16 février 2025

Coups de Cœur N°63

  
Aquarelle de Dürer réalisée en 1525 où il décrit son rêve,peut-être pour se souvenir de l'image d'une futur tableau qu'il aura rêvé...

La lectrice qui vient gentiment de m'écrire une vraie lettre avec des timbres et tout, ne se doutait pas combien l'enveloppe que je retirais de ma boite au milieu des infâmes prospectus dont nous sommes abreuvés quotidiennement et du magazine départemental, allait réenclencher un mécanisme que je croyais définitivement désynchronisé. Cette amie fait partie de ceux qui n'ont jamais renoncé à écrire à la main. Artiste douée - trop discrète - elle complète souvent ses propos de petits croquis qui m'ont toujours enchanté. Recevoir un vrai courrier est devenu tellement rare. Quand je dis aux amis qui partent en voyage de ne pas oublier de m'envoyer une carte postale de leur lieu de villégiature, ils ont un instant d'hésitation. La plupart lèvent les yeux au ciel, la mine contrite. Alors je fais semblant de ne pas relever l'ironie (ou bien serait-ce de la pitié ?) que leur moue exprime et je n'insiste pas ou bien je dis que je collectionne toujours les cartes postales... Je ne suis pas dupe je connais leurs propos «Oh ! Ce pauvre Lorenzo, il ne grandira jamais», «un idéaliste pur et dur», «le monde change et lui demeure» ou des choses du même acabit. On est toujours sot ou imbécile quand on n'a pas les réactions communes, au mieux naïf et à plaindre, «dans ce monde devenu si difficile et si dur».

Il y a longtemps que j'ai cessé d'exprimer mon ressenti quand je suis avec d'autres adultes. Prévert avait raison, ils ne peuvent comprendre et leur tolérance a rapidement ses limites. Difficile de réaliser un jour, soudain, par on ne sait quelle circonstance inattendue, que mes pairs n'ont aucune imagination ou bien l'ont telement étouffée qu'ils ne savent plus. Saint-Exupéry le fait dire au Petit Prince, n'est-ce pas. la proximité des gens sérieux rendait fou furieux Rimbaud... Tout ça pour exprimer ma joie lorsque des gens, jeunes ou vieux, ne perdent jamais cette soif d'invention, de créativité. ils font le monde moins laid, moins triste. Ces adultes sont en colère sans se rendre compte que leur colère, ils se l'adressent à eux-mêmes. Conscients que la femme ou l'homme qu'ils sont devenus a trahi l'enfant pur et émerveillé qu'ils furent. A tout jamais.


Bref notre monde actuel est ainsi fait. Bien éloigné de l'amour et de l'eau fraîche. On ne jure que par la respectabilité, le sérieux, la rigueur. On ne rigole plus maintenant Messieurs-Dames. Non, non , on n'est pas là pour ça,allez, au pas ! (et remettez vos masques !). 

Mais les coups de cœur n'étant pas encore proscrits. en voici quelques-uns que je vous recommande. N'hésitez-pas à revenir vers moi et me donner vos avis !

Ouvrage Collectif
Au bout de nos rêves
Le Retour des Utopies
Fondation Jean Jaurès
Éditions de l'Aube, 2022
8€
Un petit livre rutilant qui fait drôlement du bien dans la morosité et les grognements de plus en plus décomplexés des fascistes de tout poils d'aujourd'hui. Le principe de ce petit livre est simple. Publié dans la collection, «Les Petits cahiers de Tendances», que présente Thierry Germain dans son avant-propos, regroupe les textes de quatre auteurs parmi les plus pertinents, des esprits de qualité : «Quatre entrées» dit Thierry Germain, «qui disent à chaque fois un objet, un lieu, une personne et un concept, quatre regards nourris et incisifs pour émouvoir, surprendre, interroger et débattre autour de ce qui nous attend. ». Les titres donnés aux chapitres sont appétissants :  «Rêver pour suspendre le ciel » par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle enseigne en études environnementales à l’EHESS et est l’auteure d’une dizaine de livres, dont Rêves en colère (Plon, 2017) et Viviana Lipuma,agrégée de philosophie, docteure en philosophie politique et membre du Labo HAR de l’université Paris-Nanterre. Elle enseigne la philosophie dans le secondaire et l’art contemporain à l’université Gustave-Eiffel. « Devenir jardinier » par l'écrivain Alexis Jenni, prix Goncourt 2011, auteur de « Cette planète n’est pas très sûre. Histoire des six grandes extinctions» (HumenSciences, 2022) et de « Parmi les arbres. Essai de vie commune» (Actes Sud, 2021), « Expérimenter les utopies » par Timothée Duverger, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire TerrESS. Il a notamment publié « Utopies locales. Les solutions écologiques et solidaires de demain» (Les Petits Matins, 2021) et enfin, «Proto-Habitat : une utopie construite» par l'architecte Flavien Menu, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, créateur avec Frédérique Barchelard de Proto-Habitat, un modèle d’habitat collectif alliant flexibilité des usages et espaces pour des modes de vie sains et durables. C'est une lecture sérieuse mais tout à fait accessible que des amis souhaiteraient traduire en italien.
 
