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"Les
hommes de ce duché auront licence de voyager par terre ou par les
fleuves dans tout notre royaume, les nôtres auront semblable licence et
par mer jusqu'à vous mais pas plus loin." Cette phrase du traité
régissant les privilèges de la République de Venise, qui fut rajoutée
en 1095 par le roi d'Italie et empereur du Saint empire germanique, Henri IV, après un long travail de lobbying digne des officines contemporaines, est d'une importance
capitale pour la destinée de la Sérénissime. Non seulement, elle limite
de fait la concurrence éventuelle des autres états,
mais sans interdire une éventuelle réciprocité qui ne fut jamais
effective, elle réservait aux seuls marchands vénitiens le droit de
pratiquer le commerce maritime.
Tous les sujets de l'empereur, marchands allemands et italiens une fois arrivés à la mer devaient céder leurs marchandises aux vénitiens qui avaient seuls le droit de les transporter sur leurs navires. Le port de Venise avait le monopole du commerce maritime.. Aucun des marchands de l'Empire ne pouvait atteindre la mer par un autre port. Ni Trieste, Ancône ou Ravenne n'avaient ce privilège. Ce traité fondait juridiquement la puissance monopolistique du commerce vénitien, exorbitant précédent en Droit international où l'usage veut que tout accord soit basé sur la réciprocité et l'équilibre des avantages. L'Adriatique devait ainsi devenir pour plusieurs siècles, le Golfe de Venise. Même exclusivité pour l'importation des marchandises venues des pays d'outremer. Le monopole ainsi accordé par l'empereur instituait un double privilège d'étape et d'entrepôt. Les marchands vénitiens vendaient à des marchands étrangers une marchandise qu'on ne pouvait légalement se procurer nulle part
ailleurs.Pour mieux surveiller la bonne marche des transactions et s'assurer du prélèvement
régulier des taxes, l'administration vénitienne décida en 1225 de
l'édification au pied du Rialto, dans ce qui devenait le quartier des
affaires, sorte de Manhattan
médiéval, une auberge-entrepôt, où les marchands allemands devaient
absolument loger et entreposer leurs marchandises. C'est le fameux Fondaco dei Tedeschi. Le bâtiment était conçu sur le modèle des caravansérails ou fondouks
des turcs où étaient accueillis les vénitiens en Orient. Comme en
Orient, le bâtiment est construit autour d'une grande cour
rectangulaire, avec une galerie qui borde la cour sur ses côtés. Des
salles sur cinq niveaux servaient d'entrepôts, d'hôtellerie pour les
marchands itinérants, d'ateliers en tous genres et de bureaux (banque,
administration, secrétariat, poste, service des taxes., police, etc...)
Les animaux porteurs pouvaient être accueillis dans la cour. Tous las
patrons de barques avaient obligation d'amener directement les marchands
allemands leurs équipages et leurs marchandises directement au Fondaco où
ils étaient accueillis par des fonctionnaires qui enregistraient tous
les mouvements de marchandises dans de grands registres et prélevaient
les taxes. Les plus grands artistes (notamment Titien et Giorgione) furent appelés pour le décorer.
A cette date, comme le rappelle Jean-Claude Hocquet, Venise
avait conquis Byzance et démembré l'Empire d'Orient avec les croisés en
1204, avait su transformer sa part des territoires conquis en un vaste
empire colonial qui était dirigé depuis la lagune. Venise devenait ainsi
une Thalassocratie, puissante
Cité-État régnant sur la mer et un chapelet d'îles et de caps et de
territoires allant jusqu'à la Crète et aux îles de l'Égée. La richesse
née de cet empire permit le développement d'une industrie, toujours liée
au commerce international : chantiers navals, surtout (squeri) qu'on trouvait par centaines dans tous les quartiers de la ville, transformation et fabrication de produits
destinés à l'exportation. Venise, cité industrielle donc mais selon
l'économie urbaine du Moyen Age : de petites maisons ouvrières situées à
l'écart du centre urbain apparurent, comprenant les ateliers et les
habitations du maître, des compagnons et des jeunes apprentis en
formation. Tailleurs de pierre, maçons et sculpteurs, forgerons,
menuisiers et charpentiers, fabricants de couleurs se mêlaient aux
bouchers, meuniers, boulangers. Puis, conscients de la nécessité de
proposer des biens à haute valeur ajoutée pour assurer l'équilibre de la
balance des paiements avec l'Orient, le gouvernement favorisa le
développement l'artisanat de luxe : tisserands et brodeurs, maroquiniers
et tailleurs, joailliers et orfèvres, verriers... Venise devint ainsi
fameuse pour ses cuirs et ses fourrures, ses brocarts et ses draps, ses
velours et ses soies brochées d'or et d'argent, ses verres et ses
cristaux, ses bijoux, ses armes. Le coton qui arrivait par cargaisons
entières de Syrie et de Chypre, était transformé en futaines sur la
lagune, ou réexporté au-delà des Alpes, avec la soie et les épices,
l'huile , le sel et le sucre.
