Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

17 juin 2006

Adieu, Emporio Pettenello !

Il y avait naguère sur le campo Santa Margherita une boutique peu ordinaire qui faisait le délice des enfants... Cela pourrait être le début d'une nouvelle. Une belle et longue histoire en tout cas.
 
Depuis 1899, la famille Pettenello tenait sur la place le magasin de jouets le plus célèbre de la ville. Aucun jeune vénitien n'ignorait les trésors que recélait cette boutique un peu sombre. Aucun ne pouvait dire ne pas avoir été un jour chez Pettenello. On y trouvait de tout depuis toujours. Des jouets à la mode mais aussi des classiques d'autrefois. Dans ses larges vitrines, tout un univers magique se déployait attisant la convoitise des petits vénitiens. Jouets de tous les temps et en tout genre. Ses tiroirs et ses cartons regorgeaient de merveilles : billes multicolores, sifflets et crécelles, pétards, petites voitures et boîtes de soldats, poupées en tout genre, peluches, batteries de cuisine en miniature et dînettes comme en vrai... A la bimbeloterie et aux parfums s'ajoutaient des jeux de société, des déguisements, des découpages ou des pochettes surprise... Il y avait de tout vraiment, des objets de grand prix à faire rêver les enfants les plus gâtés jusqu'aux babioles à trois sous pour les petits porte-monnaie. 
Derrière le comptoir garni de boites et de cartons, trônaient Madame Pettenello et sa fille Béatrice, aidées parfois par des vosiines où même des petits habitués très connaisseurs. C'est Beatrice justement qui est à l'origine, à son corps défendant, de la fermeture définitive de l'Emporio Pettenello. La disparition d'une institution vénitienne, considérée par certains au même titre que le Florian ou le Harry's bar n'est absolument pas un évènement anodin ici. Comme dans ce délicieux petit film avec Tom Hanks et la jolie Meg Ryan où cette dernière, libraire passionnée, est obligée un jour de tirer le rideau ("you got mail"). Ruinée par une grande surface, l'héroïne laisse sur la porte un joli message destiné à ses jeunes clients... Mais sur le campo Sta Margherita, ce n'est pas de concurrence et de mauvais résultats dont il s'agit. Le choix de cette fermeture est une libre décision mûrement réfléchie sans raison financière. Tout allait bien pour ce commerce mais plus vraiment pour l'héritière de la maison. Elle a eu envie d'autre chose et après avoir cherché en vain un repreneur qui aurait continué l'activité et le mythe (on ne s'improvise pas marchand de jouet et ami des enfants, il faut être un peu poète, un peu Peter Pan, très patient et très inventif, avec les yeux qui pétillent comme le regard des enfants quand le nez écrasé contre la vitre ils rêvent d'un avion, d'un bateau ou une poupée !), il ne restait comme solution que la fermeture définitive. Le rideau est donc tombé sur plus de 100 ans d'histoire, quelques semaines après Pâques. Le temps de liquider les stocks et de faire toutes les démarches administratives. Le rideau est tombé. Il aura fallu quinze jours seulement pour que les barbares qui sévissent aussi à Venise s'emparent de la façade et la couvre de tags d'une laideur déconcertante. Cette verrue accentue la tristesse de ceux qui ont fréquenté cette délicieuse boutique.
C'était début décembre, Beatrice Pettenello avait surpris tout Venise en annonçant la fermeture prochaine du magasin. "J'ai fait mon choix" déclara-t-elle aux journalistes du Gazzettino "à trente ans passés j'ai envie de faire autre chose, nous avons cherché un repreneur mais personne ne s'étant présenté, nous fermons". Devant la déception des enfants et de leurs parents, elle a écrit avec Lilli, sa mère, une très belle lettre qui méritait d'être publiée. c'est ce qu'on fait les journaux. En voici une traduction :
"Chers enfants et chers amis de la Maison Pettenello, c'est un devoir pour moi comme pour ma maman Lilli de nous adresser à vous. Même si le magasin ne fermera pas tout de suite et que nous vous accompagnerons pour Noël, l'Epiphanie et le prochain carnaval, nous voulions vous dire un adieu amical et sincère. Nous vous remercions pour l'affection et la sympathie que vous ne cessez de nous démontrer ces jours-ci comme vous l'avez fait pendant toutes ces années. Nous voulons saluer particulièrement tous nos petits clients, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui. J'aimerai leur raconter tellement d'histoires dont ils ont été les vrais protagonistes mais il n'y aurait pas assez de pages dans les journaux pour tout dire. Sachez simplement que vous, tous nos clients, et surtout vous les enfants, demeurerez nos plus chers souvenirs. C'est en 1899 que mon grand-père débuta cette merveilleuse histoire dont vous avez toujours été partie prenante : en achetant, en pleurant, en riant, en jouant chez nous et en grandissant. Certains d'entre vous n'hésitaient pas à venir travailler avec nous derrière le vieux comptoir, d'autres revenaient avec leurs enfants, leurs petits-enfants. Voilà que maintenant cette belle histoire va se terminer non pas parce que des méchants ont gagné ou parce que l'auteur est fatigué de l'écrire. Mais parce que, comme toutes les belles histoires il faut conclure avec la formule "ils vécurent heureux et satisfaits" et c'est là que commence une nouvelle histoire. La mienne."
Après tant d'années passées derrière ce fameux vieux comptoir que j'ai connu enfant, puis adolescent et que mes enfants ont bien aimé aussi, Beatrice, en dépit de sa tristesse et de celle des enfants de Venise, a choisi de s'envoler vers de nouvelles aventures comme elle le confiait à la journaliste Daniela Ghio en décembre dernier. Pour réaliser ses propres désirs enfermés depuis des années au fond d'un tiroir du magasin, elle a dû sacrifier l'activité familiale et mettre un terme à un pan de l'histoire de sa famille comme de Venise. "J'ai fait ce métier avec beaucoup d'entrain et d'amour pendant toutes ces années, aujourd'hui, à trente ans, j'ai envie de reprendre mes études là où je les ai laissé quand ma mère m'a demandé de l'aider au magasin. Lilli va pouvoir jouir d'une retraite amplement méritée... J'espérais que quelqu'un voudrait bien reprendre l'activité mais je n'ai pas trouvé hélas !..."
Aujourd'hui, tout cela fait partie du passé. Beatrice a repris ses études. Sa maman profite de sa retraite. le magasin est toujours fermé et les enfants sont un peu tristes. Les glaces de Renato Causin, juste en face les consolent un peu plus chaque jour. C'est ainsi que va la vie n'est-ce pas.
"J'ai fait un rêve papa" me disait ma petite dernière, en apprenant la nouvelle, "tu reprends Pettenello, on arrête de vivre ailleurs qu'à Venise. Rien ne change, et il y a plein de jouets de partout et tous les enfants viennent acheter leurs jouets chez toi et il y aurait des sucres d'orge, des bonbons, des poupées, des marionnettes et des déguisements incroyables et nosu on t'aide et on tous les jouets du monde"... Comme elle a raison. Son rêve est très beau... Le vieux comptoir de bois ciré, les étagères et les casiers débordant de merveilles, les vitrines éclairées les soirs d'hiver quand Noël se prépare avec les grappes d'enfants collées devant les trésors derrière les vitres. Le paradis des enfants, un lieu hors du temps...
posted by lorenzo at 23:10

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