10 mai 2011

François Mitterrand le vénitien, par Jean d'Ormesson

Le jour de la passation des pouvoirs entre le président Mitterrand et Jacques Chirac, et en dépit d'un emploi du temps chargé, Jean d'Ormesson fut invité, tôt le matin, par le président sortant. Pendant deux heures les deux hommes bavardèrent. Quelques mois plus tard, après la mort du président, l'académicien, qui partageait avec lui le même amour pour la littérature et pour Venise, a écrit pour l'Express un article où il décrit l'amoureux de Venise. Tramezzinimag avait cité naguère l'entretien d'Ida Barbarigo avec Mazarine Pingeot expliquant cette relation intime du chef de l’État avec la Sérénissime (lien en cliquant ICI).

«L'épithète homérique et italienne accolée le plus souvent - depuis François Mauriac - au nom de François Mitterrand est celle de «florentin». Il y a, dans l'opération, une connotation péjorative, et presque une intention de nuire: on voit des dagues, du poison, des conspirations en pagaille et de la trahison dans l'air. Rappelons, pour tenter de garder un peu d'objectivité et serrer en même temps la réalité de plus près, qu'il y a une autre ville d'art en Italie à laquelle Mitterrand n'a jamais cessé de témoigner son admiration et son attachement. Ce n'est pas Florence; c'est Venise. 
 
François Mitterrand se rendait régulièrement à Venise. On le voit, sur des photos, accompagné de quelques amis, à bord d'un «motoscafo» ou en train de se promener sur la Riva degli Schiavoni ou sur les Zattere. Des rumeurs ont longtemps assuré que le président avait acheté une maison à Venise. On allait jusqu'à la montrer aux passants, ébaubis. Je ne sais pas du tout, pour ma part, ce qu'il y a de vrai dans ces bruits. On raconte que, lassée sans doute par les rumeurs, la propriétaire actuelle de cette maison aurait fait imprimer une carte de vœux de Noël. Avec trois volets: sur le premier, Mitterrand contemple la maison; sur le deuxième, Mitterrand et la propriétaire sont ensemble devant la maison; sur le troisième, Mitterrand s'éloigne et la propriétaire rentre seule chez elle. 

Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il a longtemps habité, entre le campiello San Vio et le pont de l'Accademia, un palais du XVIIe siècle qui donne à la fois sur un jardin et sur le Grand Canal: le palais Balbi-Valier. Et que plusieurs trattorias ont eu l'honneur de recevoir à déjeuner ou à dîner le premier des Français. J'ai souvent pris des repas dans une trattoria de la Giudecca qui s'appelle Altanella et dont la terrasse s'ouvre sur un de ces canaux qui débouchent à deux pas de la belle église du Redentore, édifiée par Palladio, en 1577-1580, juste après San Giorgio Maggiore, juste avant le théâtre olympique de Vicence: François Mitterrand était un habitué de cet endroit très simple, très calme et très délicieux. 

Pour Noël 1994, dans la plus grande discrétion, entouré d'êtres qu'il aimait - et aussi de trois gardes du corps qui l'aidaient parfois à franchir quelques marches ou à enjamber un obstacle - le président est revenu une fois encore à Venise. La presse a évoqué une retraite tenue secrète. C'était à la Sérénissime qu'il avait tenu à rendre une dernière visite. Hanté par la mort, tenté par un mysticisme qui perçait jusqu'à travers ses discours officiels, il a retrouvé la ville du plaisir et du déclin. 

Il s'était installé, une fois de plus, dans ce palais qui jouxte San Vio, entre le pont de l'Accademia et la pointe de la Salute et de la Douane de mer. De temps à autre, il poussait jusqu'aux Zattere et prenait un repas au restaurant Riviera, en face de la Giudecca, un des meilleurs de Venise. Mais, moins disposé à de longues marches, il s'installait surtout plus près, à deux pas de San Vio, à côté de la boutique d'un encadreur, le long d'un canal qui mène jusqu'aux Zattere, dans une trattoria populaire et très simple, le Cantinone storico. 

On voit bien ce qui pouvait attirer François Mitterrand à Venise. Il aimait la beauté, la littérature, les femmes. Plus que Rome, reine majestueuse et altière, plus encore que Florence, princesse écrasée sous les ors et la prospérité, Venise est une ville-femme. On pourrait dire: une ville-femme-femme. Le Grand Canal est son écharpe. Les ponts sans nombre sont ses bracelets. Et les églises, les palais, les puits sur les petites places, les maisons ocre ou rouges sont les bijoux dont elle se pare. 

Aucune ville au monde n'est plus littéraire que Venise. Pour un admirateur du romantisme, de Chateaubriand, qui mêle Venise à ses amours passionnées pour Nathalie de Noailles et pour Juliette Récamier, dont il écrit le nom sur le sable du Lido, de Musset, 

Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot...
Mais qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?...
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés
- ou pardonnés!
Comptons, comptons tes charmes,
Comptons les douces larmes
Qu'à nos yeux a coûtées
La volupté ! 
 
et de Barrès: « Avec ses palais d'Orient, ses vastes décors lumineux, ses ruelles, ses places, ses traghets qui surprennent, avec ses poteaux d'amarre, ses dômes, ses mâts tendus vers les cieux, avec ses navires aux quais, Venise chante à l'Adriatique, qui la baigne d'un flot débile, son éternel opéra », Venise est incomparable. 

Grand amateur d'histoire, connaisseur averti de la littérature, François Mitterrand, quand il passait de la statue de Goldoni, au pied du Rialto, à la statue du Colleoni, devant San Giovanni e San Paolo, ou de la Madonna dell'Orto et de la maison du Tintoret à l'Arsenal, gardé par ses quatre lions de pierre, pouvait s'imaginer qu'il n'était plus entouré de Jack Lang, de Michel Charasse ni de Patrice Pelat, mais de Casanova, de Byron, de Thomas Mann et de Visconti. J'imagine assez bien Mitterrand en train de rêver devant la plaque de marbre apposée sur le beau palais Dario (dont on raconte qu'il porte malheur, mais Woody Allen envisage de l'habiter) pour célébrer la mémoire d'Henri de Régnier, qui y vécut et y écrivit à la vénitienne: « In questa casa antica dei Dario visse et scrisse venezianamente Henri de Régnier, poeta di Francia. » 

J'imagine surtout - je n'imagine pas, je le sais - que le président se promenait longuement et de jour et de nuit le long des canaux de Venise. Venise est une ville qui entraîne. Mitterrand se laisse entraîner. Florence est une ville immobile. On s'arrête longuement devant les portes du baptistère ciselées dans le bronze par Ghiberti ou devant Or San Michele ou devant la « Bataille de San Romano », où Uccello a peint quelques-unes des plus belles croupes de cheval de l'histoire de la peinture. 