Toutes
ces activités de transformation permettaient d'occuper une nombreuse
main d'œuvre. Venise connut pendant de nombreuses années le plein-emploi
et on venait de toutes les régions limitrophes y travailler. Les
chantiers occupaient des scieurs de long, des charpentiers et des
calfats. Si on est encore loin des prouesses techniques du XIVe siècle
où, à l'Arsenal d'État, se construisait une galère par jour qui sortait
des chantiers toute armée et avec son équipage à bord, les squeri vénitiens
possèdent une grande maîtrise. De leurs chantiers sortaient des petites
gabarres destinées au trafic fluvial mais aussi de lourdes nefs de 500
tonneaux vouées à la haute mer, des gondoles et des barques à rame ou à
voile de toutes sortes. Bien que chevaux, charrois et voitures aient
circulé longtemps dans la ville, le
bateau est très vite devenu le mode de déplacement des gens et des
marchandises. A ces navires de toutes sortes, la concurrence et les
dangers nécessita la construction de vaisseaux capables de conduire des
opérations navales de protection ou d'attaque. Les galères à rames étaient indispensables sur la Méditerranée.
Jusqu'au
XIIIe siècle, la plupart de ces galères appartenaient à des
particuliers. Conçues à deux rangées de rames (birèmes), elles seront
remplacées par des trirèmes. L'État en profitera pour en interdire
l'usage et la possession aux particuliers, redoutant l'utilisation de
ces galères capables de prendre à leur bord de nombreux arbalétriers et
canonniers, contre lui. Elles devinrent bien public et l'exclusivité de
leur construction fut confiée à l'Arsenal qui ne cessa plus de se
transformer années après années pour répondre aux nécessités des
guerres. A son apogée, l'Arsenal était le premier employeur de la
République et le plus vaste chantier du monde. Venise avait ainsi créé
la première entreprise d'État regroupant des activités très diversifiées et faisant vivre des milliers de gens avec une organisation sociale incroyablement moderne.On
ne parlait pas d'artisanat ou de métier à Venise, mais d'art. Les
faiseurs de la prospérité de la Commune étaient reconnus comme maîtres
et artistes. Mais la noblesse qui dominait prit soin de morceler
l'organisation du travail afin d'éviter la constitution de syndicats
trop puissants. Cette fragmentation permettait à l'État d'arbitrer les
conflits et empêchait le regroupement des travailleurs qui auraient pu
vouloir influencer sur les décisions du pouvoir voire s'approprier
celui-ci. Jean-Claude Hocquet
prend l'exemple des métiers de la chaussure : tailleurs de semelle,
savetiers, bottiers et chausseurs appartenaient tous à des corporations
différentes. De nombreuses mesures furent prise pour éviter tout
regroupements inter-professionnel. En 1173, le doge Sebastiano Ziani institua l'Ufficio della Giustizia qui
avait mission de surveiller les vendeurs de grain, d'huile et de vin,
les marchands de poissons, de fruits et de volailles, les boulangers,
les bouchers. Une ordonnance très complète précisait les normes de
qualité, les critères de vente et fixait les prix du marché produits par
produits. Le statut des artisans fut codifié et un système de sanctions
fut mis en place.
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Tous les sujets de l'empereur, marchands allemands et italiens une fois arrivés à la mer devaient céder leurs marchandises aux vénitiens qui avaient seuls le droit de les transporter sur leurs navires. Le port de Venise avait le monopole du commerce maritime.. Aucun des marchands de l'Empire ne pouvait atteindre la mer par un autre port. Ni Trieste, Ancône ou Ravenne n'avaient ce privilège. Ce traité fondait juridiquement la puissance monopolistique du commerce vénitien, exorbitant précédent en Droit international où l'usage veut que tout accord soit basé sur la réciprocité et l'équilibre des avantages. L'Adriatique devait ainsi devenir pour plusieurs siècles, le Golfe de Venise. Même exclusivité pour l'importation des marchandises venues des pays d'outremer. Le monopole ainsi accordé par l'empereur instituait un double privilège d'étape et d'entrepôt. Les marchands vénitiens vendaient à des marchands étrangers une marchandise qu'on ne pouvait légalement se procurer nulle part
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Entre 1219 et 1278, 52 métiers furent reconnus. Ils pouvaient se réunir en confrérie, organiser mutualité et entraide, mais ne pouvaient être associés ni armés ni se porter assistance mutuelle, bien que ce fut le fondement juridique de la Commune. L'État voulait s'assurer l'obéissance des travailleurs car les gouvernants redoutaient le popolo, comme Rome craignait la plèbe. En 1226, les meuniers, pour protester contre l'augmentation d'une taxe destinée à financer le pavage de la Piazza, prirent d'assaut le palais ducal, tentèrent de lapider le doge et son assistance et pillèrent plusieurs maisons patriciennes. Le gouvernement,fort de cette expérience n'eut de cesse jusqu'à la chute de la République, de favoriser les grands marchands contre les artisans dont elle organisa l'exclusion de la vie politique. Cela explique la logique qui aboutit à la fermeture (la serrata) du Grand Conseil en 1297. Les familles qui y siégeaient se mirent d'accord pour éviter
que ne se mette en place une classe moyenne composée de marchands et de gens de métiers. On accorda le statut de noble aux plus riches marchands, donnant naissance à une noblesse urbaine. Ce patriciat garantit pendant plus de 500 ans l'équilibre politique et social de la république., créant de fait une oligarchie qui n'eut pas besoin de se
protéger ni de s'organiser. Il faudra attendre l'insurrection de Manin contre les autrichiens pour assister à un rapprochement des ouvriers, des boutiquiers et des anciens notables.
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