Dix-neuvième année - Nouvelle édition. Les Hors-Textes de Tramezzinimag :

24 mars 2006

COUPS DE CŒUR N°3

Abiti antichi e moderni dei Veneziani
par Doretta Davanzo Poli. 

Collection " Cultura popolare veneta" 
à l'initiative de la Fondazion Cini 
et de la Régione Veneto. 
 Editions Neri Pozza.
"Una specie di scialle, identificato come tale su oggetti archeologici ritrovati in area veneta, impone di iniziare la storia della moda a Venezia da molto lontano. Si tratta del fazuolo, detto in seguito cendale, ninzioletto, tonda, sial, termini tutti riferibili a un indumento similare, sistemato a ricoprire testa e spalle, che continuerà a ripresentarsi nel corso dei secoli come una sorta di filo conduttore nell’abbigliamento femminile veneziano".
C'est ainsi que commence l'ouvrage de Doretta, avec le châle, cet accessoire indispensable depuis toujours de la garde robe des vénitiennes, tous milieux confondus, un long périple historique sur la mode et les usages vestimentaires vénitiens de l'antiquité vénitienne à nos jours, riche de détails historiques et de curiosités. "Le propos est d'étudier les changements de la mode au cours des siècles, à Venise et sur la terre ferme", souligne Giancarlo Galan, l'actuel Président de la Région dans sa préface, "en mettant en évidence les données sociales et culturelles et en les comparant au contexte historique et économique dans lequel les différentes manières de s'habiller se sont développées"..."Depuis toujours lieu de rencontre et d'échange de culture, poursuit Galan, pont entre l'Orient et l'Occident, Venise reflète, même dans l'habillement, influences et tendances dépendantes des relations politiques et commerciales à un moment historique déterminé, réussissant en même temps à définir et conserver de nombreux traits d'originalité, tant dans la manière de se vêtir des classes des hautes sphères que dans les milieux populaires..."
Au VIe siècle, l'expansion de la culture orientale en Italie (en 257, le trône d'orient est occupé par Justinien, le dernier grand empereur romain) laisse des traces dans la manière de s'habiller des populations qui habitent les îles de la lagune - comme en témoignent les personnages peints sur les fresques de la basilique d'Aquilée - mais bien vite avec l'évolution des techniques de tissage, les artisans vont mêler à la tradition vestimentaire romaine des éléments originaux d'inspiration purement locale. Un élément par exemple apparait vite et va rester à travers les siècles en usage dans toutes les classes de la société : la fourrure. "même à l'intérieur des habitations, peu ou mal chauffée, des classes moyennes", raconte l'auteur, "on se protègeait du froid en revêtant plusieurs épaisseurs de vêtements dont l'un au moins était en tissu fourré. Les moins favorisés se contentaient de peaux de mouton, de chèvre ou de lapin (les plus pauvres portaient même des peaux de chien ou de chat), tandis que les riches portaient des peaux plus précieuses comme le veau, moins lourd et plus chaud. La fourrure (les poils) touours tournés vers l'intérieur". les poils de la fourrure portée vers l'extérieur sera seulement une nouveauté de la mode du XIXe siècle. Depuis à Venise, le manteau de fourrure, vison, renard ou zibeline reste très porté et la tradition dote les filles à leur majorité d'un manteau de vison comme chez nous d'un collier de perles...
A partir du XIIIe siècle, c'est l'affirmation définitive d'un art du tissage typiquement vénitien accompagné d'un mode de travailler la laine et la soie très particulier. La ville commence à mettre en place lois et règlements en matière de mode, notamment, comme toujours, pour limiter les excès. Le gouvernement de la Sérénissime sera contraint par exemple d'établir des ordonnances limitant le prix maximum pour la confection d'un habit. Un arrêt de février 1219 précise par exemple :"per un completo composto di gonnella, guarnacca e pelliccia, il costo è fissato in L. 12, sette per le prime due, 5 per la terza"("pour un complet composé d'une jupe, un haut garni et un fourrure, le coût est fixé à 12 livres, sept pour les deux premières pièces, 5 pour la troisième). Il va surtout réglementer le nombre de vêtements et la quantité de tissus précieux qu'il sera possible de posséder.
A cette période, la corporation des teinturiers ("I Tintori") va prendre beaucoup d'importance. La valeur d'une couleur au détriment d'une autre orientera les goûts, fera et défera les modes pendant plusieurs siècles.
