Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

19 août 2007

Cosi fan tutti, i turisti !



Ce que l'on voit hélas de plus en plus, ce spectacle déprimant que les vénitiens contemplent attristés dans les rues de leur ville et qu'ils ne supportent pas... 

Ces milliers de visiteurs désœuvrés, fatigués, qui se vautrent le long des canaux, s’assoient à même le sol, s'allongent sur les dalles de la piazza, se déchaussent, se dévêtissent presque comme sur une plage, attirés par la fraîcheur présumée de l'eau. Si la maréchaussée ne veillait pas, il y en a qui piqueraient une tête dans le moindre canal. Bonjour les maladies de peau et les allergies car hélas l'eau n'est plus aussi propre que du temps de Byron qui avait l'habitude de nager de chez lui jusqu'à chez ses maîtresses. Quand j'étais étudiant, les petits vénitiens de Cannaregio ou de la Giudecca s'amusaient en été à plonger du haut des ponts et pataugeaient dans l'eau à demi nus sous l’œil amusé des passants. Mais c'était il y a vingt-ans. Les eaux n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui. Et puis les touristes déjà fort nombreux à l'époque, s'ils envahissaient les moindres terrasses et occupaient toutes les tables des bars et des cafés, ne se vautraient pas comme aujourd'hui pareils à des misérables éreintés par leur errance à travers la ville, écrasés par tant de beauté de de magnificence comme les barbares des temps passés quand ils découvrirent la splendeur de Rome qu'ils allaient détruire...

9 commentaires:


