Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

22 août 2007

Jardins secrets et secrets bien gardés



Les amis du Campiello viennent de mettre en ligne un série de photos de jardins secrets de Venise. Je vous invite à vous y rendre, c’est magique. Il existe encore d'autres lieux cachés mais doit-on en parler ? Pour ma part, j'hésite toujours entre dévoiler les moindres endroits reculés et inconnus des touristes ou garder cachés ces lieux magiques qui échappent encore aux flots de la horde des visiteurs.
 
 
Un lecteur m'en fait d'ailleurs le reproche, récriant cet élitisme somme toute inacceptable. Le monde s'est ouvert et le monde a l'intention de déferler sur les plus beaux sites de la planète. Nous n'y pouvons rien. Mais comment préserver l'authenticité et la vie réelle de ces lieux qui fascinent ? Comment éduquer les visiteurs pour en faire des voyageurs curieux et non pas un troupeau bêlant ? Lors de mon dernier passage à Venise, au printemps, j’avais des démangeaisons : plusieurs centaines de touristes de la pire espèce (casquettes américaines à l'envers, sodas géants à la main, dégoulinant de sueur, a demi vêtus - tout ce que j'aime!), défilaient devant la terrasse - autrefois très tranquille - où je sirotais un bon café en lisant le Gazzettino. Le marchand de fruits et le boucher qui tenaient boutique à côté il y a encore cinq ou six ans ont été remplacés par des masques et de la verroterie (pas du fabriqué à Venise, tout là-dedans est Made in Taïwan). D'où l'étape instaurée par les tour-operators dans ce café... Bruyants, rigolards, désordonnés, ils passaient et repassaient, faisant la queue devant le bar pour acheter des bouteilles d’eau et des glaces chimiques Motta (alors qu’à trente mètres un pâtissier propose des sorbets et des gelati casalinghe sublimes)… Seriez-vous restés de marbre face à cette pollution ? Moi non.

Alors, ne comptez pas sur moi pour vous signaler ces endroits merveilleux où les barbares ne pénètrent pas, ces passages secrets dignes de Corto Maltese, ces jardins perdus où poussent des merveilles de la botanique, cette roseraie remplie de fleurs et de papillons, ce jardin suspendu aux senteurs de jasmin, une vigne et un verger paradisiaque (ah les pêches jaunes que les enfants disputent aux oiseaux!), et tant d’autres lieux qu’il faut protéger de la horde. Mais rien ne nous empêche d’en montrer les images. En tout cas celles publiées par Jas et Stef du Campiello sont très belles. 

Photos de Stef

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13 commentaires:

