31 mars 2008

COUPS DE CŒUR n°25

Michel Lambert, Airs de cour
René Jacobs et Wieland Kuijken.
Harmonia Mundi, coll. Curiosita, 2004.Je vous ai déjà parlé à plusieurs de cette trop discrète collection qui reprend des enregistrements du fonds Harmonia Mundi, qui est, comme vous le savez certainement, d’une incroyable richesse. Pour les esprits curieux (c’est ce que dit la notice de présentation du catalogue), on trouve les Arts Florissants de Willian Christie, interprétant magistralement le Cantique de Möyse de Moulinié, Les cantates de la vénitienne Barbara Strozzi avec la voix de Judith Nelson, l’Ensemble Janequin avec les Leçons de ténèbres de Sermisy, Huguette Dreyfus au clavecin qui joue le Microcosmos de Bartok (superbe !)… Des pochettes résolument sobres, contemporaines, très légères presque trop épurées, mais un contenu d’une belle qualité. J’ai toujours apprécié la politique éditoriale de cette maison de disques. Rappelez vous la création dans les années 70-80 de la collection Musique d’abord qui pour 10 Francs (1,50 € !), proposait des enregistrements d’une grande qualité et d’une incroyable diversité. Presque tous les titres ont finalement été réédités, mais le prix forcément a changé. Leur politique de développement est intelligente, leur méthode de commercialisation très sobre et surtout leur catalogue d’un éclectisme et d’un goût absolument sûr. Comme on dit d’une oreille qu’elle est parfaite. Bon, je ne sais si ce panégyrique me vaudra un cadeau de la Maison arlésienne (ce n'était pas le but, Bernard Coutaz), mais je revendique mon attachement à cette maison !
 
Revenons-en à ce disque de René Jacobs. Dans un français parfait, Maître Jacobs chante avec la délicatesse, le raffinement et l’efficience qui lui sont naturelles (nous sommes en 1981 au moment de l’enregistrement réalisé par l’excellent Jean François Pontefract) ces "airs de cour" composés pour ces concerts qui s’organisaient souvent dans les salons en ville comme à la cour, et où régnait une atmosphère précieuse et légère à la fois. Ce n’était pas des réunions prétentieuses mais savantes, aurait-on dit à l’époque, de gens bien mis, connaisseurs et cultivés. Michel Lambert, protégé de Madame de Montpensier et beau-père de Lully, fut l'élève du grand Etienne Moulinié. Il chantait en s’accompagnant au théorbe et avit de nombreux élèves au Palais comme en ville. Presque toute son œuvre est consacrée à ce genre musical, avec le plus souvent une référence à l’amour et à la mort. Ce disque est un régal.
Je ne sais plus en fait si je vous en ai déjà parlé, mais ces airs de Lambert participent tellement de ma vie vénitienne qu'ils ont presque davantage leur place dans TraMeZziniMag que le disque de Barbara Strozzi, magnifique aussi.
Lambert me ramène en arrière. Il y a une vingtaine d’années, quand jeune étudiant, je passais les plus belles soirées du monde chez un vieil aristocrate, musicien amateur qui connaissait tout le monde à Venise. Des soirées mémorables. Je sais bien qu’il réunissait chez lui beaucoup de jeunes gens parce qu’il était très sensible à notre jeunesse, et on croisait souvent dans son salon, de forts jolis garçons et de très belles jeunes filles. Mais il n’eut jamais, pour aucun de nous, de gestes qui eurent pu nous embarrasser ni ne prononça de propos déplacés. Il nous jouait entre autres du Lambert. C’est chez lui que je découvris le théorbe, le plaisir de cette musique paisible, humaine, interprétée parfois par de grandes voix qu’il invitait en même temps que nous. Je pense à Margaret Zimmermann qui venait parfois en voisine (elle habitait à l’époque un très bel appartement sur le campo Santa Maria Formosa), à ces jeunes chanteurs du conservatoire Marcello dont j’ai déjà parlé et qui donnèrent à ma demande un récital pour le vernissage de l'exposition d'un jeune sculpteur (voir le lien en cliquant ici).
 
Ce vieux monsieur, aujourd’hui disparu, avait un talent extraordinaire pour rassembler et harmoniser des êtres qui ailleurs ne se seraient jamais rencontrés. N’est ce pas cela l’esprit du XVIIe où la curiosité et la parfaite éducation permettaient de s’ouvrir à la nouveauté, où l’accueil se faisait naturel et l’hospitalité toujours royale. Inconnu en pénétrant dans le salon, vous vous sentiez au bout de quelques minutes, parfaitement intégré, comme lorsqu’on revient chez des amis de longue date… Cette capacité extraordinaire est une caractéristique de l’aristocratie et diffère tellement de la prétention bourgeoise, de cet esprit recroquevillé, frileux et sans curiosité aucune qui est malheureusement l’apanage de cette classe sociale pleine de prétention et de complexes en même temps que sottement ambitieuse et superficielle.

