, de découvrir vos "coups de cœur" si variés ! Tout est noté dans mon petit carnet "spécial tramezzini".
Bon week-end
Gabriella
Lorenzo a dit…
Merci pour ce petit coup de pouce encourageant. La tâche reste ingrate : l'impression souvent renouvelée d'une bouteille qu'on jette à la mer et dont on ne sait jamais si elle parviendra à quelqu'un...
Maïté a dit…
C'est sûr, je vais faire la recette. Quant à vos billets, pas d'inquiétude, ils sont lus par nombre de personnes même s'il n'y a pas toujours des commentaires (Imaginez une centaine de commentaires par jour, vous seriez bien embarrassé....). Buona giornata, a presto !
(et ce séjour vénitien en mai ?)
Lorenzo a dit…
Effectivement, je n'avais pas vu les choses sous cet angle ! Merci Maïté de ce rappel salutaire ! Bonne dégustation.
Veneziamia a dit…
Vous êtes lu, Lorenzo, et apprécié. Je peux tout à fait comprendre votre sentiment "de bouteille à la mer". Cependant, je rejoins le point de vue de Maïté car trop de commentaires peut aussi tuer le commentaire. Je suis en train de terminer votre livre et vous en reparlerai prochainement ! Bonne fin de semaine à vous et à vos proches. Françoise
Gerard Duchemin a dit…
Trés bonne idée Lorenzo de nous fournir cette adresse du restaurant a Paris , je consulte très souvent soit par l'intermédiaire de Facebook ou de votre site toutes vos nouvelles et croyez bien que personnellement j'apprécie vos efforts. Etre membre représente déjà une marque de confiance. Amitiés. Gerard
Lorenzo a dit…
C'est très gentil à vous. Bon week end à tous.
Anonyme a dit…
Tous les jours 'je prends ' une petite dose de nostalgie et de beauté pour commencer ma journée ... je n'ai laissé que deux commentaires mais soyez sûr que je parcours les ruelles de mon rêve chaque jour et que les lumières de Venise me parviennent grâce à vous !
merci et bonne journée !
Estelle
Maïté a dit…
Quelle belle expression Estelle : "les ruelles de mon rêve" ; ça me laisse rêveuse...Bonne journée !
Lorenzo a dit…
Très belle image effectivement. Merci fidèle Estelle. N'hésitez-pas à vous inscrire !

09 avril 2012

Repas dominical, repas pascal

Notre repas de famille est un moment important, surtout depuis 2005, Annus Horribilis qui vit l'éclatement de la famille, le départ de la "grande maison dans les arbres" comme nous l'appelions, et mille autres catastrophes domestiques très lourdes à vivre. Heureusement la Providence dès les débuts de ce cataclysme nous a toujours réservé de belles éclaircies : la découverte de Venise par Constance, alors seulement âgée de 9 ans, l'arrivée inopinée dans nos vies de Mitsou le roi des chats, et mille petits riens qui nous ont aidé à poursuivre ce chemin. Ne serait l'absence de ma fille aînée, partie dans les neiges du Québec, nos repas dominicaux (une fois par mois seulement hélas), ces moments privilégiés, sont toujours une pause, paisible et joyeuse à la fois. J'essaie à chaque fois de faire en sorte que le repas soit bon et original, que la table soit belle. Lors de notre dernière rencontre au sommet, pour Pâques, l'agneau bien évidemment était à l'honneur.

Polpette de Pâques
Pour changer du gigot pascal, j'ai réalisé cette année un plat de polpette maison, mélange d'agneau et de bœuf haché à la turque, traditions familiales obligent. Servi avec de la polenta en purée (cuite non pas à l'eau pure, mais dans un fonds de champignon) et des petits légumes en fondue, ce fut un vrai régal. La recette est en dessous.

Ingrédients : 800 g d'agneau de lait, 800 g de bœuf, 2 œufs, trois ou quatre petits poireaux nouveaux, deux grosses carottes, deux courgettes, 500 g de champignons frais, 1 gousse d'ail, 1 petit oignon, du cumin, de la coriandre fraîche, du persil, de la menthe fraîche, une pincée de piment de Cayenne, sel et poivre, Worcester sauce, chapelure, huile d'olive.

