Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

26 novembre 2017

Tramezzinimag invité dans les pages de Vita Nova


La jeune revue littéraire en ligne, Vita Nova, dont le second numéro sera disponible le 27 novembre consacre son nouvel opus aux voyages littéraires. TraMeZzinimag y est à l'honneur avec la publication de la version intégrale du billet sur Goethe à Venise publié ici il y a quelques semaines. 

Nous vous recommandons chaleureusement la lecture du premier numéro et vous invitons à découvrir dès demain le deuxième, en cliquant sur le lien ICIMais qui sont-ils ces fous qui osent se lancer dans une telle aventure ? Voilà une introduction flamboyante publiée à l'occasion du lancement de la revue et qui ne pourra que vous mettre l'eau à la bouche, cari ragazzi : 

"Vita Nova n’est pas un blog, ni une chaine youtube, un compte instagram ou un profil facebook. Contre-emploi des flux, connexions à contre-temps. Ce n’est pas davantage un magazine culturel, le rapport d’une académie ou un acte de colloque universitaire. Contre-réforme des modernes, les anciens en contrepoint. Ce n’est pas un libelle doctrinal, ni une encyclique indifférente. Contre-courant libertaire et, par dessus le marché, contre-attaque spirituelle. À tout prendre, pour éviter contre-sens et contre-coeur, Vita Nova est une revue littéraire en ligne qui ne fait pas écran à l’écrit. Bien sûr, aucune revue littéraire n’est plus lue, Vita Nova observera le verdict sans discuter. De ce fait, elle sera libre de n’organiser aucune école, de ne pas critiquer les mauvais livres, de ne pas commenter l’actualité. À raison de trois numéros par an, Vita Nova s’occupera seulement de l’essentiel. Et maintenant que le plus grand nombre a fait demi-tour, voici l’heureuse nouvelle : l’effondrement est peut-être général mais la littérature tient le coup. Il suffit de se détacher des discours et des projets pour bénéficier du secret de ses happy few. Car, puisque le présent est assigné à une époque délétère, le passé occulté par les visions rétrogrades et le futur inimaginé autrement que spectaculaire, seule la littérature permet de penser à travers le temps et les êtres, les âmes et les corps, les idées et les arts, le haut et le bas, l’action et la contemplation, la vie, l’amour, la mort... Elle est le lieu où s'épanouissent les expériences intérieures, la formule qui renforce les singularités. C’est « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue » Autant dire que ce voyage dans la parole même se veut surtout Vita Nova."

Chronique de Venise en novembre : La Festa della Salute


Pour ma tante Randi, 
in memoriam.

Chaque 21 novembre depuis le XVIIe siècle, les vénitiens rendent un hommage solennel à la Vierge Marie, adorée spécialement en ce jour pour avoir mis fin à la terrible peste qui décima la population de la Sérénissime en 1630. Émouvante et joyeuse fête qui rassemble les vénitiens qui viennent en famille ou entre amis de l'aube à tard dans la nuit. Jeunes et vieux, croyants ou non, tous se rendent à la basilique de la Salute en empruntant le pont de bois qui enjambe le grand canal pour quelques jours. 

Tous vont vers la Madonna della Salute, la Mesopanditissa. Enchâssée dans le grand autel en marbre avec sa somptueuse sculpture de marbre réalisée par le sculpteur flamand Giusto le Court où la vierge apparaît tenant dans ses bras l'Enfant-roi, accompagnée d'un groupe d'anges qui chassent la peste sous le regard d'une femme en prière, allégorie de la ville de Venise invoquant l'intercession de Marie, l'icône, très aimée par les vénitiens, fait l'objet d'une grande vénération, depuis que le doge Morosini décida de l'exposer dans le sanctuaire en 1670 dont elle est depuis le symbole. 


Le pont de bateau, inauguré la veille par le cardinal Francesco Moraglia, patriarche de Venise et le maire Luigi Brugnaro, voit ainsi passer des dizaines de milliers de pèlerins qui portent avec eux un cierge que la plupart ramèneront chez eux pour protéger la santé de eux qu'ils aiment ou veiller à la guérison de leurs malades. L'usage est de les allumer autour du maître-autel où une messe est célébrée toutes les heures. La foule reste dense toute la journée. Les policiers, très nombreux depuis quelques années, en uniforme autour de la basilique ou en civil parmi les fidèles, veillent à maintenir la circulation. À certains moments, il y a tellement de monde, qu'ils doivent organiser un sens, brandissant des panneaux indiquant le sens autorisé ou interdit. Tout cela se fait dans la plus grande sérénité, paisiblement et joyeusement. Il s'agit vraiment d'un moment de fête, un de ces temps aimés quand on se retrouve volontairement entre parents ou amis.

Les touristes qui pour la plupart ne savent pas ce qui motive ce grand mouvement de foule semblent un peu hagards. Certains s'éloignent effrayés ou, comme le disait une dame en prenant le bras de son mari : "N'y allons pas. Laissons-les !". "Mais pourquoi donc ?" Répliqua l'homme. "Par pudeur." fut sa (jolie) réponse. Cette solennité n'a rien d'artificiel et, tout comme le Redentore, l'autre grande fête traditionnelle, rien ni personne ne l'a dénaturée. Traditionnel moment de festivité pour peuple aujourd'hui réduit en nombre mais qui resté attaché à ces traditions ancestrales. Toutes les générations s'y retrouvent dans un même entrain et une piété commune, joyeux témoignage que l'âme authentique de Venise coule encore dans les veines de son peuple. Moment de vie commune dans un monde qui se délite, où des forces implacables sont en mouvement qui poussent à l'uniformisation des usages et des goûts, grignotant inlassablement nos différences et nos libertés au nom du profit et de l'ambition de quelques uns. 

Voir les petits vénitiens tenant fièrement ces ballons gigantesques ballons qui flottent partout dans la foule et qui se régalent avec leurs parents de pommes d'amour rutilantes, de marrons grillés, de massepain et de nougat, entendre leurs rires, et plus revigorant encore, entendre tout ce peuple s'exprimer en dialecte, tous milieux sociaux et âges confondus, mais quel bonheur. Quelle joie. Quelle fierté aussi.
En rentrant chez moi, hier soir après la prière de clôture dite par le patriarche dans une basilique noire de monde, après être passé par la sacristie où autour du patriarche, prêtres, séminaristes et enfants de chœur quittaient leurs vêtements sacerdotaux au milieu des bénévoles qui vendaient images pieuses et chapelets, après m'être recueilli comme des centaines d'autres derrière le maître-autel, après avoir admiré les somptueuses noces de Cana du Tintoret et le groupe de saints autour de Saint Marc du Titien et ce Saint Sébastien de Basaiti qui vole haut sur l'une des parois de pierre blanche de la sacristie, deux des tableaux qui ont illuminé mes années d'étudiant à Venise, après avoir traversé le cloître du séminaire, c'est une immense paix que je ressentais. Les marchands de gourmandises et d'objets religieux rangeaient leurs marchandises, des groupes de passants se répandaient partout, tout résonnait de joie et de paix. Rare moment de grâce qu'on retrouve aussi à la Saint Martin quand les enfants se répandent dans les rues, le soir du Redentore quand flotte sur le Bacino di San Marco tout l'esprit festif des vénitiens... Mais aussi chaque jour après l'école à San Giacomo, à Santa Maria Formosa, ailleurs encore, et le soir pour la passeggiata à San Luca ou a pied de la statue de Goldoni et plus tard du côté de la Misericordia, la Movida estudiantine... En dépit des hordes de touristes, vivre à Venise est et demeure un bonheur.