Mais laissons-la ces digressions. Lambert et ses airs de cour est un vrai régal, surtout ce merveilleux "Vos mépris chaque jour", avec la basse continue qui souligne la douleur du chanteur, fou d’amour et de dépit :
"Vos mépris chaque jour me causent mille alarmes,
Mais je chéris mon sort, bien qu’il soit rigoureux.
Hélas ! si dans mes maux je trouve tant de charmes,
Je pourrais de plaisir, si j’étais plus heureux."
La viole et les violons reprennent l’air et le terminent, prolongeant la douleur de l’amoureux transi. Ce qui fait la beauté de l’écriture de Lambert, c’est justement ce passage naturel de la voix à l’instrument. On n’est plus seulement dans l’ornementation. Chaque air possède un double qui loin de nous éloigner du texte, le développe, le souligne et parfois même l’explique. Méditation douloureuse, cette chaconne parle à tous nos cœurs, qui ont forcément connu, à un moment ou à un autre, les tourments dont il est question. Ecoutez, vous serez conquis.
Anne Queruel
Andrea Tron, le maître de Venise
Editions Loubatières
La biographie très bien écrite d’un grand patricien vénitien du XVIIIe siècle, ambassadeur de la Sérénissime à la cour de Versailles, homme politique visionnaire et très consulté, témoin de cette époque terrible où venise qui avait pu tout être s'apprêter sans vouloir y croire à n'être plus rien. Andrea Tron est né en 1712 dans une Venise où "On chante dans les places, dans les rues, dans les canaux. Le fond du caractère de la nation est la gaieté" (Mémoires), ami de Montesquieu, avec qui il correspondit longtemps, homme de grande culture, en avance sur son temps, il fut obsédé par un seul combat : permettre à Venise de durer. Il mourra en 1785, assez tôt pour ne pas avoir le chagrin de voir sa Sérénissime déchiquetée et anéantie par Buonaparte et les autrichiens.
Focaccia Genovese 
Lorsqu’il fait bien froid et que nous avons tous envie de rester chaudement installés dans le salon, devant la cheminée, lovés parmi les coussins du canapé, avec le chat qui ronronne comme une vieille grand-mère heureuse d’avoir tous les siens autour d’elle, je fais un plat vite fait, roboratif en diable et finalement assez fin. Il s’agit en fait à la fois d’un pain plus que d’une pizza. On en trouve partout dans les bars de Venise et l’origine serait génoise (rien n’est parfait – vous savez que je n’aime pas Gênes ni les génois, ennemis de toujours des vénitiens) d’où son nom. Peu de boutiques en vendent à Venise qui soient aussi bonnes que celle de notre recette. 
Le jeune Sam, auteur-(ex) adolescent d’un livre de recettes, écrit pour délivrer ses congénères boutonneux de l’éternel et pitoyable duo hamburger & Coca, donne une recette à peu près semblable. Essayez, vous m’en direz des nouvelles. Je sers une grande tranche encore chaude, bien moelleuse avec quelques feuilles de salade bien vertes (de l’épinard, du cresson ou de la mâche), nappées d’un simple filet d’huile d’olive et de vinaigre balsamique, avec des tranches de pancetta lorsque nous sommes à table. Sinon, pour les soirées "feu de cheminée-grosse paresse" comme en ce moment, la genovese est présentée dans une grande corbeille et chacun se sert avec les doigts. En général, je sers aussi des mugs de velouté bien chaud à base de Miso soup.
Il faut 400g de farine, 20g de levure fraiche, huile d'olive, sel, 2 pommes de terres moyennes cuites à l'eau et réduites en purée (mais c'est optionnel), de la sauge fraiche ciselée ou à défaut du persil, quelques olives dénoyautées et coupées en rondelles.
Mettez la levure dans un peu de lait ou d'eau tiède pour la dissoudre. Mélangez-la avec la farine, 2 cuillères à café de sel, la purée de pommes de terre et 3 cuillères à soupe d'huile d'olive. Travaillez la pâte, en ajoutant un peu d'eau tiède autant que nécessaire. Laissez reposer la pâte une petite heure sous un linge propre qui va monter sans sécher. Ajoutez les herbes et/ou les olives. Huilez un moule ou une plaque à four. Etalez-y la pâte. Attention elle ne doit pas être trop fine, ce n'est pas une pizza! Laisser reposer encore au moins une demi-heure. Avec les doigts, faites de petites marques, comme des "fossettes" à la surface de la focaccia. Dans chaque trou, disposez un peu de sel (le mieux est la fleur de sel, dont le croquant à la dégustation est un plaisir). Cuisez la focaccia à four très chaud, 200°C. Le temps de cuisson dépend de votre four et de l'épaisseur de votre focaccia. Elle est cuite lorsqu'elle a une belle couleur dorée! Au moment de servir, j'étale dessus un mélange assez épais de purée de tomates parfumée au basilic, et mélangée à une sorte de piperade épaissie, des petits morceaux de jambon ou des anchois, du parmesan, etc... Attention à ne pas trop saler la préparation car la foccacia Genovese selon cette recette, est salée.

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1 commentaire:

Anonyme a dit…
Ma perché la ricetta della focaccia genovese ? Qui siamo a Venezia non a Genoa ! Mangiamo la polenta, semplice, con le seppie al nero. Buonissimo !