condorcet a dit…
Je me sens visé par l'accroche "un lecteur m'en fait d'ailleurs le reproche". A la réflexion, je regrette un peu la violence de l'apostrophe et si j'avais pu l'enlever ou l'amender, je l'eusse fait.
En un sens, votre désespoir ne me laisse pas indifférent. Voir et entendre mes voisins ivres et drogués beugler et s’affaler devant ma porte à une heure avancée de la nuit (un spectacle un peu trop récurrent cet été) ne m’amuse guère non plus.
Dans un autre domaine, croyez-vous que le foisonnement des thèses en histoire me plaise ? Certes, on connaît les étudiants qui travaillent sérieusement et ceux qui le sont moins. Mais, en un sens, un directeur de thèse qui suit 20 étudiants à la fois peut-il le faire sérieusement ?
Évidemment, non et le danger du nombre que vous pointez est plus que réel : il est même l’enjeu majeur de la contemporanéité.
C’est par une patiente imprégnation que l’on apprend, pour Venise comme pour les émissions littéraires. Nous sommes dans un paradigme : vous voulez montrer sans révéler. Quasiment un droit d’auteur. Comme moi, dans ma thèse, si je révèle trop, non seulement je cours le risque de voir mon travail dénigré, mal compris, copié et d’entraver mes débouchés professionnels.
Moralité : nous sommes moins précis sur certains points, sur certaines idées, sur certains lieux moteurs. Triste perspective.
condorcet a dit…
Venise au Carnaval, à la Mostra ou à Ferragosto dans le triangle Rialto - San Marco - Accademia : un cauchemar.
Restent les lieux secrets, ceux que les guides les plus divers ne mentionnent pas, et le hors-saison.
Mais on ne peut reculer éternellement : un jour ou l'autre, il faudra réfléchir à la place de la culture dans une société marchande de manière beaucoup plus sereine, complète et étendue qu'on ne l'a ébauché jusqu'ici. Réfléchir, concevoir, décider.
Lorenzo a dit…
Visé certes, mais en toute amitié. Vous semblez bien connaître et aimer Venise. Vos commentaires sont précieux. Je vous en remercie. Vous parlez d'un travail universitaire... Sans vouloir être indiscret, sur quoi porte votre thèse ?
condorcet a dit…
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condorce a dit…
Nouvel essai de transmission du message dans une version acceptable :
La thèse porte sur les missions littéraires à la télévision française (avec "Apostrophes" entre autres). En clair, il s'agit de savoir comment le livre est présenté dans un type particulier d'émission littéraire.
J'aime beaucoup Venise et ma thèse mais comme Douille, je suis très pessimiste. La hausse exponentielle des prix et un accueil de plus en plus tourné vers le nombre aux dépens de la qualité finiront par avoir raison des amoureux de Venise (non-résidents) qui se lasseront d'être dépouillé et pris pour ce qu'ils ne sont pas : des vautours à plumer.
Je dois hélas aussi tenir quelques propos trop acides à mon goût mais réflétant une réalité préoccupante : préparer un doctorat en sciences humaines devient une gageure. On se heurte de plus en plus aux obstacles financiers (peu d'aides financières, d'insertion avec le milieu des chercheurs, trop de népotisme, de gérontocratie).
J'aime passionnément l'histoire et Venise. Et pourtant, l'une comme l'autre se croient éternelles. Rien n'est plus faux. La demande sociale dont se targue l'histoire peut se tarir et l'attrait pour Venise peut se transformer en "happening" géant ou ghetto local. A être hautaines, l'histoire et Venise partagent un même aveuglement devant l'Histoire : comme le soulignait Paul Valéry, les civilisations sont mortelles.
condorcet a dit…
Le « beneficium sine cura » est un bénéfice ecclésiastique accordé accordé à un clerc pour lui permettre de poursuivre un travail de recherche sans avoir à assurer de services religieux dixit Wikipedia.
Wikipedia : les rumeurs les plus malveillantes courent sur cette encyclopédie « libre » qui a un mérite : celui de donner corps et vie à l’utopie du village planétaire, celle d’Internet à ses origines. Comme toute source, tout ouvrage, elle mérite un recoupement, une confirmation, une critique sage et raisonnée. Pourquoi refuser le nouveau parce qu’il est nouveau, c’est-à-dire incertain, non reconnu par les autorités ?
Le « beneficium » est au Moyen Age un bienfait, soit un bien concédé par un seigneur à un vassal, soit un revenu lié à une charge ou à une dignité ecclésiastique.
Ce « beneficium sine cura », cette sinécure, n’est pas pour autant de tout repos. Assumer un travail de recherche au Moyen Age, en quoi cela pouvait-il consister ? Lire « Les intellectuels au Moyen Age » de Jacques Le Goff offrirait qq ouvertures. A défaut, on peut penser aux ateliers de reproduction des manuscrits dans les monastères (les scriptoria), de l’indexation et de la traduction des auteurs de l’Antiquité paienne (Platon pluôt qu’Aristote) et chrétienne (les Pères de l’Eglise : Tertullien, Augustin, Jérôme…).
Le savoir médiéval a hérité de la division élaborée à la fin de l’Antiquité classique. Les arts libéraux qui séparent le cycle littéraire : le « trivium » (grammaire, rhétorique, dialectique) et le cycle scientifique : le « quadrivium » ( arithmétique, astronomie, géométrie, musique).
Chercher au Moyen Age, c’est retrouver les splendeurs perdues du savoir antique, retrouver la vérité originelle. Le savoir est confiné dans quelques catégories bien précises de la société : les clercs en concentrent la plus grande partie, à la fois parce qu’ils connaissent et vivent dans les lieux du savoir, qu’ils incarnent et confirment la légitimité dynastique, enfin parce qu’ils sont au sommet de la pyramide sociale.
La sinecure ne le devient vraiment qu’à l’époque moderne.
Sinécure, privilèges (priva lex : « statut particulier ». Ex : la « bonne ville » de Tours était exemple de la taille, impôt qui pèse sur les revenus, est prélevé non par répartition mais par quotité : on demande une somme plutôt qu’une portion des revenus.).

