Printemps 1983...
3 avril.
Nettoyage de mon petit taudis. Je lis Delteil. Sur le fleuve Amour au soleil des Zattere. Agnès n'est pas là. J'avais il est vrai plus de trente minutes de retard. Il faisait si doux déambuler dans les rues que je me suis perdu.
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4 avril.
Longue promenade à Castello, jusqu'à San Pietro. Silence de ces lieux éloignés de la foule de veaux. Comme un autre monde. Les deux femmes sur le pas de la porte, presque au bord de l'eau qui pelaient des légumes pour la minestra, une petite fille jouant à leurs pieds avec les épluchures, le campo aux herbes hautes et le fond de ce décor, la basilique blanche et l'ancien palais épiscopal, le campanile. Une scène de théâtre pour une scène de Goldoni...
Longue promenade à Castello, jusqu'à San Pietro. Silence de ces lieux éloignés de la foule de veaux. Comme un autre monde. Les deux femmes sur le pas de la porte, presque au bord de l'eau qui pelaient des légumes pour la minestra, une petite fille jouant à leurs pieds avec les épluchures, le campo aux herbes hautes et le fond de ce décor, la basilique blanche et l'ancien palais épiscopal, le campanile. Une scène de théâtre pour une scène de Goldoni...
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5 avril.
A Venise, j'ai découvert mon âme... Cette exigence désespérée, ce refus de l'opacité adulte, cet amour et cette haine de la vie, cette obsession du beau... C'est à Venise que je dois cela...
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Deux ans déjà... Deux années passées ici, calle dell'Aseo, Cannaregio, à deux pas du ghetto. Rien ne change, tout continue... L'âge semble n'avoir pas de prise sur moi. Ce n'est pas que je sois moins vulnérable que les autres. J'ai moi aussi mes blessures. La différence est que ces plaies, je les aime, je les entretiens, je les guette pour en faire des phrases. Assurément cela me perdra un jour, mais jusqu'à présent, c'est ce qui m'a sauvé... Cela aussi je le dois à Venise...
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Vendredi 13.
Joie de cette Venise tranquille. Loin des touristes : campo San Lorenzo. Assis sur la margelle du puits, j'écoute deux petites filles qui bavardent et refont déjà le monde. Le ciel est presque blanc. Des oiseaux chantent. Ici, on respire. Joie aussi de ce matin avec les merles dans le jardin et le rayon de soleil sur les feuilles qui viennent de naître.
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Il y a si peu de verdure à Venise, que tout morceau de nature devient paradis à nos yeux. La charmille du café del Paradiso à Castello est un lieu unique : le bassin de Saint Marc devant les yeux, les arbres du jardin de la Biennale comme un mur, et cette glycine en fleur sous laquelle je lis Tacite en savourant un croque-monsieur et un café macchiato...
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Joie aussi de cette promenade sur le Brentà. Visite de la villa Pisani à Strà. Le labyrinthe, les fabriques, les pêchers en fleur. Les jasmins. Comme une fête.
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Samedi 14 avril.
Sur le campo Sta Maria Formosa, au-dessus du café de l'horloge, la maison de Sebastiano Venier, le vainqueur de Lépante. La naissance du monde moderne et de ses errements.
"Je n'ai pas une larme et mon coeur se tait" (Princesse Thurn und Taxis devant les ruines de Duino où Rilke composa ses élégies).
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Journée vraiment printanière. Soleil de plomb.
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La Biasin m'accapare un (long) moment. Elle s'inquiète pour son mari malade, ce qui la rend aimable. Après l'avoir aidé à l'auberge, je cours rejoindre Agnès pour déjeuner au Palais. Atmosphère tranquille du Palais Clari. Un hâvre de paix et de fraîcheur. Dehors un soleil presque trop chaud.
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Café avec Laure de S. et son amie Mirabelle. Jeunes et délicieuses petites parisiennes. Laure m'a envoûté... Une ravissante petite nymphe à peine sortie du monde de l'enfance, blonde les yeux verts. Beauté et innocence avisée. Ah si j'étais plus jeune !
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Après un long moment au Cucciolo en compagnie des trois filles (Laure a attrappé une insolation), conférence à l'Alliance Française. Madame Couvreux-Rouché reçoit un fâcheux prétentieux qui ose parler (mal) de Rilke et Venise. Archinul. Diapositives mal synchronisées de mauvaise qualité... Bref l'ennui. Vu le vice-consul Dillemann et le Duc Decazes. Thé au Palais avec Violaine. Agnès ravie : arrivée de Marco, jeune N.H. vénitien de pure race. Un peu fât mais joli gosse. Je crois qu'elle a le béguin pour lui. Me voilà vraiment dans la peau d'un cicerone, comme le désirait sa mère !
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Vernissage au Palais Fortuny : Images d'Hollywood.
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Au Musée Guggenheim : cocktail pour la réouverture de la collection. Mondanités fades mais petits fours de Rosa Salva. Le jardin envahi par de vieilles sottes envisonnées. Jeunes étudiants sélects. Je pense à une scène de la Panthère Rose sans trop savoir pourquoi... Encore le Duc et la Duchesse. rencontré Laure et Mirabelle qui rentraient.
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Le soir, dîner chez Violaine et Rebecca à Sta Maria Formosa. Sympathique compagnie. J'aime la douce folie de Rebecca et la folle douceur de Violaine. Je retrouve ensuite Agnès et Mirabelle au Paradiso Perduto. Laure, hélas n'est pas venue (l'insolation).
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Couché très tard. Je rêve de Laure, petite fille charmante. Joli sourire, jolie voix. Un rêve de soleil et de fleurs parfumées.
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Dimanche 15, Rameaux.
Merveilleuse cérémonie à Saint Georges. Procession solennelle des Rameaux. Messe selon le rite de Saint Pie V. Foule nombreuse.
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Atmosphère de recueillement et beauté de la foule silencieuse et orante. Le chœur des moines est magnifique. Vu une belle famille d'irlandais (je les ai retrouvé plus tard, ils sont descendus chez Seguso sur les Zattere). L'aîné des enfants - un garçon de dix sept ans - s'essaye à l'italien pour me demander le chemin de la Ca'Rezzonico. Nous terminons la conversation au Cucciolo avec ses parents, sa sœur -quatorze ans - et leurs jeunes frères - douze et neuf ans. Belle famille en vérité. Tous très beaux.
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Rencontré un jeune aristocrate de très noble apparence. Visiblement très recueilli, il reste agenouillé longtemps après les autres... J'ai vite reconnu l'un des jeunes autrichiens croisés l'autre jour à la Villa Pisani. Violaine aussi l'avait remarqué. Sur le parvis, après la messe, il nous attendait. Nous avons pris le vaporetto ensemble. Ce n'est que sur le bateau qu'il nous a parlé. La glace rompue, il était tout sourire. Violaine lui a demandé la permission de le dessiner. Rendez-vous pris pour l'après-midi.
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Vu Agnès et la terrible Valérie devant le Palais. Sans rimmel ni fonds de teint, ces deux gamines seraient très jolies. Pourquoi maquiller leur fraîcheur ?
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Au même moment (j'entrais dans le jardin du Consulat), nous avons retrouvé les autrichiens.
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Violaine m'invite à goûter la délicieuse tarte aux amandes de Chez Gianni. Nous la dégustons au Cucciolo, sur la terrasse, devant la Calcina, après le départ de mes irlandais. Atmosphère de vacances et bonheur tranquille. Cette sérénité me convient, elle me porte et me préserve.
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14h30, San Barnaba. Le jeune autrichien nous attendait un peu inquiet. Nous étions en retard. Ses amis sont allés visiter le ghetto. Violaine s'empare de son carnet à dessin tandis que je discute avec lui.
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Il se prénomme Nicolas comme je l'avais deviné. Violaine a gardé de lui plusieurs croquis dont un portrait très ressemblant. Son nez retroussé, ce mélange d'enfance et de virilité, cette peau blanche, ces cheveux, drus avec déjà quelques mèches blanches. De beaux yeux d'un bleu très pur derrière de longs cils bruns. Il est très grand, très doux, très souriant. Sur le dessin, il est assis sur les marches du pont, la tête légèrement inclinée et me parle. Nous nous comprenons très vite. Il me dit dans un anglais excellent : "nous nous sommes sentis et nous nous sommes reconnus". Bonheur d'une amitié naissante. Nous parlons tous les trois. Longtemps. De tout : Tarkowski, Fellini, Pasolini, Leontiev, Dostoievski, mais aussi des mormons, de la double monarchie autrichienne, des enfants et de la beauté, de la paix aussi.
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Violaine invite Nicolas et ses amis à dîner et décide qu'ils dormiront tous trois à l'appartement. Repas sympathique malgré la fatigue générale. Longue discussion sur la littérature. nous lisons d'Annunzio, Dante et Ruskin une bonne partie de la nuit.
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Retour d'Odile Lurton, triste, égale à elle-même. Dommage, j'aime beaucoup cette fille pleine de talent mais tellement engoncée dans des problématiques sans fin.
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Ce fut un vrai dimanche. Violaine très belle dans son chemisier blanc de dentelle immaculée, les escarpins blancs et moi en blanc aussi et le soleil très haut, le ciel très bleu, la messe très solennelle, le parvis avec les paroissiens et les moines qui bavardent, les petits gâteaux et la ficelle dorée, le café sur la terrasse et la promenade, bras-dessus-bras-dessous . J'en connais qui crieront à l'ineptie. Je les laisse à leurs aigreurs.
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Nicolas repart demain pour Graz. "Il a le sourire et le regard velouté d'un prince de légende" dit de lui Rebecca. Nous parlons longtemps de l'Autriche. Son ami, Ati Pacher-Theinburg est plus secret. Leur compagne Claudia Leopold est très belle. Les revoir en Autriche.
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posted by lorenzo at 23:47