Carles Diaz
C'est à ce prix
que nous mangeons du sucre 
Le poème à l'épreuve du contemporain
Essai
Éditions Abordo, 2024
100 pp. 
La citation d'Elisée Reclus, « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort » ne pourrait-elle pas s'appliquer à la Sérénissime et à ce qu'elle tend hélas à devenir, un gogoland pour le peuple et un repère d'une élite nouvelle mode, happy few de plus en plus riches et de moins en moins porteurs d'idées pour sauvegarder la vie réelle à Venise. « C’est une vérité lucide, péremptoire, cruelle.L’homogénéisation et la standardisation des modes de vie touchent aussi aux dimensions artistiques et intellectuelles, et c’est sur ce point que je me tourne vers les artistes et les poètes : que pouvons-nous faire face à ce vertige ? Que proposer dans un monde de plus en plus abîmé, essoré, numérisé ?  Comment faire société dans une communauté de plus en plus uniformisée, radicalisée, qui vise la réduction absolue de l’homme à un modèle unique ?»  
13€
En considérant le sucre comme une métaphore du monde contemporain et en établissant une analogie entre son processus historique et l'évolution des praxis liées à l'art et à la communication, ce texte interroge les mécanismes culturels et repense le sens, la place et la nécessité d'une parole poétique dans le monde d'aujourd'hui. L'auteur nous propose de mettre le poème à l'épreuve du contemporain. 
Carles Diaz est un ami. Je l'ai rencontré par un heureux hasard il y a plusieurs années et j'ai tout de suite aimé sa manière de parler de l'art et de la beauté. Le jeune homme (il est né en 1978) vient d'Argentine et écrit en français. Il sait aussi la langue d'Oc. Sa page wikipedia parle mieux et plus en détail de son parcours universitaire et de ses livres. J'avais beaucoup aimé la Vénus encordée, journal imaginaire de Rose Valland en 1943. Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, à Paris, on lui doit le sauvetage de plus de soixante mille œuvres d'art et objets dont les nazis souhaitaient s'emparer. Parmi ces œuvres, il y avait la Vénus de Milo qui donne son titre au livre. Mais le dernier opus de Carles Diaz est loin de l'Occupation. Il emprunte son titre au Candide de Voltaire, « Cet essai inclassable, dont les prémisses remontent à 2019, est aussi en bonne partie le résultat de deux conférences données par Carles Diaz, en tant qu’écrivain : la première, “L’exigence poétique face à l’objectivation de l’expérience sensible”, lors de la journée “Qu’est-ce que le poétique ? ― Hommage à Jean Onimus (1909-2007)”, à l’Université Côte d’Azur, le 10 mars 2022 ; la seconde, “Écrire le siècle : de la conscience poétique et la nécessité d’être inactuel”, à l’Université de Vienne, Autriche, le 9 janvier 2023. »
« C’est un essai d’écrivain plus qu’un essai universitaire. Je tiens à le dire parce que je ne prétends pas établir une démonstration quelconque. J’ouvre des questions qui me semblent indispensables d’être posées aujourd’hui.»
Le lien d'intérêt entre les propos du livre et Venise m'a paru évident.
Et il ajoute : « Il ne s’agit pas de dire avec béatitude que la poésie doit sauver les hommes, ni de demander à celle-ci de nous permettre de rêver d’un autre monde, mais au contraire, de briser le conformisme et la complaisance, de viser plus que l’uniformisation et l’acceptation passive d’un devenir manifestement dangereux. Je suis très sensible à la question de l’environnement, à la disparition annoncée des langues dites minorées. Je le suis aussi face à l’appauvrissement des langues en général, car dès qu’une langue se simplifie et se décomplexifie, elle perd des moyens pour symboliser le monde, aussi bien que sa dimension de mémoire.» 

