18 mars 2008

La Pescheria : Promenade et recette gourmande à Venise

Quand on a la chance de séjourner à Venise assez longtemps pour cuisiner, faire ses courses devient un réel plaisir. La cuisine vénitienne traditionnelle est simple mais savoureuse car elle profite depuis toujours d'excellents ingrédients qui poussent à portée de barques de la cité des doges. 

Parmi les grands classiques, les cichetti, ces tapas vénitiens dont je vous ai souvent parlé et qui sont traditionnellement accompagnés d'un verre, la fameuse ombra (surtout du vin blanc). On y retrouve les fameuses sarde in saor (sardines marinées avec de l'huile d'olive, du vinaigre, du laurier et/ou des oignons, des pignons de pin, des raisins secs) dont j’ai déjà donné la recette, mais aussi quantité de préparations de poissons et de fruits de mer: bigorneaux, poulpes, polenta aux schie (petites crevettes)... Sans oublier la baccalà mantecàto, sorte de brandade de morue séchée (mais non salée, contrairement à ce que désigne le terme baccalà dans le reste de l'Italie) préparée avec des anchois, de l'ail, du lait, de l'huile d'olive et du persil. Ce délice n’est pas si difficile à préparer même pour les cuisiniers obsessionnels comme Julian Barnes, dont je vous ai recommandé le très humoristique ouvrage paru il y a peu en poche "Un homme dans sa cuisine" (cf. Mes Coups de Cœur).

Le Veneto est une région du nord certes mais toute sa tradition culinaire est imprégnée des produits de la Dieta Mediterranea (cette philosophie culinaire qui fait la part belle aux produits naturels, de proximité, où l’ail, la tomate, l’huile d’olive sont les acteurs principaux). La polenta, jaune ou blanche, et les risotti y sont monnaie courante bien davantage que la pizza méridionale qu’on trouve partout pour satisfaire le touriste pour qui Italie rime forcément et presque exclusivement avec spaghetti et pizza... La polenta, à base de farine de maïs, est servie liquide ou durcie et sautée dans une poêle beurrée en accompagnement de nombreuses préparations (voyez la recette de Casanova que j’ai donné en 2007). 
Les risotti s'ornent de toutes sortes d’ingrédients mais toujours de saison: potirons, roquette, houblon, artichauts, champignons, coques, crevettes, scampi, Saint-Jacques... Légèrement différent, puisque le riz est ici ajouté au bouillon et non l'inverse, le risi e bisi (riz et petits pois) est, sans doute, l'un des plats populaires les plus connus de Venise et du Veneto, surtout quand viennent, avec le printemps, ces belles variétés de petits pois parfumés qui poussent du côté de Mazzorbo mais aussi dans les potagers des collines d’Asolo. Le fameux risotto al nero surprend toujours par sa couleur noir profond, obtenue grâce aux poches d'encre fraîche des petites seiches utilisées dans pour cette recette. J’essaie d’en faire quand je suis en France, à Bordeaux ou sur le Bassin d’Arcachon, mais jamais les variétés que je trouve là-bas ne permettent d’obtenir le goût du risotto qu’on réalise sur place. 

Bien entendu, à Venise aussi la pasta est incontournable (à la table quotidienne de presque tous les vénitiens et à la carte de quasiment tous les restaurants vénitiens). Simplement agrémentée d’une passata di pomodoro avec de l’ail et des herbes fraîches, ou enrichie de boulettes de viandes, de morceaux de poulet rôti. Dans les restaurants mille variétés sont offertes aux amateurs. Les spaghettis à l’ail sont simplement succulents. Les penne rigate servies avec des morceaux de tomates fraîches coupées en quartier, un filet d’huile et du parmesan fraîchement coupé en tranches fines et du basilic… 

Comment résister ? Puisqu’on évoque la morue et la seiche, allons donc nous promener du côté du marché aux poissons, au Rialto. A chaque saison, les étals présentent des denrées d’une telle richesse que l’on ne peut manquer d’avoir envie de tout goûter. Connaissez vous les moeche ? Ces ces petits crabes mous très recherchés qu’on ne trouve que pendant une très brève période (à peine quelques jours, un peu comme dans l'estuaire de la Gironde, les fameuses pibales), au début de l’automne, récoltés pendant leur mue. Frits entiers et vivants, on les consomme en beignets cuisinés de la même manière depuis plusieurs centaines d’années. 

On mange beaucoup de poissons ici, la plupart du temps simplement grillés (un régal)simplement accompagnés d’un pesto de rucola (roquette), frits ou cuits à la vapeur. Il n’est pas rare de trouver de l’espadon et les têtes de ces étranges poissons avec leur piquant géant attirent toujours les curieux. Thons, sardines, merlus, anguilles, des dizaines de variétés de poissons se retrouvent sur les bancs des marchands du Rialto et des quelques autres poissonniers installés all’aperto, à Santa Margherita ou Viale Garibaldi.