Ce
tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui
désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que
renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations :
ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une
bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de
l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux
du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou
fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre
à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus
précieux de la vie, ceux qu'il ssont en train de vivre, ensemble...
petites
salles presque humbles mais très belles de proportion. Une noble
simplicité. Ce que le XVIIIe siècle a su produire d'harmonie et de grâce
est contenu dans ces minces espaces qu'un soleil joyeux éclaire dans le
silence du jour, arrachés comme par faveur au luxe et à l'ostentation
du reste du palais. C'était bien le meilleur écrin possible pour
présenter cette série de peintures joyeuses et fantasques qui, à chaque
fois que je leur rend visite, me donne l'impression d'être à une autre
époque et rend l'illusion quasi parfaite : ces êtres vus de dos semblent
vivants. Les polichinelles dans la pièce à côté vibrent et frémissent.
On entend presque la musique de leurs instruments et le son de leurs
voix. Enfant, je rêvais de demeurer là après que le musée soit fermé.
J'étais convaincu que la nuit tout ce monde s'animait pour de bon et,
descendant des parois, dînait, s'amusait, dansait jusqu'au petit matin.
Parfois le lendemain, une coupe de champagne renversée sur le sol, un
peigne d'écaille, des miettes intriguaient les gardiens et ils
maudissaient à chaque fois les femmes de ménage trop pressées qui
n'avaient pas bien nettoyé ces petites salles éloignées. Il est de ces
mystères à Venise...
Ce tableau énigmatique s’articule autour d’un personnage central qui désigne un point du ciel au moyen d’une baguette. Mais la version que renferme la villa diffère singulièrement des autres représentations : ici, la baguette se termine par une forme étrange, qui ressemble à une bulle de savon irisée. Altération de la peinture, ou volonté de l’artiste de donner un sens nouveau à son œuvre ? Peu importe : aux yeux du critique comme à ceux de la jeune femme, cette bulle, réelle ou fantasmatique, pourrait bien symboliser leur tentative commune de mettre à l’abri, comme dans une bulle d’éternité, les instants les plus précieux de la vie, ceux qu'il sont en train de vivre, ensemble...
petites salles presque humbles mais très belles de proportion. Une noble simplicité.

