17 mai 2024

Il y a dix ans...

En relisant des commentaires anciens, j'ai retrouvé cet article d'octobre 2014 publié suite à l'envoi d'un courriel d'un lecteur, JiPé dont je ne sais s'il suit toujours Tramezzinimag mais qui a été un des plus fidèles soutiens du site. Je vous invite à aller y jeter un coup d’œil. JiPé m'avait adressé les photos qui illustrent le billet. Il était question d'architecture et de pastiche : «Venise, c'est contagieux !»

Je proposais alors que ceux d'entre vous qui ont connaissance de bâtiments du même acabit nous envoient des photos pour les publier et dresser ainsi, en dilettante, une cartographie des pastiches d'architecture vénitienne à travers le monde. Je renouvelle la demande. N'hésitez-pas,  nous publierons vos envois dans Tramezzinimag. 

Bonne fin de semaine et Joyeuse fête de Pentecôte.


16 mai 2024

Venise vue par le commissaire Brunetti

Donna Leon ©Gaëtan Bally, 2022 - Tous Droits Réservés. 
 
Publié en 2012 par Argoul(*) sur son site (ICI), ce texte est le meilleur jamais trouvé consacré aux aventures de l'inénarrable commissaire Brunetti, le héros inventé par l'helveto-américaine Donna Leon, qui fêtera ses 82 ans le 28 septembre prochain. Traduits dans pratiquement toutes les langues, à l’exclusion de l'italien (sur la demande expresse de l'auteur elle-même). Les versions françaises sont dues à Gabriela Zimmermann, qui vit à Venise et a longtemps côtoyé l'auteur - elle fut longtemps sa voisine(**). Voici l'intégralité du texte, ceux qui lisent Donna Leon comprendront mon enthousiasme pour cet article et pour ceux d'entre vous qui n'avaient encore jamais ouvert un de ses livres, je suis certain qu'ils vous donneront envie de les découvrir :

