18 juin 2025

Notes retrouvées (1) : La très singulière impression que San Giacomo del Rialto lui faisait depuis toujours

Au détour d'une page du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhöff, Antoine découvrit une carte postale. Un vieux cliché jauni montrant une vue de l'église de San Giacomo del Rialto. Au verso était griffonnée au crayon une vue de l'église que quelques traits  au pastel rendaient vivante. Elle portait la mention, « Pour mon ami plus vénitien que russe, de la part de son anarchiste préféré, Paul Signac, 28 avril 1908  »... Antoine n'en revenait pas, il avait entre les mains un dessin du peintre dont il avait découvert le travail en visitant le musée de l'Annonciade.  

Plus il avançait dans sa découverte du journal de Nicolas, plus il s'émerveillait de la vie d'un garçon à peine plus âgé que lui aujourd'hui et qui avait déjà connu l' les grands-parents d'Antoine ne vivaient de romanesque que les expéditions dans les réserves de la maison pour voler des confitures où les baisers furtifs volés aux cousines quand la gouvernante tournait le dos. Eux passaient de la grande maison en ville au collège, de la propriété des grands-parents à la villa d'Arcachon. Il posa la carte postale sur la table et poursuivit sa lecture :

28 avril 1908.
« [texte en allemand rayé illisible, quelques mots en russe.] Aujourd'hui, visite des Miracoli en compagnie de Paul S. et de sa charmante épouse, rencontrés récemment au Florian et avec qui j'ai sympathisé. Le peintre et sa muse aiment beaucoup la ville.Paul, avec son regard aiguisé et sa muse à ses côtés, semble avoir trouvé en Venise une source inépuisable d'inspiration.   Pris beaucoup de plaisir à leur montrer  les lieux que j'aime particulièrement et qu'on ne cite pas dans le Baedeker. Ces recoins empreints de souvenirs et de significations personnelles.J'avais six ans quand notre mère nous amena avec elle à Venise. J'en garde l'impression d'émerveillement et de joie qui s'était emparée de moi quand nous sommes descendus du bateau.
« Les idées libertaires de Paul, bien qu'en décalage avec l'univers dans lequel j'ai grandi, éveillent en moi une curiosité et une réflexion stimulante. Berthe, avec son sourire bienveillant, semble apprécier nos échanges passionnés, où l'artiste et le jeune aristocrate russe confrontent leurs visions du monde. Il est fascinant de constater comment des perspectives si différentes peuvent se rencontrer et s'enrichir mutuellement.
Agréables moments donc qui m'ont inspiré quelques mauvais vers. Ma chère maman aurait voulu que je les conserve.

Le feuillet où était copié le poème manquait. On voyait nettement qu'on l'avait arraché du carnet. Mais certainement dans un repentir, Nicolas l'avait conservé. Antoine le retrouva plié en quatre, glissé entre des pages. Il était couvert de dessins et de graffitis à la plume. Le sonnet était en allemand :

Im sanften Schatten eines alten Traums,
Schleicht ein Flüstern, geheim und fern,
Die Schleier aus Nebel umarmen sich leise,
Enthüllen Welten, wo Seelen sich malen.

Die Sterne flüstern vergessene Geschichten,
Im ätherischen Himmel, ihre Lichter umschlungen,
Dort, wo die Zeit ihren leichten Atem anhält,
Finden verlorene Herzen endlich Frieden.
(*)

Antoine poursuivit sa lecture, avide d'en savoir davantage.

[...] Cette promenade matinale m'a rappelé une autre époque, un autre matin, où je m'étais aventuré à la rencontre d'Edmund, cet ami anglais. Nous avions pratiquement le même âge. Je l'avais rencontré lors d'un thé chez les Giovanelli, chez qui nous résidions à l'époque. Une rencontre fortuite qui marqua un tournant dans ma vie. Il y a un peu plus de dix ans déjà. 

In flüchtiges Treffen, am Wendepunkt des Schicksals,
In den Äther gemeißelt, durch göttlichen Atem,
Wo Wege sich kreuzen, in geheimem Reigen,
Und Seelen erwachen zum seltsamen Reiz.

Unter dem Schleier des Zufalls verweben sich Schicksale,
Goldene Fäden spinnend in unendlicher Dunkelheit,
Und im Schweigen legt sich ein Versprechen nieder,
Das für immer das Gewebe der Dinge verändert. (*)

Bien sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes, n'hésitez pas à me le faire savoir !
Bien sûr, voici quelques vers inspirés par cette phrase, dans le style des Symbolistes :Une rencontre fugace, au détour du destin, Sculptée dans l'éther, par un souffle divin, Où les chemins se croisent, en un ballet secret, Et les âmes s'éveillent à l'étrange attrait.Sous le voile du hasard, les destins se lient, Tissant des fils d'or dans l'ombre infinie, Et dans le silence, une promesse se pose, Changeant à jamais la trame des choses.J'espère que ces vers reflètent l'esprit et l'émotion que vous recherchiez. Si vous avez d'autres demandes, n'hésitez pas à me le faire savoir !
Je me rends compte qu'à travers les années, Venise a toujours été pour moi le théâtre de rencontres significatives, de ces croisements de destin qui, à leur manière, sculptent le cours de notre existence. Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de me demander quelles nouvelles aventures et quels nouveaux liens cette ville magique me réserve encore. [...]

Antoine était un peu perdu. Il tourna les pages du journal en espérant avoir le détail de ce à quoi Nicolas faisait référence. Soudain, il trouva. L'entrée portait la date du 14 octobre 1897 :

