Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

01 mai 2019

Comme un refrain d'autrefois

L'année 1971. Je n'avais pas quinze ans. je revenais d'une année de pension en Angleterre. Premier temps de liberté loin de la famille et discipline parfois ardue à la fois. Mes parents avaient prévu de nous amener sur les routes d'Europe jusqu'en Turquie. Nous devions faire étape à Venise. J'avais ramené du collège, un petit accent très chic et les cheveux longs derrière lesquels l'adolescent renfrogné que j'étais, cachait sa mélancolie et ses rêves.

Un film faisait fureur à Londres cette année-là : Melody (S.W.A.L.K.). La bande sonore était partout, à la radio, dans les magasins, sur nos lèvres. Particulièrement cette chanson de Crosby, Stills, Nash and Young, devenus en quelques minutes mon groupe préféré. Il n'y avait pas encore de walkman mais la grosse berline que conduisait mon père disposait d'un radio-cassette dernier cri avec la stéréo. Les milliers de kilomètres que nous avons avalé pendant ce périple vers l'Asie, l'ont été au son de cette musique qui m'émeut toujours autant, comme le film d'ailleurs. Je ne saurai si mes parents le firent exprès, mais la cassette disparut au retour, quelque part entre Salonique et Zagreb.
You who are on the road
Must have a code that you can live by
And so become yourself
Because the past is just a good-bye.
Teach your children well,
Their father's hell did slowly go by,
And feed them on your dreams
The one they picks, the one you'll know by.
Don't you ever ask them why, if they told you, you will cry,
So just look at them and sigh
And know they love you.
And you, of tender years,
Can't know the fears that your elders grew by,
And so please help them with your youth,
They seek the truth before they can die. 
Teach your parents well...

Il y a quelques jours, alors que nous étions en train de refaire le monde dans un de nos bars préférés, devant une montagne de ciccheti et une bouteille de Prosecco organico, l'air remplit la salle et les souvenirs affluèrent comme l'émotion remplit mes yeux. J'ai eu beaucoup de mal à expliquer en quelques mots le pourquoi de cet état d'âme soudain. Mes amis, surpris, ont dû me prendre pour un de ces vieux que l'âge rend hyper sensible, un vieux sentimental ridicule. Mais Dieu que cette chanson est belle ! Je l'écoutais en boucle le soir, dans ma chambre de l'hôtel Londra (mes parents n'avaient pas fait exprès), pendant les quelques jours passés à Venise avant de reprendre la route pour Istanbul. 

C'est cet été-là que mes parents découvrirent l'emprise heureuse que la Sérénissime avait déjà sur l'adolescent rêveur que j'étais...Mon bonheur de marcher à travers les calle et les campi de la cité des doges, ma joie dans ces lieux, ma bonne humeur... Imaginer cette musique comme le générique de ma venezianità. Plutôt comme l'un des airs de la bande-son de ce film à tiroirs qu'est finalement cette vie-là...