Sylvestro GANASSI
Io amai sempre - Venise 1540
Madrigaux,
Motets, Ricercars, Toccatas et Fantaisies Pierre Boragno (flûtes à
bec), Marianne Muller (violes), Massimo Moscardo (luth), François
Saint-Yves (orgue et clavecin).Label Zig Zag Territoires, Harmonia Mundi, 2008.Il
est rare en écoutant un disque, de se sentir transporté à l'époque du
compositeur, sur les lieux mêmes où sa musique fut jouée la première
fois. C'est pourtant l'impression que l'on a avec ce disque paru en
automne dernier et que je viens de découvrir. Surmontant les difficultés
techniques, assimilant parfaitement "l'esprit et le goût" du
XVIe siècle vénitien, le quatuor de brillants musiciens s'est transformé
le temps de cet excellent enregistrement en nobles de la cour du doge,
appliquant les conseils et méthodes du maestro Ganassi pour interpréter des airs de Gombert, Arcadelt, Willaert, qu'il présentait comme les références absolues de son époque. Piffaro (*)
du doge de Venise à partir de 1516, il a défini et codifié en quelque
sorte l’interprétation musicale à l’usage du courtisan idéal, dans des
ouvrages fameux, dont "La Fontegara", traité écrit pour le doge Andrea Gritti, en 1535, écrit - et près de 200 diminutions modèles dont on a conservé les manuscrits. Selon les critères établis dans le "Livre du courtisan" de Baldassare Castiglione, l’aristocrate vénitien se devait d'être artiste. Il lui fallait"maîtriser
à la perfection mais avec modestie l’art de l’improvisation et de
l’ornementation, en atteignant autant que possible l’éloquence
naturelle, dont la voix est le modèle, jusqu’à donner l’illusion de la
facilité et de l’évidence". L’œuvre de Ganassi constitue la première somme musicale volontairement "pédagogique". C'est le premier traité d’ornementation de l’histoire de la musique. Pierre Boragno, Marianne Muller, Massimo Moscardo et François Saint-Yves
ont ainsi réuni comme le recommandait Ganassi, des pièces composées à
Venise entre 1520 et 1550, et, puisant dans l’impressionnant corpus des
diminutions, s’aventurent sans complexe dans un dédale rythmique parfois
étonnant, sculptant les phrases. On comprend encore mieux le chemin
emprunté quand une même pièce se succède dans deux versions, comme Io vorrei Dio d’amor de Fogliano,
d’abord à la viole, simple et pure, sans ornement, puis avec une flûte
exubérante mais jamais excessive. Un bel enregistrement donc, recréant
une atmosphère de douce sérénité, sans maniérisme ni affectation, très
poétique où tout est juste et de bon goût. Comme l'auraient aimé Ganassi et Castiglione !
Francesco Geminiani
Sonates pour violoncelle avec la basse continue
Bruno Cocset (violoncelle), Luca Pianca (théorbe)
& Les Basses Réunies.
Label Alpha.
Bruno Cocset est indéniablement aujourd'hui l'un des meilleurs violoncellistes baroques. Ce disque consacré au musicien de Lucques ami de Haendel. Après les magnifiques sonates de Vivaldi et mieux encore, son enregistrement des sonates du compositeur bordelais Jean Barrière, ce nouvel opus est encore une merveille. Un jeu très chaleureux, intime et tendre, soutenu par le luthiste italien Luca Pianca
qui l'accompagne avec une sensibilité presque mélancolique, une
langueur toute italienne qui convient parfaitement à ces pièces. Mort à
Dublin, Geminiani qui voyagea énormément dans le nord de l'Europe, n'en
demeure pas moins terriblement méditerranéen et son oeuvre en porte
toute la fougue et l'énergie mais aussi ces pointes de nostalgie voire
de tristesse qui nous rendent si attachante la musique italienne, " alternant la furia des doubles croches avec le bercement élégiaque des Affetuoso."
comme le souligne la La Muse baroque. Un disque que je vous recommande
vraiment, à écouter au coin du feu ou, dès qu'il fera plus doux, la
fenêtre ouverte sur les senteurs du jardin. Un régal.
