07 mai 2013

Castello, tout simplement...


Qui parlait ainsi de ce sestiere un peu éloigné de tout, qui a su garder toutes les caractéristiques de la Venise traditionnelle. Cannaregio était son pendant autrefois, avant que le flux ds touristes transforme tout sur son passage, de San Geremia au Rialto. Simplement Castello à Venise, le quartier le plus vaste de la ville. Hormis l'Arsenal, l'ex-cathédrale de San Pietro, la belle église conventuelle de Sant'Elena, rien de monumental. Tout y est à la mesure de l'homme, de la vie courante. Modeste. L'Arsenal bien sûr, même sans l'intervention de Dante qui nous le fait assimiler ses ateliers et ses chantiers à l'Enfer, transpire encore la puissance et le gigantisme de ce qu'il fut durant mille ans, mais les autres monuments qui restent encore du passé glorieux de la sérénissime ? 

Prenons l'église San Martino. Elle se dresse, presque solitaire, un peu cachée, loin derrière la Riva que tout le monde emprunte en venant de San Marco. Elle contient des trésors et le saint qu'elle honore est particulièrement cher aux vénitiens, notamment aux plus jeunes d'entre eux qui le fêtent bruyamment - et joyeusement - chaque année, avec bien plus d'enthousiasme que la très artificielle fête de Halloween bêtement (ou lâchement et mercantilement importée des Amériques...

San Martino di Castello est construit sur ce qui fut il y a très longtemps - bien longtemps avant que ne se construise le gigantesque Arsenal - les ilots Gemini aujourd'hui totalement emberlificotés dans la structure de la ville depuis l'aménagement de l'Arsenal et de la cathédrale. Dédiée à Saint Martin de Tours, ce saint fameux pour avoir coupé sa tunique en deux et l'avoir partagée avec un mendiant, elle contient des trésors peu connus. Comme son histoire d'ailleurs : une colonie lombarde s'était installée sur la lagune et Saint Martin était leur saint protecteur. Mais on ne sait pas trop en fait... L'église votive aurait pu aussi être édifiée par des réfugiés qui avaient fui Ravenne et auraient nommés la chapelle comme la basilique de leur cité. On trouve les premières mentions de sa construction en 932 et on sait qu'elle fut consacrée en juin cette année-là. C'est un lieu particulièrement agréable à visiter. Dans le silence de ses voûtes, la fraîcheur de ses marbres, il faut bon se poser un instant et faire silence même quand on n'est pas croyant. 

Ne manquez pas de la visiter. Du temps où je vivais à Venise, il y avait là un vieux curé très sympathique qui avait toujours une anecdote à raconter et se faisait un plaisir de montrer son église aux visiteurs. C'est ainsi qu'on y découvre des merveilles : une vierge des douleurs de Palma Il Giovane, un autel de Tullio Lombardo, et dans la sacristie trône un charmant tableau de Antonio Zanchi si ma mémoire est bonne qui représente la Vierge et Saint Joseph avec Saint Antoine de Padoue. L'église conserve aussi une précieuse relique, un tibia du saint tourangeau. 


Autre chose à voir : Parmi les dalles de marbre qui recouvrent le sol devant le maître-autel, on trouve des carreaux gravés de figures représentant les outils utilisés non loin de là dans les ateliers de l'Arsenal, par les calafati, cette confrérie d'artisans chargés de calfater les navires fabriqués dans les chantiers navals de la République. Les membres de cette corporation, qui était fort puissante, bénéficiaient de nombreux privilèges. Ses membres embarquaient parfois sur les navires de la Sérénissime afin d'assurer le calfatage des coques. Ils étaient très considérés. Ouvriers fonctionnarisés par la République, ils avaient aussi le droit de travailler pour les navires marchands privés et de percevoir une rémunération de la part des armateurs. San Martino était leur église. 


 Un billet de Tramezzinimag citait l'originalité de cette corporation qui, avec les charpentiers de navire existe encore et dispose - c'est l'unique rescapée de l'ancienne République - une société mutuelle, devenue au fil des siècles une caisse de retraite et de prévoyance. Toujours privée, toujours régie par les règles édictées du temps des doges et approuvée par le Sénat de la Sérénissime. Chaque année, le 5 mars, jour de la San Foca, martyr natif du Pont-Euxin, les voûtes de San Martino retentissent du chant des membres de cette confrérie à l'occasion d'une messe solennelle. Le prêtre y bénit des petits pains qui sont ensuite distribués à l'assistance dans des petits sachets avec une image de San Foca (ou Phocas) reprise d'une mosaïque ancienne de San Marco. Cette cérémonie est une des dernières à rester authentiquement vénitienne et n'a jamais été à ce jour, dieu merci, offerte en pâture aux touristes. Après la cérémonie, les membres de la corporation et leurs familles se retrouvent pour un repas traditionnel. Pour y avoir été invité à plusieurs reprises, je puis vous assurer que tout y est authentique, vrai, chaleureux et convivial ! 



