07 octobre 2007

COUPS DE CŒUR n°18

Maddalena ai piedi di Cristo de Antonio Caldarà
Maria Cristina Kiehr, Bernarda Fink, Andreas Scholl, Rosa Domínguez, Gerd Türk, Ulrich Messthaler. Orchestre de la Schola Cantorem Basiliensis sous la direction de René Jacobs
Harmonia Mundi -1996 (reédité en 2002).
Antonio Caldarà, musicien vénitien (1670-1736), a composé un oratorio merveilleux que diffusait ce matin Stephane Goldet dans son émission de France Musique. A l'heure où j'écris ce papier, la radio diffuse l'aria où s'affrontent l'amour terrestre et l'amour céleste. Quelle brillante énergie pour faire éclater la colère de l'amour terrestre qui doit s'effacer devant l'amour céleste dans ce "Marie-Madeleine aux pieds du Christ". C'est aussi dense et pur que du Vivaldi. Ce qui me confirme que la très belle musique du prêtre roux que les amateurs adorent, si elle reste sans conteste particulièrement inventive et talentueuse n'en est pas moins une parmi d'autres qui sont peut-être moins souvent géniales mais tout aussi grandioses. Ces violons déchaînés, cette harmonie si particulière, ce rythme, ces nuances qui se fondent dans rebondissements sonores incroyables, ce n'est pas que Vivaldi, c'est l'école de Venise. La musique vénitienne. Longtemps l'auteur des "Quatre Saisons" fut oublié, sa musique perdue ou égarée. On continue d'en retrouver parmi les rayonnages des grandes bibliothèques du vieux monde. Mais Legrenzi, Caldarà, Marcello, tant d'autres encore furent longtemps joués et inspirèrent toute la musique allemande du XVIIIe siècle. 

Voici un extrait déniché sur internet : http://opus100.free.fr/fr/choral2.html
Une pure merveille. Plus abouti que le premier "le triomphe de la continence", long mais jamais ennuyeux, cet oratorio est classiquement formé de récitatifs et d'arias d'une densité incroyable où les passions s'affrontent, où les sentiments humains sont décortiqués pour être restitués par de nombreuses trouvailles musicales et faire le bonheur des auditeurs. Une merveille vraiment que je vous invite à découvrir. Le livret est consultable sur le site du contre-ténor Andreas Scholl (cliquer sur le lien) qui est fabuleux aux côtés de la soprano Maria-Cristina Khier.

Ce Caldarà eut une carrière imposante, en Italie tout d'avord puis à Vienne où il s'installa et mourut. Elève de Legrenzi, ami de Corelli, Scarlatti et Haendel, on dit qu'il a davantage influencé Haydn et Mozart que Vivaldi. Avant de quitter Venise, où il faisait partie de la confrérie de Santa Cecilia, (sorte de syndicat professionnel qui réunissait plusieurs centaines de musiciens, compositeurs et interprètes, réunis en fraternité et société d'entraide comme les autres corps de métiers à Venise), Il fut très apprécié. Sa musique, caractérisée par un usage de l'aria répétitif, toujours accompagné d'une basse continue et de cordes à 4-5 parties, reprend les éléments du concerto grosso et emprunte ses rythmes aux danses et aux mélodies populaires. Elle est ainsi très caractéristique du style vénitien que le Vivaldi du Stabat Mater a popularisé. Dans cet oratorio, on sent aussi de douces parentés avec la musique de Pergolese. Cela confirme bien qu'en dépit des difficultés de communication de l'époque, les écoles, les modes et les tendances circulaient aussi bien que de nos jours et que la musique à Venise ne se résume ni ne se limite au génial Antonio Vivaldi.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…
l’émission est en podcast sur France Musique depuis ce matin.
Lorenzo a dit…
Très bonne émission admirablement commentée par la productrice et les extraits choisis sont simplement divins. je vous recommande l'émission et le disque.
Fanfan a dit…
Vous m'avez donné envie de découvrir ce disque...et c'est le coup de foudre! Les voix sont magnifiques et l'ambiance sonore très touchante.Merci!

Que le silence y est doux !