A Venise, chacun court le long du Grand Canal. On se précipite du Ghetto Vecchio à l'isola di San Pietro et des Gesuiti aux Gesuati. Ce n'est pas François Mitterrand qui aurait confondu, comme tant d'autres, les Gesuati, sur les Zattere, avec les incroyables draperies en marbre vert et blanc de l'église baroque des Gesuiti. 

Il ne rêvait pas seulement à toutes ces splendeurs de l'art entassées à Venise. Venise est une leçon de beauté. C'est aussi une leçon de politique. De la grandeur, des triomphes, des échecs, et de la cruauté. Quels talents, quelle énergie, quelle patience avaient dû déployer ces gens venus se réfugier dans des marais hostiles - et sur des bords un peu plus élevés, dits Riva alta, d'où Rialto - avant de régner sans partage, plutôt par l'intelligence que par la force brutale, sur une bonne partie de la Méditerranée! Tous les matins, surtout vers la fin, n'étaient pas triomphants: Bragadin, le défenseur héroïque et malheureux de Famagouste, avait été écorché vif par les Turcs, qui avaient promené par la ville sa peau bourrée de paille. Et Othello, et Casanova, et Marco Polo, et l'autre président, le bon vieux président de Brosses, qui détestait Saint-Marc! Seul le pavement de mosaïque trouvait grâce à ses yeux: il était si bien jointé qu'on pouvait y jouer à la toupie. Venise est une machine à susciter des rêves de beauté, de pouvoir et de mort. 

Je suis prêt à parier que ce qui amusait Mitterrand et l'attristait en même temps - mais à quoi bon lutter contre une histoire qu'il vaut mieux accompagner qu'essayer en vain de contrer? - ce qui l'intéressait, en tout cas, c'est qu'il savait l'année, le mois, le jour où le déclin de Venise était devenu inéluctable: le 12 octobre 1492, Christophe Colomb découvrait l'Amérique. Lentement, mais fermement, l'océan Atlantique poussait la Méditerranée hors de la scène de l'Histoire. Le monde basculait. Ce n'était pas la première fois. Ce ne serait pas la dernière. Le tour viendrait du Pacifique. L'Histoire ne reste jamais immobile. 

J'aurais aimé me promener à Venise avec François Mitterrand. Nous aurions parlé de cette république aristocratique, de cette démocratie élitiste, si pleine de contradictions, qui a inventé l'impôt sur le revenu, qui a élevé le masque à la hauteur d'une institution, où les lions ont des ailes et où les pigeons marchent à pied. Nous aurions évoqué tant de beauté, tant de crimes, tant de pouvoir, tant de génie. Nous aurions parlé de la politique, de l'argent, de «La Tempête», de Giorgione, et du petit chien blanc aux pieds de saint Augustin dans le tableau de Carpaccio à San Giorgio degli Schiavoni. Je lui aurais posé des questions. Sur Venise. Sur la vie, qui lui avait tant donné. Sur les arbres, qu'il aimait tant et qui font défaut à Venise. Sur la mort, qui ne fait défaut à personne. Et sur Dieu, dont les peintres de Venise se sont tant occupés. Mais, quoi ! je ne me suis jamais promené avec Mitterrand à Paris, où nous habitions tous les deux. Pourquoi diable lui serait-il venu à l'esprit de se promener avec moi à Venise ?»

Jean d'Ormesson
© L'Express - 1996

09 mai 2011

COUPS DE COEUR (HORS SERIE 5) : Andrew May, le regard sensible d'un photographe britannique



Mon dernier billet était illustré d'une photo du rio terà secondo, où se trouve la demeure du célèbre éditeur vénitien, Alde Manuce, sans mention de date ni d'auteur. La qualité du cliché méritait d'y revenir et le respect des droits d'auteur s'imposant, il était normal que je signale le travail de cet excellent photographe britannique, Andrew May qui m'autorise à publier un de ses clichés.

"Sunset over the Lido, Looking across
towards the Lido from St Mark's"

by Andrew May © - 2008

COUPS DE COEUR (HORS SERIE 4) Connaissez-vous les Editions Serge Safran ?

Petit chronique littéraire improvisée pour un dimanche ensoleillé...


Moi qui peine depuis plus d'un an sur la parution d'un modeste opus réclamé à corps et à cris par les lecteurs de Tramezzinimag, je suis ébahi par l'arrivée d'un nouvel éditeur. Bordelais monté à Paris, l'homme n'est pas le premier venu. Après le Castor Astral, il devient le directeur littéraire des Éditions Zulma, dont il est un des fondateurs. Il vient de publier un texte superbe, "Le voyage du poète à Paris", en lice pour le Prix Renaudot 2011
 
Mais il trouve aussi le moyen de lancer une nouvelle maison d'édition à son nom, et devinez quel est le sujet du premier titre de la maison ? Venise évidemment avec un recueil de nouvelles de Dominique Paravel qui se lit d'un trait, comme un envoûtement. L'auteur a plongé sa plume dans l'eau saumâtre des canaux et nous conte au fil des pages une Venise pleine de violence et d'angoisse. Mais jamais rien de mortifère si ce n'est l'indubitable vérité, celle qui nous ramène à notre état fragile et éphémère. Les femmes et les hommes de ce livre se frottent à une réalité qui les écrase et les fait vivre à la fois. Venise est l'héroïne de ces pages, le fil conducteur qui permet de lire chacun des textes comme on lit un roman chapitre après chapitre. Et on se régale de cette langue âpre, directe et sans masque. Bienvenue aux Editions Serge Safran.
 
Curieux hasard, mais le hasard existe-t-il vraiment, qui fait jaillir, pratiquement en même temps que le roman de Safran et les nouvelles de la Dame Paravel, le flamboyant  « Ce qu'aimer veut dire» de Mathieu Lindon - certainement le plus beau texte de l'année, terriblement fort et émouvant -, et la sortie du purgatoire des textes d'Hervé Guibert que la jeune génération va découvrir enfin.
 