« Rialto ce matin. J'avais craint que le brouillard ne s'attarde, mais il était à peine neuf heures lorsque je posai le pied sur le ponton. Le marché battait son plein, bien que les couleurs familières me parussent délavées, telles une aquarelle estompée. J'espérais croiser le jeune Anglais avec lequel j'avais échangé quelques mots l'autre soir chez les Giovanelli. Il m'avait confié qu'il se rendait chaque matin dans ce quartier animé, dans l'espoir de revoir une jeune femme dont l'allure l'avait, selon ses propres termes, ensorcelé. Il prétendait connaître son adresse, et la contrada San Zuane ne lui était plus étrangère. Ce vieux quartier, partiellement insalubre dès que l'on s'éloigne des placettes bordant le canalazzo, abrite la chiesa San Giacometo, si vieille qu'on la croirait prête à s'effondrer, à l'instar du pauvre campanile de San Marco. La grisaille de ce matin accentuait cette impression de décrépitude [mots illisibles en russe].
Un mendiant s'empara de la manche de mon manteau. Son apparence était repoussante, avec une large bouche dévoilant deux dents jaunes. Il marmonna des paroles que je ne compris point. Un prêtre finit par le chasser. Derrière ce triste personnage, deux jeunes femmes avançaient, chacune la tête et les épaules recouvertes d'un châle de cachemire. Leurs motifs si semblables me donnèrent d'abord l'impression qu'elles partageaient une même écharpe. le vieil accordéoniste qu'on croise souvent sur les Schiavoni, jouait au pied des marches du pont, tandis que la messe semblait s'achever. Peu de fidèles en sortaient. Parmi eux, je ne remarquai que ces deux jeunes femmes.
Je ne sais pourquoi, mais dès l'instant où je posai les yeux sur elles, je compris pourquoi Edmund cherchait à revoir cette jeune fille dont il avait parlé dans le salon du prince. Il s'agissait certainement de la plus jeune. Elle se tenait droite, le visage protégé des miasmes de la rue par son châle. Il émanait d'elle une sorte de lumière. Le prince Alberto s'était gentiment moqué de notre pauvre anglais; J'avais ri avec lui sans entendre vraiment le motif de la plaisanterie. Giovanelli a notre âge. Il est drôle, impétueux et débonnaire. C'est un bergamasque. Un peu l'équivalent des cosaques chez moi.
Toutes ces pensées qui m'étaient venues en cheminant du palais jusqu'au Rialto s'évanouirent quand je vis sortir les deux jeunes femmes. Je sus aussitôt qu'elles me plaisaient. Je m'empêchais de les dévisager davantage. Juste derrière, Edmund suivait à quelques pas des jeunes femmes. Il ajustait son chapeau. Impossible de ne pas le reconnaître pour un Anglais, non seulement à cause de ses cheveux roux et bouclés, mais aussi par son manteau dont le ton tranchait avec ceux des gens qui sortaient comme lui de l'église. Ah, ses vêtements ! Je lui fis un signe, et lorsqu'il me vit, il agita son chapeau avec un large sourire. Des manières fort anglaises, ma foi.
Antoine connaissait bien les lieux évoqués par Nicolas. Mais ils avaient depuis longtemps été restaurés et plus aucune trace ne subsiste de l'impression misérable du bâtiment. L'église semble presque pimpante, les maisons attenantes recouvertes d'un joli torchis, les volets repeints. L'horloge qu'on voit sur la photographie trouvée dans le journal de Nicolas a été remplacée par celle du XVIIIe siècle qui avait été déposée par l'occupant autrichien. Elle occupe presque tout le fronton de l'église. Il n'y a plus de mendiants assis sur le rebord du parvis. Même par un jour de brouillard, les lieux n'évoquent en rien la tristesse et la pauvreté qui choqua tant Nicolas. Avait-il été mal à l'aise aussi en Russie, devant la misère de certaines rues de Petersbourg ou de Moscou ?
 
Antoine l'avait appris dès les premières pages du journal vénitien de Nicolas. Les Weyss de Weyssenhoff occupaient depuis plusieurs mois une aile du palais Donà Giovanelli que leur louait la princesse, une grande amie de la comtesse. Mais ceci fera l'objet d'un autre récit.
 

 
Plusieurs années séparent ces deux clichés. Le bureau que j'avais aménagé dans une petite colocation où j'ai habité quelques semaines le temps d'un été, est celui sur lequel j'ai déchiffré et retranscrit les pages du journal de Nicolas Weyss de Weyssenhoff et pris mes premières notes sur ce texte qui n'en finit pas de grossir sans pour autant me sembler satisfaisant. J'aimais bien cette chambre aménagée dans le grenier d'un des palazzi de la Fondamenta dei Preti, à Sta Maria Formosa. Il faisait terriblement chaud cet été-là et nous faisions des courants d'air pour que l'air soit moins suffocant. Ma fenêtre donnait sur les toits et encadrait le haut du campanile. Je m'installais souvent sur le poggiolo assez large pour y disposer des coussins. La vue, la brise pleine de senteurs marines, de la musique, du thé et des biscuits, tout était réuni pour les moments heureux et solitaires qui m'aident à me concentrer avant que d'écrire.
 
La seconde photographie - on parle de "selfie" n'est-ce pas a été prise dans la chambre de l'appartement où j'ai eu la joie d'habiter après le départ contraint du campo sant'Angelo par la mort de la propriétaire du palazzo à l'entrée de la Calle degli Avvocati. C'est à ce petit bureau de dame que j'ai poursuivi mon travail d'écriture autour de la vie et de la fin disparition de Nicolas W. de W., personnage ô combien mystérieux dont je découvrais peu à peu sous ma plume la consistance et les émotions. C'est là que furent rédigées les notes autour de cette carte postale montrant l'église San Giacomo au Rialto.
 
à suivre. 

10 mars 2025

SuMus, Aquamour c'est bientôt

Un nouveau festival ? répondait au téléphone une vieille amie vénitienne avec qui  j'évoquais ce matin cette manifestation Une nouvelle vision d'une Venise dépoussiérée et nettoyée des squames du tourisme Unesco autant que des manifestations super-élitistes pour des Happy Few hors-sol ? On verra bien quand tout aura eu lieu. Une initiative intéressante en tout cas qui fera pousser des hauts-cris aux orthodoxes défenseurs de la venezianità qui ont raison de vilipender tout ce qui tenterait de faire de Venise un clone de n'importe laquelle des métropoles modernes. Ici ce n'est pas Dubaï ni New York, ni Paris ni Berlin. C'est Venise. 
 
Les gens de SuMus semblent en être conscients. Je n'ai pu assister à leur lancement, exilé loin de la Lagune. Jargonnant sans arrogance ni prétention, juste ce qu'il faut pour attirer l'attention de ceux qui sentent bien que quelque chose doit impérativement changer pour que tout reste comme avant, c'est à dire pour que Venise en retrouvant une vie quotidienne non conditionnée par le tourisme Unesco et la bêtise des troupeaux qu'on promène en avant-garde des détrousseurs d'oxygène vital et de traditions séculaires. 
 