Les mémoires de Giorgione
Claude Chevreuil
Livre de PocheJ'avais ce roman sur mon bureau depuis un
certain temps déjà et je remettais toujours à plus tard sa lecture. On
m'en avait parlé sans grand enthousiasme et j'avais eu la faiblesse
d'écouter son détracteur, au demeurant critique éminent et grand
connaisseur de la peinture vénitienne. Je viens de le terminer et j'ai
refermé le petit livre à regret. Lu d'une traite, j'ai beaucoup aimé
l'aisance avec laquelle Claude Chevreuil transporte le lecteur dans la Venise de la fin du XVe siècle. Très fidèle au récit qu'Antonio Vasari a donné du peintre dans son ouvrage "Vite de’ piu eccellenti Pittori, Scultori et Architettori",
le romancier rend le peintre très attachant. L'atmosphère de la cité
des doges, le comportement des personnages qui apparaissent au fil des
pages, authentiques ou inventés est toujours vraisemblable, Sans ces
anachronismes qui gâchent souvent les meilleures oeuvres (sinon au détour d'une page les mensurations d'un tableau données en centimètres...), le livre nous permet de rencontrer Catherine Cornaro, reine de Chypre et la belle Isabelle d'Este, le maître Bellini et l'élève Titien. Giorgione dont on sait peu de choses en dehors du témoignage de Vasari
et de quelques lettres et notices, devient ainsi un héros sympathique à
la vie trépidante, de caractère ardent, fier et passionné. On laisse à
regret cette société brillante et la Venise puissante et douée pour les
arts. .
réalisé par Morris Engel
avec Richie Andrusco
1953. DVD Kino Video (Import Etats Unis)
Ce petit bijou du cinéma indépendant américain reçut en 1954 le Lion
d'argent à la Mostra de Venise. Il ressort enfin sur les écrans - dans
une mauvaise version en langue française - et je vous encourage à
chercher les cinémas qui le diffusent. Le réseau Utopia notamment (Bordeaux, Paris, Toulouse et Avignon)
avait choisi de le présenter pendant les vacances de février. Tourné en
noir et blanc avec des moyens limités, il s'agit d'un grand film, pelin
de fraîcheur et d'humour. Vieux de plus de 50 ans, il n'a pas pris une
ride ou presque. Hormis les maillots de bain des messieurs (un peu
ridicules) et les robes des dames (très élégantes), on croirait voir les tenues des ados d'aujourd'hui : Chaussures Converse, jeans et t-shirts. rien n'a vraiment changé.
L'histoire en deux mots : C'est l'été. Deux enfants vivent avec leur
mère dans un quartier populaire de New York. L'aîné a douze ans et des
vélléités d'indépendance. il aime jouer dans la rue avec ses copains
mais il est souvent obligé de se coltiner son jeune frère, joey, presque
huit ans qui est passionné par les chevaux. Un jour que la mère doit
s'absenter, le grand frère doit garder le petit au lieu d'aller à Coney Island
passer la journée. Les grands inventent un stratagème pour se
débarrasser du petit : ils lui font croire qu'il a tué son grand frère
par accident et qu'il doit fuir. Prenant la chose très au sérieux, le
petit bonhomme s'enfuit et prend le premier métro venu. Il arrive... à
Coney Island, où il va vivre la plus extraordinaire aventure de sa vie.
Pour la première fois livré à lui-même, apparemment inconscient mais
toujours lucide (il faut voir sa réaction quand il passe près d'un policier, persuadé qu'il est recherché pour meurtre !). Le film finit bien, mais sans mièvrerie hollywoodienne. Le jeune héros joue divinement et les décors naturels, les figurants (la plage bondée de Coney Island un week end, en plein été 53) donnent à ce petit bijou un cachet extraordinaire. Le jury de la Mostra, présidé alors par Ignazio Silone, ne s'y était pas trompé qui l'ovationna, la même année que "l'Air de Paris" de Marcel Carné et "Touchez pas au grisbi" de Jacques Becker.
