24 août 2025

Faire son marché à Venise

Dans tous les pays du monde, à la ville comme à la campagne, il y a des marchés. L'atmosphère y est souvent très roborative. Les plus chagrins se dérident au milieu des étals de fruits et de légumes, parmi cette foule bon enfant le plus souvent qui traîne, regarde les marchandises, compare, discute. Nulle agressivité sur un marché, ce n'est pas comme dans ces grandes surfaces impersonnelles ou, derrière son caddie, la ménagère énervée part en guerre contre ceux qui hésitent dans les rayons, contre la caissière trop lente ou le qui manque bien sur quand on en a besoin.  
 

A Venise, plus encore qu'ailleurs, aller faire son marché est un réel plaisir. D'abord parce qu'on se retrouve vite hors du temps : pas de camion, d'odeur de pots d'échappement, d'embouteillages. Lorsque vous habitez de l'autre côté du grand canal, le meilleur moyen d'y arriver est de prendre le traghetto, ces gondoles avec deux gondoliers qui vous transportent d'une rive à l'autre pour quelques centimes depuis mille ans. Il y a aussi le pont du Rialto toujours gorgé de monde comme c'était déjà le cas au Moyen-âge.


Les ruelles sont remplies de monde, les marchands de fruits, de légumes, d'aromates, mais aussi les bouchers, les poissonniers, les charcutiers, tous rivalisent d'ingéniosité pour présenter leur marchandise aux vénitiennes tirant leur chariot. 
Jusque dans les années 90, quasiment toutes les marchandises provenaient des environs proches de la Sérénissime :  Mazzorbo, Padoue, Vicenza.... les étiquettes sur les caisses le signalaient. Du locavore avant que le mot soit inventé.
 
Le jeune Andrea derrière le ban familial (années 70). ©Maurizio Rossi.

Mais d'autres lieux plus paisibles abritent aussi de petits marchés. Pour ne citer que ceux-là : le campo santa Margarita, avec un des meilleurs poissonniers de la ville et un fleuriste sympathique, la barque delle erbe à deux pas, au pied du ponte dei Pugni de San Barnabà, les marchands des quatre saisons de la Lista di Spagna, ceux du campo Santa Maria Formosa, ceux encore de Castello, sur la Via Garibaldi... Un univers vivant, pittoresque où l'on trouve une marchandise qui échappe encore aux règlements imbéciles établis par les fonctionnaires obtus du Parlement européen.  Hélas, comme partout ailleurs le libéralisme l'emporte et bien des étals n'existent plus.
 
Lorsque je vivais sur la calle Navarro, il y avait un petit "frutariol" installé en bas de chez moi. Son échoppe semblait sortie d'une de ces gravures d'autrefois : quelques mètres carrés où s'entassaient  légumes et fruits de sa production, variant selon la saison.  Les pêches en été comme les poires en automne étaient toujours des délices. Cueillies souvent la veille ou le matin même, elles arrivaient en bateau de tous les îlots maraîchers de la lagune et parfois de villages des environs sur le delta du Pô ou de la Brenta. (Photo ©VenetiaMicio)
 
Les plus exotiques étaient les oranges de Siçile ou les pommes de terre du Piémont. Chicorée dite de Vérone, choux et carottes de Torcello ou d'une île-jardin du nord de la lagune... Rien à voir avec ces fruits insipides et ses légumes calibrés arrivant du bout du monde, que l'on trouve dans nos supermarchés aseptisés ! Il avait de beaux œufs, énormes, provenant d'une ferme de San'Erasmo. Les deux jolies sculpture brillantes comme du fer luisent toujours de chaque côté de la devanture comme deux hiératiques gardiens. Hélas, le rideau est baissé depuis longtemps maintenant. Dans la boutique se retrouvaient chaque matin toutes les vieilles dames du quartier, les étrangers qui résidaient dans les beaux immeubles de Dorsoduro et les cuisiniers des trattorias du coin. Une grande famille en quelque sorte. Le marchand ne parlait que le vénitien et je n'étais pas peu fier quand il m'accueillait le matin me gratifiant d'un très sonore "Buon di, sior Lorenzo, cosa ti vuoi, oggi?"... 

[Réédition après corrections d'un billet paru en novembre 2005 que Google n'avait pas indexé. Allez savoir pourquoi...]

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