18 juin 2025

Notes retrouvées (1) : La très singulière impression que San Giacomo del Rialto lui faisait depuis toujours

Au détour d'une page du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhöff, Antoine découvrit une carte postale. Un vieux cliché jauni montrant une vue de l'église de San Giacomo del Rialto. Au verso était griffonnée au crayon une vue de l'église que quelques traits  au pastel rendaient vivante. Elle portait la mention, « Pour mon ami plus vénitien que russe, de la part de son anarchiste préféré, Paul Signac, 28 avril 1908  »... Antoine n'en revenait pas, il avait entre les mains un dessin du peintre dont il avait découvert le travail en visitant le musée de l'Annonciade.  

Plus il avançait dans sa découverte du journal de Nicolas, plus il s'émerveillait de la vie d'un garçon à peine plus âgé que lui aujourd'hui et qui avait déjà connu l' les grands-parents d'Antoine ne vivaient de romanesque que les expéditions dans les réserves de la maison pour voler des confitures où les baisers furtifs volés aux cousines quand la gouvernante tournait le dos. Eux passaient de la grande maison en ville au collège, de la propriété des grands-parents à la villa d'Arcachon. Il posa la carte postale sur la table et poursuivit sa lecture :

28 avril 1908.
« [texte en allemand rayé illisible, quelques mots en russe.] Aujourd'hui, visite des Miracoli en compagnie de Paul S. et de sa charmante épouse, rencontrés récemment au Florian et avec qui j'ai sympathisé. Le peintre et sa muse aiment beaucoup la ville.Paul, avec son regard aiguisé et sa muse à ses côtés, semble avoir trouvé en Venise une source inépuisable d'inspiration.   Pris beaucoup de plaisir à leur montrer  les lieux que j'aime particulièrement et qu'on ne cite pas dans le Baedeker. Ces recoins empreints de souvenirs et de significations personnelles.J'avais six ans quand notre mère nous amena avec elle à Venise. J'en garde l'impression d'émerveillement et de joie qui s'était emparée de moi quand nous sommes descendus du bateau.
« Les idées libertaires de Paul, bien qu'en décalage avec l'univers dans lequel j'ai grandi, éveillent en moi une curiosité et une réflexion stimulante. Berthe, avec son sourire bienveillant, semble apprécier nos échanges passionnés, où l'artiste et le jeune aristocrate russe confrontent leurs visions du monde. Il est fascinant de constater comment des perspectives si différentes peuvent se rencontrer et s'enrichir mutuellement.
Agréables moments donc qui m'ont inspiré quelques mauvais vers. Ma chère maman aurait voulu que je les conserve.

Le feuillet où était copié le poème manquait. On voyait nettement qu'on l'avait arraché du carnet. Mais certainement dans un repentir, Nicolas l'avait conservé. Antoine le retrouva plié en quatre, glissé entre des pages. Il était couvert de dessins et de graffitis à la plume. Le sonnet était en allemand :

Im sanften Schatten eines alten Traums,
Schleicht ein Flüstern, geheim und fern,
Die Schleier aus Nebel umarmen sich leise,
Enthüllen Welten, wo Seelen sich malen.

Die Sterne flüstern vergessene Geschichten,
Im ätherischen Himmel, ihre Lichter umschlungen,
Dort, wo die Zeit ihren leichten Atem anhält,
Finden verlorene Herzen endlich Frieden.
(*)

Antoine poursuivit sa lecture, avide d'en savoir davantage.

[...] Cette promenade matinale m'a rappelé une autre époque, un autre matin, où je m'étais aventuré à la rencontre d'Edmund, cet ami anglais. Nous avions pratiquement le même âge. Je l'avais rencontré lors d'un thé chez les Giovanelli, chez qui nous résidions à l'époque. Une rencontre fortuite qui marqua un tournant dans ma vie. Il y a un peu plus de dix ans déjà. 

In flüchtiges Treffen, am Wendepunkt des Schicksals,
In den Äther gemeißelt, durch göttlichen Atem,
Wo Wege sich kreuzen, in geheimem Reigen,
Und Seelen erwachen zum seltsamen Reiz.

Unter dem Schleier des Zufalls verweben sich Schicksale,
Goldene Fäden spinnend in unendlicher Dunkelheit,
Und im Schweigen legt sich ein Versprechen nieder,
Das für immer das Gewebe der Dinge verändert. (*)

Bien sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes, n'hésitez pas à me le faire savoir !
Bien sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes, n'hésitez pas à me le faire savoir !
Je me rends compte qu'à travers les années, Venise a toujours été pour moi le théâtre de rencontres significatives, de ces croisements de destin qui, à leur manière, sculptent le cours de notre existence. Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de me demander quelles nouvelles aventures et quels nouveaux liens cette ville magique me réserve encore. [...]