Vous pouvez imaginer le délice que va être ce dimanche... Le soleil qui brille, un vent léger et parfumé qui porte dans la maison, l'odeur des tilleuls, les oiseaux dans les arbres. Une tasse de thé après un verre de l'excellent Moscato d'Asti des amis Batasiolo, et des livres, plein de livres : Paravel, Safran Lindon, Guibert, mais aussi Paul Auster, le texte sur Cassavetes de Maurice Darmon et deux livres retrouvés dans mes cartons : «Avec Mon meilleur souvenir», et sa suite «Et Toute ma sympathie», peut-être le meilleur de Françoise Sagan depuis «Bonjour Tristesse». Bon dimanche à vous aussi.
Nouvelles vénitiennes
Dominique Paravel
Éditions Serge Safran, 2011 
 
Le voyage du poète à Paris
Serge Safran
Éditions Léo Scheer, 2011
 
 
Ce qu'aimer veut dire
Mathieu Lindon
Éditions P.O.L., 2011
 
 
Fou de Vincent
Hervé Guibert
Éditions de Minuit , 1989
 
A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie
Hervé Guibert
Éditions de Minuit , 1990
 
 
Le Carnet rouge
Paul Auster
Éditions Actes Sud, 1993
 
Pour John cassavetes
Maurice Darmon
Éditions Le Temps qu'il fait, 2011 
 
Avec mon meilleur souvenir
Françoise Sagan
Éditions Gallimard, 1984 
 
Et toute ma sympathie
Françoise Sagan
Éditions Gallimard, 1993


1 commentaire(s):

Anonyme a dit…
Belles lectures et éclectisme de goûts Lorenzo !
Serge

02 mai 2011

Un matin comme les autres à Venise

Souvent, le matin lorsque je me réveille, une sensation de plénitude m'envahit qui contraste avec l'angoisse du soir, celle qui prend parfois avant que de sombrer dans le sommeil. Le jour est à peine levé et les bruits du matin sont encore étouffés par la torpeur de l'aube. L'esprit demeure dans le vague, comme flottant encore. Puis soudain il suffit d'un chant d'oiseau, du moteur d'une barque qui passe sur le canal voisin pour que tout s'ébranle. Les cloches se mettent à sonner, la lumière se fait plus vive et la rumeur de la ville remplace en un instant le silence. Venise au petit matin est un bonheur qu'il faut avoir expérimenté au moins une fois dans sa vie. L'absence de circulation automobile modifie tout. Aucune sonorité n'a la même ampleur qu'ailleurs. Tout y est plus précis, ciselé comme les dentelles de pierre de la Ca'd'Oro. Mes gestes sont alors toujours les mêmes. Je me lève et me dirige vers la fenêtre de la chambre. Les volets poussés claquent contre le mur couvert de lierre. Une lumière joyeuse se répand aussitôt dans la pièce, éclairant d'une lumière de théâtre les draps défaits, le tapis sur le terrazzo ancien. Mais la sensation reste identique les jours d'hiver, quand le ciel est gris et le soleil d'un blanc glacé. Je pense chaque fois à ces pages de Brodsky où ce qu'il décrit ne laisse aucun doute sur son amour presque physique pour Venise :  
 
"L'hiver dans cette ville, le dimanche surtout, vous vous réveillez au carillon des cloches nombrables comme si, derrière les rideaux de gaze, un gigantesque service en porcelaine vibrait sur un plateau d'argent dans le ciel gris perle. Vous ouvrez grand la fenêtre et la chambre s'emplit en un instant de cette brume extérieure chargée de sons de cloches, faite d'oxygène moite, de café et de prières. Peu importe aussi le degré de pilules qu'il va vous falloir avaler ce matin et combien : vous sentez que tout n'est pas fini pour vous. Peu importe aussi le degré de votre autonomie, à quel point vous avez été trahi; la profondeur de votre lucidité à l'égard de vous-même et le découragement qu'elle entraîne : vous admettez qu'il y a encore de l'espoir... Cet optimisme naît de la brume, de la prière dont elle est faite, surtout à l'heure du petit-déjeuner. Les jours comme ceux-là, la ville prend vraiment des allures de porcelaine, avec toutes ses coupoles recouvertes de zinc, comme des théières ou des tasses retournées et le profil penché des campaniles qui luisent comme des cuillères abandonnées."
 
IL est temps de se préparer pour ce nouveau jour. Plaisir de l'eau qui coule sur la peau. La buée sur les miroirs. Le drap de bain écarlate et doux. La radio qu'on écoute à peine et en bas dans la cuisine, les bruits familiers, l'odeur du café, la bouilloire qui frémit. Le chat étendu sur la marche de bois qui mène au jardin, ronronne en somnolant. Il a déjà eu sa tasse de lait. Le chien frétille, il veut sortir. Manteau ou imperméable ? La porte ouverte, le chien qui se précipite. La voisine un peu folle qui balaie en chantonnant, le libraire qui refait une de ses vitrines. Le chien court vers le campo. Il a ses habitudes. Moi aussi : le journal acheté au kiosque voisin, la ruelle qui permet de déboucher à San Barnaba sans suivre la foule, le ponte dei Pugni, un regard et quelques paroles échangées avec les marchands de fruits sur leur barque, l'arrêt à Sta Margherita, puis le retour par le collège arménien, la calle del Vento, les Zattere. Avec, tenace et venu d'on ne sait où, cet état de bonheur indicible qui me porte et met sur mon visage un sourire benêt. J'ai longtemps pensé qu'un jour, devenu très vieux - dieu voulant - j'irai m'asseoir au soleil sur un banc devant le palais Clari, et regardant les navires passer sur le large canal de la Giudecca, je m'interrogerai sur les raisons de ce bonheur-là, rendant grâce pour tant de beauté, de joies et de cadeaux.

Crédits photographiques © Andrew May - kuhlephotography

01 mai 2011

Les Brèves

La grogne continue au RialtoAprès la polémique autour du transfert du marché de poissons, un autre problème vient de surgir sur la lagune. Le peoplemover inauguré en grande pompe il y a quelques mois ne faisant pas recette, l'administration envisage de démolir le marché de gros des fruits et légumes du Tronchetto, pourtant rénové il y a peu. Bien sur cela n'est pas du goût des grossistes ni des revendeurs qui voient d'un très mauvais œil leur transfert sur la Terraferma. Tout ça pour permettre le stationnement de davantage d'autocars de tourisme. Les grossistes craignent à terme la disparition pure et simple de leur activité et les écologistes se plaignent de la difficulté à trouver les produits locaux au profit de marchandises importées d'Afrique ou d'Amérique du sud. Avec cela, les prix augmentent et le panier de la ménagère en pâtit chaque jour. Lettre à Ca'Farsetti (la mairie), pétitions, manifestation au marché du Rialto, tous les moyens sont bons pour ameuter l'opinion et faire reculer l'administration qui a décidément choisi de favoriser le tourisme pendulaire au détriment de la vie quotidienne des vénitiens. Affaire à suivre dans les prochaines semaines.
Grigory Sokolov à la Fenice lundi soir