condorcet a dit…
"[...] chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage" (Montaigne ,"Essais", Livre I, Chapitre XXX, Des Cannibales)
condorcet a dit…
Bien que votre commentaire mozartien ne soit pas à mon goût, je suis heureux de vous lire à nouveau sur ce blog. Cependant, peut-on raisonnablement soutenir comme vous avez une fâcheuse propension à le faire que les touristes sont responsables de tous les maux des Vénitiens, par nature angéliques et innocents ? Ces doux Vénitiens dont la vertu sous l'eau irisée du bassin de Saint-Marc qu'ils fuient d'ailleurs. Non, décidément, je ne m'habituerais jamais à cette dichotomie un peu sommaire qui voit des autochtones bienveillants et des arrivants malveillants. Mais qui a colporté le rêve vénitien jusqu'à ces "envahisseurs" ? Des promoteurs sans âme ou des municipalités de plus en plus soumises à l'appât du gain rapide ? Le souci de rapine est-il l'apanage du Japonais en goguette ou de l'autochtone sans vergogne qui relève chaque année ses prix suivant une courbe exponentielle sans rapport avec le coût réel de la vie ni des biens vendus ? Vous m'objecterez immédiatement : attention à l'amalgame... et je souscrirai à cette remarque. Vous connaissez comme moi la Bible : "Bienheureux les pauvres en esprit car ils seront les premiers au Paradis". QQfois, survient l'idée mélancolique qu'on ne saurait occuper une position intellectuelle sans se croire investi de droits au jugement alors qu'elle confère au contraire le devoir de compréhension envers et contre tout. Oui, on peut regretter un passé idéel où les galères étaient mues par la force des Dalmates à peine débarqués sur la Riva. Oui, on peut regretter le tourisme d'antan, celui de l'Orient-Express et de Marcel Proust, où les aristocrates foulaient seuls le marbre de Zanipolo. En tant que démocrate, vous me permettrez certes de lire Proust mais de me souvenir aussi de quel mépris on écrasa les premiers congés payés. Il est facile de désigner une catégorie particulière comme la réincarnation de Bouvard et de Pécuchet. Il l'est beaucoup moins de penser avec indulgence à ces êtres qui tentent malgré tout, d'éprouver du bonheur, dans des sociétés despérement marchandes, au sein desquelles ce mot est étranger, y compris à Venise. Cette coupure entre Vénitiens et touristes n'est plus seulement un scandale, elle constitue une redoutable menace pour la survie même de l'identité vénitienne, qui avait su jusque lors, tirer le meilleur de l'"envahisseur".
discus a dit…
si l'on demande à quel poisson ressemble aujourd'hui Venise... effectivement, à une grosse morue ... ou un thon, à la rigueur, n'est-ce pas ?
Lorenzo a dit…
Qui a dit "les vénitiens, autrefois peuple de marchands, aujourd'hui peuple de boutiquiers"? Bien sur, nombre d'entre eux sont responsables de cette situation. Et cela continue en dépit des tentatives héroïques de Massimo Cacciari. oui des considérations semblables ont remplacé les esclavons des galères par les touristes gogos.L'usage n'est pas le même mais l'esprit demeure...Il faut me pardonner ces humeurs élitistes. On se prend vite à croire Venise dédiée à son seul usage et le mépris facile n'est pas loin lorsqu'on a la chance de pouvoir s'y rendre souvent, y rester, y être bien logé et n'avoir pas à dépendre de guides et d'intermédiaires seulement mûs par l'appât du gain. Je ne regrette ni le temps du Simplon-Orient-Express ni des voyages à la manière de Régnier, Proust, Adelsward-Fersen ou Lorrain, je ne vomis pas les congés payés et le droit au bonheur, même maladroitement revendiqué, est une aspiration fondamentale de la société humaine qu'il faut soutenir et faciliter. Cependant, et peu m'importe la cause, je ne puis me résigner au nom de cette volonté d'être heureux, et quelque soient les responsables de cet état de fait, à la vulgarité et à l'incurie des masses en déplacement à Venise comme partout ailleurs dans les hauts-lieux du patrimoine mondial. Nulle misanthropie dans mes propos. Juste une grande lassitude. J'ai connu Olympie sans un seul visiteur et nous allions courir dans le stade à l'aube, j'ai gravi les marches du Parthénon seul sous les étoiles, j'ai visité Versailles fermé au public, passant de couloirs en cagibis comme dans un palais endormi et Capri lorsque le dernier bateau est parti m'a montré ses plus belles parures. Privilège certes de nos jours, mais qui fut chose courante pour le voyageur d'antan. Faut-il le regretter ? On ne peut à l'inverse se réjouir de la massification du tourisme sans hypocrisie. Comment ne pas souffrir quand certains jours je mets cinq minutes pour rejoindre le portail de ma maison vénitienne, quand la foule qui passe dans la rue de la Toletta est aussi dense que dans le métro à l'heure de pointe, quand le vénitien ne peut prendre le vaporetto envahi par les touristes et qu'il sera en retard à son bureau... Mais laissons-là ces considérations : Venise est encore là, elle est belle, elle se donne et parmi la horde peu resteront indifférents même en n'ayant vu d'elle que très peu ou très mal !Gageons qu'ils prendront conscience du gâchis et verrons la ville autrement...
condorcet a dit…
Cher Lorenzo, c'est la réponse que j'espérais. Soyez tranquille : la massification ne me réjouit non plus. Le droit à l'intimité et à la vie privée est même essentiel. C'est sûr qu'il est triste de voir des lieux surfréquentés s'étioler. Mais les Satires de Juvénal et son relent de "Cloaca Maxima" nous menacent aussi "Cela fait longtemps que le fleuve de Syrie, l'Oronte, s'est déversé dans le Tibre, charriant avec lui la langue et les mœurs de cette contrée : les joueuses de flûte, les harpes obliques, les tambourins exotiques, et les filles dont la consigne est de se tenir près du cirque. Allez, vous qui aimez ces louves barbares à la mitre colorée ! " (Satires, III, 62-66). Entre le péril de la turba entraînée par Clodius et les imprécations postérieures de Juvénal, il est difficile de trouver un équilibre. Reste en guise de consolation cette axiome de Paul Valéry qui m'a quelquefois permis d'apaiser des élèves désireux de pointer deux points antagonistes dans mon discours : "L'homme n'est pas fait pour résoudre ses contradictions mais pour les vivre". [Si qq'un peut retrouver les références exactes de la citation, je l'en remercie] Cordialement. Condorcet (Frédéric).
condorcet a dit…
P.S : je déteste vraiment la littérature de Juvénal, jonchée de médisances, de propos et de gestes rapportés.
Douille a dit…
J'agrée totalement avec Condorcet!!! Pas la peine de pleurnicher devant les vilains touristes, on les saignent assez comme ça... Chaque année je vois mon voyage à Venise me coûter de 15 à 20% plus cher, bientôt je ne saurais plus y aller... Je ne me baigne pas les pieds dans les canaux (ça risquerait de faire plus de dégâts que Marghera :D ), j'ai même appris l'Italien pour avoir l'air moins con... Mais dommage à cause de leur prix de fous je serai remplacé par un ricain en short qui lui sait se payer Venise...
condorcet a dit…
Hélas, hélas.
Anonyme a dit…
De plus c'est encore une vidéo de Venessia...

COUPS DE CŒUR n°16


Alessandro Marcello, La Cetra.
par le Collegium Musicum 90
dirigé par Simon Standage.

Ed. 2007.
 