C'est aussi à cette époque que sera introduit un accessoire fondamental et révolutionnaire : le bouton. Jusqu'alors le vêtement était plus ou moins élaboré, il n'en demeurait pas moins une sorte de tunique portée par l'homme comme par la femme. Avec le bouton, le vêtement adhère mieux au corps, ce petit accessoire ingénieux va rendre possible une utilisation différente des étoffes. Cette ouverture permettra, au siècle suivant, la différenciation totale de la mode masculine de celle réservée aux femmes.
Puis viendra la bourse, tant pour les hommes que pour les femmes : de cuir ou d'étoffe, décorée ou brodée "Accrochée à la ceinture dont elle semble un simple ornement ou son prolongement, par des liens, des rubans, des noeuds ou des chaînettes" explique l'auteur,"pendantes et bien en vue, ce sera vite la proie facile des voleurs munis de ciseaux qui suffisent pour couper les liens et s'en emparer : le terme de tagliaborse (taille-bourse) servira vite à qualifier ce genre de voleurs..."
Au XVe siècle, Venise va exprimer toute son originalité dans le secteur de l'habillement. Du côté des hommes on ré-introduit la toge, sorte de sur-veste à usage professionnel que la Sérénissime va rendre obligatoire. Pour les femmes, il y aura ces manches bouffantes attachées aux épaules et interchangeables. C'est pendant cette période qu'apparaissent des étoffes tellement précieuses qu'elles seront acceptées par le sprêteurs à gage et se retrouveront dans les contrats de mariage... Brodées d'or et d'argent, décorées de motifs végétaux somptueux, ces tissus démontrent le très haut niveau de savoir-faire des tisserands vénitiens.
Au XVIe siècle se développe la dentelle avec ce fameux point tellement fin (que l'on pratique encore - de moins en moins - à Burano). Au XVIIème siècle ce sont ces fameuses chaussures (échasses plutôt) dont je vous parlais il y a quelques jours. On arriva à des semelles tellement hautes qu'il fallait aux élégantes l'aide de deux personnes pour tenir debout et marcher... Des tas d'extravagances vont apparaître, de l'ampleur, du volume pour mettre en valeur la beauté des étoffes précieuses.. On va inventer des couleurs toujours plus belles, des rayures, des fleurs brodées ou tissées... Jabots de dentelles, camisoles et voiles, capes et manteaux, tricornes et autres accessoires typiques comme ceux qu'on peut admirer dans les tableaux de Longhi sont décrits en détail dans le livre de Madame Davanzo Poli, jusqu'aux plus petits détails y compris les artifices camouflés sous les vêtements féminins pour mettre en valeur le corps (paniers sous les jupes, cercles pour tenir le bas des robes faits en cartilage de baleines ou en plumes).
Après la chute de la République, pendant l'occupation française puis autrichienne, rien ne change vraiment sauf l'arrivée des pantalons longs pour remplacer la culotte ancien-régime, véritable révolution puisque ce vêtement masculin était porté à venise depuis la Renaissance par les prolétaires les plus pauvres et mis à la mode par les révolutionnaires parisiens et qui nous a amené à l'habillement moderne.
Les temps modernes ne sont pas oubliés dans ce livre avec les créations de Mariano Fortuny, espagnol de naissance mais vénitien d'adoption, dont quelques belles pièces sont visibles au Palais Fortuny que je vous recommande. Il vient d'être rénové mais conserve l'atmosphère belle époque et très esthétique mise en place par l'artiste lui-même. Artiste éclectique, il ouvrit en 1906 un laboratoire d'impressions sur étoffes, velours et taffetas, qu'il teintait lui-même puis imprimait selon un procédé de son invention, dérivé de la technique des "Katagami" japonais. Eleonora Duse, Sarah Bernhardt, Isadora Duncan et Ilda Rubistein seront ses clientes et ses meilleures ambassadrices.
Vénitienne authentique, Giuliana di Camerino, aujourd'hui disparue, illustre la deuxième partie du XXeme siècle. Son label "Roberta di Camerino", signature apposée sur de magnifiques accessoires, sacs et ceintures de velours polychromes avec des motifs en trompe-l'oeil, (que la jet-set des années 60 s'arrachait après que Grace Kelly, lors de son arrivée à Monaco, se présenta avec un de ses modèles) continue d'avoir beaucoup de succès en Italie comme dans le monde entier avec des foulards et des vêtements que Giuliana lança avec beaucoup de professionnalisme. J'ai participé chez Graziussi à l'édition d'un portfolio de ses dessins. C'était une garnde dame. Et puis, il y a Fiorella Mancini et ses créations psychédéliques (les mannequins femmes à tête de doges barbus, c'est elle), les tissus et vêtements de Norelène (Hélène et Nora , la femme et la fille de Bobbo Ferruzzi)... Un livre passionnant.
posted by lorenzo at 00:02