Mitsou, le chat le plus photographié de Bordeaux, se languit comme ses maîtres de Venise. Il reste des heures durant sur le rebord des fenêtres, descend dans la cour, s'endort au soleil dans la rue et semble attendre le prochain départ, comme nous, impatient de retrouver son univers. Bien que tout ici nous rappelle la vie vénitienne, il reste toujours une différence majeure, terrible et ineffaçable : le bruit. Nous vivons à Bordeaux dans un quartier agréable et pourtant très calme, à deux pas du plus beau jardin que le XVIIIe siècle des Intendants du roi ait donné à une ville française. Les rues sont larges et ensoleillées, les maisons comme la nôtre ont connu le siècle de Louis XV, certaines remontent même aux premières années du règne du bon roi Henri... Une sérénité liée aux siècles de tranquille atmosphère, rend la vie de la maison paisible et apaisante. 

Mais il y a le bruit des voitures, cette rumeur terrible qui ne cesse jamais ou presque. Une rue passante est à deux pas. Très animée le jour avec ses commerces, ses cafés et ses restaurants, elle devient une autoroute la nuit pour les gens pressés de rentrer chez eux et qui ne veulent pas être arrêtés par un feu rouge. Le pire, ce sont les motos. Et puis comme il fait encore chaud, les fenêtres restent ouvertes la nuit et le bruit monte. Les portières qui claquent, les démarrages un peu vifs, les voyous qui aiment faire pétarader le moteur de leurs pétrolettes, les bus qui roulent à vive allure...

Bordeaux est une belle ville et notre quartier un bonheur, mais ce bruit... Ce bruit ! A Venise, nous entendons les merles dans les arbres et le clapotis de l'eau du canal voisin, les pas qui résonnent sur les dalles de pierre. Parfois une sirène dans le lointain, un avion qui transperce le ciel. Et puis les cloches des églises qui carillonnent toutes les heures, avec en tête la Marangona qu'on entend de partout, et quatre fois par jour, les cris des enfants qui sortent de l'école ou jouent pendant la récréation dans l'école voisine. A ces sons jamais agressifs correspondent aussi des odeurs dont j'ai toujours la nostalgie quand je ne suis pas là-bas : l'odeur de la glycine dans le jardin, celle très particulière de la lagune, mélange de senteurs marines, d'algues et de terre et puis soudain, fugace, le délicieux parfum du café qu'on torréfie ou du pain qui vient de sortir du four. Ici, dans notre exil, ces odeurs parfois nous parviennent aussi. Elles projettent alors notre âme vers notre chère lagune, comme la bonne odeur des canelés de Baillardran quand on passe près du marché des Grands hommes ou le café grillé de la Maison du Café, les bords du fleuve quand la marée remonte. Délicieux remugles qui font chavirer les papilles et nous transportent en pensée vers la Sérénissime. Mais le bruit est toujours là.

© photo Dominique M. - Le Campiello
Même les terrasses ensoleillées qui nous rappellent tellement nos longs moments de délicieux farniente vénitiens ne sont jamais plongés dans ce silence incroyablement plein qui caractérise Venise et fait d'elle, loin de toute autre considération esthétique ou artistique, un lieu unique où la ville semble être campagne et où la campagne pourtant partout repoussée par la nécessité de la vie humaine semble dominer et imposer ses droits. Voilà ce qui rend Venise unique, cet union parfaite entre la nature et l'anti-nature. Quand on connaît bien la cité des doges, on comprend combien il est vain et hors sujet de souligner le peu de présence végétale dans la ville. La nature est partout, sous nos pieds par la terre des îlots et les forêts de pieux des fondations, autour de nous avec l'eau des canaux, au-dessus par ces ciels magnifiques, à chaque instant par la lumière incroyable. Alors peu importent le manque d'arbres et de verdure quand les pierres et les briques elles-mêmes avec leurs tons si particuliers, sont aussi une part de nature domestiquée par le savoir-faire de l'homme. Ah! combien par cette soirée de victoire de la France au rugby (ne nous aura-t-on pas cassé les oreilles avec cet évènement depuis des semaines !), comme notre chat, j'ai hâte de revenir et goûter à nouveau à ce silence si plein, à ces nuits merveilleusement paisibles et tranquilles...