C'est cette année encore le monumental et talentueux pianiste de Saint Petersbourg, Grigory Sokolov qui clôturera lundi 2 mai prochain, la saison de musique de chambre de la Società Veneziana di Concerti. La virtuosité, la technique et la profondeur du russe seront une fois encore laissées à l'appréciation du public vénitien qui l'avait ovationné lors d'un précédent concert. A 61 ans (il a fêté son anniversaire le 18 avril dernier), le pianiste présentera en première partie du concert, deux oeuvres de Johann-Sebastian Bach, le Concerto italien BWV 971 en trois mouvements et l’Ouverture française BWV 831 en sept mouvements. La seconde partie sera consacrée à Robert Schumann. Le récital à la Fenice se terminera cette fois encore à n'en pas douter, par une standing ovation que le public vénitien réputé difficile ne réserve qu'aux grands interprètes. Une série de bis est à prévoir avec le public debout, incapable de rester assis pour écouter ad libitum l'inspiration d'une grand maître.
Grigory Sokolov
2 mai 2011, Théâtre la Fenice
Informations : www.societavenezianaconcerti.it
Happyspritz@Guggenheim édition 2011Troisième édition de cette manifestation très glamour qui se déroule dans le cadre prestigieux de l'ancienne demeure de Peggy Guggenheim qui revit l'espace de plusieurs soirées comme au temps de la fantasque milliardaire américaine. Art contemporain, musique et convivialité sont les maîtres-mots de cette manifestation très courue à laquelle il faut absolument participer pour prendre la mesure de la vie intellectuelle et sociale à Venise. Avec plus de 5000 personnes les années précédentes dans les jardins de la Fondation, au milieu ds œuvres de Picasso, Magritte, Kandinsky, de Chirico et Pollock, dans une ambiance sonore élaborée par les meilleurs dj-sets du monde, avec la magie des crépuscules de mai, ces ciel souvent splendides qu'on retrouve aussi à New York et qui plaisaient tant à la magicienne des lieux qui aurait terriblement apprécié cet évènement. L'idée est simple : le musée ouvre ses portes en fin de journée à l'heure de l'apéritif, des Dj (en l'occurrence cette année Ricky Russo/In Orbita). animent les lieux, le public se répand dans les jardins, les terrasses et les salles et on boit du spritz en bonne compagnie. certains viennent même en famille terminer là leur passeggiatta. Cela les 2, 9, 16 et 23 mai, de 19 heures à 21 heures 30. L'exposition actuelle est consacrée aux artistes rebelles de l'Avant-garde vorticiste , mouvement anglais des années 1915 soutenu par Ezra Pound. Les collections permanentes sont aussi ouvertes au public venu participer à l'apéritif géant. L'entrée coûte 7 euros. Entrée gratuite pour les détenteurs du Young Pass, la carte de membership que le musée Guggenheim réserve aux moins de 26 ans). Le billet donne droit à un spritz préparé par Aperol, partenaire de l'opération depuis sa création. Cet apéritif est l'occasion de rencontres originales et de confrontations artistiques qui donnent à la visite au musée une dimension très conviviale dont on a peu l'habitude.
Happyspritz@Guggenheim
2, 9, 16, 23 mai 2011, Collezione Peggy Guggenheim
Info www.guggenheim-venice.it

PRIMAVERA A PALAZZO FORTUNY
Camerino, Penso, Ventura
Suivant une formule qui a fait ses preuves, le Palais Fortuny s'ouvre cette année encore le temps d'une saison à trois magnifiques expositions Deux artistes contemporains, Paolo Ventura avec L’Automa et Michelangelo Penso avec Circuito Genetico, se confrontent au monde de Mariano Fortuny, nouveau parcours, expériences originales et véritables laboratoires d'esthétique. A voir aussi la Rivoluzione del colore, l'hommage aux extravagantes et géniales inventions de la styliste vénitienne aujourd'hui disparue, la célèbre Roberta di Camerino.
jusqu'au 8 mai 2011
Palazzo Fortuny

Campo San Beneto, San Marco
www.museiciviciveneziani.it

26 avril 2011

Rencontre avec d'autres (talentueux) Fous de Venise


Savoir voyager c'est appliquer à la lettre la formule de Jean-Paul II qui sera béatifié à Rome, le 1er mai prochain, "N'ayez pas peur" (c'est d'ailleurs, pour ceux qui s'en souviennent, sur ces paroles que la journaliste de la radio suisse romande qui m'interviewait un jour avait commencé son reportage). Le touriste façon Montaigne ou Stendhal n'a rien à voir avec le gogo qu'on trimballe en masse compacte d'autocar à air conditionné en bateaux-mouches pressurisés avec commentaires pré-digérés, ânonnés machinalement par une hôtesse à la voix sirupeuse et au cerveau de poule (et ce dans toutes les langues du monde). Non le vrai voyageur c'est avant tout un être raffiné et heureux, ouvert à toutes les aventures esthétiques, dénué de tout a priori, réservé mais pas méfiant, parfois sarcastique mais jamais catégorique. 
Bref, le touriste (appelons-le "voyageur") n'est pas une espèce en voie de disparition, mais il se fait rare, perdu dans la masse des hordes de gogos trimballés d'un monument à un autre sans avoir le temps de prendre la mesure de ce qu'il leur est donné à voir, sans respirer l'atmosphère des lieux qu'ils découvrent au pas de charge. Je viens d'en rencontrer d'eux que Tramezzinimag a le plaisir d'inscrire d'office sur sa liste des Fous de Venise, bons vénitiens d'instinct qui savent voir, aiment regarder et prennent leur temps pour comprendre et ressentir. Il s'agit de Kate et de René, animateurs d'un blog efficace et poétique, moderne ce qu'il faut, au titre significatif : "J'y suis, j'y reste " qu'ils décrivent simplement par ces mots : "de tout est de rien". Ceux qui me connaissent comprendront pourquoi cela me plait... Les auteurs de ce blog ont laissé un sympathique commentaire sur un de mes derniers billets. Par curiosité, je suis allé à la découverte du leur : Un enchantement. 

En cliquant ICI, vous pourrez vous en rendre compte par vous-même.

25 avril 2011

Venise, précurseur du monde moderne

Le Moyen Âge. Partout en Europe, la féodalité régit les rapports sociaux : les seigneurs imposent leur loi et décident des taxes et impôts, pillages et rançons. Difficile dans ces conditions d'organiser le commerce international et d'assurer la protection des marchands vénitiens. La République chercha naturellement la protection du pape, de l'empereur ou des rois, reconnaissant ainsi la suprématie de leur pouvoir sur les chefs féodaux. Comme le souligne Jean-Claude Hocquet "Là encore Venise montrait la voie" (dans son ouvrage Le sel et la fortune de Venise).
"Les hommes de ce duché auront licence de voyager par terre ou par les fleuves dans tout notre royaume, les nôtres auront semblable licence et par mer jusqu'à vous mais pas plus loin." Cette phrase du traité régissant les privilèges de la République de Venise, qui fut rajoutée en 1095 par le roi d'Italie et empereur du Saint empire germanique, Henri IV, après un long travail de lobbying digne des officines contemporaines, est d'une importance capitale pour la destinée de la Sérénissime. Non seulement, elle limite de fait la concurrence éventuelle des autres états, mais sans interdire une éventuelle réciprocité qui ne fut jamais effective, elle réservait aux seuls marchands vénitiens le droit de pratiquer le commerce maritime. 