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Le billet publié sur le site originel avait suscité 2 commentaires non archivés par Google et dont hélas la trace a été perdue. Merci Google !

Castello, tout simplement...


 
Qui parlait ainsi de ce sestiere un peu éloigné de tout, qui a su garder toutes les caractéristiques de la Venise traditionnelle. Cannaregio était son pendant autrefois, avant que le flux ds touristes transforme tout sur son passage, de San Geremia  au Rialto. Simplement Castello à Venise, le quartier le plus vaste de la ville. Hormis l'Arsenal, l'ex-cathédrale de San Pietro, la belle église conventuelle de Sant'Elena, rien de monumental. Tout y est à la mesure de l'homme, de la vie courante. Modeste. L'Arsenal bien sûr, même sans l'intervention de Dante qui nous le fait assimiler ses ateliers et ses chantiers à l'Enfer, transpire encore la puissance et le gigantisme de ce qu'il fut durant mille ans, mais les autres monuments qui restent encore du passé glorieux de la sérénissime ? 

Prenons l'église San Martino. Elle se dresse, presque solitaire, un peu cachée, loin derrière la Riva que tout le monde emprunte en venant de San Marco. Elle contient des trésors et le saint qu'elle honore est particulièrement cher aux vénitiens, notamment aux plus jeunes d'entre eux qui le fêtent bruyamment - et joyeusement - chaque année en novembre, avec bien plus d'enthousiasme que la très artificielle fête de Halloween importée des Amériques.
 
San Martino di Castello est construit sur ce qui fut il y a très longtemps - bien longtemps avant que ne se construise le gigantesque Arsenal - les ilots Gemini aujourd'hui totalement emberlificotés dans la structure de la ville depuis l'aménagement de l'Arsenal et de la cathédrale. Dédiée à Saint Martin de Tours, ce saint fameux pour avoir coupé sa tunique en deux et l'avoir partagée avec un mendiant, elle contient des trésors peu connus. Comme son histoire d'ailleurs : une colonie lombarde s'était installée sur la lagune et Saint Martin était leur saint protecteur. Mais on ne sait pas trop en fait... L'église votive aurait pu aussi être édifiée par des réfugiés qui avaient fui Ravenne et auraient nommés la chapelle comme la basilique de leur cité. On trouve les premières mentions de sa construction en 932 et on sait qu'elle fut consacrée en juin cette année-là. C'est un lieu particulièrement agréable à visiter. Dans le silence de ses voûtes, la fraîcheur de ses marbres, il faut bon se poser un instant et faire silence même quand on n'est pas croyant. 

Ne manquez pas de la visiter. Du temps où je vivais à Venise, il y avait là un vieux curé très sympathique qui avait toujours une anecdote à raconter et se faisait un plaisir de montrer son église aux visiteurs. C'est ainsi qu'on y découvre des merveilles : une vierge des douleurs de Palma Il Giovane, un autel de Tullio Lombardo, et dans la sacristie trône un charmant tableau de Antonio Zanchi si ma mémoire est bonne qui représente la Vierge et Saint Joseph avec Saint Antoine de Padoue. L'église conserve aussi une précieuse relique, un tibia du saint tourangeau. 

Autre chose à voir : Parmi les dalles de marbre qui recouvrent le sol devant le maître-autel, on trouve des carreaux gravés de figures représentant les outils utilisés non loin de là dans les ateliers de l'Arsenal, par les calafati, cette confrérie d'artisans chargés de calfater les navires fabriqués dans les chantiers navals de la République. Les membres de cette corporation, qui était fort puissante, bénéficiaient de nombreux privilèges. Ses membres embarquaient parfois sur les navires de la Sérénissime afin d'assurer le calfatage des coques. Ils étaient très considérés. Ouvriers fonctionnarisés par la République, ils avaient aussi le droit de travailler pour les navires marchands privés et de percevoir une rémunération de la part des armateurs. San Martino était leur église.


Un billet de TraMeZziniMag citait l'originalité de cette corporation qui, avec les charpentiers de navire existe encore et dispose - c'est l'unique rescapée de l'ancienne République - une société mutuelle, devenue au fil des siècles une caisse de retraite et de prévoyance. Toujours privée, toujours régie par les règles édictées du temps des doges et approuvée par le Sénat de la Sérénissime. Chaque année, le 5 mars, jour de la San Foca, martyr natif du Pont-Euxin, les voûtes de San Martino retentissent du chant des membres de cette confrérie à l'occasion d'une messe solennelle. Le prêtre y bénit des petits pains qui sont ensuite distribués à l'assistance dans des petits sachets avec une image de San Foca (ou Phocas) reprise d'une mosaïque ancienne de San Marco. Cette cérémonie est une des dernières à rester authentiquement vénitienne et n'a jamais été à ce jour, dieu merci, offerte en pâture aux touristes. Après la cérémonie, les membres de la corporation et leurs familles se retrouvent pour un repas traditionnel. Pour y avoir été invité à plusieurs reprises, je puis vous assurer que tout y est authentique, vrai, chaleureux et convivial !