Alors va pour le jargon et suivons les initiatives intelligentes de ce mouvement. SuMus rappelle l'universalité de Venise mais aussi son statut unique et primordial dans une époque d'effondrement et d'inculture, d'égoïsme et de violence. On le sait bien, à Venise rien ne se ressent de la même manière. On s'y ressource, on y aime et on y meurt comme partout mais avec une lumière unique et un rythme différent.
 
Du 21 au 25 mars, ce sera ainsi la première édition du festival Aquamour.  Original dans sa conception, sa forme et sa gratuité, ce festival s’adresse à tous les publics grands et petits, vénitiens et internationaux. Cette année, il portera le thème de l’intelligence de l’eau.
 
Original dans son contenu comme dans sa forme, puisqu'il est à la fois artistique, ludique, éducatif, scientifique et économique. Il sera décliné autour de plusieurs espaces complémentaires que même les vénitiens ne connaissent pas encore ou peu. La preuve que Venise a d'autres ressources que le planplan des Maries ou le défilé du doge et de la dogaresse ersatz gogos de sfilata historique où l'on mélange les époques et les genres puisque le public ébahi gobe tout à la manière de Disneyland. Non Aquamour, ce sera autre chose visiblement. Nous jugerons sur pièce n'est-ce pas. En voici les grandes lignes et les liens pour mieux comprendre ce qu'est SuMus :

«AcquaShowroom, espace LeonardH2o en hommage à Leonard De Vinci qui a dit “scrute la nature c’est ton futur”. Cet espace se trouvera à la forge du futur et exposera des start-ups innovantes dont les activités sont aquatiquement bio-inspirées.
 
AcquaPavillon, dans la serre du jardin royal, venez découvrir les vertus de l’eau informée, l’eau osmosée, l’eau purifiée, l’eau dynamisée, et les bienfaits de l’eau de Quinton.
 
AcquaTalk, l’auditorium du Human Safety Net donnera la parole à des speakers du monde entier venus partager avec nous leurs connaissances sur le cycle de l’eau, l’économie régénérative et le biomimétisme.
 
AcquaExhibitions : différents artistes vénitiens et internationaux exposeront leurs œuvres dans différents espaces culturels de la ville permettant d’apprécier la puissance et l’intelligence de l’eau à travers leur créativité.
 
AcquaHappening : plusieurs mouvements citoyens seront organisés autour de ces 4 jours autour de l’eau, du partage et de la convivialité.
 
Acquaconcert : 2 concerts seront organisés autour de l’eau, de la paix et de l’amour. Le premier au théâtre Goldoni accueillera le groupe Monte Bello avec une programmation spéciale autour de la thématique de l’eau. Le second aura lieu au Conservatorio Benedetto Marcello et accueillera Luca Franzetti et la soprano iranienne d’Opéra for Peace, Forooz Razvi.
 
AcquaFilms : une sélection de courts et longs métrages autour de l’eau suivi de débats aura lieu tous les après-midis au cinéma Rossini en collaboration avec l’association qui porte l’acquafilm festival.

Venez nombreux. Toutes les activités seront gratuites et ouvertes au plus grand nombre.

L’objectif de ce festival est de valoriser l’eau et tous les écosystèmes aquatiques comme des biens à la fois précieux mais aussi comme source d’innovation pour le modèle sociétal de demain. »

Vous trouverez que le site de l'association toutes les informations sur le festival bien sûr (d'où est extrait la longue citation ci-dessus, mais aussi qui sont les fondateurs, initiateurs, animateurs de tout ce qui depuis 2021 fait avancer le projet SuMus, avec Venise comme le phare du monde, expression qui nous parle à Tramezzinimag, tant nous disons et répétons depuis vingt ans sur ce site et ailleurs, que Venise par son passé, son histoire, son écosystème, les initiatives de son peuple au fil des siècles, a toujours été une source d'inspiration, parfois trop oubliée aujourd'hui.Venise est un modèle d'organisation sociale, de combat écologique, d'ouverture au monde et d'inventions universelles. Merci à SuMus de tenter  de le faire comprendre au monde !
 
Vous trouverez le détail de tout ce que l'association a organisé depuis ses premiers vagissements sur le site. Il y en a eu de belles choses déjà ! Le bébé a mûri et désormais, il faut souhaiter que ce qui y est dit et fait trouve un écho favorable parmi tous ceux qui veulent sauver l'âme et la vie de la Sérénissime.  

 
Bande-Annonce du film «Il faro del mondo», 
réalisé par Marco Tassini  (2021).
dont nous nous étions fait l'écho en son temps.

04 mars 2025

Xe finio carnoval !


C'est aujourd'hui l'ultime jour de Carnaval Xe morto, xe finio carnoval ! Ne versons pas de larme, il reviendra, frais et gaillard dès l'année prochaine !

Il y a deux types de personnes : celles qui aiment se travestir et celles qui détestent. parmi les adeptes du déguisement, de tout temps, on trouve ceux qui aiment paraître autres ou dis-paraître sous des accoutrements divers qui cachent aux autres qui ils sont et parfois ceux qu'ils sont. Ils aiment se sentir différents et en se donnant à voir peuvent espérer se cacher. Ainsi des gens masqués qui des semaines durant lors les carnavals d'antan de la Sérénissime (la période où l'on allait masqués duraient alors une bonne partie de l'année ) allaient au théâtre, dans les cafés et aux bals le visage couvert d'un masque. Le patricien et les plébéiens se mêlaient joyeusement La grisette pouvait passer pour être une princesse étrangère ou une grande dame en goguette, le jeune héritier proche du doge se transformait en manœuvre de l'arsenal ou en marin du nord. 
 
Il fallait faire rêver, séduire et s'amuser avant que le Carême ramène tout le monde vers la contrition et l'abstinence. Une liberté de mœurs, le reste de l'année décriée et parfois pourchassée, dont tous profitaient sans vergogne. Un peu de cet esprit est resté. On le retrouve à certains moments pendant les carnavals d'aujourd'hui à Venise. On dit que ces moments qui pourraient jaillir du somptueux passé de la Dominante avant que l'Attila corse et son armée de soudards mettent fin à la République. C'est vrai. Rarement, mais c'est vrai. On croise encore de somptueux costumes bien portés, des masques dont on aimerait soulever le voile et un parfum de settecento qui semblerait presque authentique. Hélas, pour la grande majorité, le grossier et le vulgaire règnent en maître. C'est à qui sera le plus ridicule. Le carnaval est un outil de défoulement pour les masses abruties par les médias. 
 