«Vous connaissez probablement Venise, ses palais mirant leurs façades dans les eaux du Grand Canal, ses musées emplis d’œuvres d’art, ses restaurants de pâtes et poisson. Vous ignorez sans doute comment vivent les Vénitiens. Je me souviens de mon philosophique « étonnement », à 20 ans, lorsque j’avais vu un employé en costume cravate parcourir les rues animées d’une fin août touristique, le porte-documents à la main. Il y avait donc des « habitants » à Venise ? Des gens qui vaquaient à leurs affaires comme dans toute ville moderne, habillés et non pas en short et polo de touriste ? J’ai lu avec plaisir, dans les années 1990, la plupart des romans policiers qu’écrivit Donna Leon. Cette américaine vit à Venise depuis la fin des années 80. Elle enseigne la littérature dans une base OTAN de l’armée américaine.
Son commissaire de police, Guido Brunetti, est particulièrement réussi. Brunetti sort du petit peuple vénitien, il a suivi des études d’histoire puis de droit grâce à la démocratie d’après-guerre avant d’entrer dans la police. Il a eu la chance d’épouser par amour la fille d’un comte, Paola, professeur de littérature anglaise à l’université, qui lui a donné deux enfants : Raffaele alias Raffi, 15 ans dans le premier volume, et Chiara, 12 ans. Très humainement, ces enfants grandissent de volume en volume, passant par les phases de l’adolescence révoltée, des études prenantes et des ami(e)s pour la vie. Paola l’universitaire, comme les enfants lycéens, sont un pôle de stabilité pour Brunetti : ils assoient concrètement son idée de la vérité, de la justice et du bon vivre social. Car, en bon Italien, Brunetti aime sa famille, les bons repas et la justice ; en bon vénitien, il se méfie des apparences, des produits pollués et de l’incompétence administrative.
Donna Leon fait bien ressortir ce qu’il y a d’humaniste dans le métier de policier à Venise. Chaque volume aborde un thème différent, typiquement vénitien, mais documenté à l’américaine. Mort à la Fenice (1992) se situe dans le monde de l’opéra, Mort en terre étrangère (1993) analyse les échanges mafieux entre industriels peu soucieux d’environnement et militaires américains de la base de Vicence, Un Vénitien anonyme (1994) aborde le milieu des travestis et du porno, Le prix de la chair (1995) s’intéresse à la prostitution venue de l’Est, Entre deux eaux (1996) trempe dans le monde de l’art et des faux, Péchés mortels (1997) parmi les institutions religieuses, Noblesse oblige (1998) dans l’aristocratie vénitienne, L’affaire Paola (1999) autour de la pédophilie, Des amis haut placés (2000) dans le monde des usuriers, Mortes-eaux (2001) chez les pêcheurs de la lagune. Il y aura encore Une question d’honneur (2002) sur le trafic d’œuvres d’art, Le meilleur de nos fils (2003) dans une académie militaire, Dissimulation de preuves (2004) et les filières d’immigration clandestines, De sang et d’ébène (2005) sur les vendeurs de rue africains, Requiem pour une cité de verre (2006) à propos de pollution industrielle, Le cantique des innocents (2007) et le trafic d’enfants, La petite fille de ses rêves (2008) à propos des Roms, La femme au masque de chair (2009) sur les ravages de la chirurgie esthétique, Les joyaux du paradis (2010) sur la corruption. Plus deux autres pas encore traduits en français.
Des téléfilms ont été tirés des enquêtes, diffusés en Italie, en Allemagne et en France. Venise, la ville et l'État italien en prennent pour leur grade, surtout vus d’Amérique. Mais l’auteur a un faible pour les Vénitiens particuliers, qui sont loin d’être « tous pourris », même si nombre d’entre eux sont ambitieux, hypocrites et cupides. N’est-ce pas le comte Falier, beau-père de Brunetti, qui déclare : « Nous sommes une nation d’égocentriques. C’est notre gloire mais ce sera aussi notre perte, car pas un seul de nous n’est capable de se vouer corps et âme au bien commun. Les meilleurs d’entre nous parviennent à se sentir responsables de leurs familles mais, en tant que nation, nous sommes incapables d’en faire davantage. » (Mort en terre étrangère, p.255) Il faut dire que, lorsque l’État est faible, prolifère la bureaucratie. La France devrait s’en souvenir, la IVème République n’est pas si loin. Et quand je pense que certains à gauche souhaitent la proportionnelle et le retour au parlementarisme d’hier, devenu « italien » quand Rome l’a imité en 1946, je ne peux que leur conseiller de lire Donna Leon ! Le « pouvoir des bureaux », faute d’Exécutif ferme et durable, fait régresser la politique aux relations claniques et incitent les citoyens à ignorer la loi. La clé de la survie, dans ce genre d’État faiblard, est de « faire confiance » à des personnes réelles, pas au droit ni aux fonctionnaires : « telle était la réalité, malléable, docile : il suffisait de s’ouvrir un chemin à la force du poignet, de pousser un peu dans la bonne direction, pour rendre les choses conformes à la vision qu’on en avait. Ou alors, si la réalité se révélait intraitable, on sortait l’artillerie lourde des relations et de l’argent, et on ouvrait le feu. Rien de plus simple, rien de plus facile » (Des amis haut placés, p.185). « Combinazione » et « conoscienze » – les arrangements et le réseau -, ces outils du survivre en anomie, ont été inventés en Italie. Les idéaux de 1968 qu’avaient Paola et Guido durant leur jeunesse ont fait naufrage sous les vagues des scandales politiques, de la corruption mafieuse et des mainmises d’intérêts économiques. Guido à la questure comme Paola à l’université sont confrontés à la prévarication, au favoritisme, à l’égoïsme de leurs contemporains : « toi, tu as affaire au déclin moral, déclare Paola. Moi, à celui de l’esprit » (Des amis haut placés, p.169).
Venise badaude, la crédulité y est reine, tout comme le quant à soi. Un peuple sans esprit critique avale tout ce qu’il lit dans les feuilles à scandales, croit tout ce qu’on lui dit ; l’apparence se doit d’être sauve. Quant à la morale romaine des vieux livres de chevet, elle a sombré avec les siècles. Un dicton vénitien dit cependant : « tout s’écroule mais rien ne s’écroule ». Ce qui signifie : on se débrouille toujours et la vie va. Car il reste Venise, l’architecture magnifique, son ‘ombra’ bu au comptoir, ses ‘vongole’ délicieux dans les spaghettis – et le printemps, qui est un ravissement. Les gens y sont beaux plus qu’ailleurs. Le sens de la relation humaine est porté à un art inégalé. Donna Leon a capté cette sensibilité quasi religieuse du peuple italien : Luciano, 16 ans, a plongé en simple jean coupé pour reconnaître un bateau coulé ; lorsqu’il ressort de l’eau, secouant la tête d’où des gouttes jaillissent, « le soleil émergeait des eaux de l’Adriatique. Ses premiers rayons, s’élevant au-dessus des digues de protection et de la langue de sable de la petite péninsule, tombèrent sur Luciano lorsqu’il s’immobilisa en haut de l’échelle, métamorphosant le fils du pêcheur en une apparition divine surgie des eaux, ruisselante. Il y eût un grand soupir collectif, comme en présence d’un prodige » (Mortes-eaux, p.20). La beauté de l’adolescent nu fait passer un frisson de sacré sur le peuple, comme il y a deux mille ans. Ou encore : Brunetti « se dit qu’il avait la chance de vivre dans un pays où les jolies filles abondaient et où les très belles femmes n’étaient rien d’exceptionnel » (Des amis haut placés, p.207).
Le commissaire est constamment ému de voir ses enfants grandir, il aime le havre de paix du dîner où tout le monde est réuni, il apprécie le stimulant d’une conversation sérieuse avec sa femme. Il aime à lire Gibbons, Sénèque ou Xénophon et à rencontrer ses amis d’hier, Vénitiens comme lui, qui lui apportent des informations sur les rouages sociaux et les tempéraments. Il n’y a pas de secrets dans cette île-ville où tout le monde se connaît. Brunetti cherche à compenser ce que l’existence peut avoir d’injuste pour les uns ou pour les autres par l’application du droit. Il n’est pas un cow-boy comme certains détectives américains, il n’est pas la Justice en personne malgré les tentations qui lui viennent souvent devant l’impéritie officielle ou la bêtise de son supérieur, le servile et vaniteux Patta. Il veut rester digne du devoir moral qu’il s’est donné jeune et qui prolonge la tradition romaine. Il vise à protéger les faibles et les enfants, à empêcher vautours et prédateurs de nuire en toute impunité. Vaste travail, chaque jour recommencé, mais qui est déjà beaucoup. En lisant ces romans policiers, de psychologie plus que d’action, vous pourrez pénétrer, touristes, dans l’intimité vénitienne, dans l’état d’esprit du peuple vénitien, bien mieux que par les visites guidées de palais morts.»
Argoul
Texte paru le 15/12/2012.
[https://argoul.com/2012/09/15/venise-vue-par-le-commissaire-brunetti/]
Remerciements à l'auteur.
 
 
©Tramezzinimag- 2015

 

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Notes : 

*   Nous suivons depuis plus de dix ans le blog d'Argoul, «voyageur curieux du monde, des gens et des idées» comme il se définit lui-même. Très vite une communauté de pensée et de goût est apparue. Ce qu'il écrit sur l'Italie, l'art, les livres qu'il choisit de présenter à ses lecteurs est toujours en adéquation avec l'esprit de Tramezzinimag. [https://argoul.com/a-propos/]

** Gabriella Zimmermann, vit et travaille depuis plus de trente ans à Venise, auteure, traductrice, conférencière et délicieuse amie sans qui la Venise francophone ne serait pas la même. [https://gabriellazimmermann.com/]

30 avril 2024

Coups de Cœur N°60

Voici le 60ème Coup de Cœur de Tramezzinimag ! La toute première livraison de la rubrique date du 20 décembre...2005. (elle est toujours en ligne, pour la lire cliquer ICI). Presque vingt ans et des dizaines de Coups de Cœurs toujours revendiqués. Certaines bonnes adresses ne sont plus, mais livres, disques et films restent disponibles je crois. Aucun remord, aucun regret, nous ne revenons pas sur les choix que nos lecteurs sont nombreux à avoir apprécié. 

