Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

25 juillet 2016

"Si trovemo al maregrafo" : une énigme à Venise...


Quand on ne fait que passer à Venise - mais cela est valable pour tous les lieux du monde - on ne voit pas la même chose que les gens qui y vivent, ceux qui y sont nés, y grandissent, y vieillissent voient. Il en est de même pour les usages, les habitudes, les coutumes mêmes. ces dernières sont plus faciles à assimiler. Il suffit d'appliquer le proverbe anglais souvent cité sur TraMeZziniMag. "When in Rome, do as the romans do'" et par là, non seulement de s'intéresser à ces usages mais de s'appliquer à la respecter, car ce faisant ce sont les vénitiens que l'on respecte. 

Ces quelques mots pour reprendre à notre compte une interrogation mise en première ligne par des vénitiens engagés dans la défense de leur ville. Il y avait hier une manifestation pour réclamer le retour du maréographe installé depuis toujours au pied du campanile de San Marco.
  
Mais il vous faut d'abord, chers lecteurs, savoir de quoi il s'agit. 
 
Nombreux sont les vénitiens qui sont allés enfants avec leur grand-père, leur père ou leur professeur pour observer les graphiques du marégraphe de la Piazza, comprendre le mouvement des marées et lire les prévisions. Nombreux aussi ceux qui passant par là s'arrêtaient, intrigués par cet instrument scientifique créé pour observer  et donner les prévisions des marées. Placé dans une vitrine visible par tous, au pied du campanile de San Marco, il faisait partie du paysage, élément architectonique au même titre que les grilles qui entourent le bâtiment, son banc de marbre, les sculptures et autres fioritures du Paron di casa. Pour beaucoup, c'était aussi un point de rencontre, presque devenu une expression populaire, "Dove si trovemo ? Al maregrafo" (1). 
 
En effet, à la grande surprise des vénitiens, après près de six ans de d'importants travaux de solidification et de rajeunissement, le chantier de renforcement du campanile de San Marco (notamment par l'insertion de tiges de titane), était enfin achevé. La surprise fut grande le jour où les échafaudages furent démontés : l'appareil en question avait simplement disparu, sans qu'aucune explication ne soit donnée. Était-il en révision ? Avait-il été volé ou endommagé ? Ou bien s'agissait-il d'une décision de l'administration municipale ? Et si c'était le cas, pour quelle raison ? Les commentaires depuis allaient bon train, la disparition d'un outil capable d'alimenter des polémiques sur des sujets particulièrement sensibles. Alors qu'en est-il vraiment ?


L'association Gruppo WSM s'est vite inquiétée de l'affaire. Formée de vénitiens déterminés non pas seulement à sauvegarder la cité des Doges, mais à la sauver des pillages, détériorations, et autres malversations qui contribuent à l'exode de sa population et à la transformation de ce qui fut la capitale d'un des plus puissants et modernes états du monde en un cloaque, l'association dénonce jour après jour tout ce qui accélère cette situation. Sans nous permettre de prendre parti (2)  Le groupe, après avoir passé au crible des documents anciens et la presse des années 2000, ils ont trouvé  pas mal d'informations intéressantes qui pourraient expliquer la soudaine disparition de l'appareil... On n'est pas loin d'un dossier à la Montalbano ou mieux encore à la Brunetti... 

A titre d'exemple, en 2003 plusieurs groupes d'experts ont  découvert un lien effectif entre le passage des grands navires dans le bassin de San Marco et les oscillations enregistrées par l'aiguille sur le rouleau des graphiques traduisant le mouvement des marées. Pratiquement le marégraphe se comportait comme un sismographe ! Plus les bateaux étaient gros, plus l'aiguille s'affolait, soulignant l'impact négatif sur les eaux de la lagune, et donc sur les fondations des bâtiments de la Sérénissime... Silence officiel sur les rapports. Les vibrations enregistrées sur l'appareil et les nuisances sonores des moteurs, déjà à l'époque, préoccupaient les techniciens de l'ARPAV(3), puisqu'il existe plusieurs rapports présentant des résultats inquiétants... L'appareil aurait-il était éliminé car "trop ​​sensible" et gênant pour quelqu'un ?

S'il est vrai que les progrès de la technologie permettent de
remplacer les anciens systèmes de détection des marées par des systèmes modernes informatisés, directement gérés par l'ISPRA (ex-APAT), le le gruppo WSM a dénoncé cette disparition auprès des autorités compétentes et demande que l’appareil reprenne sa place "dove gera come gera". Attendons les réponses de l'administration...


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1-  "Où est-ce qu'on se retrouve ? Au maréographe !"
 
2- J'estime en effet, qu'en dépit de 50% de sang vénitien, demeurant un forestiero (étranger), ce serait manquer de respect et de courtoisie envers Venise et les vénitiens que de me mêler sans y être invité à toutes les polémiques. J'apporte mon soutien inconditionnel à toutes les initiatives et tous les combats qui permettront de changer les choses, ma disponibilité pour y contribuer, mais je me refuse à toute immixtion dans la vie de Venise puisque je n'en suis pas citoyen mais seulement l'hôte ! 

3- Agenzia Regionale per la Prevenzione e Protezione Ambientale del Veneto. Il s'agit d'une des agences du service Sanitaire National, implantées depuis 1993 et gérées directement par les régions.

4- Allusion à la formule devenue célèbre, lancée par le maire de l'époque, Filippo Grimani lors de l'écroulement du campanile (14 juillet 192), appelant à sa reconstruction "comme il était et où il était", formule reprise en 1992 par le maire Massimo Cacciari après l'incendie de la Fenice (29 janvier 1996).

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