Heureux les happy few qui peuvent se rendre à des soirées privées - toutes en accès payant - ou à ces bals «comme avant» (ou presque) qui s'organisent dans certains palais. Ils remontent le temps et peu importe les télescopages du temps, la marquise poudrée toute de soie vêtue croise le maréchal d'Empire ou un cardinal romain... Mais ce n'est pas l'image représentative de ce que le carnaval est aujourd'hui. Peut-on le regretter ou faut-il se réjouir de cette dynamique de la fête et du plaisir mis aux diapason de nos temps et de leurs usages ?
 
 
Mais à tout cela, le carnaval des calle et des campi, celui des palais et des parades navales, ce que je préfère ce sont les fritoe traditionnelles qu'on déguste entre amis, en famille, avec un de ces chocolats comme on en préparait du temps de Goldoni ou bien avec un verre de Malvasia ou une vieille grappa !
 

 
 
Et, pour finir joliment, un peu de musique avec cet extrait du final de la pièce de Goldoni donnée en 2017 au teatro Astra de Torino. Un très beau souvenir pour ceux qui ont pu y assister ( et y participer). Certains parmi les lecteurs de Tramezzinimag doivent encore s'en souvenir !
 

26 février 2025

Que nous avions l'air bête ces années-là !

 
 
Avec le recul, nous savons combien nous avons été pris pour des imbéciles et la peur a fait de beaucoup d'entre nous des zombies effrayés. Réduits à accepter les oukases de dirigeants tout aussi paumés que le bon peuple tétanisé foulèrent aux pieds les droits et les valeurs les plus élémentaires sous prétexte que de (faux) experts qui ne savaient rien ou pas grand chose annoncèrent un beau matin des centaines de millions de morts à venir. La peste puissance mille allait ravager la planète. Pour l'éviter, arrêt sur l'image total et absolu. Silence dans les rues et sur les places livrées aux animaux et au vide. Des citoyens déconcertés contraints de s'auto-délivrer des permissions de sortie, la trouvaille de certains (grand succès en Italie) d'adopter un chien pour pouvoir sortir sans risque de finir en prison, pardon en cellule de quarantaine. 
 
 
 
Des policiers qui dans certains lieux, s'en donnèrent à cœur joie, pourchassant les vieilles dames sorties acheter des biscuits ou des fleurs, denrées non fondamentales. Amendes donc... Tout le monde s'est soumis comme tous - ou presque - se sont soumis ensuite au vaccin, aux tests. Heureusement des praticiens intelligents, des pharmaciens honnêtes, tous gens de savoir à qui on ne la leur fait pas, ont résisté et nous ont aidé à résister, nous les criminels, les rebelles, les assassins qui refusèrent les masques, les tests, les vaccins, qui soignèrent leur gros rhume ou leur grippe comme à l'accoutumée, à coup de thym et de quercétine, d'ail et de miel, de bon sens et de fruits et légumes frais et crus, de gestes évidents d'hygiène et qui ne sont pas morts - sinon d'effroi devant autant de bêtise - de terreur et d'effroi même chez les plus cultivés, les plus intelligents et les plus ouverts à la critique et à la réflexion. 
 
 
 
On a payé fort cher cette escroquerie morale et on continue de la payer. Combien de familles déchirées, d'amitiés rompues parce qu'on ne partageait pas la doxa imposée par Big Brother et sa tribu de Big Pharma. Allez, mieux vaut en rire et continuer d'éviter le paracétamol, l'ibuprofène et autres chimiqueries qui ne servent qu'à engraisser d'obèses actionnaires qui ont continué de s'en mettre plein les poches. défendons les Huiles Essentielles et l'aromathérapie, l'argile et les plantes, le savoir faire ancestral et le bon sens surtout. 
 
Profitons de cette accalmie, car demain quand les vrais médecins, fidèles au serment d'Hippocrate, qui sacrifient leur temps, leur vie parfois même pour visiter les malades, leur parler de bon sens et appliquer des thérapies naturelles et qui marchent seront tous à la retraite, remplacés par des petits soldats de l'ARS aux horaires non flexibles, ne se déplaçant plus et servant de trieurs pour une médecine de niche trieront les patients pour les envoyer chez le spécialiste qui ne saura rien de la spécialité de son voisin, il nous faudra continuer le combat - car c'est d'un combat de civilisation dont il s'agit - et défendre becs et ongles, une médecine humaine, naturelle, avec une approche holistique intelligente, avec des traitements qui ne coûtent rien ou si peu et font mieux que les bombes et autres poisons chimiques que nous concoctent les laboratoires industriels. 
 
 
 
Le bel avantage de cette période folle, outre la preuve que l'humain est un des animaux les plus bêtes parmi les espèces animales, que les élites seront prêtes à tout pour s'enrichir sans effort, que les politiques n'ont plus aucun sens de l’État ni du bien commun, ce furent ces heures délicieuses à se promener dans des villes et villages vides, silencieux. Pouvoir rester les fenêtres ouverts en pleine ville et n'entendre que le souffle du vent dans les feuilles des arbres ou le chant des oiseaux, c'était à Venise, les retrouvailles de la ville et de ses habitants avec la nature, la propreté de la lagune, les poissons qui pullulaient, les eaux claires et l'air impollu, les touristes disparus miraculeusement. 