Dans ce numéro, nous reprenons plusieurs critiques présentées en novembre dernier, après avoir revu et complété leur contenu suite à des échanges avec nos lecteurs.

Prochainement (bientôt !) : une page répertoire détaillé de l'ensemble de nos coups de cœur avec les liens pour faciliter la recherche.


C.P.E. Bach, 
Concertos pour violoncelle
Nicolas Altstaedt et l'Ensemble Arcangelo dirigé par Jonathan Cohen
CD Label Hyperion, 2016
16€
Au chapitre des Concertos pour violoncelle de Carl Philipp Emanuel Bach je croyais la messe dite. L’archet aventureux d’Anner Bylsma s’y équilibrait avec la direction solaire de Gustav Leonhardt, un rien trop classique. Puis vint Ophélie Gaillard qui y mettait une fantaisie débridée, merveille qui pourtant ne me détournait pas tout à fait de Bylsma et de son Gofriller. Cette fois, je crois bien que le nouveau venu éloigne la référence qui régnait sur ce triptyque depuis bientôt trente ans. D’abord par la fusion impeccable des discours du violoncelle et de l’orchestre, ensuite par la connivence à la fois fantasque et poétique qui anime Nicolas Altstaedt et Jonathan Cohen. Ils entendent tout de ces musiques qui sont les témoins de l’Empfindsamkeit, de leurs pouvoirs expressifs, de leurs bizarreries mais aussi de leur lyrisme si singulier lors des mouvements lents où la fuite du temps s’abstrait. Ensemble ils ont composés des cadences qui de style, de ton se fondent dans la langue si novatrice de Carl Philipp Emmanuel, sinon pour le Concerto si bémol où celle du compositeur s’impose. Ensemble ils règlent des jeux d’archets savants, où tout parle, faisant de la matière concertante de petits opéras. Quel théâtre, que d’imagination, quelle fougue puis que de rêves. Venant de celui qui avait éloigné les Concertos de Haydn du classicisme où on les endort habituellement, cela n’est pas pour m’étonner. Venez entendre ici à quel point l’avenir envahit ces partitions trop longtemps oubliées par les grands violoncellistes (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé).
 
Duello d'Archi a Venezia
Veracini,Locatelli, Tartini,Vivaldi 
Chouchane Siranossian, 
Venice Baroque Orchestra dirigé par Andrea Marcon
Alpha Classics, 2023 
19€
Reçu ce flamboyant CD que j'écoute en boucle depuis quelques jours. L'idée, comme nous l'expliquent la virtuose arménienne Chouchane Siranossian et Andrea Marcon, était de lancer « un duel imaginaire à coups d’archets à Venise entre les quatre mousquetaires du violon de la première moitié du XVIIIème siècle : Vivaldi, Veracini, Tartini et Locatelli ». Corelli meurt en 1713, cédant le flambeau à ses héritiers.Venise devient alors le théâtre d’une rivalité sans merci… «Le violon endosse le rôle d’arme idéale pour démontrer sa virtuosité et ses prouesses. Le but ultime étant d’étonner l’auditeur et de démontrer, parfois même en exaltant certains penchants narcissiques, sa propre bravoure. » Chouchane Siranossian, dont la virtuosité a était qualifiée de « diabolique » par The Sunday Times était l’interprète idéale de ces concertos à haut risque, avec la complicité éclairée et renouvelée d’Andrea Marcon et de son pétulant ensemble vénitien. Une bonne idée pour vos étrennes vraiment ! Pour vous en convaincre, écoutez le podcast de France-Musique (01/06/2023) : ICI.
 
Sergio Pascolo
Venezia Secolo Ventuno
Visioni e strategie per 
une rinascimento sostenibile
Anteferma edizioni,
Venezia.2020
ISBN : 978-8832050509
17€

L'ouvrage est sorti il y a trois ans. Il demeure cependant d'actualité et permet aussi de faire connaître aux lecteurs de Tramezzinimag (qui lisent l'italien) la maison d'édition qui l'a publié dont le catalogue est plein de trésors sur lesquels nous reviendrons. L'auteur, architecte de son état, nous livre un constat très clair du vivre à Venise au XXIe siècle. Comme le dit la notice, il aborde le destin de Venise, l'urbanisation globale et le destin de la planète. «Des thèmes apparemment éloignés mais qui se rejoignent. Universellement reconnue comme l'une des plus belles villes du monde, Venise est aujourd'hui menacée par la crue des eaux et la monoculture touristique ». Elle se dépeuple, elle se meurt. Comment accepter sa disparition, voire la planifier ? «Dans le scénario mondial du 21e siècle, Venise pourrait être l'une des villes les plus attrayantes de la planète car, en raison de sa durabilité intrinsèque, elle est un exemple paradigmatique de la ville du futur.» Nous n'avons jamais tenu un autre discours dans ce blog : «Une ville compacte à taille humaine, un port d'idées, un carrefour de connaissances et de savoir-faire, un pont entre l'Orient et l'Occident, où la vie est associée à la beauté, à l'harmonie et à la durabilité.» 
Ce livre propose d'«imaginer et de tracer concrètement une renaissance durable, avec une large réflexion sur l'idée de la ville insérée dans une perspective globale qui concerne l'ensemble de la planète.» Passionnant et revigorant. Venise peut-être sauvée même avec les hordes, la gabelle imposée par la junte municipale et seulement seulement 49.000 habitants là où il y en eut plus de 150.000 pendant des siècles...
 