Dans un fonds de viande, faire cuire des champignons de Paris tranchés, avec ail, sel et poivre. Quand les champignons sont cuits les égoutter et les mettre de côté. Faire chauffer du beurre dans une sauteuse avec une cuillère à soupe d'huile d'olive. Y mettre les légumes coupés en petits morceaux (j'ai utilisé des courgettes, des carottes, des poireaux, puis les champignons). Laisser fondre et caraméliser sans brûler. Ajouter du bouillon pour éviter que le mélange n'accroche. Quand les légumes sont cuits, saler et poivrer modérément. Ajouter un hachis d'ail, coriandre et persil. Laisser au chaud.

Mélanger la viande, l'oignon, l'ail et les herbes finement hachées dans un saladier, ajouter les œufs un à un, la chapelure, mettre quelques gouttes de Worcester sauce, assaisonner. Quand le mélange est terminé, faire de petites boulettes rondes à l'aide d'une cuillère et les déposer sur un plat huilé. Mettre à cuire à four moyen pendant une vingtaine de minutes (ou plus selon les préférences pour la viande rosée ou très cuite).

Pendant la cuisson de la viande, préparer la purée de polenta en mettant 1/3 de lait pour 2/3 du bouillon de viande dans lequel on a cuit les champignons et une gousse d'ail. Quand la polenta se détache des parois de la casserole, ajouter de l'huile d'olive et une noix de beurre. remuer pour éviter que la purée de se dessèche.

Dresser la purée dans un plat, disposer tout autour les polpette et les légumes mélangés. napper du jus de viande déglacé avec un peu de vin blanc et une ou deux cuillerées à soupe de yaourt turc (sans gélatine) ou de crème fraîche. Vérifiez l'assaisonnement et servir aussitôt.

07 avril 2012

Pietro della Vecchia, un petit maître injustement méconnu

Pietro della Vecchia, de son vrai nom Pietro Muttoni qui naquit et mourut à Venise (1603 - 1678), est un peintre aujourd'hui considéré comme mineur mais qui, principalement actif dans sa ville natale en pleine époque baroque, représentant bien cette grande école vénitienne. Élève d'Alessandro Varotari dit il Padovanino qui lui apprit la manière des grands précurseurs du XVIe siècle, notamment Titien et Giorgione. Reconnu pour l'habilité avec laquelle il reproduisit le style des maîtres du XVIe siècle, il fut aussi le spécialiste des scènes grotesques et un portraitiste réputé. Peintre officiel de la République, il fut chargé de la réalisation des cartons des mosaïques de la Basilique Saint-Marc, vaste chantier qui l'occupa tout entier de 1640 à 1673. Il épousa une femme peintre d'origine flamande, Clorinda Renieri, fille du peintre Nicolas Regnier, surtout passé à la postérité en tant que marchand d'art, avec lequel Pietro Della Vecchia entretenait des rapports d'affaires. Il repose dans l'église San Canciano où eurent lieu en septembre 1678 des funérailles d’État conduites par les plus éminents membres du Sénat.

06 avril 2012

Au hasard de nos promenades...

Connaissez-vous le Palazzo Montecuccoli ? Construite au XVème siècle dans le style de Pietro Lombardo, cette vaste bâtisse se trouve au sud du Grand Canal, non loin du pont de l'Accademia, pratiquement en face du Palazzo Franchetti. 
 
Plus connue sous le nom de Ca' Contarini dal Zaffo, l'imposante demeure est couramment appelée aujourd'hui Palazzo Polignac. Ce fut la résidence de Winnerita, Princesse de Polignac, la fille de l'homme d'affaire américain Isaac Merritt Singer, fondateur de la célèbre entreprise de machines à coudre. Sa sœur qui avait épousé le Duc Jean-Elie Decazes s'étant suicidée, elle élèvera ses neveux et leur lèguera le palais. C'est sous le 5e duc, Elie, disparu l'année dernière, arrière-petit-neveu de la Princesse de Polignac, que j'ai eu le bonheur de fréquenter cette maison tellement hospitalière qui grouillait d'amis inconnus et de visiteurs illustres. Dans l'un des premiers billets de ce blog, un lecteur anonyme m'en avait fait le reproche assez crûment alors - je racontais ces rencontres incroyables pour le jeune homme que j'étais : le vieux prince de Faucigny-Lucinge sourd comme un pot quand cela l'arrangeait qui nous racontait sa jeunesse et se moquait de son neveu par adoption, l'ancien président Giscard ("celui au nom d'emprunt" comme avait dit avec malice le Général de Gaulle), le chef lyonnais Paul Bocuse... C'est dans ces murs aussi que j'appris à mieux connaître mon ami Roger de Montebello, petits-fils du duc, ses cousines Sabran, les Breteuil... Une famille très unie, drôle qui vivait simplement et s'amusait beaucoup. La duchesse Solange servait le soir après dîner du tilleul venant de leur propriété de Libourne, les dîners étaient souvent monochromes, concocté par un chef emprunté à quelque ambassade, le service impeccable et un protocole royal qui effrayait un peu - c'était voulu - le jeune homme mal dégrossi que j'étais. Combien d'après-midi passés dans le jardin à papoter... Et cette fameuse visite de la reine mère d'Angleterre venue inaugurer des vitraux restaurés de San Giovanni e Paolo qui passa prendre le thé au palais.
 