Vous l'aurez deviné, je fais parti de ceux qui ont littéralement adoré le confinement. Seule ombre au tableau, on savait qu'un jour cela serait oublié et que le bruit, le stress, les tensions et la pollution reviendraient. A quelques jours près, j'aurai pu comme d'autres rester en clôture à Venise puisque on ne pouvait plus voyager. J'aurai adoré comme tous ceux qui sont restés, retrouvant leur âme d'enfant, l'émerveillement de sentir la ville vivre au ralenti et de l'avoir pour soi. Confiné à Bordeaux, j'ai continué à faire fonctionner la galerie - librairie (première nécessité), le café à côté fonctionnait pour ses fidèles, à guichet fermé, je sortais trois ou quatre fois par jour sans jamais avoir eu un seul contrôle. Nous avons fait de la musique, lu des livres à vois haute, joué aux cartes ou aux échecs... Je passais des heures sur un banc au soleil, j'ai fait de nombreuses balades dans les environs à bicyclette ou à pied, un casque sur les oreilles, découvrant des lieux où je n'avais jamais mis les pieds, croisant des gens heureux de vivre la même expérience, les rues propres, le silence, les oiseaux, la lumière qui semblait plus pure et joyeuse... 
 
certains se la jouèrent même zorro mais on n'est pas à Venise là
Et c'est depuis ce temps-là que j'ai cessé d'écouter ou de lire les informations, refusant d'entendre tous ces politiciens empêtrés dans leurs fausses valeurs. Comme eux j'étais coupé du monde réel, mais eux appliquaient bêtement les instructions de ces vendus de l'OMS soumis à l'industrie pharmaceutique, cherchaient à ne pas déplaire aux financiers quand mes amis et moi nous redécouvrions les petits plaisirs d'une vie tranquille, poétique et délivrée des contraintes de ce monde moderne qui a entamé sa déréliction comme on se suicide. La nature a repris ses droits, jusque dans nos esprits. Les plus anciens ont été les plus ages. Pas une seconde, ils n'ont cru ces voix tonitruantes qui imposaient tout et son contraire comme les vérités absolues d'un nouveau catéchisme. A ce propos, rappelez-vous l'image terriblement triste de la cérémonie des obsèques du Duc d’Édimbourg à Windsor, un soldat tout les deux mètres et l'assistance masquée, tous à plus d'un mètre de leur voisin et l'interdiction faite au peuple de rendre sur le passage du cortège. Aberrant mais cela a vraiment été !


 

16 février 2025

Coups de Cœur N°63

  
Aquarelle de Dürer réalisée en 1525 où il décrit son rêve,peut-être pour se souvenir de l'image d'une futur tableau qu'il aura rêvé...

La lectrice qui vient gentiment de m'écrire une vraie lettre avec des timbres et tout, ne se doutait pas combien l'enveloppe que je retirais de ma boite au milieu des infâmes prospectus dont nous sommes abreuvés quotidiennement et du magazine départemental, allait réenclencher un mécanisme que je croyais définitivement désynchronisé. 

Cette amie fait partie de ceux qui n'ont jamais renoncé à écrire à la main. Artiste douée - trop discrète - elle complète souvent ses propos de petits croquis qui m'ont toujours enchanté. Recevoir un vrai courrier est devenu tellement rare. Quand je dis aux amis qui partent en voyage de ne pas oublier de m'envoyer une carte postale de leur lieu de villégiature, ils ont un instant d'hésitation... La plupart lèvent les yeux au ciel, la mine contrite. Alors je fais semblant de ne pas relever l'ironie (ou bien serait-ce de la pitié ?) que leur moue exprime et je n'insiste pas, ou bien je dis que je collectionne toujours les cartes postales... Je ne suis pas dupe, je connais leurs propos «Oh ! Ce pauvre Lorenzo, il ne grandira jamais», «un idéaliste pur et dur», «le monde change et lui demeure» ou des choses du même acabit. On est toujours sot ou imbécile quand on n'a pas les réactions communes, au mieux naïf et à plaindre, «dans ce monde devenu si difficile et si dur».

Il y a longtemps que j'ai cessé d'exprimer mon ressenti quand je suis avec d'autres adultes. Prévert avait raison, ils ne peuvent comprendre. Leur tolérance a rapidement ses limites. Difficile de réaliser un jour, soudain, par on ne sait quelle circonstance inattendue, que mes pairs n'ont aucune imagination ou bien l'ont tellement étouffée qu'ils ne savent plus. Saint-Exupéry le fait dire au Petit Prince, n'est-ce pas. La proximité des gens sérieux rendait fou furieux Rimbaud... Tout ça pour exprimer ma joie lorsque des gens, jeunes ou vieux, ne perdent jamais cette soif d'invention, de créativité. ils font le monde moins laid, moins triste. Ces adultes sont en colère sans se rendre compte que leur colère, ils se l'adressent à eux-mêmes. Conscients que la femme ou l'homme qu'ils sont devenus a trahi l'enfant pur et émerveillé qu'ils furent. A tout jamais.


Bref notre monde actuel est ainsi fait. Bien éloigné de l'amour et de l'eau fraîche. On ne jure que par la respectabilité, le sérieux, la rigueur. On ne rigole plus maintenant Messieurs-Dames. Non, non, on n'est pas là pour ça ! Allez, au pas ! (et remettez vos masques !). 

Mais les coups de cœur n'étant pas encore proscrits. en voici quelques-uns que je vous recommande. N'hésitez-pas à revenir vers moi et me donner vos avis !
 
Ouvrage Collectif
Au bout de nos rêves
Le Retour des Utopies
Fondation Jean Jaurès
Éditions de l'Aube, 2022
8€
Un petit livre rutilant qui fait drôlement du bien dans la morosité et les grognements de plus en plus décomplexés des fascistes de tout poils d'aujourd'hui. Le principe de ce livre est simple. Publié dans la collection, «Les Petits cahiers de Tendances», que présente Thierry Germain dans son avant-propos, regroupe les textes de quatre auteurs parmi les plus pertinents, des esprits de qualité : «Quatre entrées» dit Thierry Germain, «qui disent à chaque fois un objet, un lieu, une personne et un concept, quatre regards nourris et incisifs pour émouvoir, surprendre, interroger et débattre autour de ce qui nous attend. ». Les titres donnés aux chapitres sont appétissants :  «Rêver pour suspendre le ciel » par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle enseigne en études environnementales à l’EHESS et est l’auteure d’une dizaine de livres, dont Rêves en colère (Plon, 2017) et Viviana Lipuma,agrégée de philosophie, docteure en philosophie politique et membre du Labo HAR de l’université Paris-Nanterre. Elle enseigne la philosophie dans le secondaire et l’art contemporain à l’université Gustave-Eiffel. « Devenir jardinier » par l'écrivain Alexis Jenni, prix Goncourt 2011, auteur de « Cette planète n’est pas très sûre. Histoire des six grandes extinctions» (HumenSciences, 2022) et de « Parmi les arbres. Essai de vie commune» (Actes Sud, 2021), « Expérimenter les utopies » par Timothée Duverger, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire TerrESS. Il a notamment publié « Utopies locales. Les solutions écologiques et solidaires de demain» (Les Petits Matins, 2021) et enfin, «Proto-Habitat : une utopie construite» par l'architecte Flavien Menu, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, créateur avec Frédérique Barchelard de Proto-Habitat, un modèle d’habitat collectif alliant flexibilité des usages et espaces pour des modes de vie sains et durables. C'est une lecture sérieuse mais tout à fait accessible que des amis souhaiteraient traduire en italien.
 