Ce concerto magique composé par le frère aîné du célèbre Benedetto Marcello annonce par l'usage débridé du contrepoint, les grandes oeuvres de Vivaldi. La vivacité du violon et le chant du hautbois en font une pièce musicale raffinée et très moderne. L'ensemble que dirige le violoniste anglaise Simon Standage interprète ce concerto avec brio en dépit d'une rigueur britannique qui aurait mériter de moins se contenir.

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Dreams : Oud and Voice
par Samir Tahar.
Next Music, 2006. 
CDS8973
Ce grand musicien arabe (il est algérien d'origine bédouine) présente dans ce magnifique disque des pièces chantées ou instrumentales sur des thèmes traditionnels bédouins et andalous. La parfaite illustration musicale de l'exposition sur "Venise et l'Islam" du Palazzo Ducale dont je vous parlais ce matin. On peut être parfois dérangé par cette voix aux inflexions tellement différentes du chant occidental mais les taqasim (pièces instrumentales solo) à l'oud nous offrent un vrai voyage. Ce disque est quelque part très vénitien. Je l'écoute souvent avant ou après le Gloria et le magnificat de Vivaldi quand je me promène à pied ou en bateau dans la cité des doges.


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Venise,
par Jean-Michel Brèque

PUF collection Culture-guides. 2007
"Née sur un site hostile et devenue ville du Titien et de Tiepolo, de Monteverdi et de Vivaldi, Venise est pour moi une cité miracle. Parcourir le Grand Canal, la plus belle rue qui soit au monde, ou flâner dans ses calli merveilleusement piétonnes, au milieu des façades ciselées que relèvent les ors de l'Orient, est toujours un pur bonheur, surtout dans le monde d'aujourd'hui. Je n'aime pas Venise seulement parce qu'elle est unique ou qu'elle a su garder sa splendeur au long des siècles, je l'aime aussi parce qu'elle est fragile et menacée : sa disparition serait une catastrophe pour l'humanité autant qu'une blessure intime pour tous ceux qui l'ont une fois visitée. " dit l'auteur dans la présentation de son ouvrage, l'un des premiers de la collection que viennent de sortir les Presses Universitaires de France avec Clio, cet organisme spécialisé dans le voyage culture. Il s'agit d'un guide culturel et politique plus que touristique où, chapitre après chapitre, on apprend mille choses sur l'évolution de la Sérénissime au fil des siècles et des évènements internationaux, de la fondation de la cité des doges à nos jours. Des encadrés très bien faits développent certains détails sur un monument,un lieu un personnage et font de cet ouvrage une source d'information passionnante.
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Venise n'est pas trop loin
Christian Bruel et Anne Bozellec.

Ed. Être, A propos d'enfances, 2007
Une BD envoûtante. L'histoire d'une jeune fille à peine adolescente en vacances à Venise avec sa mère. Sur un campo de Venise, elle découvre un jeu d'adresse fascinant mais réservé aux adultes, mais ne mesure pas l'enjeu avant de se retrouver au pied du mur : donner une heure de sa vie en gage. Comment se sortir de ce mauvais pas ? Le texte de Christian Bruel, très limpide est enluminé par les montages photographiques d'Anne Bozellec qui font de ce livre pour jeune adulte une réussite. Les auteurs ont parfaitement su appréhender la fascination de Venise, son atmosphère et cette capacité aux grandes choses qui y est donnée aux âmes romanesques et sensibles.

Oignons aigre-doux, la saveur de l'été vénitien sur votre table

Andrée, fidèle lectrice de TraMeZziniMag, me demande de publier la recette des Sarde in saor (sardines à l'aigre). Il existe plusieurs manières de préparer ce plat typique de la cuisine vénitienne. Je vous invite à vous reporter au billet du 16 octobre 2005 où je publiais celle que j'utilise. Pour ceux qui ont la chance d'être encore au bord de l'eau et qui peuvent se procurer des poissons frais, c'est le moment de vous lancer dans l'élaboration de ce plat qui se conserve bien. Servies avec un verre de vin blanc sec ou un rouge frappé (je conseille un Brouilly ou mieux un Bardolino, bien frappés). Plat typique pour la fête du Redentore, chaque cuisinière à Venise se doit d'en présenter à ses invités, lors du dîner pris en barque ou sur les altane en attendant les feux d'artifices traditionnels. 