Il est né et a vécu à Venise, dans une belle maison à côté de la Ca'Rezzonico, à San Barnaba. Une plaque le rappelle sur la fondamenta qui mène au musée des arts décoratifs. La maison transformée en fondation, abrite un superbe jardin ouvert depuis quelques années maintenant au public, et qui est un délicieux endroit où se rafraichir en été avant ou après la visite du musée. Avec le petit jardin de l'université, c'est un lieu toujours paisible, ombragé, où la foule des touristes ne pénètre qu'au compte-goutte. Tant mieux. 


Ce soir, j'en ai fait revenir quelques morceaux à la poële avec un soupçon d'huile d'olive, je les ai dressé brûlants sur une assiette. J'y ai mis du beurre qui a doucement fondu, du parmesan fraîchement râpé. J'y ai ajouté de fines tranches de jambon de San Daniele, des lanières de carottes et de radis noir crus , de la mozarella (de la vraie, faite avec du lait de bufflesse) coupée en lamelles et un oeuf poché. J'ai arrosé les crudités et l'oeuf d'un peu de vinaigre balsamique. Le festin était prêt. Ah, j'oubliais, il y avait un peu de tapenade maison, pour la couleur. Un régal accompagné d'un verre de Bardolino à la saveur très ample, très longue. Un festin de roi vous dis-je ! 






posted by lorenzo at 01:06


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