Tous les sujets de l'empereur, marchands allemands et italiens une fois arrivés à la mer devaient céder leurs marchandises aux vénitiens qui avaient seuls le droit de les transporter sur leurs navires. Le port de Venise avait le monopole du commerce maritime.. Aucun des marchands de l'Empire ne pouvait atteindre la mer par un autre port. Ni Trieste, Ancône ou Ravenne n'avaient ce privilège. Ce traité fondait juridiquement la puissance monopolistique du commerce vénitien, exorbitant précédent en Droit international où l'usage veut que tout accord soit basé sur la réciprocité et l'équilibre des avantages. L'Adriatique devait ainsi devenir pour plusieurs siècles, le Golfe de Venise. Même exclusivité pour l'importation des marchandises venues des pays d'outremer. Le monopole ainsi accordé par l'empereur instituait un double privilège d'étape et d'entrepôt. Les marchands vénitiens vendaient à des marchands étrangers une marchandise qu'on ne pouvait légalement se procurer nulle part ailleurs.Pour mieux surveiller la bonne marche des transactions et s'assurer du prélèvement régulier des taxes, l'administration vénitienne décida en 1225 de l'édification au pied du Rialto, dans ce qui devenait le quartier des affaires, sorte de Manhattan médiéval, une auberge-entrepôt, où les marchands allemands devaient absolument loger et entreposer leurs marchandises. C'est le fameux Fondaco dei Tedeschi. Le bâtiment était conçu sur le modèle des caravansérails ou fondouks des turcs où étaient accueillis les vénitiens en Orient. Comme en Orient, le bâtiment est construit autour d'une grande cour rectangulaire, avec une galerie qui borde la cour sur ses côtés. Des salles sur cinq niveaux servaient d'entrepôts, d'hôtellerie pour les marchands itinérants, d'ateliers en tous genres et de bureaux (banque, administration, secrétariat, poste, service des taxes., police, etc...) Les animaux porteurs pouvaient être accueillis dans la cour. Tous las patrons de barques avaient obligation d'amener directement les marchands allemands leurs équipages et leurs marchandises directement au Fondaco où ils étaient accueillis par des fonctionnaires qui enregistraient tous les mouvements de marchandises dans de grands registres et prélevaient les taxes. Les plus grands artistes (notamment Titien et Giorgione) furent appelés pour le décorer.

A cette date, comme le rappelle Jean-Claude Hocquet, Venise avait conquis Byzance et démembré l'Empire d'Orient avec les croisés en 1204, avait su transformer sa part des territoires conquis en un vaste empire colonial qui était dirigé depuis la lagune. Venise devenait ainsi une Thalassocratie, puissante Cité-État régnant sur la mer et un chapelet d'îles et de caps et de territoires allant jusqu'à la Crète et aux îles de l'Égée. La richesse née de cet empire permit le développement d'une industrie, toujours liée au commerce international : chantiers navals, surtout (squeri) qu'on trouvait par centaines dans tous les quartiers de la ville, transformation et fabrication de produits destinés à l'exportation. Venise, cité industrielle donc mais selon l'économie urbaine du Moyen Age : de petites maisons ouvrières situées à l'écart du centre urbain apparurent, comprenant les ateliers et les habitations du maître, des compagnons et des jeunes apprentis en formation. Tailleurs de pierre, maçons et sculpteurs, forgerons, menuisiers et charpentiers, fabricants de couleurs se mêlaient aux bouchers, meuniers, boulangers. Puis, conscients de la nécessité de proposer des biens à haute valeur ajoutée pour assurer l'équilibre de la balance des paiements avec l'Orient, le gouvernement favorisa le développement l'artisanat de luxe : tisserands et brodeurs, maroquiniers et tailleurs, joailliers et orfèvres, verriers... Venise devint ainsi fameuse pour ses cuirs et ses fourrures, ses brocarts et ses draps, ses velours et ses soies brochées d'or et d'argent, ses verres et ses cristaux, ses bijoux, ses armes. Le coton qui arrivait par cargaisons entières de Syrie et de Chypre, était transformé en futaines sur la lagune, ou réexporté au-delà des Alpes, avec la soie et les épices, l'huile , le sel et le sucre.

Toutes ces activités de transformation permettaient d'occuper une nombreuse main d'œuvre. Venise connut pendant de nombreuses années le plein-emploi et on venait de toutes les régions limitrophes y travailler. Les chantiers occupaient des scieurs de long, des charpentiers et des calfats. Si on est encore loin des prouesses techniques du XIVe siècle où, à l'Arsenal d'État, se construisait une galère par jour qui sortait des chantiers toute armée et avec son équipage à bord, les squeri vénitiens possèdent une grande maîtrise. De leurs chantiers sortaient des petites gabarres destinées au trafic fluvial mais aussi de lourdes nefs de 500 tonneaux vouées à la haute mer, des gondoles et des barques à rame ou à voile de toutes sortes. Bien que chevaux, charrois et voitures aient circulé longtemps dans
la ville, le bateau est très vite devenu le mode de déplacement des gens et des marchandises. A ces navires de toutes sortes, la concurrence et les dangers nécessita la construction de vaisseaux capables de conduire des opérations navales de protection ou d'attaque. Les galères à rames étaient indispensables sur la Méditerranée. Jusqu'au XIIIe siècle, la plupart de ces galères appartenaient à des particuliers. Conçues à deux rangées de rames (birèmes), elles seront remplacées par des trirèmes. L'État en profitera pour en interdire l'usage et la possession aux particuliers, redoutant l'utilisation de ces galères capables de prendre à leur bord de nombreux arbalétriers et canonniers, contre lui. Elles devinrent bien public et l'exclusivité de leur construction fut confiée à l'Arsenal qui ne cessa plus de se transformer années après années pour répondre aux nécessités des guerres. A son apogée, l'Arsenal était le premier employeur de la République et le plus vaste chantier du monde. Venise avait ainsi créé la première entreprise d'État regroupant des activités très diversifiées et faisant vivre des milliers de gens avec une organisation sociale incroyablement moderne.On ne parlait pas d'artisanat ou de métier à Venise, mais d'art. Les faiseurs de la prospérité de la Commune étaient reconnus comme maîtres et artistes. Mais la noblesse qui dominait prit soin de morceler l'organisation du travail afin d'éviter la constitution de syndicats trop puissants. Cette fragmentation permettait à l'État d'arbitrer les conflits et empêchait le regroupement des travailleurs qui auraient pu vouloir influencer sur les décisions du pouvoir voire s'approprier celui-ci. Jean-Claude Hocquet prend l'exemple des métiers de la chaussure : tailleurs de semelle, savetiers, bottiers et chausseurs appartenaient tous à des corporations différentes. De nombreuses mesures furent prise pour éviter tout regroupements inter-professionnel. En 1173, le doge Sebastiano Ziani institua l'Ufficio della Giustizia qui avait mission de surveiller les vendeurs de grain, d'huile et de vin, les marchands de poissons, de fruits et de volailles, les boulangers, les bouchers. Une ordonnance très complète précisait les normes de qualité, les critères de vente et fixait les prix du marché produits par produits. Le statut des artisans fut codifié et un système de sanctions fut mis en place.