Sinécure : ce n'est pas une sinécure que d'en retracer l'évolution sémantique !
condorcet a dit…
Comme de coutume, c'est l'essentiel qu'on oublie.
Les servies religieux pouvaient être contraignants au Moyen Age. Il s'agissait de ne manquer les offices religieux, la messe et les prières célébrées aux différentes heures de la journée :
A la 1ère heure de la journée (6h)
- les moines vivaient au rythme du soleil -, laudes;
A tierce (9h), nouvelle prière (on récite les diverses parties du bréviaire);
A Sexte (12 h), none (vers 15 h), vêpres (17 h), complies (fin de journée).
Les frères convers suivent un rythme plus souple de même que les bénéficiaires d'une sinécure.
Cette sinécure n'est pas une facilité, c'est simplement une possibilité de travailler, contrairement à ce que l'imaginaire collectif en a retenu.
Gérard a dit…
Les civilisations ne meurent jamais !
Eruptives ?
Puisqu'elles épousent .
Seuls disparaissent ce qui les enfante : la vanité historique et son imprégnant , l'orgueil local .
Nous léguant ainsi leur dot magnifique : la poussière de ces scories .
Et à Venise , voyons , quelles cendres !
Parfois volcaniques , même .
Eruptives ?
Je le crois .
Oui , et encore .
Pire .
Je veux y croire !
condorcet a dit…
Mon cher Gérard,
Elles ne meurent pas, elles s'effacent. Que savons-nous des Avars qui assiégèrent Constantinople en 626 ?
Venise est plus qu'un réceptacle de cendres, c'est l'étalon même du temps.
Gérard a dit…
Faut que j'revienne donc à l'assaut de ce magnifique jardin où broussailles et ancolies , fleurs sages ou de la mélancolie , m'assaillent !
Comme j'aime ce jardin de Verrières !
N'est-ce pas ?
C'est l'étalon du temps : très juste !
Bien vu !
Moi , je m'impose le pire .
L'avenir .
C'est le " pied de Vicenze " , le pied de l'avenir , le pied de notre avenir .
Palladio aima jadis les coudées franches , comme les Égyptiens .
Comme il avait raison !
Devrons-nous au nom des immortelles et des chrysanthèmes y laisser périr les " Mémoires " de nos Grands Anciens ?
Pas question !
Pire : plus jamais question !
J'aime y voir flâner tous les pieds-bots du monde entier .
Ils sont nombreux .
Ayons pitiè !
D'eux .
De nous , surtout !
A l'instar des maisonnées penchées , la voilà qui s'exclame à leur passage , et la voilà qui nous inspire :
" Quand je m'examine , je me méprise ; mais quand je me compare , alors là ! "
Facétieuse immortalité : après le feu , les cendres , et dessus revoilà le roncier et enfin l'ancolie !
condorcet a dit…
Vous avez dit : "Seuls disparaissent ce qui les enfante : la vanité historique et son imprégnant , l'orgueil local".
A fréquenter Venise par intermittences, c'est le contraire qui m'est apparu. Qui oserait se proclamer reine parmi les reines alors que son pouvoir temporel est réduit à néant ? Même le pape Pie IX qui se déclarait "prisonnier dans ses États" prêtait à sourire. Comme le relèvent Joseph Brodsky ou Liliana Magrini, il y a bel et bien un "orgueil local". A preuve les multiples qualificatifs d'exclusivité utilisés comme arguments touristiques aujourd'hui ou le classement au Patrimoine de l'Unesco.
Vous avez dit : "Moi je m'impose le pire, l'avenir". Concevoir l'avenir se résume bien souvent à vouloir empiéter sinon avoir la mainmise sur celui des autres. Par exemple, les architectes (comme Palladio qui nourrissait de sombres projets pour la Piazza) revêtent souvent le costume de visionnaires dans la mesure où ils organisent l'espace, s'efforcent autrui de la beauté de leurs rêves. Est-ce vraiment parce que l'on est convaincu, habité par son rêve que l'on doit l'imposer à ses contemporains voire à ses successeurs ?
On retrouve aisément ce pendant dans les déterminismes historiques. Les prétendues "lois ou jugement de l'histoire" étayent des volontés de puissance quasi nietzschéennes.
Quelquefois l'oubli ne manque pas de grandeur. Et si Venise méritait d'être oubliée quelque temps pour être mieux redécouverte ensuite ?

Votre propos ne manque de beauté cependant.
Gérard a dit…
Comme le pape et à son inverse , je souris .
Tendrement .
Et si tous ceux qui ne savent pas qu'elle existe - ils sont nombreux - avaient tort ?
Et si ceux qui n'en finissent pas de s'en occuper - sont nombreux aussi - faisaient fausse route ?
Et si les personnalités notoires - plus rares car " élite " - s'activaient en pure perte ?
C'est vraiment drôle de penser à tout ça .
Les habitants du golfe , finalement , s'en fichent de ce tout ça .
Pour avoir les pieds parfaitement plantés là-bas , ils savent qu'il faut y vivre , et c'est bien ça qui compte pour eux .
Et où est la vie , comme dit l'autre , reste l'espoir !
J'aime les observer .
Et n'ai point peur de m'y tromper .
Comme cette erreur est exaltante en fait !
Marâtre nature , tu me l'as bien rendue !
.........
Ce jardin .
Cet espoir .
condorcet a dit…
Oui, une erreur bien exaltante.

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