Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

27 septembre 2019

L'extraordinaire et envoûtant long métrage de Lorenzo Mattotti bientôt sur les écrans français et italiens

La Fameuse Invasion des Ours en Sicile, le merveilleux roman de Dino Buzzati qu'il publia en 1945, est devenu un film, et ce film est une pure merveille, un délice d'une heure trente, réalisé par Lorenzo Mattoti dans les studios des productions Prima Linea à Angoulême. Présenté à cannes, il fait déjà le "buzz"avant même sa sortie en France le 9 octobre prochain, puis en Italie début novembre. TraMeZziniMag était à l'avant-première organisée jeudi soir à Bordeaux, dans la grande salle du cinéma Utopia, en présence du président de la Région Nouvelle-Aquitaine, financeur principal du projet, du réalisateur et du producteur Christophe Jankovic. La soirée était organisée par Delphine Gachet, Maître de conférences en et auteur avec son homologue vénitien, Alessandro Scarsella du fameux "Venise, histoire, promenades, anthologie et dictionnaire", paru chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins en 2016 (*). Delphine est la plus grande spécialiste de Dino Buzzati en France. 

A l'initiative d'une des grandes spécialistes de Dino Buzzati.
Lectrice passionnée de Buzzati, Delphine est devenue spécialiste de son œuvre à laquelle elle a consacré de nombreux travaux. Elle a ainsi traduit ses nouvelles inédites en France, publiés dans la collection Pavillons : Nouvelles inquiètes (2006), Nouvelles oubliées (2009).

C'est naturellement qu'elle en est venue, depuis plusieurs années déjà, à prendre en main l'Association des Amis de Dino Buzzati dont la vocation est de diffuser, de faire connaître et d'étudier l'œuvre de l'écrivain italien. La soirée de hier soir s'inscrivait donc naturellement dans sa démarche. Et c'est une salle pleine, composée de nombreux universitaires, d'italianistes et d'italiens francophiles, mais aussi de jeunes (parfois très jeunes) qui accueillit avec chaleur le réalisateur et se passionna pour les aventures de l'ourson Tonio, de son père le roi Léonce et d'Ermelina, la jolie et gentille jeune gitane. Samedi, c'était autour du jeune public de découvrir le film dans une séance qui leur était réservée.



Rappelons le sujet du film.
Inspiré du roman pour enfants de Dino Buzzati publié en 1945, le film se présente comme une fable remontant en des temps légendaires, où la Sicile était partagée en bonne intelligence entre les ours et les humains, les uns vivant dans les montagnes, les autres dans les plaines. Jusqu’à ce jour d’hiver où Tonio, fils de Léonce le roi des ours, est capturé par une bande de chasseurs. Son père, figé dans l’hébétude et le désarroi, entraîne son peuple affamé à l’assaut des terres habitées par les humains, à la recherche de son fils. Les ours descendent alors en colonnes rangées vers la vallée, et affrontent vaillamment les troupes du grand-duc de Sicile…

1 heure 22 minutes de plaisir !
Cela donne un  film d'animation - on disait autrefois un "dessin-animé" - d'une heure et vingt-deux minutes,  surprenant, d'une beauté incroyable, une réalisation de qualité où rien ne cloche, où tout est grandiose sans que rien ne soit en trop, où la délicatesse et l'émotion s'insinuent avec naturel et emportent les suffrages des plus rétifs. Un grand film donc, qui démontre combien les français et les italiens sont passés maîtres dans ce domaine. Ils rivalisent désormais, voire dépassent avec ce film les anciens champions de l'animation Dream Works, Pixart et Disney ! A voir l'accueil incroyable que le public bordelais (et italien, car il y avait des vénitiens et des milanais parmi le public) a fait au film dans la salle comble de l'Utopia et les applaudissements spontanés et très nourris, personne ne pouvait en douter.