Une autre recette typique bien agréable pour une tablée entre amis, le soir sur une terrasse au bord de l'eau ou dans le jardin : les oignons aigre-doux qui accompagnent délicieusement des viandes blanches, des grillades ou se dégustent comme accompagnement d'un bon vin. 
En voici ma recette :  

Il faut 1 ou 2 bottes d'oignons nouveaux. 1/2 verre d'huile d'olive pure, 2 verres de bon vinaigre de vin, 1 cuillère à soupe de sel, 2 cuillères de sucre roux, clous de girofle, poivre, éventuellement une poignée de raisins secs. 
Peler les oignons, s'ils sont gros, les couper en deux. Les placer dans une terrine allant au four avec l'huile d'olive. 
Verser le vinaigre dans lequel vous aurez dilué le sel et le sucre. Ajouter les clous de girofle et le poivre moulus. Mettre à four moyen et laisser mijoter. Les oignons sont cuits quand il n'y a pratiquement plus de liquide mais attention, ils ne doivent pas être trop caramélisés. Avant de sortir le plat, on peut ajouter une poignée de raisins secs que vous aurez fait revenir dans un fonds de vinaigre. 
Délicieux chaud comme froid pour accompagner des plats de viande ou en cicchetti à l'apéritif.

Couleurs d'été...

© Copyright Yves Phelippot - 2007

Grande exposition à ne pas manquer cet été : "Venise et l'Islam, 828-1797"

Après Paris et New-York, la grande exposition consacrée aux rapports entre la Sérénissime et le monde islamique, s'installe au Palais des Doges, avec la présentation de plusieurs centaines d'objets d'art, très beaux, souvent merveilleusement raffinés: peintures, verreries, céramiques, argenterie, tissus et livres, provenant pour la plupart de collections vénitiennes prestigieuses mais aussi de différents grands musées du monde entier rassemblés pour la première fois.


Les objets exposés témoignent de l'extraordinaire échange d'influence et de compétences entre les deux cultures dès le IXe siècle. On peut suivre l'évolution artistique des deux civilisations presque toujours liée aux évolutions politiques et économiques des deux mondes, et à la qualité des échanges quasi permanents entre Venise et l'Islam et à la transmission des techniques et des savoir-faire uniques de chaque type d'artisanat. En sortant de cette exposition on se rend compte combien fut important pour l'Occident cette relation de près de mille ans entre les marchands (et les artisans) vénitiens et leurs homologues turcs, perses ou égyptiens. 

Sont présentés aussi de grands chefs-d’œuvre de la peinture vénitienne entre le XIVe et le XVIIIe, de Bellini à Carpaccio, de Veronese à Tiepolo en même temps que d'extraordinaires dessins, des cartes géographiques, des gravures rarissimes. La section consacrée aux Arts Appliqués est passionnante tant elle démontre l'évidence de l'influence fondamentale des méthodes et des techniques arabes et ottomanes sur l'artisanat de la République. On comprend l'origine des thèmes et des motifs qui font l'originalité du langage artistique vénitien tout au long des siècles. Nulle part ailleurs en Europe (si ce n'est dans l'architecture hispano-mauresque) l'influence de la civilisation islamique n'a été aussi fondamentale. Une dernière section présente l'ampleur et la richesse des échanges scientifiques et philosophiques avec la présentation d'objets, d'instruments divers et de magnifiques ouvrages rarement présentés au public. Si à l'Institut du Monde Arabe, on pouvait regretter la relative superficialité des commentaires de présentation, l'installation vénitienne est amplement détaillée, les vitrines très faciles d'accès même avec au milieu d'une foule nombreuse comme à chaque exposition dans les salles du Palais des Doges.

L'exposition, intégrée dans un parcours didactique dans la ville "sur les traces de" (“sulle tracce”) de cet ample entremêlement historique et artistique des deux civilisations. Une série de manifestations(concerts, conférences, projections) est programmée sur ce thème un peu  partout dans Venise, est le fruit de la collaboration entre l’Institut du Monde Arabe de Paris, le Metropolitan de New York et les Musei Civici Veneziani. Elle est organisée par la Municipalité de Venise et de la Fondazione di Venezia.


"Venise et l'Islam, 828 - 1797"
Palazzo ducale, San Marco.
Depuis le 28/07 et jusqu'au 25/11/2007.
Entrée par la Porta del Frumento (Piazzetta).
Ouvert tous les jours de 9 à 19 heures.
Tarifs : 10 € (plein-tarif),  5 à 8 € (étudiants, chômeurs,etc.).
Gratuit pour les enfants de jusqu'à 5 ans.
Possibilité de réservation.
Catalogue édité chez Marsilio editori.

Venise en été...

 
Bora et sirocco se sont succédés cet été sur Venise et sa lagune. Pourtant, il a fait souvent beau et même très chaud. Peut-être moins que les autres années. Le changement climatique est-il en marche ? Cela n'a pas empêché les quelques vénitiens qui n'ont pas fui leur ville envahie par les hordes estivales, de vaquer à leurs occupations. Les terrasses ombragées accueillent à l'heure de la passeggiata, vénitiens et touristes. Il fait si doux quand le jour se termine...