17 septembre 2011

Ce quotidien comme un havre

La foule qui se répand partout comme une nappe d'huile, et le bruit qu'elle porte avec elle donnent envie de fuir et le silence parait n'être plus qu'un rêve impossible quand on est en ville. Pourtant, et cela tient du miracle, il suffit de bifurquer quelques pas plus loin vers une ruelle biscornue et c'est soudain la douce paix retrouvée. 
 
La rumeur qu'atténuent les hautes façades un peu lépreuses devient comme une mélodie. Dans les grandes villes modernes, le tempo reste soumis au rythme de la pétarade des moteurs à explosion. Il suffit d'une mobylette agressive pour que l'harmonie s'effondre et heurte nos oreilles fatiguées, mais à Venise, la mélopée ne vient jamais choquer nos tympans. Dans le dédale des calle et des campielli où peu d'étrangers s'aventurent, il règne un calme merveilleux que j'ai toujours assimilé à celui de la vallée des Pyrénées où enfant je passais mes étés. Certes il manque le choral des oiseaux, les clochettes des troupeaux, le bruissement des feuilles dans les bois, mais l'air y est tellement rempli de vie et je soupçonne la lumière de participer à la symphonie.

Vous avez certainement déjà vécu cette sensation. La grande rue bruyante, écrasée par le soleil avec ses chalands affairés, la foule bigarrée qui se bouscule et ondoie parmi les étals.
Vos pas vous portent vers une ruelle un peu sombre. L'attrait de la fraîcheur sans aucun doute. Une vieille façade pleine de charme. L'étroit goulot dans lequel vous vous êtes engouffré ne laisse passer du soleil que une infime part de la riflessione de ses rayons et joue avec l'ombre. Il fait bien plus doux que dans la grande avenue, les odeurs sont plus froides. Des fenêtres ouvertes, des bribes de vie parviennent jusqu'à nos oreilles, musique, discussions, bouilloire qui siffle... Là encore, les odeurs accentuent les sons : odeurs de cuisine, de café ou de cire (à Venise, l'odeur de la cire est différente, mélange d'huile de lin et de térébenthine), ou ce parfum si particulier de la pierre mouillée quand quelqu'un vient de laver à l'eau savonneuse l'escalier de sa maison... Une seconde ruelle sur la droite, des cris d'enfant, la radio (avec le dimanche, le son d'un match commenté par un speaker excité) et quand c'est l'heure du repas, le bruit des fourchettes et des verres qui tintent... encore une ruelle, puis une autre. Toujours ce silence habité de mille petits riens, mélodie heureuse, allegro moderato d'un concerto pour un quotidien paisible. L'âme peu à peu s'aère et se réjouit, aucune humeur négative ne peut résister à l'harmonie des lieux, du temps, de la lumière, des odeurs. 
 
Comme dans un chemin de montagnes, au milieu des alpages avec les hauts sommets à l'horizon. Soudain, le bruit de l'eau et le calme frissonnement d'une barque qui glisse doucement. Des voix qui s'éloignent d'écho en écho. La lumière plus vive, puis un tout petit campo, avec son puits où dorment des chats. Le soleil qui semble se rappeler à nous... Pourquoi souhaiter autre chose que ce bonheur-là ? On ressort toujours de ces expériences intimes totalement vivifié et rédimé. Les troupeaux de touristes pressés trouvent même grâce à nos yeux et on se surprend parfois à les regarder avec un soupçon de joyeuse affection. Ce quotidien comme un havre.

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