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7 commentaires:

condorcet a dit…
Le silence : une vertu pour une civilisation qui ne sait pas vraiment ce que ce terme signifie. Ces manifestations bruyantes ne renvoient pas au "rite d'inversion" étudié par Emmanuel le Roy Ladurie dans "Le Carnaval de Romans". Ces promeneurs nocturnes défilant bruyamment dans les rues sont de farouches routiniers durant la journée. La nuit est une récompense : pour le salarié, elle coincide avec le repos et pour le travailleur intellectuel, elle aiùe l'ode à la vie et à l'esprit.
AG a dit…
Le silence est un luxe. Le silence peut aussi être une prison. Je pense aux malentendants qui n'ont plus le grand bonheur d'écouter de la musique... ou plus prosaïquement la possibilité de participer à la moindre conversation. D'où un isolement certain. La nuit est une récompense, mais la nuit est aussi synonyme de travail pour quelques-uns afin que notre bien-être (hôpitaux, pompiers, etc...) soit garanti... ou nos envies de distraction satisfaites (spectacles divers et variés). Nous sommes loin de Venise. Mais Venise est bien la seule ville italienne, par sa "physionomie", à ne pouvoir bénéficier du bruit si doux et agréable des "motorini" et conversations interminables et très tardives des jeunes (ou moins jeunes) italiens, surtout en période estivale. Quant au foot et au rugby qui suscitent des réactions aussi passionnées que bruyantes, et peut-être disproportionnées, je vous l'accorde, soyons indulgents. Intellectuels ou pas, favorisés ou pas, certains sont "tétanisés" par la victoire ou la défaite de leur équipe favorite. Voilà, c'était mon "coup de gueule" du jour, une réaction épidermique... alors que je suis si souvent d'accord avec vous, au travers des articles de vos blogs (qui me font découvrir tant de choses que j'ignore). AG
Constance a dit…
Qu'il est merveilleux, cet hymne à Venise! Oui, le silence est roi à Venise, surtout comme "toile de fond" de tous ces sons que l'on entend, que l'on entend vraiment soudain. L'eau, et toutes ses notes différentes, du clapotis au bruit un peu sourd du bois qui bat l'eau quand une gondole passe et semble taper une surface de fond ( est-ce possible ? c'est l'impression que le son donne ), on apprend qu'il y a un son particulier de l'eau qui se fend, un son soyeux et prolongé... Et la musicalité absolue des "ciao-ciao", lorsque deux vénitiennes se croisent, l'une prononce comme en chantant, "Ciao Giustina, ciao" et l'autre répond en mesure "Ciao, Roberta!" et la première qui est presque passée déjà ajoute un "ciao, ciao", sur une tonalité decrescendo, avec parfois un léger écho de la deuxième, "ciao"... Ciao Lorenzo, merci du bonheur de m'avoir replongée dans cette partition sonore du silence, tandis que mes voisins ont mis la techno à fond et que tous mes meubles vibrent, qu'ils hurlent pour couvrir le bruit sur leurs quatre enfants qui hurlent, tous surexcités par cette nuit à clamer de tout leur saoûl. Qu'importe, puisque j'ai été transportée à Venise!
condorcet a dit…
Je trouve que la possibilité de dormir est un des droits les plus élémentaires qui soit. Etre dérangé à 1, 2 ou 3 h du matin par des fêtards est une véritable agression physique sachant que bien souvent, le sommeil sera difficile à retrouver.
Tietie007 a dit…
Chat sur damier ...
Lorenzo a dit…
AG et tietie007, soyez les bienvenus sur TraMeZziniMag, car sauf erreur, lecteurs silencieux venant souvent sur le site, ce sont vos premiers commentaires. Ce blog - comme tous ses semblables - ne vit et n'évolue que par ses lecteurs. Leurs avis, leurs critiques aident à avancer au service de notre passion commune : Venise. Je remercie au passage tous ceux qui depuis plus de deux ans non seulement me font l'honneur de me lire, mais apportent leur contribution par leurs idées, leurs connaissances et leur indulgence. TraMeZziniMag est à eux aussi.
AG a dit…
Bonjour Lorenzo, NON NON, je ne suis pas si silencieuse. Je me suis déjà manifestée (en italien) le 12 septembre dernier. Bonne journée. Agnès