Charles Simmons
Les locataires de l'été

Traduit de l'américain par Eric Chedaille
Libretto Poche, 2022
153pages.
ISBN 978-2-36914-668-1  
8,30€

Une belle découverte. On m'avait beaucoup parlé de l'américain Charles Simmons, romancier et journaliste récemment disparu (2017). Ce petit roman qui date de 1997 est un pur régal. Texte court (152 pages), à l’écriture vive et légère. L'histoire est assez simple : été 1968, un adolescent de quinze ans, fils unique, est en vacances, comme avec ses parents dans leur maison sur une presque-île de la Côte Atlantique des États-Unis. Passionnés par la navigation et par la mer, le garçon et Peter son père passent beaucoup de temps sur leur bateau, un petit voilier en bois, l'Angela. Mais les événements vont se compliquer avec l'arrivée dans le pavillon voisin de la fantasque Madame Mertz et de sa fille, Zina, âgée de vingt ans, apprentie photographe et, surtout, d'une éblouissante beauté. Michael, foudroyé par cette belle jeune femme, découvre l'amour, ses rêves, sa réalité, ses douleurs.
C'est Michael qui raconte cet été-là, celui de ses quinze ans et de son passage précipité et douloureux vers l'âge adulte. 
Sous l'apparente gaieté de ce roman solaire coulent en filigrane une note mélancolique et une certaine amertume. Charles Simmons aborde dans la plus grande des libertés les grands thèmes qui composent la vie : l'amour, le désir, le mariage, la recherche de soi, le temps qui passe et les illusions qui tombent... Il traite son sujet en y apportant toutes les nuances et la profondeur qu'exigent ses personnages et leurs sentiments. À lire ce roman, on songe inévitablement à Tourgueniev et à son Premier Amour, dont ce livre se veut une réécriture, mais le lecteur pensera aussi aux nouvelles de Francis Scott Fitzgerald et bien entendu à L'Attrape-Cœur de Salinger ou encore à Carson McCullers par la grande liberté de ton. La préface de Jérôme Chantreau, le traducteur met l'eau à la bouche dès la première page. Je m'y retrouve quand il explique que :« Depuis que j'avais lu "Le Bonheur des tristes" de Luc Dietrich et que j'avais appris qu'un grabd roman peut[aussi] tenir en peu de mots, je savais qu'il en existait, je les cherchais partout». Pour lui, le roman de Simmons est « un grand livre de chevet, un chef-d'œuvre de poche. Pourquoi grand ? Parce qu'il dit l'essentiel, et même un peu plus. pourquoi petit ? Parce qu'on pourrait passer devant sans le voir. Une esquisse. Un pastel. Il y a peu de livres aussi épurés [...] Et voici entre mes mains Les Locataires de l'été qui semblaient avoir été écrits avec de l'eau, sur du sable. Un récit scintillant comme le bord de la vague, à la tombée du soir. Une aquarelle qui peint l'été radieux, les premières amours et les errements du coeur. Rien de très original, avouons-le. Mais le coup de génie de Simmons, c'est d'avoir ouvert l'été en deux, et d'avoir regardé à l'intérieur. Qu'à-t-il vu ? Que personne ne prend la jeunesse au sérieux. Que la nonchalance est un crime. Que l'été finit mal.» 
Comment dire mieux ce roman qu'avec les mots de son traducteur ? Sa préface donne donner envie de lire séance tenante ce court roman (152 pages). Simmons nous rappelle combien vivre et aimer sont choses dangereuses et que les jours heureux filent comme les nuages... Les deux derniers paragraphes - et surtout les deux dernières lignes - pourraient s'entendre comme un constat d'échec, une grande désolation. Il n'en est rien, le constat fait par Michael parvenu à l'âge qu'avait son père cet été-là, s'il est lucide, n'en est pas moins l'évidence d'un bonheur. Celui de devenir enfin jeune quand, vieilli, la lucidité nous confirme qu'on met longtemps, longtemps, à à y parvenir. N'est-ce pas cela la vraie joie après laquelle nous courons toute notre vie ; cette « Quête de Joie » si bien décrite par Patrice de la Tour du Pin...

Jean-François Beauchemin
Le Roitelet
Editions Québec Amérique, 2023
144 pages.
ISBN : 
978-2764442555

16€
 
Il arrive parfois que le hasard nous mette entre les mains un livre inattendu qui nous bouleverse et nous remplit d'une vraie joie. C'est le cas de ce court récit qui nous vient du Québec. Dès sa sortie, il a enthousiasmé bien des lecteurs, critiques, auteurs ou simples amateurs de lecture. J'en suis à 100%. Je ne résiste pas à vous raconter l'anecdote, car c'est bien de cela qu'il s'agit dans ma rencontre avec l'ouvrage. Une terrasse au soleil, premiers soleils après des jours de bourrasque et de ciels bas et tristes. Une jeune femme qui lit à la table à côté. Je ne distingue pas bien le titre de son livre. Ce que je vois c'est une couverture verte à l'aspect usagé, fané, un oiseau aux ailes déployées occupe presque tout l'espace. Je pense à un bouquin d'occasion. Soudain, la jeune femme le pose, ouvert contre la table et se lève. se tournant vers moi, elle me demande si je peux veiller sur ses affaires un instant. J'acquiesce évidemment. En tendant le bras pour désigner la table, elle fait tomber le livre. Je me penche pour le ramasser, elle aussi. S'en suit un cafouillage, fou-rire de part et d'autre. Une scène à la Christophe Honoré. Finalement, je me relève le livre entre les mains, la jeune femme aussi.
Elle me remercie en me gratifiant d'un très joli sourire. A son retour, nous évoquons le livre que j'ai rapidement feuilleté. Elle m'en parle avec enthousiasme, me conseille vivement de le lire. Voilà l'histoire. Revenu chez moi, j'ai recherché ce qu'on en disait sur le net. «Magnifique récit poétique, Le roitelet de Jean-François Beauchemin donne envie de vivre, d’aimer et d’admirer la lumière qui tombe le soir, avec ceux que l’on aime» écrit Gabrielle Napoli dans la revue en attendant Nadeau (ICI) .

Un homme vit paisiblement à la campagne avec sa femme Livia, son chien Pablo et le chat Lennon. Pour cet écrivain parvenu à l’aube de la vieillesse, l’essentiel n’est plus tant dans ses actions que dans sa façon d’habiter le monde, et plus précisément dans la nécessité de l’amour. À intervalles réguliers, il reçoit la visite de son frère malheureux, éprouvé par la schizophrénie. Ici se révèlent, avec une indicible pudeur, les moments forts d’une relation fraternelle marquée par la peine, la solitude et l’inquiétude, mais sans cesse raffermie par la tendresse, la sollicitude.