Walter Richard Sickert, l'artiste qui a peint cette toile (entre 1901- 1904) et qui avait rencontré la princesse à Dieppe fut convié quelques temps après à Venise. Il y réalisa de nombreux dessins et on connait de sa période vénitienne plusieurs belles vues du palais Polignac. Certains de ses dessins sont aujourd'hui dans des collections publiques, comme une très belle ébauche de ce tableau au crayon et à l'encre rouge, conservée à la Whitworth Art Gallery de Manchester.

Vendredi Saint

La pluie et le ciel bas ce matin illustrent ce jour terrible où les chrétiens pleurent la mort du Christ sur la croix. Dans les rues désertes, les pavés luisent et quelques oiseaux s'essayent transperçant par la joie de leur chant la pesanteur du jour. Temps orageux. Lumière violente. 
 
Le double chœur qui débute la Passion selon Saint Matthieu de Johann Sebastian Bach adoucit ces moments que nul croyant ne peut affronter sans ce mélange de terreur, de chagrin et d'espoir. Office des Ténèbres à l'aube chez les dominicains. Beauté des psaumes et du rite millénaire. Les quinze cierges qui brillent dans l'église sombre, l'église vidée de la présence de Celui qu'elle vénère. Gravité des voix qui montent et se répandent. Elles sont au-delà de la plainte ou de la louange. Le visage caché par leurs capuchons noirs, les moines sembleraient de pierre s'ils ne relevaient parfois la tête pour faire éclater leurs voix. Harmonie parfaite. Une expérience esthétique et mystique incomparable.

La certitude qu'avec l'assistance les anges et l'âme des morts sont présents et chantent aussi. Il faut avoir assisté à ce rite très ancien pour comprendre combien les esprits les plus rétifs sont saisis, combien on est très vite placé face à une inextinguible vérité qui nous dépasse et, loin de nous écraser, nous soulève et nous grandit. En découle une envie de louange et une grande joie. Une grande paix aussi. Que ce soit à San Giovanni e Paolo, chez les bénédictins de San Giorgio où sur l'île de Saint François, au couvent des Arméniens ou bien chez les jésuites, le Triduum pascal est un temps très fort, immuable et profond, passerelle entre notre monde imparfait et la perfection de l'amour divin. La plus importante fête de la liturgie chrétienne est commencée. Elle débute par l'horreur d'un abandon, la douleur d'une mort pour s'enflammer dans l'incroyable joie de la Résurrection. Combien de peintres, de sculpteurs, de musiciens et de poètes ont fait de chefs-d’œuvres sur la Pâque chrétienne !
 
Et pourtant, à Venise comme ailleurs, le temps de Pâques qui succède au temps du Carême, le temps le plus important du calendrier liturgique chrétien, comme Pessa'h l'est pour les juifs, passe inaperçu désormais dans notre monde déspiritualisé. Et cela n'a rien à voir avec la laïcité, principe fondamental de liberté et de droit. La vie continue, les touristes arpentent avec autant d'avidité les parcours balisés par les guides au pas de course, les gens vont et viennent dans les magasins, vaquent à leurs occupations. beaucoup se rendront exceptionnellement à la messe du jour de Pâques voire même à la veillée pascale.
 
 
La plupart savent qu'il s'agit de commémorer la mort et la résurrection du Christ. On mange de l'agneau et on cache des poules en chocolat dans le jardin pour les enfants... Mais combien sauront se recueillir un moment en famille et penseront à cet évènement extraordinaire constitutif de ce que nous sommes, de notre civilisation, de notre lien à l'autre, de nos engagements, de notre relation à l'autre ?
"Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure. Le soleil s'obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu."