09 août 2023

Une librairie de plus à Venise : bienvenue à la Feltrinelli !

L'ouverture d'une nouvelle librairie est toujours une fête partout dans le monde. D'autant que de partout fusent les statistiques sur la baisse de fréquentation des bibliothèques, le pourcentage qui grimpe d'année en année du nombre de jeunes qui n'ont jamais lu un seul livre et les rumeurs sur l'inéluctable disparition de l'objet qui a changé le monde avec l'invention de l'imprimerie. 

C'est donc fête à Venise où l'éditeur Feltrinelli vient d'ouvrir ce mardi la quinzième librairie de la Sérénissime (en comptant les marchands de livre d'occasion et de livres anciens, et les librairies du centro storico, de Mestre et du Lido). Il y a quelques jours encore, j'étais passé distrait sur le rio terà Secondo, à San Polo, juste à l'angle de la calle qui mène au vaporetto San Stae. Les anciens se souviendront de cette osteria, baptisée «al Lento» officiellement Osteria da Renato, où le patron était connu pour sa philosophie de la lenteur.  


En attendant l'inauguration officielle qui aura lieu en septembre, nombreux sont les les vénitiens qui depuis mardi viennent se rendre compte par eux-mêmes et visitent librairie dans ses locaux flambants neuf. Feltrinelli, la maison d'édition, qui compte des dizaines et des dizaines de points de vente dans toute l'Italie, a officiellement ouvert avant-hier sa librairie à Venise, une première. À ce jour, les grandes chaînes ont toujours eu du mal à s'ouvrir dans la ville faute d'espace adéquat. en apprenant la nouvelle, j'ai aussitôt repensé à ce délicieux film de Nora Aphron, «You've got mail»,  avec Meg Ryan et Tom Hanks, reprise du fameux «Shop around the corner» de Lubitsch. Dans le film l'enseigne Fox, spécialiste des hypermarchés du livre vient s'installer en face d'une petite librairie de livres d'enfants. Le contraste est grand entre le géant et la petite boutique.
 

Le choix de Feltrinelli est totalement adapté à la Sérénissime. Située entre le campo San Polo et San Giacomo dall'Orio, elle ne s'étend que sur une petite centaine de mètres carrés seulement et s'apparente plutôt aux petites librairies généralistes indépendantes que nous aimons tous. Avant elle, l'osteria dont les vénitiens se souviennent, puis une galerie d'art. Murs en briques apparentes, sol décoré d'arabesques qui attirent le regard, étagères sobres et sans fond pour laisser voir les murs, poutres apparentes. Une lampe Fortuny et un plafonnier de chez Venini pour marquer la vénétianité du lieu. Sur les rayons, il y en a pour tous les goûts, avec même un rayon.
 
 
Si l'ouverture d'une librairie est toujours une bonne nouvelle, surtout en période de baisse drastique du nombre de lecteurs, le fait qu'elle ouvre à Venise, ville aux prises avec le dépeuplement, l'est encore plus. Le choix du quartier aussi, dans une partie de la ville qui est rarement visitée par les touristes de masse ce qui laisse à penser que la clientèle visée sera avant tout locale. Bonne pioche. 
 
De fait comme le souligne les journaux locaux, durant ces deux premiers jours, la librairie a été surtout visitée par des habitants, ravis d'accueillir Feltrinelli tout près de chez eux, dans un «va-et-vient incessant alors qu'à l'intérieur de la boutique les derniers travaux d'installation électrique et d'éclairage se terminent» écrit ce matin dans La Nuova, le journaliste Eugenio pendolini. Parmi eux mardi soir, on remarquait l'écrivain Tiziano Scarpa venu visiter la boutique en personne.
 
Aucune déclaration officielle, aucun dossier de presse de la part de maison d'édition sur la nouvelle librairie de Venise. Seules les deux  libraires, professionnelles expérimentées et passionnées venues de Vérone et Trévise pour parler de cette avenyure lagunaire.

Inévitablement, l'ouverture suscite un grand intérêt. « Bienvenue dans une librairie de haut niveau comme la Feltrinelli à Venise », déclare Cristina Giussani, propriétaire de la librairie Mare di Carta et représentante du syndicat des libraires, « Ce sera une librairie dédiée aux Vénitiens car elle est loin des circuits habituels du tourisme urbain».

Un échelon de plus aussi dans l'offre de livres dans la ville, où l'on compte aujourd'hui une douzaine de librairies (dont une seule, Mare di Carta, qui vend des manuels scolaires), en plus des quatre librairies d'occasion et de livres anciens. Bonne route à Feltrinelli Venezia. Allez-y faire un tour, amis de Tramezzinimag. Peut-être bientôt pourrez-vous y trouver les publications de Deltæ, la maison d'édition de Tramezzinimag et des auteurs qui nous honorent de leur amitié ?
 
 Libreria Feltrinelli 
Rio Terà Secondo 2245A
San Polo  (près du Campo S.Agostin)
Tel. :  +39 02 9194 7777




02 août 2023

Tramezzinimag retrouve ses billets perdus en 2015

Les plus anciens et fidèles lecteurs de Tramezzinimag, (l'original, celui qui avait fêté l'année précédente (le 7 mai 2015) ses dix ans d'existence, avec ses nombreux abonnés et comptabilisait presque 2.000.000 de visiteurs depuis ses timides débuts en 2005, quand on se battait pour ce que l'Europe allait devenir ou ce que nous ne voulions pas qu'elle devienne...) se souviennent du drame. 

Un beau soir d'été que ce 23 juillet 2016. Après une partie de la journée passée à la plage, je m'apprêtais depuis la salle d'informatique de la Querini Stampalia (la fibre était toujours en cours d'installation à Sant'Angelo), à lire les commentaires sur les derniers billets et à mettre en ligne un nouveau billet quand j'eus la très mauvaise surprise de voir s'afficher cet horrible message :

Panique à bord. Gros coup au coeur, grande tristesse, puis énorme colère. Après le découragement et une pensée pour Lord Baden-Powell et son très beau texte «Tu seras un homme mon fils», je me retroussai les manches et pendant plusieurs mois je remuais ciel et terre, appelant les ministères, l'ambassade des États-Unis, mes contacts à New York et en Californie, ameutant amis, famille, lecteurs, pour tenter de parvenir à trouver un interlocuteur chez Google et récupérer mes données perdues (l'ensemble de mes archives photos qui étaient stockées sur Google Photo avait été avalé dans l'effondrement et mes boites-mails avaient sombré aussi). Il y avait bien derrière tout cela quelqu'un qui soit avait fait une erreur, soit avait réglé son compte à Tramezzinimag et effacé en appuyant sur une touche de son ordinateur dix ans de travail...

Pour ne pas laisser mes lecteurs sans explication, je publiais un communiqué sur Facebook,puis je repris un blog ailleurs que chez Google avec le même titre et lançais un avis. Une sorte de « Coucou, N'ayez pas peur, les amis, la maison s'est effondrée mais nous sommes encore vivants, amochés mais vivants ! » Et les messages ont afflué de partout, d'abonnés, d'amis et d'inconnus. Tous se désolaient de la disparition, tous m'encourageaient, me soutenaient. 

Plusieurs lecteurs m'envoyèrent des enregistrements du blog, des captures d'écran, des photos et des vidéos venant du blog défunt. On me signala l'existence du site Wayback Machine, les archives d'internet. Un lecteur fonctionnaire au ministère de la Culture m'adressa une liste de liens et le nom de plusieurs responsables de Google avec qui il avait déjà eu à faire. Un cousin avocat à New York se proposa pour monter un dossier. Mon député ne répondit jamais à mon courrier, pas plus que l'ambassadeur des États-Unis ou le ministre français de la culture... J'hésitais un moment à m'adresser au président de la République ! 

Toute une armée de volontaires m'aida ainsi et peu à peu, sans que Google jamais ne bouge ni ne réponde évidemment - qu'étions-nous après tout, Tramezzinimag petit blog sur Venise qui ne rapportait rien à personne et ne révolutionnait pas le monde de la finance ou du commerce ? - aux nouveaux billets se rajoutèrent les certains textes anciens retrouvés. Il en manque encore. A sa disparition Tramezzinimag I était riche de 2268 messages si on se réfère au dernier archivage de Wayback Machine (avril 2016). Tramezzinimag II, sur la même période (7 mai 2005 - 23 juillet 2016) n'en compte que 1292... C'est déjà beaucoup mais il reste 976 billets encore à retrouver et Wayback Machine n'a pas couvert toutes les années du blog !

Récemment, un de mes plus anciens lecteurs et soutien m'a adressé une douzaine de copies d'écran. Inscrit, il recevait par mail les articles et avait pris l'habitude de les collationner. Il a été ainsi facile de remettre en ligne l'intégralité des articles dont il avait la trace, illustrations et vidéos comprises. e fut un long travail de relecture et de correction parfois. Voilà douze billets retrouvés pour 2013 et 2014. Plus que 964 à refaire jaillir des limbes googlesques et le site sera de nouveau complet.

Il ne manquera plus qu'à retrouver les abonnés égarés en chemin et tenter de «booster» le lectorat réduit à une petite centaine de lecteurs chaque jour... Les temps ont changé, on ne peut le nier. Mais Tramezzinimag II continue d'exister, par passion et amour pour la Sérénissime, avec le soutien de ses lecteurs. Vos commentaires et vos messages sont un encouragement. Je vous en remercie. Continuez, faites nous connaître et racontez cette triste aventure !


Parce qu'elle m'inspire joie et sérénité en même temps que force et vigueur, laissez-moi conclure avec cette  magnifique toile de Sigrid Gloerfeldt, exposée dans la belle salle d'exposition du Palais Contarini-Polignac, chez Roger de Montebello en avril dernier. Tramezzinimag reviendra sur cette artiste dans un prochain billet.

29 juillet 2023

COUPS DE CŒUR (HORS-SÉRIE N°42) : «Le Chemin», un chef d'œuvre de Ana Mariscal

 
Une fois n'est pas coutume, Tramezzinimag présente un film espagnol. Il y a en ce moment sur ARTE (et jusu'au 31 juillet seulement), un film espagnol de 1964 réalisé par Ana Mariscal en Noir & Blanc qu'il faut voir à tout prix. Du grand cinéma. Très émouvant, réaliste, drôle, une somme de petits riens, de drames et de joies, toute la comédie humaine dans un petit village d'une vallée de Navarre au début des années 60. Porté par des acteurs incroyablement justes jusque dans l'excès et la caricature, débordant de naturel. La peinture d'un monde rural disparu ou en voie de disparition. 
 
 
Adaptation du roman éponyme de Miguel Delibes paru en 1953, le film a été présenté au Festival de Cannes et à la Mostra de Venise. On pense au Visconti de Rocco et ses frères, à Jean Eustache, aux images de Pasinetti ou de De Sica. Une histoire banale : la caméra suit les derniers jours dans la vallée, d'un jeune garçon, fils unique du fromager du village qui veut l'envoyer étudier à cent kilomètres de là pour un avenir meilleur. On sourit, on rit, on pleure aussi devant le quotidien de ce presque adolescent sensible et intelligent dont l'enfance s'éloigne. Un chef-d’œuvre à ne pas manquer.
 



 
  
 
Le film est disponible en DVD.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Miguel Delibes
Le chemin
traduit par Eddy Chaulet
Verdier éditeur
1994.
184 pages 
ISBN ; 978-2864322078
15€

20 juillet 2023

Dix ans après...

Le 20 juillet 2013, la journée avait été belle en dépit d'un temps orageux. C'est du moins ce que j'avais noté dans mon carnet. J'avais fait une longue promenade en barque avec deux amis, je rédigeais mes billets du jour. L'un sur une maison que j'aime beaucoup, située sur le campiello en face de la véritable entrée dessinée par Carlo Scarpa, de ma chère Querini Stampalia. 

L'autre article était consacré aux jardins plus ou moins secrets de Venise (Lien en cliquant ICI)Il faisait chaud cet été-là et je l'évoquais dans le billet sur les jardins. Aujourd'hui aussi il fait chaud, très chaud même. J'expliquais il y a dix ans combien je trouvais difficile de passer des 18 degrés d'une pâtisserie dotée de l'air conditionné aux 32 degrés à l'extérieur. Tout à l'heure, au soleil certes, je notais 40° ! 

A l'évidence, la température monte d'année en année. L'autre jour à la plage, en sortant de l'eau, le sable était brûlant et l'air tellement humide que je mis longtemps à me sécher. et dire qu'il y a encore des obscurantistes pour prétendre que le changement climatique est une invention d'hurluberlus. Un peu comme les gens pensaient que la terre est plate. Il parait qu'il y en a encore qui le pensent. Certainement les mêmes qui nient la montée des températures et le dérèglement du climat. Bon weekend à vous, chers lecteurs !



12 juillet 2023

Le plus important moment de l'été à Venise

Depuis hier vendredi, Venise est entrée dans le temps du Redentore, un des moments festifs les plus attendus par la population et qui est devenue une attraction touristique, depuis peu. Comme la Festa delle Salute, cette manifestation fait depuis toujours partie de la vie des vénitiens pour qui elle reste très importante. A la fois rite religieux historique et occasion de se retrouver.

La Festa del Redentore commémore, pour ceux qui ne le sauraient pas, la fin de l'épidémie de peste, dite Peste di San Carlo qui dévasta la ville entre 1575 et 1577 et entraîna la mort de plus d'un tiers de la population de Venise - véritable pandémie celle-là. Après des mois d'hécatombe (plus de 50.000 victimes, soit le tiers de la population de la ville), et le 4 septembre 1576, quelques jours après la mort du Titien qui affecta beaucoup le Sénat et le doge, il fut décidé que la Sérénissime érigerait une église au nom du Christ Rédempteur, voulant offrir au Christ un gigantesque ex-voto afin d'éloigner l'épidémie de la lagune. La première pierre fut posée le 3 mai 1577 et quelques mois plus tard, le 20 juillet exactement,  un pont de bateaux fut érigé pour atteindre l'île de la Giudecca où commençait de s'élever la nouvelle basilique dessinée par Palladio, et les vénitiens vinrent en procession derrière le doge et le Sénat pour prier. 

Depuis lors, chaque année, ce pont votif est reconstruit pour permettre à la population de se rendre dans l'église. Les méthodes de construction ont changé mais l'emplacement est resté le même. Comme lors de la première procession, la population entière se joint aux autorités politiques, militaires et religieuses. Il y avait autrefois le doge et tout le Sénat, le patriarche de Venise et le légat du pape qui ouvraient la marche. C'est aujourd'hui le maire et son conseil, le patriarche que suivent les fidèles. 

Cette procession demeure encore aujourd'hui dans l'esprit de chacun, un élément fondamental de la fête. Le Redentore est l'une des fêtes populaires les plus chères et les plus attendues par les Vénitiens, où le religieux et le spectaculaire coexistent.

Ce pont votif n'est pas seulement une attraction de plus dans une Venise qui tend à se transformer - au corps défendant des vénitiens - en un vaste parc d'attraction (on y reviendra). Il une signification symbolique importante. Il représente le lien entre la ville et sa foi, la gratitude d'avoir été libérés de la peste et c'est un hommage au Christ Rédempteur.

Comme le souligne un article de veniceboat.com : « C'est un symbole d'unité et de solidarité que ce rassemblement de tous, jeunes et vieux, pauvres et riches, pour traverser ensemble le pont et participer à la procession religieuse en l'honneur du Rédempteur »

Un autre des moments importants de la fête, aura lieu le 15 juillet, à 23 h 30. C'est le très attendu spectacle pyrotechnique sur le Bacino di San Marco, à l'entrée de la Giudecca. Quarante minutes de pure émotion esthétique - et sonore ! Des milliers de lumière et de couleurs qui explosent sur la lagune. La plupart des vénitiens seront sur leurs bateaux, décorés et remplis de victuailles, dont les plats traditionnels qui sont chaque année de la fête : bigoi in salsa, sarde in saor, bovoleti, comme la Castradina pour la Fête de la Salute

Trois jours de fête très prisés dans laquelle les touristes peu à peu se sont infiltrés mais qui restent avant tout des jours pour la population dont on garde toujours un souvenir ému, avec ce sentiment d'appartenance à une communauté pérenne, tellement important , à une histoire dans un monde dans un monde qui se transforme où tout est partout de plus en plus uniforme.

Mais les festivités débutent en réalité le 14 juillet avec, à 20 heures précises, la très attendue ouverture du pont votif. Dès l'inauguration, commencera la procession toujours très fréquentée, joyeuse et recueillie des vénitiens qui vont rendre visite au Saint Rédempteur. Beaucoup de curieux ensuite, souvent surpris et ravis, qui pourront aller et venir jusqu'à minuit dimanche soir. Jour et nuit, le pont reste ouvert, sauf au moment du feu d'artifice.

Dimanche, autre grand moment, lui aussi très attendu : les Regate del Redentore. Ce jour-là, la ville sera littéralement assiégée par les visiteurs, vénitiens des environs mais aussi dizaines de milliers de touristes qui tenteront d'assister aux courses sur le canal de la Giudecca, dès 16 heures :

Ce sera d'abord la régate des giovanissimi (les plus jeunes) sur des pupparini à 2 rames, à 16 heures. Puis viendra le tour à 16h45, de leurs aînés toujours sur pupparini à deux, puis celle à 17h30, des gondoles à 2 rames avec les stars de la regata storica.

Il faut voir la bénédiction des bateaux et des rameurs par le patriarche, les courses elles-mêmes très soutenues par le public depuis les deux rives. Enfin, pour clôturer, ce sera la grande messe votive, solennité qui débutera à 19 heures, dans une église du Redentore pleine à craquer.

J'évoquais plus haut ce qu'on mange ce jour là. En général, sur les barques comme pour les tablées dressés le long du canal, chacun porte un plat, salé ou sucré et le vin coule à flots. Il y a encore une dizaine d'années, aucun vénitien n'aurait manqué la fête. Il n'était pas question de quitter la ville...

Aujourd'hui, nombreux sont les vénitiens qui restent chez eux ou s'en vont, tant il y a du monde. Et puis nous sommes nombreux à pouvoir voir le feu d'artifice depuis les fenêtres, les terrasses et les altane des maisons. Il manque certes le petit supplément que donne le spectacle depuis l'eau ou des quais, avec les reflets, les remous, l'écho aussi sur l'eau du pétaradant flux de lumières qui fascine.



 Amusant - et émouvant - de se dire que depuis juillet 1578 les vénitiens d'année en année se sont  retrouvés à festeggiare (festoyer) sur le bassin de San Marco et dans les eaux de la Giudecca. A ma connaissance, sans jamais une année d'interruption.

Les jeunes vénitiens qui pavanent sur leurs barques aux moteurs puissants avec des sonos de dingue qui agacent le bourgeois, ont dans les veines le même sang que leurs ancêtres qui savaient chanter à leurs belles des versets du Tasse, du Monteverdi ou le célèbre et émouvant « E mi ne ne so 'ndao»

 

05 juillet 2023

En chemin vers la France, notes retrouvées

Notes du 30/01/2018 retrouvées dans un carnet oublié au fond d'une valise. Amusant de relire un texte jamais retravaillé qui date d'avant le grand bouleversement que nos gouvernements ont imposé au monde, gigantesque escroquerie dont personne ne se remet vraiment. Avant la pseudo-pandémie, il existait un autre monde qui déjà n'était plus que l'ombre de ce qui existait avant, un autre rythme, des espoirs et des joies transmises par ceux d'avant nous... Ces notes en sont imprégnées.

 

Combien j'aime voyager en train et combien j'aime ces longs trajets où l'on avance vers la destination choisie sans pour autant se sentir dans le temps habituel. Les paysages défilent, les gens montent et descendent, on s'assoupit,  on lit, on rêve... Totalement livrés au temps qui passe on est comme préservé de Chronos. Moments privilégiés de retrouvailles avec soi-même.

Lecture de La Natura Esposta, de Erri de Luca. Fascinant récit à la première personne écrit comme l'auteur sait le faire, dans une langue précise et sobre, des phrases ciselées sans rien jamais d'inutile ni de clinquant. Le livre dont j'avais besoin en ce moment. Je n'ai pas beaucoup écrit pendant ces deux semaines vénitiennes. Rien de bon en tout cas. C'est un peut toujours la même chose. Pendant le voyage, la perspective de me retrouver de nouveau à Venise stimule mes neurones. Mes Idées se font claires, des mots me viennent, des idées. Je suis de retour chez moi, là où je me sens le mieux, toujours. Tout autour de moi m'est familier, le chemin de la gare à la maison, les maisons, les vitrines, les gens...

Puis j'arrive et m'installe. Cela prend à chaque fois beaucoup de temps, remettre en place les meubles, redonner à l'appartement un peu de cachet avec ce que j'ai. Tout est enfin disposé pour me permettre de travailler, les dossiers en place, les stylos alignés, la documentation dont j'aurai besoin... Mais les heures passent et je ne parviens pas à aligner plus de dix lignes. Il me faut préparer une tassé de thé, une fringale soudaine m'envahit ou une impérieuse envie de sortir me prend... Procrastination ? Terreur de ne pouvoir écrire ce que je voudrais et comme je le voudrais ? Je n'ai jamais bien saisi pourquoi tout cela était si difficile et l'était si souvent...

Desenzano, bourgade près du lac de Garde. Ciel gris mais le brouillard s'est estompé. La campagne reprend des formes douces et rondes, routes qui se faufilent à travers de molles collines, très vertes, hameaux paisibles et centres commerciaux modernes... L'Italie .... Dans un peu plus de 45 minutes ce sera l'arrivée à Milano Centrale, puis le métro jusqu'à Porta Garibaldi d'où je prendrai le train pour Paris.
 

[...] Voyage sans histoire. Pas de voisin. Le wagon entre Venise et Milan était propre, confortable, presque vide, les journaux offerts et le café macchiato aussi bon que chez Rosa Salva ne coûte qu'1 euro...  Mais l'accident récent dans les environs de Milan nous a retardé de 21 minutes ! Une exception désormais en Italie. Toute le contraire de chez nous... Pourquoi est-ce que je continue de dire chez nous quand je me reconnais de moins en moins dans ce monde post-moderne qui ne fait que reprendre tout ce que du passé nous avons laissé faire de pire mais c'est une autre réflexion qui mènerait trop loin.

Le TGV français qui assure la liaison Milan-Paris n'a rien à voir, hélas même en première classe. La décoration est agréable, un gris cossu, mais tout est démodé en comparaison avec les Frecciarosse italiens. Exemple du dernier TGV pris entre Lyon et la capitale lombarde : porte de liaison de la voiture qui ne se fermait que manuellement avec un mot écrit à la main pour prévenir les voyageurs ; 2,50 € pour un café noisette (infect) dans un gobelet de carton ; toilettes très usées manquant d'eau et de papier - mais pas d'odeur... Tout cela est vieux, dépassé et absolument pas en corrélation par les prix pratiqués. Le charme de l'Italie, du voyage en Italie, se délite au fur et à mesure des kilomètres, hélas... 

Bientôt le retour dans ce pays où je suis né mais qui a perdu tout charme et tout intérêt à mes yeux. 'est un peu triste. Et puis la ville, bruyante, pestilente qui m'attend... Je sais désormais que mon bonheur et ma paix intérieure sont dans une retraite loin des villes en général, au milieu d'une campagne agréable, paisible et soignée - mais cela je le sais depuis ma toute première jeunesse - ou bien à Venise en dépit de ses édiles totalement pervertis par l'ultra-libéralisme démocraticide auxquels ils sont aveuglément soumis - et les hordes de plus en plus nombreuses de touristes vulgaires...

De ces barbares, il y en avait très peu finalement pendant ce séjour. Le temps était clément pourtant. Du coup la ville était toute aux vénitiens. Active et silencieuse pourtant.  Les vendeurs de colifichets made in China dont raffolent les touristes, bancarelle et boutiques, restaient fermées pour la plupart. Joie. Des jours paisibles donc où j'ai pu retrouver la ville semblable à elle dans laquelle mon coeur et mon âme ont grandi.

 Transcrit en écoutant "Just a song for you" qu'interprète Luca Stavos à la guitare (pour l'écouter c'est ICI)

17 juin 2023

Un jour dans la vie d'un chat à Venise

© Walter Fano - 2011 - Droits Réservés
 

En Hommage à Mitsou, roi des chats de la dynastie Orange qui choisit notre famille et honora notre domus de sa présence pendant 15 ans, de la Normandie à Bordeaux, en passant par Milan, Venise, Le Moulleau et La Réole. Grand amateur de voyages en train, du du violoncelle et du saxophone, ami de Woody Allen (qui n'aime pas les chats mais qui fut séduit par lui et envisagea presque de le faire tourner dans un de ses films), ce petit film rigolo conçu en famille par la famille de Walter Fano que Tramezzinimag remercie au nom de ses lecteurs.

 
Un sympathique petit film, quelques minutes drôles, pour rappeler que Venise est bien plus la ville des chats que des chiens, que la gent féline, heureuse et tranquille,  qui peuplait les campi et les calle a été décimée non pas par le Covid mais par les confinements, après avoir été cantonnée des années durant le plus loin possible du regard des gens (la colonie la plus nombreuse demeure celle de l'Ospedale, à San Giovanni e Paolo) depuis qu'un édile hostile aux félins et grand amateur de chien imposa au conseil municipal la déportation sur une île abandonnée des chats errants sans domicile fixe. Une hécatombe. 
 
Peu à peu ils sont revenus, mais leur nombre, comme celui de la population vénitienne, reste faible. Exit la colonie du pont de l'Accademia, celle du Rialto (dieu qu'ils étaient gras ceux qui vivaient non loin de la Pescheria !), du ghetto, ceux des giardini reale qui la nuit disputait les bancs de pierre, aux garçons de la nuit qui se retrouvaient la nuit le long de la promenade entre le Harry's et la Piazza, et ceux du parvis de la gare, de la Salute... Le monde change, pour les chats aussi.
 
Titre original : Un giorno da gatto sull'isola della Giudecca
(Une vie de chat à Venise)
Sur une idée de Walter fano
Musique de Diego Fano

31 mai 2023

La Venezia di Lorenzo, cool cousin

«Tourism Is Old. Let's Travel» c'était le slogan de Cool Cousin. Une belle idée qui enthousiasma des milliers de cousins à travers le monde. A Venise, nous étions sept. Une belle histoire et l'occasion de nombreux échanges et de belles rencontres.

Qui parmi les lecteurs de ce blog se souviendra encore de l'aventure d'une start-up qui anima pendant sept ans (2015-2021), une application géniale... et gratuite ! Baptisée Cool Cousin, inventée par de jeunes et brillants esprits israéliens et britanniques, elle proposa pendant quelques années une manière originale de voyager, en s'adressant aux gens vivant dans les lieux qu'ils souhaitaient visiter afin de connaître leurs lieux favoris, avoir leurs recommandations et leurs conseils.

Je viens de retrouver par hasard en mettant de l'ordre de mon Google Drive, le lien vers la carte de Ma Venise chez Cool Cousin. Le lecteur trouvera aussi dans les archives du blog un billet de 2021 publié à l'occasion de la fermeture.

Quand j'ai été sollicité, Cool Cousin était déjà présent dans de nombreuses villes tout autour de la planète, les plus demandées évidemment. A Venise, nous étions cinq, vénitiens de naissance ou d'adoption tous vivant dans la Sérénissime et amoureux de leur ville. Le deal proposé par la jeune compagnie était simple : remplir un questionnaire-type qui devait permettre au futur voyageur de choisir la cousin le plus cool en fonction de la musique qu'il écoutait, des choses qu'il aimait sur Instagram, etc. 

Le choix était aussi facilité par un petit reportage photo qui nous présentait dans Venise. Une fois ce questionnaire validé, nous devions tous participer à un shooting photographique dans nos lieux préférés. 

La compagnie n'avait pas lésinait pas sur les moyens. Le photographe, Giulio Paletta, sympathique professionnel  italo-brésilien nous suivait pendant quelques heures et les photographies illustraient notre page. Il nous fallait aussi dresser une liste des «spots» (pardon pour l'anglicisme). 


Le site était très attractif, esthétique et très ergonomique. Un clic sur une carte de la ville et on découvrait un bar, un restaurant, une galerie, une boutique recommandée par l'un d'entre nous. Chaque cousin avait sa carte donc. Pour vous donner une idée en cliquant ICI, vous verrez à quoi cela ressemblait.Une fiche détaillée permettait d'en savoir plus sur le lieu, avec notre avis, nos suggestions.

30 mars 2023

Orafi, argentieri, les maîtres vénitiens de Sant'Antonio


En passant l'autre jour devant l'église San Salvador, perdu dans mes rêveries
comme souvent, j'ai soudain vu, comme sur un film qui aurait été projeté dans l'air, une scène de l'ancienne Venise... A la place des hordes de touristes qui se bousculaient, les uns pour rejoindre San Marco qui est à deux pas, les autres pour regagner la Stazione avec leurs épouvantables valises à roulettes, se déroulait devant mes yeux une procession d'un tout autre ordre.

Il y avait des pages en vêtements chamarrés, des trompettes et des fifres, des provéditeurs et autres hauts fonctionnaires de rouge vêtus, qui précédaient le doge qu'un gonfalon doré protégeait du soleil déjà chaud de ce matin de mai... La foule applaudissait, tous ces personnages gonflés de leur importance passaient devant moi et l'image se mélangeait à celle du campo plein de touristes. J'ai entendu tellement de fois le récit de ces grandes cérémonies que la République prenait grand soin à organiser, que tout se mêlait dans ma tête pendant que je marchais pour rejoindre des amis qui m'attendaient non loin de là. Des hommes vêtus de couleur sombre portaient sur une civière dorée la statue de Saint Antoine, d'autres tenaient des coussins de velours sur lesquels on avait posé de splendides objets d'or et d'argent, calices, reliquaires, coupes et autres pièces incroyablement belles.

Tout ce petit monde se rendait dans l'église. Mais quel était donc l'objet de cette cérémonie ? Sant' Antonio Abate était le patron des orfèvres, mais leur scuola était au Rialto, là-même où la plupart avaient leur boutique et leurs ateliers. J'avais souvent montré quand je guidais les hôtes illustres du Palais Clari - la légation de France - l'immeuble qui abritait l'auberge de la confrérie avec le portone où on peut toujours voir les initiales S O en fer forgé pour Schola dei Oresi. Ils avaient leur chapelle dédiée dans l'antique église S. Giacomo di Rialto, à gauche de l'autel central, avec un magnifique statue du saint entre deux anges portant sa mitre, réalisée par Girolamo Campagna
 
Je cherchais à comprendre d'où surgissait ce qui n'était qu'une vision et que j'avais pourtant si clairement devant moi. En fait, je venais de passer devant la vitrine magnifiquement surchargée de Bastianello, sur la Merceria Due Aprile. Les somptueux bijoux qui y sont exposés, les pièces d'orfèvrerie et les icônes couvertes de plaques d'argent doré ont amené mon cerveau à rouvrir des cases fermées depuis pas mal de temps, et notamment celle qui concerne le trésor de San Salvador, visité une fois il y a longtemps, et celui de la pala d'argent doré que cache la plupart du temps la magnifique Transfiguration du Titien qui lui sert de protection.

Ce trésor est composé d'une centaine d'objets de culte et de décoration d'autel réalisés du XIVe au XIXe siècles par ces talentueux orfèvres vénitiens, les orafi comme on dit en dialecte. Des objets magnifiquement ciselés, somptueuses pièces dont la pala est l'exemple le plus abouti, après celle de San Marco (à ma connaissance, il n'y en a que deux à Venise). Créés par des artistes-artisans - c'était souvent la même chose autrefois, avant que le pratique et le profit ne dominent la création - ils sont l'expression non seulement d'un savoir-faire incroyable, mais aussi d'une profonde piété, où le respect des rites se mêlait à un grand sens du beau et de l'esthétique. Une manière de rendre grâce au Créateur en lui offrant de beaux objets destinés à son culte, maigre et humble image de la beauté de sa Création. Les temps ont bien changé, vous ne trouvez pas ? 


Mais revenons à mon rêve éveillé et aux orafi. Sur la gravure de Visentini ci-dessus, détail d'une vue du campo San Salvador aux milieu du XVIIIe siècle, on voit une échoppe d'orfèvre. Était-ce celle de la riche famille Candoni qui officia sur plusieurs générations (jusqu'en 1790 !), à l'enseigne Al San Bortolomio ou bien plutôt la bottega Alla Generosità de Francesco Dolfin ou encore celle de Lunardo Cherubini dont le magasin se nommait Alla Religione et dont l'activité survécut à la chute de la République ? Nous sommes après tout dans le prolongement du Rialto. Sur le pont et bien sûr de l'autre côté, dans la ruga qui leu était dédiée, il y avait de nombreuses boutiques d'orfèvrerie. 
 

La mariegola conservée - comme toutes les autres règles des confréries vénitiennes - recense les métiers liés aux métaux précieux que les artisans vénitiens travaillaient. Tous étaient réunis dans le même quartier comme cela était courant autrefois. Ainsi, autour des orafi et des argentieri, il y avait les tailleurs de pierres précieuses et semi-précieuses, les ciseleurs, ceux qui tournaient l'ivoire, l'ambre et l'écaille, les horlogers, etc. On venait de loin pour faire exécuter bijoux et objets. Louis XIV qui aimait les métaux précieux (sa collection de mobilier en argent massif était unique au monde) avait lancé cette mode qui se répandit dans toute l'Europe. Une célèbre boutique de la Spadaria, celle du maître Antonio Conba, portait d'ailleurs le nom Al Re di Francia.


L'air et l'atmosphère de Venise favorisent ces rêves éveillés, visions d'un monde que nous connaissons par les récits, les peintures et les gravures que nous ont laissées les anciens. J'ai toujours été convaincu - croyance qui remonte à ma petite enfance et se base sur de nombreuses expériences vécues - que dans notre sang coule aussi la mémoire de ceux qui ont vécu avant nous. Comment expliquer autrement ces moments uniques où, arrivant quelque part pour la première fois, on se sent chez soi depuis toujours et on reconnait tout, l'air et la lumière nous sont familiers... Cette procession qui défilait l'autre matin devant mes yeux, mêlant des personnages de l'antique République et les hordes de touristes, ce n'était pas seulement le produit de mon imagination, mais un souvenir venu de très loin avant vous et moi.
 
 
Librement inspiré de l'ouvrage de Piero Pazzi, Dizionario aureo, orefici, argentieri, gioiellieri, diamantai, peltrai, orologiai, tornitori d’avorio nei territori della Repubblica Veneta, Edizione Piero Pazzi, 1998.

12 février 2023

Silvana Scarpa, de Venise à Bordeaux

Octobre 1985, l'association dont j'étais le jeune fondateur, organisait la Première Semaine de Venise à Bordeaux, sous l'égide de la Ville de Bordeaux et de la Ville de Venise, de l'association France-Italie, de la Dante Alighieri et sous la présidence d'honneur du marquis de Lur-Saluces, alors propriétaire du Château Yquem. Parmi les artistes invités, plusieurs femmes dont Silvana Scarpa, dont j'avais fait la connaissance lors d'une exposition à la Galerie du campo San Fantin, en face de la Fenice, où j'avais été embauché comme assistant du maître des lieux, le fringant Giuliano Graziussi, qui m'a appris les usages (et les ficelles) de la profession.
 

Silvana Scarpa présenta un échantillon de son travail à la galerie Présidence, magnifique local aujourd'hui disparu, animé par un homme sympathique et accueillant, Serge Sarkissian
 
Vernissage de l'exposition. De gauche à droite : Augusto salvadori, Silvana Scarpa, Christian Calvy, Micheline Chaban-Delmas, un comédien, Nicole Noé et moi-même
 
Comme tous les évènements de cette Première semaine de Venise à Bordeaux (il n'y en eut pas de seconde...), les participants étaient entourés par une troupe locale de jeunes acteurs de la Commedia dell'Arte, I Tre Gobbi dirigée avec maestria le regretté Patrice Saunier, disparu prématurément en 2013 (Cf. Journal Sud-Ouest) Mais qui se souvient désormais de toute cette belle compagnie de femmes et d'hommes sensibles à l'art et à la poésie, à la beauté et à l'amitié ? C'était il y a presque quarante ans... 
 

Un montage vidéoexiste encore sur YouTube, dans lequel sont quelques images du vernissage de l'exposition, inaugurée par Micheline Chaban-Delmas, en présence de l'ambassadeur d'Italie à Paris, du consul général à Bordeaux, du maire adjoint de Venise, l'avocat Augusto Salvadori, le consul général de France à Venise, et une pléthore d'officiels.