Ce film plein de poésie existe en DVD, mais seulement en version
originale. Si vous pouvez vous le procurer, vous ne le regretterez
vraiment pas !
Jean Desbordes
Éditions Grasset, Coll. Les Cahiers rouges.
On va dire que je mélange genres et idées et
que je suis décidément bien brouillon, mais parler de ce sympathique
petit film m'a fait penser au très beau texte de Jean Desbordes découvert il y quelques jours et qui m'a fasciné par sa liberté de ton et cette "foi" naïve et sauvage. Ce sont quelques lignes découvertes au hasard en feuilletant le livre qui m'ont incité à le lire : "J'avais
tant envie d'écrire tout à l'heure, J'avais tant envie d'écrire et
envie de ne rien faire et d'être doux et de sourire et de soupirer... Je
voulais être seul afin de mieux sentir ce que je sentais avec
mon amie. J'avais tant envie d'écrireet de ne rien faire et de me taire
et de sourire, quà présent je n'ai plus envie de rien du tout , ni même
dd'écrire ni de sourire, ni même d'avoir le courage de désirer la
paresse qui est source d'amour. J'avais tant désiré écrire tout d'un
coup que j'étais bien et que je demandais la solitude. J'avais tant
voulu lire et rêvasser et ne rien dire et ne rien penser...". Belles
lignes. Plus loin pourtant cette adoration païenne de la nature peut
choquer où déranger, tant le désir d'elle s'avère épidermique et plus
encore... On comprend à lire cet essai hédoniste (et très sensuel), la réaction de Jacques Maritain qui rompit avec Jean Cocteau juste après la parution de l'ouvrage, supervisé - c'est assez facile à déceler - par l'auteur des Enfants terribles, (nous sommes en 1928), chez Grasset. Fascinantes
élégies qui font ressortir tout ce qui brillait tant chez son amant
terrible : une sincérité et un abandon scandaleux. Comme le précise
l'éditeur : "Jean Desbordes (1906-1944) vouait une passion charnelle à
la campagne, ses nuances de paysages, ses odeurs, sa faune, ses bruits,
son calme maternel, mais chez lui, le bucolisme se double d'une
célébration (voire d'un dérèglement) de tous les sens. Elégiaque et
frondeur, il prie puis il exulte. A l'image de son auteur, cet ouvrage
est passé comme une comète sensuelle dans le ciel de la littérature
française." Cocteau, dans sa préface qui scandalisa ajoute : "
L'innocence est dans le désir. La passion humaine sur terre exige un
équivalent de pureté au ciel, et quand on aime ici on plaît là-haut. " Dieu est partout dans J'adore, mais c'est un dieu insolent et intime.
...
Arrigo Cipriani
Editions PlayBac.
Le genre de livres qu'on offre au moment des fêtes. Pourtant, si on dépasse le côté fonctionnel de la mise en page (carnet de cuisine-chevalet à spirale), l'ouvrage est intéressant. Rédigé par Arrigo Cipriani (ou sa chargée de com), l'actuel propriétaire du mythique Harry's Bar de Venise (de Londres, Hong Kong et de New York par la même occasion), il présente 150 recettes bien expliquées et commentées. Parmi elles, la recette du Bellini, ce fameux cocktail à base de pêches fraîches, le risotto alla primavera, copié partout à Venise mais qui n'est authentique et délicieux qu'au Harry's, le croque-monsieur et le club sandwich, deux classiques de la cuisine internationale mais qui, interprétés par les cuisiniers du Harry's et du Harry's Dolci à la Giudecca, sont tout simplement fichtrement et somptueusement bons !
(*) : le piffaro était le sonneur du
doge, musicien qui précédait, seul ou avec la fanfare du palais, le
prince annonçait son arrivée et scandait les différents évènements
officiels de la cour. Le piffaro était un instrument à vent dans le
genre du hautbois mais désigne aussi certains types de flûtes.