« À ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.»
 
La lecture du Roitelet appelle au partage. Les mots qui disent «cette poésie de l’instant» (Gabrielle Napoli) : « le sentiment tragique de la déchirante douceur du monde », qui nous enveloppe entièrement, de la fraternité et de la beauté, « seule grammaire qui vaille ».
Réflexion sur l’amour qui nous lie tout autant que sur l’art, sur le temps qui passe et les leçons de la vie :«Je me réjouis en tout cas de m’être débarrassé de tout ce qui dans la jeunesse m’avait encombré : la méconnaissance de l’âme, la pauvreté de la pensée, la brièveté de l’amour, la vitesse ». C'est paraphraser Gabrielle Napoli que d'affirmaer que Le Roitelet est un de ces livres qu’on a envie de partager, un véritable trésor qu'il faut faire connaître. C'est aussi un texte qu'on «garde précieusement au fond de soi, tout en le partageant comme un cadeau unique». Gallimard vient d'éditer le livre dans la collection Folio (N°7304),192 pages, 7,80€

 

Recette gourmande : la Gallina Ubriaca

Traditionnellement, les Coups de Cœur de Tramezzinimag finissent par une recette culinaire vénitienne ou inspirée de la cuisine du Veneto mais pas seulement Celle qui vous est proposée aujourd'hui est liée à une petite anecdote familiale...

J'étais récemment chez une vieille dame, grande amie de la famille et l'une des dernières survivantes de la génération de mes parents chez qui elle avait longtemps servi. Elle m'a raconté une anecdote que j'avais oublié et qui mériterait un plus grand développement. Nous habitions à la campagne où mon père était médecin. La maison était grande et souvent pleine d'amis et de parents qui en appréciaient l'accueil et le confort. On y mangeait bien. Un jour d'été, mon père ramena un groupe d'amis quelques heures avant le déjeuner. Ma mère aurait préféré avoir le temps d'organiser leur visite mais comme à son habitude, elle se contenta de soupirer, sachant pertinemment qu'il était inutile de rappeler combien il est nécessaire de prévenir en cuisine assez tôt pour que tous s'organisent.

Mon père était déjà reparti visiter ses malades, laissant ma mère et la maisonnée déjà bien pleine, s'occuper de tout. Pour nourrir tout ce monde, les deux volailles déjà apprêtées ne suffiraient pas. Il fallait bien en ajouter deux autres. La cuisinière, ma grand-mère, ma mère, mes tantes et notre bonne se rendirent à l'évidence : il allait falloir tuer ces pauvres bêtes. Ce fut ma tante danoise qui suggéra de les faire boire jusqu'à les saouler. Il serait alors plus facile de leur trancher la gorge. Mais pour ce faire, il fallait les attraper, les tenir et les forcer à ingurgiter le cognac - ou l'armagnac, nous sommes en Périgord - et attendre qu'ivres, elles tombent quasiment mortes. J'imagine la tension des femmes de la maison et le petit bonhomme que j'étais alors assistant au spectacle sans comprendre de quoi il ressortait. 

Imaginez la course après les volatiles. La vieille dame ne savait plus s'il s'agissait de pintades ou de poulets. Toujours est-il qu'après maints efforts, cris et fous-rires, les cinq femmes arrivèrent à leur fin. Les bêtes totalement ivres furent égorgées, plumées et farcies et tout le monde se régala. Après ma visite, je suis allé jeter un coup d’œil dans les carnets conservés de cette époque pour tenter de retrouver une trace  de l'évènement. Dans l'un des grands cahiers de recettes de la famille, j'ai retrouvé un feuillet maculé de tâches, certainement du gras, couvert d'une écriture déliée mais hésitante. C'était en italien. Le titre : «Gallina ubriaca». C'est certainement cette recette traditionnelle de la campagne vénitienne qui donna l'idée aux femmes de la maison d'enivrer ces pauvres bêtes, poules ou pintades... 


Il vous faut
: une belle poule ou un gros poulet bien en chair, un litre de vin rouge (un merlot ou cabernet sauvignon de qualité), 1/4 litre de cognac, 150 gr de praiatoli (champignons de couche),
100g de farine ou maïzena, 150 g de pancetta fraîche, 1 gros oignon, 1 gousse d'ail, romarin, persil, un peu de thym frais, 100 g de beurre, 1 cs d'huile d'olive, sel et poivre frais moulu, grains de poivre.

Découper la volaille en six ou huit morceaux, les fariner et les disposer dans une marmite en fonte (ou autre mais à fond épais), les faire dorer à feu vif dans l'huile en remuant souvent pour éviter que la viande attache. Quand les morceaux sont dorés, ajouter le cognac en une fois et le vin, sel, poivre et le persil finement haché.Porter à ébullition pour réduire le jus puis cuire à feu doux pendant environ deux heures.

Pour la sauce : dans une casserole à fond épais, faites fondre le beurre, y ajouter la pancetta taillée en lardons, les champignons égouttés et coupés en julienne avec l'oignon, puis la branche de romarin. Faire cuire à feu doux pendant une quinzaine de minutes. Verser la sauce obtenue sur la volaille et continuer à faire cuire. 

Servir les morceaux très chauds nappés de la sauce, traditionnellement accompagnés de polenta (en purée ou en  losanges préalablement passés au grill). On peut aussi choisir un accompagnement de haricots verts frais, de gnocchis au romarin ou de purée de pommes de terre. Bon appétit.

24 avril 2024

Pamphlet pour rire et éviter d'avoir un jour à pleurer quand il sera trop tard...

Il n'y a peut-être pas plus de 49000 et quelques habitants permanents à Venise (chiffre qui ne prend pas en compte les étudiants qui étudient à Venise et sont beaucoup à vivre dans le centro storico, les Fous de Venise de tous pays qui y ont un logement en pleine propriété ou loués à l'année, ceux qui sont fiscalement déclarés comme résidents dans d'autres régions d'Italie et passent la plupart de l'année dans Venise sans y payer leurs impôts ou avoir des choses à leur nom, les SDF et les migrants), mais il y a toujours la vie. Et avec elle la joie de vivre à Venise. Un lieu unique, je ne vous l'apprends pas où même dans des conditions vite plus difficiles qu'ailleurs. 