Si la viande est plus rare (mais je puis vous indiquer deux ou trois très bons bouchers et un des derniers tripiers de Venise), les Vénitiens raffolent du canard, du lapin, des tripes et bien entendu du foie de veau (cf. la recette du chef de l’Antico Martini) et du carpaccio de boeuf. Ce plat qui a aujourd'hui fait le tour du monde a été créé au début des années 50, du temps où Hemingway fréquentait le propriétaire du Harry’s Bar, le génial Giuseppe Cipriani. A l’origine, ce plat était accompagné non pas de copeaux de parmesan et d’un filet d'huile d'olive mais d'une sauce "universelle" (car se mariant aussi bien à la viande qu'au poisson), à base de mayonnaise, de crème fraîche, de moutarde et de sauce Worcestershire. On vous le prépare encore comme cela à la demande.

Venise ne reste pas inoubliable pour ses desserts, comme le reste de l’Italie en général. Longtemps le sucre a été un luxe. Si l'on excepte le tiramisu, devenu universel (et souvent massacré), il y a peu de grandes trouvailles sucrées. Cependant les livres de recettes qui sont parvenus jusqu’à nous, des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, donnent des exemples de délicieux sabayons, de massepains et de biscuits dont certains existent encore. Les temps modernes font la part belle aux préparations à base de fruits et aux gelati que les biscuits secs typiques accompagnent agréablement sur toutes les tables authentiques. Les plus connus sont les baicoli (que l'on trempe dans un Moscato ou un vin cuit), les bussolai, biscuits aux œufs en forme de couronne ou les esse buranèi car en forme de S, spécialité de l'île de Burano, (endroit où il faut les acheter pour ne pas se faire plumer comme le conseillait devant moi à un groupe de touristes belges, un guide très avisé !). Pour ma part j'ai un faible pour la torta di mandorla et le strüdel hérité des autrichiens.

Au vu de la diversité offerte par la Lagune, il serait dommage, lors d'un prochain séjour à Venise, de ne pas profiter de son art de vivre, qui pousse la soirée venue, à s'asseoir à une terrasse installée sur un campo animé pour siroter l'aperitivo ou au bar pour déguster une assiette de cichetti. On profite alors de cette magie vénitienne - un art de vivre - qui fait que ces mêmes gestes répétés chaque soir ne lassent jamais… 

Mais revenons à la Pescheria. Allons acheter les ingrédients nécessaires à ce plat toujours apprécié de mes invités comme de mes enfants : le thon à la vénitienne

Il faut de jolis filets de thon frais. N'importe quel étal de la pescheria vous en proposera. Passez prendre du bon vinaigre de vin à la boutique qui fait l'angle, achetez au passage des oignons. Vous aurez certainement déjà de l'huile d’olive, du sel et du poivre, de l'ail et de la polenta. Nous voilà de retour à la maison. Installons nous dans la cuisine. Pour commencer, il faut peler et émincer les oignons. Faites les dorer et frire à feu doux dans une sauteuse avec un peu d'huile. Remuez constamment afin qu'ils restent blonds et légèrement croustillants. Poêlez le thon rapidement dans l'huile d'olive. Cela prend quelques minutes, le temps d'émincer grossièrement les gousses d'ail. 
Quand le poisson a pris une jolie couleur et que son délicieux arôme s'est répandu dans toute la pièce, réservez-le au chaud dans un plat que vous aurez chauffé au préalable et déglacez la poêle au vinaigre puis faites-y cuire l'ail sans le faire brûler. il doit rester blanc. Remettez le thon dans la poêle et parsemez avec les oignons frits. Au moment de servir, je rajoute un morceau de beurre et plein de parmesan fraîchement râpé. Servi avec de la polenta grillée ou en purée, c'est sublime. La prochaine fois, nous nous mettrons à la torta di mandorla. Si cela vous tente bien entendu !

7 commentaires:

Anonyme a dit…
Bien sûr que ça me tente !
Noto Bene : Où trouver la recette du foie de veau du chef de l'Antico Martini
Anonyme a dit…
Questions
Dans quel restaurant et à quelle époque peut-on déguster de bons moeche ?
Quel restaurant sert les meilleures tripes de Venise ? Da Marisa ? Ai Gondolieri ? Autre ?
Valerio a dit…
Je serai début avril à Venise et j'ai hâte de découvrir certains de vos bons tuyaux.
Merci pour votre blog qui est un ravissement pour ceux qui aiment Venise et veulent mieux connaître sa face cachée.
Lorenzo a dit…
il fegato alla veneziana... La semaine prochaine sur Tramezzinimag, laissons passer la semaine sainte ! La recette de l'Antico Martini est assez spéciale car elle renferme un ingrédient inédit. Mais chut, ce sera pour plus tard.
Anonyme a dit…
Quel suspense !
Lorenzo a dit…
N'est ce pas !
catherine a dit…
Bonjour,
De retour d'En Haut après 6 jours merveilleux à nous perdre dans la Sérénissime. Quel bonheur de découvrir vos billets sur les marchés. Notre appartement était à 5 minutes et tous les matins c'est avec un plaisir renouvellé que je découvrai l'étal argenté des poissonniers et cette mosaïque verte et rouge chez les maraichers. Nous avons fait des festins de "cuor de bue" (quand je pense aux malheureuses coeurs de boeufs qu'on essaie de nous refiler sur nos marchés !) et de roquettes. Je continue le voyage en vous lisant chaque jour et fait découvrir en ce moment à mes enfants un Livre "Rendez vous à Venise" de Eva et Olga Prud'homme.
Catherine