Rédigé par Lorenzo et publié initialement sur Overblog
 
12 juillet 2016.
Délices du
 petit matin à Venise. La grande majorité des touristes n'est pas levée 
ou pas encore en train de se répandre dans les rues. Tout est calme. 
Serein. Les éboueurs passent avec leurs grands chariots, les livreurs 
vont et viennent. Seul bruit rémanent, le cri des hirondelles qui se 
mêle à celui des mouettes affamées qui dépècent les sacs d'immondices 
devant les maisons endormies. Des gens qui se rendent à leur travail, 
d'autres qui promènent leur chien. Rien que de très banal et qu'on peut 
observer dans toutes les villes du monde, mais ici, il règne une 
tranquillité comme à la campagne et pourtant on ne peut pas ne pas avoir
 la sensation d'être au milieu d'un centre urbain, certes aujourd'hui 
dépeuplé, mais tout rempli de siècles d'activité humaine.   
J'ai
 ressenti cela un jour à Pompéi. C'était comme aujourd'hui, par un 
matin. Tôt. Il y avait peu de monde et je devais été le seul visiteur. 
Des employés, très jeunes, balayaient le forum, des chiens errants 
allaient et venaient. Tout était silencieux. Mais d'un silence rempli 
d'une sorte de ferveur. Soudain je ressentis comme une fièvre. Cette 
ambiance dans l'air qu'on retrouve partout les jours de foire ou de 
marché... Seul ou presque dans ces ruines, j'avais l'impression très 
nette d'être au milieu d'une foule de citadins, de camelots, d'artistes 
et d'ouvriers. C'était comme si mon esprit traverse le temps et que 
l'esprit de ceux qui vécurent la venait à sa rencontre. Nulle angoisse, 
nulle terreur. Il y avait dans l'air les remugles du monde d'avant.  C'est
 une peu la même chose ici à Venise sauf que l'activité humaine ne s'est
 jamais interrompue et que tout continue comme autrefois. Les vénitiens,
 comme leurs ancêtres vaquent aux mêmes occupations dans les mêmes 
lieux, avec les mêmes contraintes et les mêmes usages. Et puis, ce qui 
fait la particularité de l'atmosphère ici dans la cité des doges, c'est 
l'absence de véhicules automobiles. 
Il y a bien le bruit des barques à 
moteur sur les canaux, mais nulle part ces pétarades qui ailleurs 
troublent nos sens et que nous ne remarquons plus tant nous y sommes 
habitués. Nos villes modernes sont envahies depuis longtemps par le 
bruit. L'absence ici de cette rumeur permanente qui couvre tout autre 
son est ce qui rend Venise unique, presqu'autant que son architecture, ses trésors d'art et son emplacement au milieu de la lagune. C'est un 
tout certes, d'autres l'ont dit bien mieux que moi. Mais ce tout unique 
rend tellement heureux, paisible, serein. Il y a un rythme particulier 
auquel on s'adapte naturellement et qui rend toute activité joyeuse... 
En
 plein été, ces matins calmes sont aussi remplis de fraicheur. La marée 
et le vent qui l'accompagne à refroidi l'air pendant la nuit. Souvent, 
jusqu'à une ou deux heures du matin, l'air est suffocant. Hier soir, 
même sur les Fondamente Nove, qui se situent pourtant au nord de la 
ville et où il fait souvent tes froid avec des vents qui viennent du 
fond de la lagune et rebondissent vers la façade nord de la ville, il 
régnait une chaleur étouffante. Puis soudain, avec le changement de marée, une brise lointaine, douce et odorante s'est répandue comme le 
fait l'air brasse par un ventilateur dans une pièce chauffée par le 
soleil et tout devint plus doux. 
Et
 la lumière, cette lumière unique qui danse sur les façades des et 
jaillit tout autant des reflets sur l'eau que de ceux que renvoient les 
fenêtres des maisons. Les couleurs des maisons, du jaune pâle à 
l'ocre le plus sombre, souvent soulignées par le blanc de la pierre 
d´Istrie qui encadre les ouvertures et décore les balcons, et le vert 
profond des volets de bois, sont un bonheur pour les yeux. La moindre 
façade, même la plus lépreuse, la plus insignifiante se donne de beaux 
airs sous la lumière du matin... 
Le marchand
 de journaux range son étal en sifflotant. En face, un bengali installe 
ses colifichets à trois sous qui feront le bonheur des enfants des 
touristes. Ils ne s'adressent jamais la parole. Le restaurant Acqua Pazza
 n'ouvre pas le lundi. La terrasse restera vide. Ceux qui travaillent 
son temps déjà passés. Il est presque neuf heures. Dans quelques 
minutes, les cloches vont répandre leur humeur joyeuse sur la ville. Un 
nouveau jour, semblable à tous les autres jours, mais avec davantage de 
goût que nulle part ailleurs... 
Pour
 moi, une semaine après mon arrivée, c'est aussi un commencement. 
J'avais décidé de passer la première semaine à dormir; me reposer, me 
détendre en ne faisant rien de particulier. Ranger et ordonner à mon 
goût la maison, prendre nos marques Mitsou et moi. Cuisiner aussi - l'un
 des moyens que j'emploie pour retrouver calme et sérénité mais aussi 
les kilos perdus avec le stress et la précipitation de ma vie ces 
derniers mois - écouter de la musique, bouquiner des livres insignifiants
 ou sérieux... Bref, le farniente complet. Je m'y entends 
assez bien contrairement à ce que peuvent penser les gens qui me voient 
toujours actif et sur la brèche. Nos vacances d'avant, les pieds dans 
l'eau du Bassin d'Arcachon ou à la Moignerie, notre chère maison du 
Cotentin, commençaient toujours ainsi pour moi : réajuster le décor 
souvent malmené par des mois d'hivernage et les mains maladroites de ceux
 qui restaient ; fleurir à nouveau les vases; ranger les livres; aérer et 
parfumer les pièces; remplir les armoires de provisions glanées au 
marché ou chez les producteurs du coin. Puis sortir les transats et 
s'affaler pendant plusieurs jours d'affilée entre les repas, passant joyeusement du lit à la 
chaise longue dans le jardin et du jardin à la plage.
Quelques jours de ce régime 
draconien et la pleine forme retrouvée, je pouvais attaquer les 
inévitables travaux à faire dans la maison? Mais aussi me mettre à 
écrire et à lire sérieusement. J'avais la chance de pouvoir le plus 
souvent disposer de quatre à six semaines de vacances, voire huit 
parfois. À ma discrétion. Une huitaine de jours pour le régime reprise 
de forme, une bonne semaine de réadaptation aux lieux, puis de deux à 
quatre semaines de vraies vacances et une dernière semaine pour se faire
 à l'idée de quitter bientôt un rythme parfaitement heureux et 
totalement en adéquation avec ma nature profonde. Non pas de la paresse,
 plutôt de l'authenticité. Être enfin, totalement, soi-même. Au moins 
une fois l'an. Je sais que certains de mes lecteurs ne comprendront pas, 
portés par les usages modernes qui nous font considérer qu'on n'existe 
que dans le vacarme et l'action trépidante... J'en suis bien triste pour
 eux et souhaite qu'ils puissent un jour expérimenter ce bonheur par 
eux-mêmes. 
 
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