Entre 1219 et 1278, 52 métiers furent reconnus. Ils pouvaient se réunir en confrérie, organiser mutualité et entraide, mais ne pouvaient être associés ni armés ni se porter assistance mutuelle, bien que ce fut le fondement juridique de la Commune. L'État voulait s'assurer l'obéissance des travailleurs car les gouvernants redoutaient le popolo, comme Rome craignait la plèbe. En 1226, les meuniers, pour protester contre l'augmentation d'une taxe destinée à financer le pavage de la Piazza, prirent d'assaut le palais ducal, tentèrent de lapider le doge et son assistance et pillèrent plusieurs maisons patriciennes. Le gouvernement,fort de cette expérience n'eut de cesse jusqu'à la chute de la République, de favoriser les grands marchands contre les artisans dont elle organisa l'exclusion de la vie politique. Cela explique la logique qui aboutit à la fermeture (la serrata) du Grand Conseil en 1297. Les familles qui y siégeaient se mirent d'accord pour éviter que ne se mette en place une classe moyenne composée de marchands et de gens de métiers. On accorda le statut de noble aux plus riches marchands, donnant naissance à une noblesse urbaine. Ce patriciat garantit pendant plus de 500 ans l'équilibre politique et social de la république., créant de fait une oligarchie qui n'eut pas besoin de se protéger ni de s'organiser. Il faudra attendre l'insurrection de Manin contre les autrichiens pour assister à un rapprochement des ouvriers, des boutiquiers et des anciens notables.

Risi Bisi, la recette du 25 avril




Savez-vous qu'au XIXe siècle, le slogan "RISI BISI E FRAGOLE" (allusion aux trois couleurs du drapeau), fut à Venise l'équivalent du "VIVA V.E.R.D.I." (qui tout en fêtant le compositeur, signifiait Vittorio Emmanuele Re d'Italia), cri d'hostilité souvent poussé contre les occupants autrichiens qui ont mis bien du temps à comprendre. Mais laissons-là l'histoire et passons à la recette familiale de ce plat divin.  

Ingrédients : Il va vous falloir 400 gr.de riz vialone pour 500 gr. de petits pois frais, 100 gr. de pancetta taillée en dés, un oignon et du persil hachés, du beurre frais, de l'huile d'olive, 2 litres de bouillon de légumes, du parmesan fraîchement râpé, bicarbonate de soude, sel et poivre.

Faire un bouillon de légumes avec les cosses des petits pois, un poireau, un navet, une carotte, un brin de cerfeuil, des herbes et si vous en avez un os de jambon. Réservez. 

Faire revenir la pancetta et l'oignon dans du beurre et de l'huile, ajouter les petits pois quand l'oignon commence à devenir transparent, saupoudrer les pois d'un peu de bicarbonate (environ une cuillère à café), puis recouvrir de bouillon. Laisser cuire à petit feu environ 20 minutes. 

Ajouter le bouillon restant. Remuer jusqu'à reprise de l'ébullition et verser le riz. Ne pas arrêter de remuer avec une cuillère en bois. Saler et poivrer selon votre goût. Quand le riz est cuit, ajouter le parmesan râpé, une grosse noix de beurre et le persil. Servir aussitôt. 

Délicieux avec un vin blanc sec. Chez nous, il est accompagné de tranches de jambon de Parme finement coupées, de salami et d'autres délices de la charcuterie locale. Il y a des variantes sans pancetta, avec moins de bouillon ou davantage. Notre recette ressemble un peu à un risotto très onctueux mais jamais pâteux. Chez mes tantes, il s'agissait davantage d'une sorte de potage semi-liquide. Servir et déguster aussitôt !

B on 25 avril à tous ! buon 25 aprile a tutti !