Carles Diaz
C'est à ce prix que nous mangeons 
du sucre 
Le poème à l'épreuve du contemporain
Essai
Éditions Abordo, 2024
100 pp. 
13€
En considérant le sucre comme une métaphore du monde contemporain et en établissant une analogie entre son processus historique et l'évolution des praxis liées à l'art et à la communication, ce texte interroge les mécanismes culturels et repense le sens, la place et la nécessité d'une parole poétique dans le monde d'aujourd'hui. L'auteur nous propose de mettre le poème à l'épreuve du contemporain. 
La citation d'Elisée Reclus, « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort » ne pourrait-elle pas s'appliquer à la Sérénissime et à ce qu'elle tend hélas à devenir, un gogoland pour le peuple et un repère d'une élite nouvelle mode, happy few de plus en plus riches et de moins en moins porteurs d'idées pour sauvegarder la vie réelle à Venise. « C’est une vérité lucide, péremptoire, cruelle. L’homogénéisation et la standardisation des modes de vie touchent aussi aux dimensions artistiques et intellectuelles, et c’est sur ce point que je me tourne vers les artistes et les poètes : que pouvons-nous faire face à ce vertige ? Que proposer dans un monde de plus en plus abîmé, essoré, numérisé ?  Comment faire société dans une communauté de plus en plus uniformisée, radicalisée, qui vise la réduction absolue de l’homme à un modèle unique ?»
Carles Diaz est un ami. Je l'ai rencontré par un heureux hasard il y a plusieurs années et j'ai tout de suite aimé sa manière de parler de l'art et de la beauté. Le jeune homme (il est né en 1978) vient d'Argentine et écrit en français. Il sait aussi la langue d'Oc. Sa page wikipedia parle mieux et plus en détail de son parcours universitaire et de ses livres. J'avais beaucoup aimé la Vénus encordée, journal imaginaire de Rose Valland en 1943. Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, à Paris, on lui doit le sauvetage de plus de soixante mille œuvres d'art et objets dont les nazis souhaitaient s'emparer. Parmi ces œuvres sauvées, il y avait la Vénus de Milo qui donne son titre au livre. 
Mais le dernier opus de Carles Diaz est loin de l'Occupation. Il emprunte son titre au Candide de Voltaire, « Cet essai inclassable, dont les prémisses remontent à 2019, est aussi en bonne partie le résultat de deux conférences données par Carles Diaz, en tant qu’écrivain : la première, “L’exigence poétique face à l’objectivation de l’expérience sensible”, lors de la journée “Qu’est-ce que le poétique ? ― Hommage à Jean Onimus (1909-2007)”, à l’Université Côte d’Azur, le 10 mars 2022 ; la seconde, “Écrire le siècle : de la conscience poétique et la nécessité d’être inactuel”, à l’Université de Vienne, Autriche, le 9 janvier 2023. »
« C’est un essai d’écrivain plus qu’un essai universitaire. Je tiens à le dire parce que je ne prétends pas établir une démonstration quelconque. J’ouvre des questions qui me semblent indispensables d’être posées aujourd’hui.»  
Le lien d'intérêt entre les propos du livre et Venise m'a paru évident.  
Et l'auteur d'ajouter : « Il ne s’agit pas de dire avec béatitude que la poésie doit sauver les hommes, ni de demander à celle-ci de nous permettre de rêver d’un autre monde, mais au contraire, de briser le conformisme et la complaisance, de viser plus que l’uniformisation et l’acceptation passive d’un devenir manifestement dangereux. Je suis très sensible à la question de l’environnement, à la disparition annoncée des langues dites minorées. Je le suis aussi face à l’appauvrissement des langues en général, car dès qu’une langue se simplifie et se décomplexifie, elle perd des moyens pour symboliser le monde, aussi bien que sa dimension de mémoire.»

Paul Eluard
L’Amour, la poésie 
œuvres de Kiki Smith   
Gallimard, 2024
176p. 
45€.  
Depuis les années 2000, l’artiste se projette dans le monde du vivant, du végétal. « Soyons attentifs à la nature » : c’est ce que Kiki Smith, artiste mondialement reconnue, exposée dans les plus grands musées et présente dans de nombreuses collections d'art contemporain, exprime dans ses œuvres les plus récentes. Pour son entrée dans la collection, Kiki Smith a choisi ce texte de Paul Éluard, paru en 1929, après un dernier hiver passé au sanatorium avec sa femme Gala qui devait le quitter, peu après pour Salvador Dali, ce « livre sans fin », retrace l’aventure d’un homme désespéré et déchiré entre l’amour et la poésie, entre le réel et l’imaginaire, d’un homme à qui la poésie redonne, avec l’amour, le goût et la passion de la vie. Ses interventions au fil des pages ponctuent ces poèmes, dans un univers où corps, nature et cosmos rencontrent l’esprit du surréalisme. Un beau livre, pas donné certes mais qui a sa place dans toute bonne bibliothèque et chez tout esthète de Venise ou d'ailleurs. 

