Arbit Blatas, les lecteurs fidèles de Tramezzinimag en ont souvent entendu parler dans ces pages. Peintre d'origine lituanienne, il avait fuit les pogroms dans son pays et débarqua à Paris dans les années 20. Très vite il devint l'ami de tous ces artistes aujourd'hui fameux qui forment l’École de Paris. Il travailla avec Suzanne Valadon, la mère d'Utrillo. Il fut son élève en même temps qu'il devint ami de la famille. Montmartre brillait de mille feux dans ces années d'entre deux guerres. Avec Derain, Picasso, Zadkine, Modigliani, Lipschitz, Soutine, Chagall et plein d'autres, ils inventaient un art de vivre et des couleurs joyeuses. Albert Marquet était bordelais. Ils se rencontrent vite, sympathisent et travaillent et exposent ensemble. L'aîné influencera beaucoup le cadet. Blatas me montrant un jour une toile que j'admirais (une vue du bassin de Saint-Marc et les esclavons, il m'expliqua qu'en la peignant, il lui avait semblé que Marquet était avec lui et les coloris, les traits, l'harmonie de l'ensemble était le produit de leur collaboration. Marquet, mort depuis de nombreuses années, avait passionnément aimé la lumière de Venise, comme de nombreux artistes avant lui. Blatas prétendait que son ami avait dirigé son pinceau et influencé son regard. Bel hommage en vérité du lituanien au bordelais. Pendant la dernière partie de sa carrière, Arbit Blatas se consacra à la sculpture. Il réalisa les portraits en bronze grandeur nature de tous ses compagnons de l’École de Paris, après les avoir peint. Il réalisa aussi les émouvants bas-reliefs de bronze qui ornent les murs du Ghetto de Venise, mais aussi le parvis des Nations Unies à New-York, à Genève et à Paris, dans la cour du Mémorial de la Shoah, derrière la rue du Pont Louis-Philippe. Ce sont les dessins commandés par Marvin J. Chomsky qui réalisa le film Holocaust en 1979 pour le générique qui servirent pour la réalisation de cet émouvant travail.
Pratiquement toute la collection est aujourd'hui au musée des années 30 à Boulogne-Billancourt. Quand je travaillais pour le maître à la galerie Graziussi, il m'avait chargé de proposer à la ville de Bordeaux une exposition de son travail tel que la ville de Venise l'avait présenté. L'exposition devait partir à New York, où Blatas vivait avec sa femme, la rayonnante Regina Reznik, quand ils n'étaient pas à Venise. L'idée était de la faire transiter par Bordeaux, finançant ainsi une partie du transport. En contrepartie, Blatas proposait de confier son œuvre aux Musées de Bordeaux. J'étais jeune, sans entregent ni réseau autre que ceux de mes parents. Ma proposition fut entendu mais pas retenue. J'ai su bien plus tard, que ni Jacques Chaban-Delmas, ni son épouse Micheline, pourtant très engagée alors dans le développement culturel de la ville avec le C.A.P.C. (Centre d'Arts Plastiques Contemporains) que dirigeait avec maestria Jean-Louis Froment, n'avaient reçu le dossier, demeuré sur le bureau de l'adjoint à la culture d'alors, bien plus porté - à notre grand étonnement - sur la culture physique que sur les Arts...
Pour l'anecdote, Blatas avait reçu, en remerciement autant qu'en preuve d'amitié, de chacun des artistes qu'il immortalisa, un dessin, une esquisse, voire une peinture. Ces pièces qui forment une incroyable collection d'inédits des plus grands artistes du XXe siècle serait revenues à la Ville de Bordeaux qui possèderait aujourd'hui une incroyable, prestigieuse et originale collection... Mais cela ne devait pas se faire et je maîtrisais mal l'art du lobbying... Tout est à Boulogne aujourd'hui, dans ce délicieux musée trop méconnu. La collection personnelle du maître a été dispersée depuis la mort de sa femme. Je retrouve parfois sur les pages de papier glacé des catalogues de vente, des œuvres qui décoraient autrefois l'atelier et l'appartement d'Arbit à la Giudecca, à deux pas de Sant'Eufemia.
Je ne peux me rendre sur la terrasse du Harry's Dolci sans penser à lui et à Regina. Lorsqu'ils revenaient de San Marco, ils passaient forcément devant le restaurant. Ils arrivaient toujours très lentement, un pas mesuré que je savais destiné à laisser le temps aux convives, comme aux serveurs, de les voir arriver et de les saluer. Comme aujourd'hui pour la charmante et tonitruante Marquise Rapazzini di Buzzacarini qui y déjeune très souvent, la terrasse d'Arrigo Cipriani était en quelque sorte l'annexe de leur appartement.
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