Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

02 octobre 2006

juillet 1986, Venise, terrasse du Cucciolo

Nous avions marché toute la matinée. Tu avais dormi tard sur mon épaule. C'était la première fois que je me réveillais avant toi. J'avais pu te regarder longtemps ainsi, abandonnée et confiante. Je me sentais fort, je me sentais fier. Arrivée d'Antibes la veille, tu n'avais pas voulu attendre de te remettre de cet interminable voyage en train pour découvrir la galerie de San Vio et rencontrer les amis qui peuplaient mon quotidien ici. Tu voulais le cacher, mais je savais bien que tu étais inquiète. Je parlai tellement souvent de mon désir d'indépendance, de ma volonté de demeurer seul, disponible, pour écrire. Je te parlais des Agnès, Violaine, Rebecca, Betty avec qui je partageais mon quotidien ici, tellement loin de toi. De nous. Tu avais d'avance accepté de ne me voir que trois ou quatre fois dans l'année et toi qui déteste marcher, toi que les musées et les églises assomment, préférant nager et te dorer au soleil en bouquinant, tu acceptais d'avance mes caprices, toutes ces visites que je t'imposais : San Rocco, les Schiavoni, la cathédrale, l'arsenal, les galeries d'art moderne, les antiquaires... 

Ce jour là, nous n'avions pas arrêté. Puis vers le milieu du jour, je t'avais amené sur les Zattere. Tu étais exténuée mais souriante. Nous avions faim. Le Cucciolo nous accueillit. Croque-monsieur et macchiato, puis gianduiotto come di solito. Tu étais belle, radieuse. La fatigue sur ton visage durcissait un peu tes traits mais ton sourire merveilleux me rassurait. Tu étais bien. Heureuse même peut-être... 

Après de nombreux séjours à Venise et de multiples étapes sur cette terrasse aujourd'hui disparue, après vingt ans de vie commune, quatre merveilleux enfants, les aléas de la vie, les accidents, les échecs et les triomphes, tu as mis un terme à cette aventure. Je retourne désormais à Venise sans toi, les enfants m'accompagnent encore mais leur vie bientôt les appellera ailleurs et je ne puis m'empêcher de penser combien vivre ici avec toi aurait été merveilleux. Tout ici était possible et notre amour se serait répandu comme l'eau de la lagune à travers la ville. 

Nous avions marché toute la matinée...

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posted by lorenzo at 07:21

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