Venise fête le 25 avril en grande pompe et gourmandise


Cette journée du 25 avril a pour les vénitiens une signification particulière. Outre la commémoration de la Libération de l'Italie, journée de la mémoire où les hommes de tous âges offrent à leurs épouses, leurs mères, leurs amies, un bouton de rose, c'est le jour où la ville fête Saint Marc, son saint patron. Au menu, outre les hommages aux morts, les gerbes de fleurs et les défilés militaires, la dégustation du traditionnel "Risi Bisi", la Régate des Traghetti et de nombreux "brindisi" .
La journée commencera à 9 heures 30, Piazza San Marco où les couleurs seront hissées sur les trois grands mâts de bois sculpté qui portaient autrefois, du temps de la République, les oriflammes des colonies soumises à Venise. Les honneurs seront rendus par des soldats des trois armes en présence des autorités civiles et religieuses. Ce sera ensuite la minute de silence et le dépôt de la traditionnelle couronne de lauriers au monument aux morts du Campo S. Margherita, à 10 heures 30. Commencera alors le Percorso della Memoria (parcours de la mémoire) en compagnie du Choeur "25 Aprile"au départ du campo S. Canciano où sera honorée la mémoire du partisan Bruno Crovato, puis sur le Ponte dei Sartori, celle de Luigi Borgato, Calle Priuli (Strada Nova), les vénitiens se souviendront de Giuseppe Tramontin, Fondamenta S. Felice, de Ubaldo Belli, et de Piero Favretti dans la Calle Colombina, Campiello del Magazin, Augusto Picutti, et Corte Correra, Manfredi Azzarita. Le parcours se concluera à midi sur le campo du Ghetto, devant le monument à l'Holocauste création d'Arbit Blatas dont on peut voir la réplique à Paris dans le Marais, à Genève et à New York, devant les locaux de l'ONU
Les honneurs seront rendus par les détachements militaires. Le laboratoire de création acoustique Suono Improvviso présentera une création musicale "Il nero e il bianco". Les cérémonies reprendront en fin d'après-midi, avec un dépôt de couronne de laurier sur la Riva Sette Martiri, au magnifique monument d'Augusto Mürer dédié aux partisanes martyres. Encore du laurier à la Giudecca, au monument aux morts tombés pour la Liberté. 
Les commémorations de la Fête nationale se termineront à 19 heures sur la Piazza, par les honneurs rendus par les Forces Armées quand seront amenés les étendards.
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Pax tibi Marce, Evangelista meus.
Saint Marc sera honoré par une procession réunissant religieux et autorités civiles à la population. Une messe solennelle à la basilique sera ensuite présidée par le Patriarche de Venise, le Cardinal Angelo Scola, qui souligne sur son site que cette année, la solennité de Saint Marc tombait le lundi de Pâques, en plein temps pascal, rendant l'évènement encore plus fort pour les vénitiens qui se préparent à accueillir dans quelques jours le Saint Père en visite pastorale. Dans une nef pleine à craquer où se sont retrouvés avec les autorités civiles, religieuses, militaires et diplomatiques, la plupart des descendants des grandes familles patriciennes à l'origine de Venise et de sa splendeur et de très nombreux vénitiens, la cérémonie était solennelle et très recueillie. L'occasion de retrouver la basilique dans toute sa splendeur que le brouhaha permanent et la foule qu'on y rencontre aux heures des visites touristiques empêche de ressentir. Fumées d'encens et musique céleste, de quoi porter les plus endurcis vers la prière et le recueillement.
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Régate et régals.
Fêter l'Évangéliste patron de la Sérénissime, c'est aussi suivre la traditionnelle Regata des Traghetti qui commence à 9 heures 30. Neuf équipages de gondoliers sur des gondoles à quatre rames partiront de l'Arsenal et suivrons un parcours qui les mènera par le Grand Canal jusqu'à la Riva di Biasio, puis retour jusqu'à l'arrivée qui aura lieu au Rialto. Les vainqueurs recevront leurs prix sous les portique de la Pescheria où sera offert aux participants et à la population des rafraîchissements et des spécialités traditionnelles vénitiennes. Cette régate est très suivie par les vénitiens et c'est un des évènements publics les moins touristiques mais pour combien de temps ?
Autre tradition pour la San Marco, le délicieux risi bisi qui était servi ce jour-là à la table du doge et que toute famille vénitienne respectueuse des traditions déguste en perpétuant un débat qui n'en finit pas : est-ce un risotto ou una minestra (une soupe) ? En réalité, le plat est réussi quand il est ni trop liquide ni trop sec. Un coup de main que les cuisinières vénitiennes possèdent toutes ! Mais point de polémique. Une fois le plat servi - il s'agit d'une recette simplissime mais différente selon les familles - tout le monde se réconcilie et le pinot grigio (ou un bon Soave) coule à flot.

Je confirme que c'est un plat délicieux surtout si on en suit bien les principes, notamment la réalisation du bouillon avec les cosses des petits pois frais. La variété de pois compte aussi beaucoup. Les puristes emploieront une variété de pois extra-fins et très verts qui sont produits dans les jardins de la lagune. Sur la Terre Ferme, on préfèrera une variété plus rustique et certainement plus ancienne, très farineuse mais vraiment goûteuse aussi qui rappelle les délicieux pois anglais (ceux qui poussent en terre dans les campagnes, pas ceux qu'on vous sert juste sortis et égouttés d'une boite de conserve). Comme ces pois anglais, ils restent très verts et sont un plaisir pour les yeux. Evviva San Marco !

21 avril 2011

San Salvador : vues










Itinéraires : L'église San Salvador.

C'était dimanche dernier la fête des Rameaux. Belle messe au couvent des Dominicains. Longue procession sous un soleil ardent. Beaucoup d'enfants et de jeunes. Une impression de profonde sérénité. Joie d'entendre ce beau choral de Johan Sebastian Bach. La fin du Carême et le début de la La Semaine Sainte. Le rideau s'entrouvre sur la joie de Pâques. Le triduum pascal. Mais avant de fêter la résurrection du Christ, il y a le temps de la Passion. 

La tradition à Venise veut que l'on accomplisse, l'après-midi du vendredi saint une visite aux sept sépulcres. La foule des fidèles vient se recueillir devant les sépulcres éclairés par une forêt de cierges et ornés de gigantesques gerbes de fleurs dressées en forme de croix posées sur le marbre des sept églises, dans un nuage d'encens : les Frari, Sta Maria Mater Domini, S. Giovanni Crisostomo, Sto Stefano et San Barnaba. Le célèbre roman de Pasinetti, Rouge vénitien, s'ouvre sur une description de cette habitude partiellement tombée en désuétude aujourd'hui à Venise, mais encore suivie dans certaines régions d'Italie. Ce souvenir me fait penser à une église que peu de gens connaissent - bien que tout le monde passe devant sa façade aux Mercerie, à deux pas de la Piazza et qui est pourtant un des lieux de culte les plus intéressants de Venise et ce pour plusieurs raisons : l'église San Salvador (l'église du Saint Sauveur). 

Venez-donc la visiter avec TraMeZziniMag
L'église remonte au début du VII° siècle. Entièrement reconstruite au Moyen-Age, restructurée à la Renaissance, elle constitue l'exemple le plus abouti de cette période à Venise. La façade, reconstruite au XVII° siècle, est due à Bernardo Falcone. Elle remplace la façade romane à portique qui était couverte de mosaïques dont on dit qu'elle abrita le pape Alexandre III qui s'y reposa. 

L'église renferme des trésors peu vus des touristes. Les cendres de Saint Théodore, premier patron protecteur de la ville, se trouvent dans l'abside droite. Sur le maître-autel se dresse un superbe retable d'argent, ciselé par des orfèvres vénitiens en 1290, et que l'on dévoile aux fidèles à l'occasion de certaines fêtes, notamment pour le 15 août. Les quatre évangélistes entourent le donateur dont on ne sait rien, la scène de la Transfiguration est entourée de dix saints dans des petites niches, puis, dans la partie la plus abîmée, la vierge trône entre deux anges. C'est un très beau travail. Au-dessus de l'autel, la Transfiguration du Titien. Très belle œuvre réalisée en même temps que l'Annonciation, haute de quatre mètres, transcription d'une vision où l'Archange Gabriel fait sa révélation à la Vierge dans une grande nuée d'angelots. 