Antoine était un peu perdu. Il tourna les pages du journal en espérant avoir le détail de ce à quoi Nicolas faisait référence. Soudain, il trouva. L'entrée portait la date du 14 octobre 1897 :

« Rialto ce matin. J'avais craint que le brouillard ne s'attarde, mais il était à peine neuf heures lorsque je posai le pied sur le ponton. Le marché battait son plein, bien que les couleurs familières me parussent délavées, telles une aquarelle estompée. J'espérais croiser le jeune Anglais avec lequel j'avais échangé quelques mots l'autre soir chez les Giovanelli. Il m'avait confié qu'il se rendait chaque matin dans ce quartier animé, dans l'espoir de revoir une jeune femme dont l'allure l'avait, selon ses propres termes, ensorcelé. Il prétendait connaître son adresse, et la contrada San Zuane ne lui était plus étrangère. Ce vieux quartier, partiellement insalubre dès que l'on s'éloigne des placettes bordant le canalazzo, abrite la chiesa San Giacometo, si vieille qu'on la croirait prête à s'effondrer, à l'instar du pauvre campanile de San Marco. La grisaille de ce matin accentuait cette impression de décrépitude [mots illisibles en russe].
Un mendiant s'empara de la manche de mon manteau. Son apparence était repoussante, avec une large bouche dévoilant deux dents jaunes. Il marmonna des paroles que je ne compris point. Un prêtre finit par le chasser. Derrière ce triste personnage, deux jeunes femmes avançaient, chacune la tête et les épaules recouvertes d'un châle de cachemire. Leurs motifs si semblables me donnèrent d'abord l'impression qu'elles partageaient une même écharpe. le vieil accordéoniste qu'on croise souvent sur les Schiavoni, jouait au pied des marches du pont, tandis que la messe semblait s'achever. Peu de fidèles en sortaient. Parmi eux, je ne remarquai que ces deux jeunes femmes.
Je ne sais pourquoi, mais dès l'instant où je posai les yeux sur elles, je compris pourquoi Edmund cherchait à revoir cette jeune fille dont il avait parlé dans le salon du prince. Il s'agissait certainement de la plus jeune. Elle se tenait droite, le visage protégé des miasmes de la rue par son châle. Il émanait d'elle une sorte de lumière. Le prince Alberto s'était gentiment moqué de notre pauvre anglais; J'avais ri avec lui sans entendre vraiment le motif de la plaisanterie. Giovanelli a notre âge. Il est drôle, impétueux et débonnaire. C'est un bergamasque. Un peu l'équivalent des cosaques chez moi.
Toutes ces pensées qui m'étaient venues en cheminant du palais jusqu'au Rialto s'évanouirent quand je vis sortir les deux jeunes femmes. Je sus aussitôt qu'elles me plaisaient. Je m'empêchais de les dévisager davantage. Juste derrière, Edmund suivait à quelques pas des jeunes femmes. Il ajustait son chapeau. Impossible de ne pas le reconnaître pour un Anglais, non seulement à cause de ses cheveux roux et bouclés, mais aussi par son manteau dont le ton tranchait avec ceux des gens qui sortaient comme lui de l'église. Ah, ses vêtements ! Je lui fis un signe, et lorsqu'il me vit, il agita son chapeau avec un large sourire. Des manières fort anglaises, ma foi.
Antoine connaissait bien les lieux évoqués par Nicolas. Mais ils avaient depuis longtemps été restaurés et plus aucune trace ne subsiste de l'impression misérable du bâtiment. L'église semble presque pimpante, les maisons attenantes recouvertes d'un joli torchis, les volets repeints. L'horloge qu'on voit sur la photographie trouvée dans le journal de Nicolas a été remplacée par celle du XVIIIe siècle qui avait été déposée par l'occupant autrichien. Elle occupe presque tout le fronton de l'église. Il n'y a plus de mendiants assis sur le rebord du parvis. Même par un jour de brouillard, les lieux n'évoquent en rien la tristesse et la pauvreté qui choqua tant Nicolas. Avait-il été mal à l'aise aussi en Russie, devant la misère de certaines rues de Petersbourg ou de Moscou ?
 
Antoine l'avait appris dès les premières pages du journal vénitien de Nicolas. Les Weyss de Weyssenhoff occupaient depuis plusieurs mois une aile du palais Donà Giovanelli que leur louait la princesse, une grande amie de la comtesse. Mais ceci fera l'objet d'un autre récit.
 

 
Plusieurs années séparent ces deux clichés. Le bureau que j'avais aménagé dans une petite colocation où j'ai habité quelques semaines le temps d'un été, est celui sur lequel j'ai déchiffré et retranscrit les pages du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhoff et pris mes premières notes sur ce texte qui n'en finit pas de grossir sans pour autant me sembler satisfaisant. J'aimais bien cette chambre aménagée dans le grenier d'un des palazzi de la Fondamenta dei Preti, à Sta Maria Formosa. Il faisait terriblement chaud cet été-là et nous faisions des courants d'air pour que l'air soit moins suffocant. Ma fenêtre donnait sur les toits et encadrait le haut du campanile. Je m'installais souvent sur le poggiolo assez large pour y disposer des coussins. La vue, la brise pleine de senteurs marines, de la musique, du thé et des biscuits, tout était réuni pour les moments heureux et solitaires qui m'aident à me concentrer avant que d'écrire.
 
La seconde photographie - on parle de "selfie" n'est-ce pas a été prise dans la chambre de l'appartement où j'ai eu la joie d'habiter après le départ contraint du campo sant'Angelo par la mort de la propriétaire du palazzo à l'entrée de la Calle degli Avvocati. C'est à ce petit bureau de dame que j'ai poursuivi mon travail d'écriture autour de la vie et de la fin disparition de Nicolas W. de W., personnage ô combien mystérieux dont je découvrais peu à peu sous ma plume la consistance et les émotions. C'est là que furent rédigées les notes autour de cette carte postale montrant l'église San Giacomo au Rialto.
 
à suivre. 

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