Nombreux sont les témoignages quotidiens de vénitiens, de sang, ou d'adoption, sur le net : il suffit de regarder tout ce qui se publie sur Instagram ! La gabelle imposée par la junte municipale ne changera pas grand chose même si Brugnaro parvient à l'imposer définitivement - ce qui est loin d'être acquis - mais elle aura eu le mérite de faire parler de la situation et d'informer le monde de ce point de non retour qui peut se résumer ainsi : Venise se vide a vitesse grand V et parallèlement se gonfle dangereusement chaque jour avec l'afflux de milliers de visiteurs, ces fameux touriste UNESCO que d'aucuns rêvent d'enlever le droit au voyage. Si on ne peut plus vivre correctement au quotidien à Venise quand on n'est ni propriétaire ni millionnaire, quand il faut faire des kilomètres pour trouver une laverie, un épicier ou un quincailler, quand les magasins qui ferment sont automatiquement remplacés par des boutiques de pacotille pour gogos, que les bars et les restaurants passent de plus en plus sous pavillon chinois, il y a de quoi s'interroger. 

Quel avenir pour Venise de plus en plus étouffée par le tourisme de masse ? Certains à l'humour aiguisé parlent d'un Venezialas (comme à Las Vegas), il y en a qui sérieusement se demandent s'il ne faudrait pas envisager de bâtir quelque part sur la terraferma, près de la mer tout de même un vaste complexe qui reproduirait une grande partie de la Venise historique, ses monuments, son ambiance et où on pourrait loger (comme au Futuroscope ou à Disneyland), entendre parler vénitien, visiter des intérieurs recopiés, des expositions virtuelles, voire même pour les plus curieux et les moins incultes, des exposition des vrais chefs-d’œuvre que prêterait la vraie Venise... 

Il y aurait des animations, des promenades sur les canaux reconstitués, des concerts dans les rues, des fêtes à répétition, et des tas de loisirs. l'entrée serait payante, l'amplitude d'ouverture très large avec des feux d'artifice vrais ou virtuels, des bals, des concerts de rock ou les plus grands DJ viendraient se produire et de grands banquets gorgés de spécialités locales ; les cloches, copies conformes des vraies, sonneraient à l'identique, avec le même son et aux mêmes moments, les pigeons pourraient y être nourris par les gogos qui se feraient photographier avec ces bestioles sur la tête ou avec quelques plantureuses roumaines déguisées en marquises sorties des tableaux de Bellotto ou de Guardi... Place à l'imagination !

 

Le pharaonique projet du couturier Cardin à Marghera

Ce magnifique parc d'attraction serait dédié à Cardin bien sûr qui rêvait d'édifier un building géant sur la terraferma juste au bord de la lagune (Dieu qui aime Venise l'aura rappelé a posto pour éviter que les dégâts soient irrémédiables et ses héritiers ont abandonné la projet). Il créerait des tas d'emploi et seraient prioritaires pour y accéder les migrants assistés, mal traités, mal logés qui trouveraient dans cette réplique de la Sérénissime de quoi se nourrir, se loger, se vêtir et peut-être envisager avec sérénité de pouvoir faire des études, celles qu'ils ont le plus souvent dû abandonner pour quitter leurs pays en proie à la guerre ou à la famine... L'argent qui coulerait forcément à flots, servirait à restaurer la Sérénissime, à rénover un maximum de logements, à financer le retour de la population. Les Airbnb y seraient interdits ou en nombre légalement très limité et pendant quelques semaines dans l'année, mais seulement lorsque la demande de logement permanents réservés aux vénitiens et aux étudiants serait assurée (on a déjà commencé d'interdire les cadenas), les boutiques de colifichets Made in China seraient fermée et remplacées par un véritable artisanat d'art de qualité que la ville exporterait dans le monde et pourrait largement triompher de la camelote genre Temu qu'on propose désormais jusque sur la Piazza. Il n'y aurait que les vrais bons restaurants casalinghe, des tout simples comme des grand luxe, Un quota réduit et bloqué d’hôtels, de pensione et d'auberges de tous niveaux suffirait à accueillir ceux qui viennent y travailler temporairement ou y faire un stage, visiter la vraie Venise. 

Combien de palaces s'ouvrent dans des palazzi scandaleusement cédés à des fortunes privées, peu recommandables et se transforment en auberges de luxe presque toujours vides qui ne serve qu'à blanchir de l'argent pas très propre, font faillite rapidement, puis sont rapidement revendus au prix fort et ainsi de suite...

Les familles seraient soutenues pour venir se réinstaller dans la ville, les loyers encadrés, les travaux subventionnés ; La gestion courante serait supervisée par les organisations internationales qui installeraient dans le centre historique plusieurs de leurs entités, comme le tribunal international pour la protection de la nature, l'Unesco, des grandes écoles pourraient compléter le pôle universitaire. Les pays du G7 n'ont-ils pas prévu d'y tenir leurs sessions régulièrement à Venise ? Dans quelques semaines, ce seront les ministres de la justice du G7 qui siègeront pendant plusieurs jours...

Palazzo Zorzi, Siège de l'Unesco à venise
 

Ainsi l'argent affluerait du monde entier pour conserver ce joyau unique de la civilisation occidentale, cet ultime témoin du lien naturel entre l'Orient et l'Occident, gardienne du modèle culturel et artistique byzantin et chrétien. 

Comme devraient l'être Jérusalem ou Rome, Alexandrie, Athènes et d'autres hauts-lieux de notre culture, ces villes pourraient devenir des lieux d'extraterritorialité, échappant aux calculs et combinazione politiques, gérées et contrôlées par des sages, des savants et des intellectuels, représentant les Nations libres, sans parti pris, sans orientation politique, sans enjeux politiques. La reine de l'Adriatique retrouverait son statut de ville-état, son autonomie, parangon d'une qualité de vie unique où règnent la beauté et la culture, les arts, les lettres et un art de vivre qui rendent la ville de Saint Marc unique au monde.