Paul Eluard
L’Amour, la poésie 
œuvres de Kiki Smith
Gallimard, 2024
176p. 
45€.  
Depuis les années 2000, l’artiste se projette dans le monde du vivant, du végétal. « Soyons attentifs à la nature » : c’est ce que Kiki Smith, artiste mondialement reconnue, exposée dans les plus grands musées et présente dans de nombreuses collections d'art contemporain, exprime dans ses œuvres les plus récentes. Pour son entrée dans la collection, Kiki Smith a choisi ce texte de Paul Éluard, paru en 1929, après un dernier hiver passé au sanatorium avec sa femme Gala qui devait le quitter, peu après pour Salvador Dali, ce « livre sans fin », retrace l’aventure d’un homme désespéré et déchiré entre l’amour et la poésie, entre le réel et l’imaginaire, d’un homme à qui la poésie redonne, avec l’amour, le goût et la passion de la vie. Ses interventions au fil des pages ponctuent ces poèmes, dans un univers où corps, nature et cosmos rencontrent l’esprit du surréalisme. Un beau livre, pas donné certes mais qui a sa place dans toute bonne bibliothèque et chez tout esthète de Venise ou d'ailleurs. 

Luisa Ballin
Venise, la Vénétie est une fable
Éditions Nevicata
Coll. L'âme des peuples 
90 pages. 9€ 
La quatrième de couverture de ce petit opus exprime parfaitement ce que porte le texte de la journaliste Luisa Ballin qui fut responsable de l'information au parlement helvétique. D'origine vénitienne, la dame est une appassionata de Venise autant que de sa région. Son regard est moderne, son approche pleine d'humanité et d'amour.
« La Sérénissime n'est pas une île. On l'oublie, mais Venise est indissociable de son arrière-pays. Elle est l'enchanteresse de la Vénétie, une région aussi flamboyante que les palais longeant les canaux. La Vénétie a ses traditions, sa langue, son architecture, sa gastronomie, son identité. Souvent elle défie le reste de la péninsule et refuse, sourcilleuse et orgueilleuse, les exigences de Rome, cette lointaine capitale. Elle regorge de personnages et de lieux qui témoignent des liens indissociables entre la lagune et sa terre ferme. Ce petit livre nous transporte dans les coins les plus insolites de cette région trop méconnue. Vous êtes passionnés de Venise ? Vousallez adorer cet écrin qu'est la Vénétie. Un grand récit suivi d'entretiens avec Rodolfo Bonetto (enseignant), Tiziana Lippiello (rectrice de l'Université Ca'Foscari), Antonia Sautter (styliste) et Elia Romanelli (anthropologue).» Un autre indispensable à toute bibliothèque de Fous de Venise !
 
Søren Bebe Trio
Home
Label Out Here Music
2016
Avec les musiques ancienne et baroque, le jazz a toujours accompagné mon quotidien. le jazz classique et certaines variations liées au swing. Mais ce qu'on nomme le free jazz hérisse toujours autant mes oreilles comme bien des courants (sans jeu de mots) des Musiques Actuelles. Pourtant de nombreux compositeurs de talents inventent des sons agréables et percutants, chauds et de pure musicalité. Le jazz scandinave commence d'être apprécié et reconnu par les publics français et italien. Pour France Musique, le Søren Bebe Trio - fondé en 2007 -  apparait désormais comme une pierre angulaire du jazz européen. Parmi les publications du trio danois, il y a Home, qui date de 2016, mais montre la grande maîtrise et la qualité des musiciens de cet ensemble de jazz scandinave. Un ami britannique que je logeais alors m'avait fait découvrir les compositions de Søren Bebe dont l'ensemble s'était produit à Londres.  Dès la première écoute, leur son avait enchanté mes oreilles.
 
Søren Bebe Trio
Here now
Label Out Here Music
2023
«Ce disque est un ensemble d'interprétations lyriques qui mettent l'accent sur la mélodie et la beauté. L'accent est mis sur l'ambiance, l'atmosphère et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. » explique le critique anglais Ian Mann. Les pièces sont souvent construites comme des chansons, relativement courtes (une seule d'entre elles dépasse les cinq minutes). L'atmosphère générale est sereine. L'accent est mis sur l'humeur, l'ambiance et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. La musique illustre le déménagement de SBebe et de sa famille vers la tranquillité de la campagne. Il vit désormais dans un petit village entouré de bois, de lacs et de terres agricoles, et l'écriture de cet album a été inspirée par la paix et la tranquillité de cette nouvelle existence bucolique. L'ambiance générale de la musique est détendue, contemplative et résolument lente, non pressée, toute en subtilité. Un bonheur.
 
Pour vous enchanter, ces deux extraits :

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