Nous avions marché toute la matinée. Tu avais dormi tard sur mon épaule. C'était la première fois que je me réveillais avant toi. J'avais pu te regarder longtemps ainsi, abandonnée et confiante. Je me sentais fort, je me sentais fier. Arrivée d'Antibes la veille, tu n'avais pas voulu attendre de te remettre de cet interminable voyage en train pour découvrir la galerie de San Vio et rencontrer les amis qui peuplaient mon quotidien ici. Tu voulais le cacher, mais je savais bien que tu étais inquiète. Je parlai tellement souvent de mon désir d'indépendance, de ma volonté de demeurer seul, disponible, pour écrire. Je te parlais des Agnès, Violaine, Rebecca, Betty avec qui je partageais mon quotidien ici, tellement loin de toi. De nous. Tu avais d'avance accepté de ne me voir que trois ou quatre fois dans l'année et toi qui déteste marcher, toi que les musées et les églises assomment, préférant nager et te dorer au soleil en bouquinant, tu acceptais d'avance mes caprices, toutes ces visites que je t'imposais : San Rocco, les Schiavoni, la cathédrale, l'arsenal, les galeries d'art moderne, les antiquaires...
Ce jour là, nous n'avions pas arrêté. Puis vers le milieu du jour, je t'avais amené sur les Zattere. Tu étais exténuée mais souriante. Nous avions faim. Le Cucciolo nous accueillit. Croque-monsieur et macchiato, puis gianduiotto come di solito. Tu étais belle, radieuse. La fatigue sur ton visage durcissait un peu tes traits mais ton sourire merveilleux me rassurait. Tu étais bien. Heureuse même peut-être...
Après de nombreux séjours à Venise et de multiples étapes sur cette terrasse aujourd'hui disparue, après vingt ans de vie commune, quatre merveilleux enfants, les aléas de la vie, les accidents, les échecs et les triomphes, tu as mis un terme à cette aventure. Je retourne désormais à Venise sans toi, les enfants m'accompagnent encore mais leur vie bientôt les appellera ailleurs et je ne puis m'empêcher de penser combien vivre ici avec toi aurait été merveilleux. Tout ici était possible et notre amour se serait répandu comme l'eau de la lagune à travers la ville.
Nous avions marché toute la matinée...


"La très noble cité de Venise, nul ne l'ignore, se trouve admirablement sise à l'extrémité de la mer Adriatique. Venise n'est entourée d'autres remparts, gardée par d'autres forteresses ni ceinte par d'autres portes que cette même mer qui lui sert aussi de fondation. En se ramifiant et divisant en divers canaux qui passent au travers de ses maisons, cette mer fait office de route et permet de transiter commodément de lieu en lieu, au moyen de petites embarcations. Pour Venise, la mer est une voie publique, une campagne ouverte à travers laquelle vont et viennent toutes sortes de trafics et marchandises de diverses provenances. Elle fournit et procure fot diligemment tout ce qui est nécessaire au ravitaillement et à l'entretien d'une telle patrie. Outre la profusion infinie de poissons qu'elle lui offre de jour en jour, Venise, sans rien produire d'elle-même, est pourvue en très grande abondance de tout ce qui est nécessaire à la vie humaine, de par le concours incessant des bateaux qui arrivent ici avec toutes sortes de provisions opportunes. Cette ville est toutefois très différente des autres - œuvre inédite et merveilleuse, faite de la main de Dieu.
La pompe et la grandeur de cette ville sont inestimables, ses richesses sont infinies. La somptuosité de ses édifices, la splendeur de l'habillement, la liberté du mode de vie et l'affabilité des personnes sont rares et prisées à un degré qu'on ne saurait imaginer ni décrire. Mais Venise, chérie et estimée, n'est pas moins crainte qu'aimée. On ne peut qu'être frappé de voir comme tous veulent y habiter, comme toute personne de quelque provenance qu'elle soit, semble ne plus savoir la quitter, dès qu'elle a goûté à sa douceur de vivre. De là vient qu'on y trouve des personnes originaires de tous les pays et, de même que tous les membres et artères de notre corps correspondent avec le coeur, de même toutes les villes et parties du monde correspondent avec Venise. Ici, l'argent court plus qu'en tout autre lieu et c'est une ville libre, à l'instar de la mer qui, sans subir aucune loi, légifère pour les autres. Chose plus remarquable encore et digne d'émerveillement : la paix incroyable et l'équité qui y règnent, malgré une telle diversité de sangs et de coutumes. Cela procède de la prévoyance, de la vigilance et de la valeur de ceux qui la gouvernent. Les esprits les plus choisis dans tous les arts et les professions rivalisent pour vivre ici. Toutes les vertus y triomphent, on y goûte délices et plaisirs. Les vices sont extirpés et les bonnes mœurs fleurissent. Les hommes se signalent par leur vaillance, jugement et courtoisie; les femmes se distinguent par leur beauté, prudence et chasteté. En somme, Dieu à accordé tous les bienfaits qui se puissent désirer à cette ville bénie, craintive de sa divine majesté, fort religieuse et reconnaissante des dons célestes. Et, après Dieu, elle est très dévouée et très obéissante à son prince, lequel, afin que rien ne manque à une république si heureuse et si bien ordonnée, ne sauriat être égalée en bonté, prudence et justice.
Dans cette ville donc, véritablement divine, résidence de toutes les grâces et excellences surnaturelles, vivaient récemment et vivent encore plusieurs femmes nobles et valeureuses. Issues des familles les plus illustres et réputées, leur âge et leur état différaient, contrairement à leurs origines et mœurs. Distinguées, vertueuses et d'esprit élevé, elles se voyaient souvent et, ayant contracté une amitié pleine d'affection et de discernement, prenaient souvent le temps et trouvaient l'occasion de se rencontrer pour converser en toute simplicité et sans se soucier d'hommes qui pussent les réprimander ou les en empêcher. Elles conversaient de ce qui leur agréait le plus, traitant tantôt de leurs occupations de femmes, tantôt d'honnêtes distractions. et parfois l'une d'entre elles qui aimait la musique, prenant un luth en main ou bien accompagnant sa très belle voix d'une harpe bien accordée, offrait un passe-temps fort agréable à elle-même et à ses compagnes. Une autre qui goûtait la poésie, en récitant quelques vers inédits et gracieux, offrait une manière nouvelle et plaisante de s'attarder à cette compagnie aussi judicieuse qu'avertie".

