On y conserverait les usages et les traditions tout en ouvrant grandes les portes de la cité à l'innovation, à la recherche, aux débats et aux créations. La Biennale d'art, celle d'architecture, de danse ou de théâtre comme la Mostra du cinéma seraient gérées sous surveillance de l'Unesco, du Parlement européen ou de l'ONU. 

étudiants réclamant un logement décent à San Giobbe
 

Tous auraient leur siège officiel, protocolaire à Venise. Voilà ma vision utopique de la Venise d'après nous, sauvée des eaux par la pointe de la technique qui au-delà du MOse dont on verra vite les limites catastrophiques, fera la part belle aux savoirs anciens, aux techniques éprouvées qui ont réussi jusqu'aux temps modernes à la sauver des eaux. La population sera de nouveau nombreuse, tant les opportunités de logement, de travail et le cadre de vie attireront les gens. 

Les politiques d'aménagement, de logement, de formation, de santé, d'aide sociales renoueront avec les principes éthiques de la République. Faire en sorte que le peuple de boutiquier que dénonçait Jean Lorrain je crois, redevienne ce peuple de marchands qui domina le monde par sons avoir-faire, sa détermination et la qualité de ses produits. Forte de l'enseignement de plusieurs siècles de déploiement du capitalisme, des trop longues années de déshumanisation et de la recherche pathologique de toujours plus de profit, Venise a toujours été un modèle. On y a mis au point tellement de choses dans tellement de domaines qu'il serait tout naturel que le monde lui redonne les moyens de jouer à nouveau ce rôle. 

Il est doux de rêver n'est-ce pas. Mais il serait tellement doux de savoir que les hommes de bonne volonté vont ouvrir leurs yeux et leur coeur, oublier leurs calculs égoïstes et faire mentir l'idée que les civilisations sont mortelles. Lacan s'il vivait encore aurait bien des leçons à leur - à nous - donner sur cela. Sauver Venise, ce n'est pas s'assurer que monuments et œuvres  d'art soient protégées, entretenus et assurées, c'est simplement entendre ce que disent les vénitiens, ce qu'ils attendent, ce dont ils sont besoin. Ne pas vouloir faire de Venise une ville comme les autres mais adapter les besoins d'aujourd'hui à sa structure, se fier à ce que les vénitiens ont mis en place au fil des siècles, pour la voirie, l’entretien et la protection des eaux, privilégier les besoins premiers des vénitiens : se loger, se nourrir, se soigner, se divertir, et pour les plus jeunes, apprendre, jouer... 

©Tramezzinimag , avril 2024 - IA by Canva   

Sans véritable rapport, cette photographie créée par l'Intelligence artificielle. A regarder de près, on voit que cette fameuse IA ne remplace pas le talent d'un vrai photographe mais l'atmosphère qui se dégage de ce cliché m'a paru convenir à ce coup de gueule un peu naïf et mal écrit. J'avais demandé à l'ordinateur de créer une photographie de jeunes vénitiens en train de manger une glace au bord d'un canal. Voilà le résultat. Ce n'est pas du grand art, il faut l'avouer. Le souvenir de la photo truquée de la Princesse de Galles nous rappelle que la technique a ses limites.

Mais pour cela comme pour le reste, gardons espoir, gardons l'humour et la foi en l'homme, in spite of.

17 avril 2024

Le regard d'Inge Morath sur Venise

Le monde photographie Venise. Depuis le XIXe siècle combien de photographes sont venus tirer le portrait à la Sérénissime. Parmi eux, la grande Inge Morath.

 
















 

26 mars 2024

Quand nous étions confinés...

© Prosper Wanner, 2020
Confiné et pris par des imbéciles, nous n'osions sortir, on parlait de millions de morts à venir et partout, tous autant que nous sommes, nous nous étions soumis à de nouvelles normes, exorbitantes du droit commun, les libertés mises sous clé et la peur quotidiennement étayée par des médias ravis de retrouver un rôle et des millions de lecteurs, pardon de suiveurs. Bref, la belle escroquerie a changé la face du monde. On sait aujourd'hui combien tout cela fut démesuré, absurde. Nos gouvernants firent mieux que Goebbels de sinistre mémoire n'aurait rêvé et Jacques Ellul depuis son paradis a dû sourire de voir ses propos sur la propagande se réaliser, sans que personne ou presque ne rechigne.

Mais foin de polémique. Évoquons plutôt les jolis souvenirs que cette période nous a laissé : les rues vidées de la foule et de la circulation automobiles, le silence absolu, l'air pu, la lumière diaphane et du temps, beaucoup de temps pour soi. Le meilleur endroit pour vivre cette période d'enfermement où tout semblait arrêter de notre vie, de notre quotidien d'avant - en dehors de la campagne et des bords de mer (comble de la bêtise et du ridicule, ils voulaient même nous interdire d'aller sur les plages nous baigner ou sur les routes enneigées pour skier !) - ce fut Venise. !

Cette ville-monde, unique et différente de tout centre urbain parce qu'interdite aux automobiles, aux camions, et à tout autre engin motorisé doté de roue, était enfin rendue à ses habitants, débarrassée du fardeau du tourisme, sans les hordes de barbares qui la souillent et l'étouffent. L'eau de la lagune se retrouva aussi pure qu'à la création du monde. Faune, flore, tout reprenait ses droits.

Tramezzinimag a publié plusieurs billets sur cette période. Je vous invite à relire celui-ci, paru le 22 mars 2021 : «Un dimanche comme les autres mais en plus doux»? Pour le lire : CLIQUER ICI et cet autre publié en avril 2021 : «Aimer Venise avec l’œil et l'esprit", CLIQUER ICI.  

Bonnes lectures et n'hésitez-pas à laisser vos commentaires et Bonne Semaine Sainte !


02 mars 2024

Les années passent, l'essentiel demeure

© Yves Bauchy -2012 - Tous Droits Réservés.