Luisa Ballin
Venise, la Vénétie est une fable
Éditions Nevicata
Coll. L'âme des peuples 
90 pages. 9€ 
La quatrième de couverture de ce petit opus exprime parfaitement ce que porte le texte de la journaliste Luisa Ballin qui fut responsable de l'information au parlement helvétique. D'origine vénitienne, la dame est une appassionata de Venise autant que de sa région. Son regard est moderne, son approche pleine d'humanité et d'amour.
« La Sérénissime n'est pas une île. On l'oublie, mais Venise est indissociable de son arrière-pays. Elle est l'enchanteresse de la Vénétie, une région aussi flamboyante que les palais longeant les canaux. La Vénétie a ses traditions, sa langue, son architecture, sa gastronomie, son identité. Souvent elle défie le reste de la péninsule et refuse, sourcilleuse et orgueilleuse, les exigences de Rome, cette lointaine capitale. Elle regorge de personnages et de lieux qui témoignent des liens indissociables entre la lagune et sa terre ferme. Ce petit livre nous transporte dans les coins les plus insolites de cette région trop méconnue. Vous êtes passionnés de Venise ? Vous allez adorer cet écrin qu'est la Vénétie. Un grand récit suivi d'entretiens avec Rodolfo Bonetto (enseignant), Tiziana Lippiello (rectrice de l'Université Ca'Foscari), Antonia Sautter (styliste) et Elia Romanelli (anthropologue).» Un autre indispensable à toute bibliothèque de Fous de Venise !
 
Søren Bebe Trio
Home
Label Out Here Music
2016
Avec les musiques ancienne et baroque, le jazz a toujours accompagné mon quotidien. le jazz classique et certaines variations liées au swing. Mais ce qu'on nomme le free jazz hérisse toujours autant mes oreilles comme bien des courants (sans jeu de mots) des Musiques Actuelles. Pourtant de nombreux compositeurs de talents inventent des sons agréables et percutants, chauds et de pure musicalité. Le jazz scandinave commence d'être apprécié et reconnu par les publics français et italien. Pour France Musique, le Søren Bebe Trio - fondé en 2007 -  apparait désormais comme une pierre angulaire du jazz européen. Parmi les publications du trio danois, il y a Home, qui date de 2016, mais montre la grande maîtrise et la qualité des musiciens de cet ensemble de jazz scandinave. Un ami britannique que je logeais alors m'avait fait découvrir les compositions de Søren Bebe dont l'ensemble s'était produit à Londres.  Dès la première écoute, leur son avait enchanté mes oreilles.
 
Søren Bebe Trio
Here now
Label Out Here Music
2023
«Ce disque est un ensemble d'interprétations lyriques qui mettent l'accent sur la mélodie et la beauté. L'accent est mis sur l'ambiance, l'atmosphère et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. » explique le critique anglais Ian Mann. Les pièces sont souvent construites comme des chansons, relativement courtes (une seule d'entre elles dépasse les cinq minutes). L'atmosphère générale est sereine. L'accent est mis sur l'humeur, l'ambiance et la narration plutôt que sur la virtuosité pure. La musique illustre le déménagement de SBebe et de sa famille vers la tranquillité de la campagne. Il vit désormais dans un petit village entouré de bois, de lacs et de terres agricoles, et l'écriture de cet album a été inspirée par la paix et la tranquillité de cette nouvelle existence bucolique. L'ambiance générale de la musique est détendue, contemplative et résolument lente, non pressée, toute en subtilité. Un bonheur.
 
Pour vous enchanter, ces deux extraits :
 

22 novembre 2024

Une fois encore, l'heureux temps de la Festa della Salute

Un grand moment pour les vénitiens, ce jour festif où toute la population traverse le Grand canal pour rendre hommage à Notre Dame de la Salute. tous empruntent le pont votif qui part du campo devant le palazzo Gritti pour aboutir à la basilique, tous recueillis plus peut-être par la solennité et la tradition que par une foi active et véritable, mais qu'importe, il se passe quelque choses entre toute cette population, tous milieux et âges confondus, qui chemine en procession derrière le patriarche et les autorités d'aujourd'hui, moins chamarrés et respectés que du temps de la République, mais tout est semblable, l'emplacement du pont flottant, la ferveur, la bonne humeur, les rites et usages. 

Et puis il y a ce sentiment d'appartenance, cette fierté de mettre nos pas dans ceux qui nous ont précédés. Vénitien de sang, je ne suis pas né à Venise - peu s'en est fallu - et si les deux générations d'avant moi étaient davantage liées à Constantinople, Milan et Florence, cette fierté, ce sentiment d'être chez soi, al posto giusto, dans un moment tel que cette fête rituelle, je l'ai toujours ressenti avec force en moi.

Je me souviens de la toute première fois où, étudiant, je décidais de me joindre à la procession. Une grande émotion s'était soudain emparée de moi. Dans mon journal, j'ai retrouvé ces notes :

«J'ai senti vraiment comme une présence invisible. Joyeuse elle m'accompagnait... En fait, je sentais quil s'agissait de l'âme des miens, mes anges comme disait ma grand-mère, tous ceux qui vécurent ici avant moi et qui ont fait que je vive là à mon tour, mettant à mon tour mes pas dans les leurs...»

Ce jour-là, je vous assure que la sensation était très forte, presque palpable physiquement, comme un souffle, une présence... 

«ils marchaient tous avec moi, le long de l'étroite calle del Traghetto où débouche le pont votif. Ils m'ont transmis leur foi et leur enthousiasme, tous ceux dont le sang coule dans mes veines, marchands, soldats, marins, médecins, celui qui fut drogman du sultan, l'aïeule qui refusa de quitter Venise quand l'attendait un mariage princier à Candie, [illisible],diplomates, interprètes, poètes, musiciens...  D'eux aussi, cette passion pour tout ce qui touche à Venise. Et puis cette impression depuis mes premiers pas sur les "masegni" de la Sérénissime, celle d'être ici depuis toujours, de n'appartenir qu'à ces lieux, ces monuments, ces canaux, ces îles, cette lagune, ma patrie !»

Ces propos maladroits pleins d'emphase, je les ai écrit dans mon journal à dix-sept ans. Je ne m'exprimerai guère différemment aujourd'hui, les lecteurs de Tramezzinimag ne peuvent que le confirmer... Cette Solanità della Madonna della salute ravive à chaque fois ma passion, mon amour pour la cité des doges.

J'ai perdu hélas, une photo qui était rangée dans ce cahier retrouvé. c'est l'amie qui m'accompagnait ce jour-là qui l'avait prise. Elle donnait à voir une figure d'adolescent extatique, la tête un peu penchée comme j'apparais toujours sur les clichés de cette époque. Quand je savais l'objectif pointé sur moi, le regard que j'avais souvent joyeux, se faisait soudain taciturne. Timidité d'adolescent ou coquetterie de celui qui se sait séduisant ? On pouvait croire à mes sourcils froncés qu'être pris en photo me gênait. Il y avait des deux, je pense.  