Déjà la présentation du film encore inachevé au festival d'Annecy en juin de l'année dernière, puis au festival de Cannes de cette année, avait montré l'enthousiasme du public et des critiques (cf l'article de Guillemette Odicino paru dans Télérama le 15/06/2018: ICI). La critique ne s'y est pas trompée qui a vraiment apprécié le film. Partout de superbes commentaires comme celle du journal Le Monde, qui résume bien le travail obtenu par l'équipe de Lorenzo Mattoti, après une gestation de cinq longues années  :  
« Ce qui frappe d’emblée, à la découverte du film, c’est la haute ambition d’un travail d’animation qui ne se contente pas ici d’illustrer une histoire, mais invente un univers unique, joue avec les formes et les couleurs, enchante le regard à chaque instant. »

La sortie nationale est prévue le mercredi 9 octobre en France, dans les deux versions l’originale française et la version doublée en italien, puis le mois d'après en Italie et le reste du monde.  Mais on ne devrait pas parler de doublage tant les studios Prima Linea ont fait un extraordinaire travail sur les labiales. On oublie combien il est important de produire un son qui colle parfaitement au mouvement des lèvres. L'art du sous-titre est déjà quelque chose de très complexe, avec ses règles spécifiques, mais faire en sorte qu'un film soit aussi bon, qu'il semble aussi naturel, dans deux langues différentes, c'est du grand art. Ainsi, bien que réalisé entièrement dans des studios français avec des professionnels de l'hexagone (à Angoulême plus précisément, la capitale de la BD), le film français dans ce qui est officiellement la version originale, est tout autant italien. C'est bien sûr une évidence, parce que l'auteur du roman est un des plus grands écrivains de la péninsule, le réalisateur un des dessinateurs les plus inventifs et les plus en vue en Italie, l'histoire qui se situe dans une Sicile imaginaire où se mêlent des relents de Venise et d'ailleurs. Mais il ne l'est pas seulement pour cela. Ses créateurs en travaillant particulièrement sur le doublage italien (et les sous-titres français de celui-ci), ont obtenu un résultat formidable. Incroyable : Une  double version originale, française ET italienne. Le bonheur quand on est soi-même une version originale binationale, de ceux qui sont plusieurs à la fois sans l'avoir choisi mais qui en sont et s'en trouvent plus riches ! 

Mais revenons au doublage.  Le film était présenté à Bordeaux en italien. Parmi les voix choisies, toutes très belles, entendre le personnage du vieil ours s'exprimer avec la belle voix du grand Andrea Camilleri, disparu en juillet dernier, apportait une belle émotion. C'est Jean-Claude Carrière qui le remplace dans la version originale. L'idée de ce passage naturel d'une langue à l'autre est très réjouissant d'un point de vue sentimental. C'est Babel à l'envers, ours et humains parlent deux langues et par la magie de la technique le film est tout autant français qu'italien, n'est-ce pas une belle métaphore de que devraient être les relations entre des peuples frères, à travers l'art ; ne plus avoir à penser à "eux" comme différents, étrangers - aliens comme disent les britanniques - mais plutôt penser à un "nous" éclatant de chaleur et de joie, de chaque côté de la frontière, pour faire mentir et pâlir de confusion les xénophobes de tout poil. Ce film sur les ours n'est pas un simple dessin animé de qualité. Non seulement il démontre combien la passion et l'enthousiasme des hommes permet de grandes choses, mais à sa manière, il contribue à rappeler que l'on peut tout attendre de l'autre quelque soient nos différences, que ce que nous sommes les uns et les autres, peut devenir un merveilleux complément pour construire ensemble... Passer du français à l'italien est un joli symbole. Bref, le film est un bel exemple des liens naturels de cœur et d'esprit qui unissent nos deux peuples. Un hymne à la paix et à l'amour qu'il vous faut vite aller applaudir entre adultes ou en famille. La plupart des salles proposeront les deux versions.

(*) :  Venise. Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire
publié par Robert Laffont, Collection Bouquins. 2016. ISBN : 978-2221128749

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