Comme en France, l’État (ou la collectivité territoriale concernée) peut faire valoir son droit de préemption en cas de mise en vente de locaux privés. A une époque où partout dans le monde la philosophie ultra-libérale pousse les collectivités à vendre des bribes de leur parc immobilier, la Ca'Farsetti vient de créer la surprise en préemptant un appartement de 100 m² à San Marco mis en vente pour seulement 100.000 euros (!).
Mais finalement, la ville est l'heureuse propriétaire d'un bel appartement acquis pour un prix vingt fois plus bas que les tarifs en vigueur. Elle va mettre à disposition d'une famille vénitienne qui n'aurait pas eu les moyens d'être aussi bien logée en passant par des agences immobilières. 
Nous logions avec mes parents au 
Un autre campo, puis un autre encore, un sottoportego un peu sombre qui vous fait frissonner trente secondes, de longues ruelles prises entre de hauts murs qui semblent être le corridor silencieux et humide d'une maison abandonnée, puis une église, un puits, des marches encore qui s'ouvrent sur une grande salle déserte : le campo du théâtre. Une treille, le péristyle de la
Soudain un cul de sac. "Aqua, aqua" vous aurait crié une vieille femme du haut de son balcon. Là, le silence amplifie votre surprise. Personne. Peut-être un chat effrayé qui vous toisera avant de se glisser entre les grilles d'un magazzino.
Un autre bonheur - un des miens en tout cas - c'est le brouillard, l'incroyable brouillard qui les soirs d'hiver se répand parfois sur la ville. Il transforme tout et se frayer un chemin, même sur les lieux habituels connus par coeur, devient presque impossible. Parfois même votre seul mouvement crée une sorte de tunnel qui demeure ainsi ouvert jusqu'à ce que vous repassiez au même endroit. J'ai le souvenir d'un matin à 
Bonne promenade.

Je me souviens du jour qui suivit l'accident. Les gens partout ne parlaient que de ça. Il y avait une pleine page dans le 
Illusion, cauchemar mal interprété, vision extra-lucide ? Une vieille vénitienne à qui j'en parlais me dit calmement : "...à Venise, tout est possible. L'eau des canaux transporte bien des secrets et bien des images. On est tous un peu voyants ici... Il est simplement venu vous dire au-revoir"... Une légende vénitienne de plus dont le souvenir me trouble encore. 