« Tu es encore absent ! » me disait-elle souvent, agacée mais bienveillante. Je devais la rassurer à chaque fois : « Non, non, je suis là avec toi, ce n'est rien. Je pensais». Absent, oui je l'étais, et je le suis resté, surtout au milieu du monde, au milieu des autres. Absorbé en réalité par mille pensées, j'avais du mal à être vraiment là où mon corps se trouvait, avec les gens qui m'entouraient. 

Difficile à expliquer, je n'étais plus un jeune garçon que la vie et le monde effarouchaient et pourtant... La mèche en désordre sous le bonnet de laine, ce bonnet aux couleurs vives unies que nous portions tous, selon la mode d'alors, roulé sur le haut du crâne sur nos cheveux longs, imitant sans le savoir les garçons de Carpaccio (ignorions-nous vraiment cette ressemblance après tout ?), je m'étais accoudé à une barrière. L'évasion de mes sens et de mes pensées ne traduisaient ni l'ennui ni la tristesse. Juste la contemplation d'un ailleurs qui pourtant avait tout à voir avec l'endroit précis où nous trouvions.

 
Ma foi, très active à cette époque, avait trouvé son équilibre dans le culte réformé, j'étais de tout cœur calviniste avec les calvinistes du temple des Chartrons à Bordeaux, puis naturellement vaudois avec la Comunità valdese qui m'avaient ouvert ses portes quand je m'installais à Venise. Pourtant la proximité avec Taizé restait très forte et là - comme chez mes chères diaconesses du Brillac - les rites inspirés des communautés monastiques dominicaines et bénédictines mais aussi de l'église orthodoxe me transportaient. 

 
Le dimanche bien souvent j'assistais aux vêpres chez les Bénédictins de San Giorgio prégnante. M'installer pour un temps dans la communauté de Frère Roger pour y éprouver mon engagement et peut être  y rester dans cet engagement complet qui me tentait tellement alors. En suivant la procession des fidèles, en pénétrant dans la basilique bondée, avec les milliers de cierges dont les flammes semblaient flotter autour de nous, les volutes d'encens, avait surgi soudain dans ma tête les quatre voix qui se répondent sur le texte «Cum vix justus sit securus» du Turba mirum, dans le Requiem de Mozart. Ce fut un grand moment de ferveur dont il me semble ressentir encore la force, comme les sons et les parfums de ce jour de fête, près de cinquante ans après.
 

Mais la fête rituelle, avec sa procession, son pèlerinage et sa messe solennelle, c'est aussi un autre rituel, matériel et gourmand celui-là : le traditionnel chocolat chaud dans l'un des grands cafés historiques de la Piazza, le zabayon caldo.
 
Mais le plat traditionnel de la fête est une sorte de pot au feu typique, la Castradina.
Ce plat roboratif est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle. Il est à base de cuisse de mouton séchée salée et fumée au soleil cuite religieusement, avec du chou de Milan. Ce plat est consommé à Venise depuis le XIIIe siècle et il a des origines dalmates. La Sérénissime s'approvisionnait en viande séchée - aliment parfait pour les longs voyages en mer - dans sa colonie d'Albanie  avant d'entreprendre des expéditions commerciales vers l'Orient. Il faut goûter à cette soupe riche et savoureuse, la viande est cuite avec des feuilles de chou de Milan. La préparation est tout un rituel qui obéit à des canons très anciens. Chez tous les vénitiens, le plaisir de la partager pour la Fête de la Salute se renouvelle ponctuellement chaque année.
 
Recette familiale de la Castradina 
 
Ingérdients (pour 6) :
  • 1,5 kg de viande de mouton préparée,
  • 1 beau chou de Milan frisé
  • 1 céleri-branche,
  • 250g de pommes de terre
  • 2 carottes
  • 3 beaux oignons,
  • 1 gousse d'ail
  • herbes & aromates : thym, laurier, romarin, baies de genièvre
  • Huile d'olive,
  • sel et poivre
  • Bicarbonate de soude
Faire tremper la castradina pendant une journée,d'abord dans de l'eau bouillante, puis tiède en changeant l'eau plusieurs fois. 
Le lendemain, dans une grande casserole ou marmite, faire roussir l'oignon coupé en tranches avec l'huile d'olive. Ajouter les légumes sauf le chou, pour obtenir un bouillon de légumes.
Ajouter la viande et laisser cuire pendant environ 90 mn.
Retirer la viande du feu et laisser refroidir dans un endroit frais.
Retirer la graisse du bouillon quand elle se fige sur le dessus.
Quand le bouillon est prêt, rajouter la viande refroidie découpée en morceaux. Laisser cuire le tout à petit feu pendant cinq heures  pour obtenir le ragoût.
Pendant ce temps, laver le chou, enlever les feuilles blanches et le couper en morceaux.
Faire revenir oignon et ail hachés dans une casserole. Quand l'oignon est fondu verser le chou. Laisser cuire environ six à sept minutes, assaisonner avec du sel et du poivre fraîchement moulu, en arrosant régulièrement le chou avec du bouillon de légumes si nécessaire.
Enfin, ajouter la viande au chou, laisser ce dernier finir de cuire.
Quand le chou est cuit, le mélange doit être moelleux. 
Pour parfaire le résultat, j'ajoute une cuillerée de bicarbonate de soude.
On sert à l'assiette les morceaux de castradina sur les légumes coupés en morceaux et on arrose de bouillon.
 
Bon Appétit et Bonne Fête de la Salute ! Pour conclure : Extraits du Requiem de Mozart (Rex Tremendae), dans l'interprétation de Jordi Savall.
 

« Rex tremendae majestatis, (Ô Roi de majesté redoutable), qui salvandos salvas gratis, (qui ne sauvez les élus que par la grâce), salva me, fons pietatis, (sauvez-moi force d'amour) ».  
 
 
« Cum vix justus sit securus» (Quand le juste est à peine certain)
 
 
Lire sur le sujet :  
Bonne fête de la salute (Tramezzinimag billet du 21/11/2007)