Republié à sa date d'origine, «Le Gardien du pont» (30/09/2012) un billet de fantaisie comme les appelait un vieil ami vénitien aujourd'hui disparu. En relisant ce petit texte léger et sans prétention, j'ai revu la scène originale qui donna ces lignes, près de douze ans plus tôt. Encouragé par les 452 lecteurs (dix fois plus que d'habitude !)du précédent article qui évoquait la médiocrité et l'imposture, je ne résiste pas au plaisir de vous en donner le lien, car il n'est pas évident qu'en passant par nos pages, le visiteur ait l'idée, l'envie ou le temps d'aller voir dans les années passées...

Pourtant, on ne peut que constater que rien n'a vraiment changé. Les images que nous donnions à voir alors de Venise sont pour la plupart semblable à la Venise d'aujourd'hui. Un peu plus de monde, des tensions plus prégnantes qu'avant, d'autres disparues ou soignées. Venise montre qu'elle demeure bien vivante.

Sur Instagram, l'amie Ilona, pianiste et vénitienne d'adoption dans son @quiviviamobene poursuit cet état d'esprit positif que l'on retrouvait dans tous les blogs consacrés à Venise. Dans ses publications,
je retrouve depuis toujours une certaine familiarité de coeur et d'esprit. Je vous les recommande, si vous ne les connaissez pas encore.

Pou l'occasion, Tramezzinimag a invité dans ses pages un ravissant matou bordelais de  nos relations, qui a bien voulu accepter de prendre la pause et d'avoir son élégance posture publiée dans nos pages.

Bonnes lectures et bon dimanche ! 

Venezianamente

29 février 2024

En ces temps de médiocrité et d'imposture...

Poséidon and co surveillant l'entrée de l'Arsenal - © Catherine Hédouin, 2020.

Ce billet d'humeur a été publié la première fois en mai 2017. L'époque était sombre mais le pire finalement était à venir... En le remettant en ligne ces derniers jours, j'ai eu envie de le présenter aux lecteurs de 2024. Sept ans après, il y a eu le COVID et l'éclatement de notre ancien monde, pas mal de dégâts, davantage dans les esprits et les cœurs qu'au niveau des victimes que d'aucuns annonçaient par anticipation à des millions de morts. Des guerres - ce n'est pas nouveau - de plus en plus de membres des élites politiques (c'est salir ce joli mot désormais) qui semblent ne s'intéresser car leurs privilèges et à l'argent qu'ils peuvent entasser, des chefs d’États puissants qui sont traduits devant la justice de leur pays, des dictatures qui refleurissent un peu partout et des gens fatigués de beaux discours et qui ont peur de l'étranger, de la différence, sont prêts à confier notre destinée à des remugles d'une époque qui pue encore. Bref, il y aurait de quoi se lamenter, mais la jeunesse d'aujourd'hui demeure joyeuse et spontanée, généreuse et turbulente, partout des associations d'entraide et de secours tendent une main généreuse à ceux qui sont dans la souffrance, la misère, le rejet. 
 
By courtesy © luisella_romeo, juillet 2020

Et Venise, qui perd chaque jour de  nouveaux habitants palpite toujours sous le même ciel. La ville résiste, son peuple résiste, ses étudiants résistent. Tout n'est pas rose dans notre monde, mais à regarder les canards batifoler dans les canaux, entendre les enfants qui sortent de l'école et jouent sur les campi, les étudiants qui se retrouvent du côté de la Misericordia, ceux qui voguent comme le faisaient leurs ancêtres, les cloches qui sonnent de campanile en campanile, tout redonne à celui dont le coeur reste ouvert au monde, bienveillance et sourire. Oui nous vivons encore davantage des temps de médiocrité et d'imposture, mais comme le proclamaient les nombreux panneaux qu'on croisait dans les rues de Venise durant cette période incroyable du confinement « Andrà Tutto Bene », car la raison et la joie ne meurent jamais. Gardons espoir ! Bonne fin de semaine à vous !
 
 04/05/2017
Pour que la tristesse du constat qu'aucun esprit éveillé et libre ne peut pas ne pas ressentir, pour que ne s'étiole pas l'envie d'écrire et ne parte en fumée l'enthousiasme qui nous conduit chaque matin à créer, construire, inventer, partager pour davantage de beauté et d'amour, rien de tel qu'un retour sur soi. 
 
Dans le confort de la maison, les volets tirés, une tasse de thé et quelques biscuits à portée, loin de la fureur du monde et des conversations consacrées à ce second tour des élections présidentielles, votre serviteur s'est retiré. Les Lettres d'une vie de François Mauriac, Les Lettres de Gourgounel de Kenneth White et son essai, Les Cygnes sauvages, un texte de Jouve et un autre de Jacottet, voilà de quoi nourrir ma soif de pureté et d'authenticité. Pour compléter l'ensemble, le chant nostalgique mais serein du piano de Gabriel Fauré, interprétant (en 1913) sa Pavane (Opus 50) composée en même temps que son célèbre requiem et la version jazz de Bill Evans

 
 
Nostalgie d'un temps où les arts et la culture comptaient bien plus que les comptes bancaires ou les vulgaires calculs politiciens. Mais face à ce dépit (je ne sais pas vous, mais je ne me remettrai pas avant longtemps de ce cirque médiatique, de ces élections pilotées par des imposteurs qui prennent les citoyens pour des veaux ou des moutons, je ne sais pas ce qui est pire finalement - et de notre démocratie qui baisse la garde face à la candidate de la peste brune, l'acceptant comme n'importe quel autre candidat, et ne hurlant pas devant ses emprunts à la dialectique gaulliste à laquelle son père et elles, tous leurs sbires et leurs sicaires se sont toujours violemment opposés.), pour ne pas sombrer dans le dégoût et le pessimisme, les arts, la lecture et la musique sont le remède. Dos rond jusqu'à ce que le peuple, enfin, retrouve la raison.

En attendant, reparlons de Venise, qui sera encore longtemps après que nous soyons disparus, en dépit des efforts que font certains pour en venir à bout...