On trouve aussi dans l'église de très beaux monuments funéraires dont une très belle réalisation de Sansovino, (sépulture du Doge Francesco Venier). Des marbres de plusieurs couleurs en accentuent la préciosité. La tribune de la cantoria édifiée en 1530, est aussi de lui. Les statues dans les niches sont dues à des disciples du grand maître : le saint Laurent est de Jacopo Colonna et le saint Jérôme de Danese Cattaneo. Les frères Lorenzo et Girolamo Priuli (tous deux doges à l'époque de la guerre avec les turcs), les ont fait édifier en l'honneur de leur saint-patron respectif. On trouve aussi dans cette église la sépulture de Caterina Cornaro, Reine de Chypre. 

Les amateurs de musique ancienne pourront admirer à loisir le grand orgue, dû au maestro allemand Ahrend Jürgen, l'un des plus grands facteurs d'orgue contemporains qui possède à son actif la restauration comme la création de certains des plus beaux instruments de par le monde (pour la petite histoire, c'est lui qui a construit l'orgue de Taizé en 1974, à la demande de Frère Robert et de Frère Roger. Retraité depuis 2005, c'est son fils Hendrik qui a repris l'entreprise paternelle et qui a mené à bien la construction conçue par son père, en étroite collaboration avec l'actuel titulaire, Francesco Zanin. L'instrument a pris place en haut de la cantoria, tribune réservée aux musiciens et chanteurs qui a été entièrement restaurée et a ainsi dévoilé des trésors que des siècles de crasse et d'usure avaient camouflés. Il a été conçu en partant des relevés qui ont été faits sur l'ancienne caisse. Les éléments d'origine qui ont pu être conservés constituent l'encadrement du nouvel instrument. Les matériaux utilisés ont été choisis pour correspondre le mieux possible à l'esprit de l'orgue d'origine : bois de noyer, de cèdre et de sapin, tuyaux en plomb et en étain. Cela donne un ensemble de très grande qualité esthétique. "Du neuf dans de l'ancien", selon les vœux de la direction des affaires culturelles, formule qui s'applique aussi à l'impeccable insertion acoustique du nouvel instrument dans l'église.

Venise possède désormais un instrument de grande tenue qui permet d'exécuter dans des conditions qu'on peut imaginer proches du rendu originel, la vaste littérature de l'école vénitienne de la Renaissance. Pour ceux que cela intéresse, on peut voir dans la sacristie les éléments conservés de l'ancien instrument trop incomplet pour être restauré en l'état. Parmi les célèbres organistes qui furent titulaires de cet orgue, il faut citer le compositeur Francesco Usper, contemporain de Monteverdi avec qui il travailla à San Marco. La paroisse animée depuis quelques années par son curé, Don Natalino Bonazza, est très dynamique. Le site du secteur paroissial, très complet, en est la preuve. La vidéo ci-dessous en est extraite :


L'église a été fondée au VIIe siècle sur une légende : Le Christ serait apparu en songe à l'évêque Saint Magne pour lui indiquer le lieu - au centre de la future ville de Venise - où ériger une église qui Lui serait consacrée, Jésus Sauveur du monde. Au XIIe siècle, un couvent est ajouté à l'église romane qui à partir de ce moment va connaître de nombreuses modifications et ajouts. En 1506, le prieur de la communauté des Augustins, Antonio Contarini décide d'une reconstruction complète de l'édifice. Église, couvent et bâtiments adjacents sont démolis. La première tranche des travaux fut dirigée par Giorgio Spavento qui mourra en 1508 et sera remplacé par les frères Tullio et Pietro Lombardo auxquels succèdera Jacopo Sansovino. On possède des archives qui donnent avec précision l'avancée des travaux : en 1520 l'abside était achevée, en 1530 c'est au tour de la cantoria dont les récents restaurations ont permis la mise à jour de sculptures et d'inscriptions jusque là ignorées. 

En 1532, la porte latérale qui ouvre sur les Mercerie a été inaugurée et en 1534 c'est au tour du maître-autel sur lequel est posé en grande pompe la statue du Sauveur. Il fallut attendre presque 130 ans pour que la façade soit achevée ! Inaugurée en 1663, elle est l'œuvre de Giuseppe Sardi. Le campanile date du XIVe siècle mais ne fut achevé qu'à la fin du XIXe pendant l'occupation autrichienne, avec les deniers de l'archiduc Salvator d'Autriche, grand ami de Venise. A côté de l'église se dresse la Scuola di san Todoro. Un riche marchand, Jacopo Galli offrit 30.000 ducats d'or pour la réalisation de sa façade, baroquerie flamboyante qui n'est pas du meilleur effet et passa longtemps pour un exemple de la décadence architecturale de cette fin du XVIIe siècle - la querelle des anciens et des modernes faisait rage déjà - surtout quand on considère le peu de recul qu'on a pour prendre la mesure de cette pesante façade érigée d'après les dessins de Giuseppe Sardi (à qui l'on doit notamment l'église San Lazzaro dei Mendicanti, près de San Giovanni e Paolo) surmontée de statues réalisées par Bernardo Falcon


Non loin de là, en prenant la calle Lovo, on arrive au petit ponte Lovo d'où on a un point de vue superbe sur la campanile de San Marco (avis aux amateurs de photos). Ce nom est une déformation du mot lupo (loup) qui était celui d'une riche famille installée dans le quartier. On trouve d'ailleurs leur blason sur une stèle dans la nef de l'église qui marque certainement d'après l'historien vénitien Tassini, la tombe des frères Matteo, Marco et Michele Lovo

TraMeZziniMag vous recommande l'opuscule écrit en 2007 à l'occasion du 500e anniversaire de l'église qui est en vente à l'accueil et à la librairie Filippi

La chiesa di San Salvador a Venezia. 
Storia Arte Teologia, 
par Gianmario Guidarelli, 
Il Prato - Marcianum Press, Padova - Venezia 
2009, pp. 192.


15 avril 2011

La magie d'une fin de voyage. Les derniers kilomètres.


Le train a franchi la lagune, glissant sur le pont, interminables dernières minutes de voyage. Les vestiges des usines de Marghera qui brillent au soleil comme de l'acier, le parfum de l'eau, plus tout à fait celui d'un fleuve et pas encore celui de la mer. Indéfinissable senteur. Pourtant quelque chose se répand dans l'air qui appelle au large. Le train va bientôt entrer en gare et les voyageurs ont la sensation de commencer leur voyage. Un mirifique voyage dont on attend mille découvertes. Le train siffle et ralentit. C'est l'entrée en gare. Venezia-Santa-Lucia. Terminus. A la lumière pimpante des abords de la ville succèdent les sombres allées couvertes qui mènent vers le hall. Au fond de cette immense salle pavée de marbre, la lumière de nouveau. Et l'aventure, la découverte à chaque fois renouvelée de Venise et de sa magie. Snow Patrol interprète Chasing cars qui rythma les derniers mètres d'un de mes récents voyages.